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Un'estate al mare di Giuseppe Culicchia

compte-rendu de lecture de Frédéric Cherki

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Informations sur l'auteur

Giuseppe Culicchia est né à Turin le 30 avril 1965. Il a publié ses premiers récits en 1990 dans l'anthologie Papergang-Under 25 III sous la houlette de Pier Vittorio Tondelli.

En 1994 sort son premier roman : Tutti giù per terra1, Prix Montblanc 1993 et Prix Grinzane Cavour du premier roman 1995). Les aventures de Walter, le protagoniste de ce premier opus se poursuivent dans Paso doble (1995) : héros paumé d'une génération où la communication n'est plus que juxtaposition de solitudes, Walter quitte ses parents et s'accorde un délai ; un long service civil d'objecteur de conscience. Entre adolescence et âge adulte, il va tenter de se définir un idéal, d'approcher les femmes, et d'apprendre à survivre dans une réalité tragicomique et grotesque. Surtout il jette un regard lucide, décapant, souvent drôle sur lui-même et ses amis, la vacuité des engagements politiques, les petits boulots, les amitiés et les amours.

En 1997 sortent Bla bla bla et le film de Davide Ferrario tiré de Tutti giù per terra.

Dans la foulée, toujours chez Garzanti, il a publié Ambarabà (2000), A spasso con Anselm (2001), Liberi tutti, quasi (2002) et Il paese delle meraviglie2 (2004).

Pour Einaudi il a traduit American Psycho et Lunar Park de Bret Easton Ellis. Et, chez Einaudi toujours, vient de sortir Ritorno a casa dei signori Tornio, texte théâtral très court sur sa ville, Turin.
De ses débuts avec Tutti giù per terra jusqu'au récent paese delle meraviglie Giuseppe Culicchia a toujours su raconter la societé italienne de ces dernières années et écrire l'autobiogaphie d'une génération. Avec Un'estate al mare dont il a emprunté le titre à une célèbre chanson de Giuni Russo (1982), Culicchia tire sans aucune complaisance le portrait d'une Italie très contemporaine.

Eté 2006 : L'Italie est en passe de remporter le Championnat du monde de football en Allemagne. Un jeune couple mal assorti passe sa lune de miel sur les plages siciliennes, aux prises avec le futur et l'envie d'un enfant qui semble ne pas vouloir arriver. Une Italie en délire qui s'exalte en reprenant à tue-tête le po po po poooporo', sorte de I will survive' des tifosi de 2006.



L'histoire en bref


L'été du titre est l'été 2006 peuplé d'enfants obèses, pollué par la sonnerie envahissante des portables, par les alertes à la canicule et au traitement chaotique de déchets qui s'amoncellent dans les rues de Naples, tandis qu'en Allemagne l'Italie dispute les championnats du monde de football qu'elle est sur le point de remporter, à l'heure où le scandale fait rage dans les milieux pollués du football transalpin.

Luca et Benedetta, qui se connaissent depuis six mois, ont choisi de vivre en Sicile leur voyage de noces. Tous deux sont tellement différents: elle, Benedetta, jeune milanaise exubérante de trente ans passionnée par tout ce qui touche à la mode, mais ignorante et peu au fait de ce qui se passe dans le monde environnant, a décidé que la Sicile était le lieu idéal pour leur lune de miel. Sans compter que c'est la terre sur laquelle Luca a grandi. Lui, quadragénaire qu'une mère possessive ne cesse de poursuivre de loin au téléphone, lui, paranoïaque-hypocondriaque comme aime à le définir sa jeune épouse, est au contraire l'intellectuel passionné - pour ne pas dire obsédé - par la lecture des quotidiens : il sait tout sur les mines antipersonnelles, la Sars, les complots qui ont conduit à l'attentat des Tours Jumelles et sur une éventuelle entrée de la Turquie au sein de l'Union Européenne. Il vient d'entrer dans cette partie de la vie où le futur n'est plus le trésor illimité que l'on peut encore gaspiller à plaisir, mais ce quelque chose qui oblige à dresser les premiers bilans. Lui, prudent à l'extrême, s'obstine à faire des confettis des facturettes du distributeur automatique de billets de banque quand, pour elle, la seule préoccupation est que ce même distributeur soit assez généreux pour lui permettre d'aborder une journée de shopping en toute sérénité. Tandis qu'elle -bavarde impénitente dont Culicchia s'amuse à railler les tics de langage (l'utilisation débridée de superlatifs comme «troppissimo»)- peut passer trois heures devant une glace avant de décider entre Prada et Chanel, lui, pour peu que la douleur lancinante qui lui fait craindre une tumeur au genou le laisse en paix, s'obstine à contrôler dans chaque miroir que la chute de ses cheveux ne s'est pas accélérée.

