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Las Casas, Sepùlveda : humanisme contre obscurantisme?

mis à jour le 17/10/2009


statue de Montesinos à Santo Domingo

Au milieu du XVIème siècle, le débat de la controverse de Valladolid (1550-1551) sur le sort des "Indiens" de l'empire de Charles Quint est-il nouveau ? Oui et non... 

mots clés : humanisme, controverse de Valladolid, grandes découvertes, bac pro trois ans


Problématique


Si la colonisation espagnole dans l'empire "américain" de la fin du XVIème siècle est entachée d'une "légende noire" à tel point que: "jamais probablement, avant ou après, un puissant empereur n'ordonna, comme alors, la suspension de ses conquêtes, pour qu'il fût décidé si elles étaient justes" (L.Hanke, " The Spanish Struggle for justice in the Conquest of America ", SMU press, Dallas, 2002)  la question majeure qui peut être posée dans l'étude conjointe des deux sujets d'étude du programme de 2nde professionnelle bac pro trois ans: " 1492, la découverte de l'Amérique (élargissement)" et "la Controverse de Valladolid" (l'Humanisme) est la suivante : Dieu fut-il le " premier servi "? Ou son nom ne représenta-t-il qu'un paravent à la mise en coupe réglée de tout un continent ?
Timbre espagnol célébrant le Vème centenaire de Carlos Quinto

 

Le contexte religieux

 
Au coeur de cette interrogation s'opposent deux logiques religieuses arc-boutées sur les piliers jumeaux de la prétention espagnole à la monarchie universelle :

  • d'un côté, celle des "séculiers" dont la tâche est d'encadrer les fidèles européens puis créoles, qui épouse les valeurs et les préjugés des colons. Elle correspond de fait au groupe soutenant Luis Ginès de Sepùlveda dans la controverse de Valladolid

  • de l'autre, celle des " réguliers " , Mendiants des ordres Franciscains, Dominicains, Augustins, présents dès 1510 dans les possessions espagnoles des Caraïbes, dont l'activité principale est de prendre en charge la conversion des " Indiens " à la foi catholique, qui épouse plutôt l'idée apostolique qu'il faut "protéger" et "éduquer" ces "peuples-enfants" pour les faire entrer de leur plein gré dans le "royaume de Dieu". Elle correspond de fait au groupe soutenant Bartolomé de las Casas.
 

Le contexte démographique

 
Ces divergences profondes se marquent non seulement dans la virulence des propos antagoniques au cours des deux débats majeurs organisés à Valladolid en 1550 puis en 1551, mais s'inscrivent également dans la géographie du découpage paroissial des terres du Nouveau monde, les paroisses des séculiers s'opposant aux "reducciones" des réguliers... Lorsque Bartolomé de las Casas regagne l'Espagne pour soumettre au Cardinal Cisneros, puis au nouveau roi Charles 1er (le futur Charles Quint) son projet de remplacement de l'encomienda par des " communautés indigènes " , gérées par les "mendiants", (1516-1518) l'idée est déjà mise en pratique sur le terrain. 

Au coeur de la controverse, il y a une autre réalité: c'est celle de l'effondrement démographique de la population indienne. Las Casas souligne le dépeuplement presque total des îles et tente même d'évaluer celui du continent (la "terre ferme") Pour lui, le constat est clair : l'hécatombe est le fruit des "guerres cruelles" et de la "servitude". De fait, les chiffres sont impressionnants car les historiens admettent aujourd'hui qu'en un siècle, la population indigène passe de 80 millions d'âmes à... 10 millions! L'Anahuac, les hauts plateaux mexicains passant de 25 millions à 2 millions ! Le plaidoyer à la cour est un succès qui sera par la suite relayé par la très large diffusion de la "très brève..." sur tout le XVIIème siècle en Angleterre, en France et bien entendu aux Pays-Bas.


Pour reprendre l'analyse de Paulino Castaneda, professeur d'histoire moderne à l'université de Séville, l'incontestable effondrement démographique est dû à un ensemble de causes multiples et complexes : la forte mortalité interne aux affrontements "ethniques" au sein des grands empires précolombiens, la situation de "monde plein" proche du renversement en 1500 (avec un épuisement des sols et une multiplication des crises alimentaires). L'arrivée des Espagnols aggrave la situation du fait des décès liés aux guerres mais surtout du fait de l'agression microbienne : typhus, variole, grippe déciment les populations (épidémie de 1576 en Nouvelle Espagne) Par ailleurs, Castaneda démontre que Las Casas dépeint une réalité coloniale dépassée: en 1550-1551; elle n'est plus celle des années 1510-1520 mise en place à Hispaniola. Les " Indiens " ne sont pas tous astreints au "requerimiento" sur les 4000 "encomiendas" disséminées sur un territoire immense. De plus, les " encomenderos " ne sont pas tous des criminels et beaucoup veillent à y installer une évangélisation " raisonnée " et durable intégrant le substrat culturel des religions précolombiennes (Voir Tapisserie en plumes dite de Saint-Grégoire)