Elle, elle veut à tout prix un enfant tout de suite, convaincue que leur histoire est le Grand Amour de sa Vie (même si le plus vraisemblable est qu'elle ne veut pas être en reste par rapport à sa meilleure amie, la détestée Tarita, pour qui « ça a marché du premier coup ») ; lui, ne trouve pas géniale l'idée de donner la vie à un enfant dans le monde tel qu'il tourne aujourd'hui. Mais plus elle cultive ses désirs obsessionnels de maternité avec une agressivité quasi maniaque, plus Luca semble vouloir se soustraire à ses devoirs de géniteur.

En outre, sur les plages ensoleillées de sa terre natale Luca va bientôt rencontrer Katja, son premier amour d'adolescent, l'allemande qui, vingt-sept ans auparavant lui avait fait perdre la tête. Katja enseigne aujourd'hui l'Italien à Munich et passe tous les étés à Marsala ; un peu parce que cette terre est en quelque sorte sa seconde patrie et beaucoup, sans doute, parce que chaque fois qu'elle y séjourne elle espère y retrouver Luca. A ses côtés, sa fille Andrea, surfeuse provoquante de dix-sept ans qui, bien vite, va s'avérer une tentation irrésistible à laquelle, d'ailleurs, Luca ne saura résister ; une jeune bombe sexuelle désinhibée tout droit sortie d'un album de Milo Manara. Surgissent alors les complications d'une comédie aigre-douce à la Woody Allen, que Culicchia mène parfois à la manière crue d'un Houellebecq.

Bercé sur une mer de souvenirs, il va ainsi se retrouver confronté à lui-même et à son passé : les promenades en bicyclette avec son père -pilote de l'armée de l'air suicidé dans des ciconstances mystérieuses-, les parfums de la Sicile natale, les pâtes aux oursins (dont Benedetta fera une consommation effrénée, convaincue de leur vertu fertilisante) et le Général Rallo, ami et supérieur hiérarchique du père... tout un univers personnel qui commence alors à vaciller. Dans la chaleur étouffante de l'été sicilien, le présent s'emballe au travers des titres de journaux. L'Italie est sur le point de remporter la coupe du monde ; les quotidiens ne parlent plus que de ça, ou bien de Naples qui croule sous des tonnes de déchets, de la fragilité du nouveau gouvernement Prodi et d'un Berlusconi qui ne digère toujours pas sa récente défaite et ne cesse d'exiger que l'on recompte les bulletins des dernières élections. Les bars sont pris d'assaut par des hordes de tifosi beuglants et Luca n'en peut plus de ce monde qui l'entoure sans lui offrir la possibilité de faire bouger les choses. D'un caprice à l'autre, Benedetta quant à elle affiche ses attentes, tandis que Luca se voit contraint de regarder enfin son passé sicilien en face. Sans compter qu'il lui faut penser au futur de cet enfant qui s'obstine à ne rester qu'un désir, qu'une obsession, pour Benedetta. Cette quête désespérée d'un enfant d'une part et de l'autre le plongeon douloureux dans le souvenir têtu d'un père militaire mort dans des circonstances mystérieuses et la réapparition soudaine de Katja dessinent avec une grande simplicité les sentiments contradictoires d'une génération qui voudrait grandir mais a trop peur de le faire.



Un regard critique

Le récit suit le cours sinueux de deux registres narratifs distincts qui s'entrelacent habilement: le passé (souvenirs d'excursions avec le père trop tôt disparu, la première bicyclette...) et le présent incarné par l'épouse et une Sicile transformée en apparence, mais égale à elle-même sur le plan des mentalités. La trame narrative est en fait un prétexte littéraire pour décrire une Italie très contemporaine : une Nation, selon Culicchia, qui se fixe comme objectif de gagner la coupe du monde pour faire oublier les sales affaires du milieu du football, qui se soucie peu des catastrophes écologiques en cours, une société où le « problème n'est pas Berlusconi, mais plutôt que Berlusconi mieux que quiconque représente la majorité des italiens », une Italie, personnifiée par Benedetta qui fait son shopping douloureusement tiraillée entre le choix d'une veste Versace ou d'un pantalon Prada, un peuple qui a perdu le sens de l'existence humaine et pour qui la griffe l'emporte sur l'essence, le paraître sur l'être

Ironique, entraînant, le ton de Culicchia reste caractérisé par une écriture toujours très rythmée mais plus rarement irrésistible qu'à l'habitude, exception faite par exemple de l'évocation détaillée des rapports sexuels laborieux entre les jeunes mariés guidés, télécommandés plutôt, par une machine à la petite lumière verte ou rouge du nom de Personne qui, seule, peut décider du moment optimal pour qu'un rapport sexuel débouche avec certitude sur la grossesse tant jalousée à l'amie tant haïe. Le livre offre aussi quelques pages émouvantes. Ainsi, lorsque Luca se rend à Mozia où il implore désespéré l'aide de son père, dont la perte fut une douleur qui jamais ne l'abandonnera.

Le récit procède par une succession de courtes scènes, dont le rythme et l'enchaînement ne sont pas sans rappeler ceux du dessin animé. Bon observateur des tics de langage et de comportement, Culicchia semble avoir vu et compris plus que ce qu'il veut bien nous laisser entendre et voir. Sous le registre comique qui nous donne cette fois encore plus d'une fois à sourire, court un mal-être à peine voilé sous les traits de l'autodérision. Dans un éclair de sincérité des plus réussis, aux accents quasi Morettiens, Luca se déclare ainsi terrorisé par la perspective de la paternité. Avoir des enfants, rumine-t-il, signifie finir de vivre. Si les premières années ils te privent de silence et de sommeil, à cinq ans ils commencent à te demander des accessoires de marque, à six ils monopolisent le choix des programmes télé, « de sept à huit ans ils commencent à chatter avec le voisin, au-dessus de tout soupçon bien que pédophile. A neuf ans ils ont déjà quatre Playstation. Avant dix ans ils ont déjà changé cinq ou six fois de portable (...). A onze, douze ans maxi, ils se shootent à la coke. Pour leurs treize ans ils participent à une tournante ou selon les cas la subissent (...). Sans compter que d'ici trente ou quarante ans, et peut-être bien simplement trente, la Terre aura tout fait pour se débarrasser du genre humain».

C'est aussi un livre où la Sicile est omniprésente : Marsala, le chaos de San Vito Lo Capo, les beautés d'Erice, le désordre qui règne à Palerme, la beauté troublante du théâtre de Segeste, la mer propre de Favignana ... et un hommage aux saveurs typiques de la Sicile : les assiettes d'oursins, le couscous, les sorbets, les olives... 

La différence qui émerge, si l'on pense aux précédents ouvrages de Culicchia, ne réside pas tant dans une vision pessimiste de la société décrite, constante dans la production littéraire de l'écrivain turinois, que dans un sentimentalisme qui, loin d'être une fin en soi, est une manière d'essayer de trouver un sens à donner à sa propre vie, dans une société de plus en plus statique où règnent des valeurs trompeuses. Culicchia lance ici une sorte de cri d'alarme qui amène le lecteur à se demander, en refermant le livre : où et comment tout cela va-t-il finir ?

Quoi qu'il en soit, même si l'on reconnaît la patte de Culicchia, ce dernier opus est quand même loin d'être aussi réussi que Tutti giù per terra ou que le plus récent Paese delle meraviglie. En effet, s'il se laisse lire aisément, il n'est certainement pas inoubliable. Les deux personnages principaux sont tout sauf sympathiques et l'identification du lecteur n'est pas toujours aussi aisée qu'elle le fut par le passé pour les autres personnages tant est horripilante, en particulier, la trentenaire aux discours inutiles à la limite de l'idiotie. Rien à voir donc avec l'émotion de l'histoire précédente, même si le style, la recherche du mot juste, les descriptions réussies, un final particulièrement soigné au goût légèrement amer typique de Culicchia sont toujours au rendez-vous .


En résumé, un bon livre sans doute, mais pas le petit chef d'œuvre que fut Il paese delle meraviglie. Dommage.

1 Patatras, publié chez Payot-Rivages.

2 Le pays des merveilles, publié par Albin Michel.


 

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