(Se reporter au TDC "Métissages" n° 964 du 15 novembre 2008, p 15) Quoi qu'il en soit, Joël Cornette (Université de Paris VIII) a raison d'affirmer : " Eaux putrides, rivières de sang, souvenir des plaies d'Egypte : nombre de contemporains ont ainsi traduit les ravages de la maladie, la perversion des rapports sociaux, le règne sans partage de l'or et de l'argent [...] L'irruption des Européens a d'abord été synonyme de désordre et de chaos " (in l'Histoire, n° 38, p 46)
 

Une proposition de démarche avec les élèves

 
Des Hommes au coeur de la prise de conscience du problème " indien "

De quel droit traite-t-on ainsi ces
L'histoire étant faite avant tout par des Hommes, il serait bon de partir de deux parcours individuels qui se croisent, se complètent puis divergent : celui du très "médiatique" Bartolomé de las Casas et celui d'Antonio de Montesinos (peu évoqué dans les manuels scolaires européens).  Qui sont ces Hommes? Comment leur prise de conscience est-elle née? Comment ont-ils fait pour se faire entendre en "haut lieu", au point de faire douter l'empereur le plus puissant du temps : Charles Quint ?

A partir d'un corpus documentaire proposé à l'enseignant, il s'agit de mettre en relief les parcours singuliers de ces deux frères dominicains qui vont déclencher, chacun à leur manière, ce que Lewis Hanke (op. cité) appelle "une véritable crise de conscience européenne".  


D'abord Montesinos qui, dans un sermon enflammé, apostrophe les autorités de Santo Domingo au cours d'un prêche prononcé à Noël 1511 : Fray Antonio de Montesinos, navidad 1511
devant les hauts fonctionnaires coloniaux médusés, il développe une double et subtile dialectique mêlant questions pratiques et questions théoriques : quels sont les droits des " Indiens " ? Peut-on leur imposer un travail forcé et les traiter d'une façon aussi barbare ? Au-delà du comportement de la soldatesque et des excès des "encomenderos", quels sont les droits réels de l'Espagne sur des terres et des peuples " souverains " ? En 1541, Jacques Cartier, découvreur du Saint-Laurent eut pu abonder dans son sens, assénant à l'ambassadeur de Charles Quint :" le soleil luit pour moi comme pour les autres et je voudrais bien voir la clause du testament d'Adam qui m'exclut du partage du monde..."

Bartolomé de las Casas lui emboîte le pas : les deux hommes appartiennent à l'ordre des Dominicains, les deux se dressent contre l'injustice, traversent l'Atlantique, plaident la cause des " Indiens" auprès du souverain et obtiennent une forme de réparation en poussant la monarchie espagnole à légiférer dans l'urgence afin
d'améliorer rapidement le sort des indigènes :
  • Leyes de Burgos en 1512/1513 pour Montesinos
  • Leyes nuevas de 1542 avant la controverse de Valladolid opposant Las Casas à Juan Ginès de Sepùlveda

Mais Las Casas présente une particularité qui le distingue de Montesinos, son aîné. Ricardo Garcia Carcel, professeur d'histoire moderne à l'université de Barcelone, explique que le combat mené par le futur évêque du Chiappas dépasse largement l'implication d'un homme passionné, avec ses excès, ses exagérations, ses fixations (après tout, la " Très brève relation de la destruction des Indes " n'est qu'un feuillet de 70 pages sur une oeuvre colossale de plus de quinze volumes) pour entrer en résonance avec des préoccupations qui font leur chemin depuis un certain temps déjà à la cour de Charles Quint, écho répercuté au plus haut niveau de l'État quand las Casas publie à Séville en 1552, sans être aucunement molesté par la censure alors que Juan Ginès de Sepùlveda en subit les foudres... Avant las Casas, Francisco de Vitoria : De Indis (1538) De Jure Belli (1539) a bien "déminé le terrain" en affirmant notamment : " C'est faire injure à Dieu que de croire qu'on peut s'approcher des mystères et des sacrements du Christ sous le seul effet d'une crainte servile ".                                                       
 
auteur(s) :

, LP G Lesnard 53 Laval
Patrick Bergès , LP G. Lesnard 53 Laval

information(s) pédagogique(s)

niveau : Lycée professionnel tous niveaux, , 2nde professionnelle

type pédagogique : leçon

public visé : enseignant, inspecteur

contexte d'usage : non précisé

référence aux programmes : Seconde bac professionnel trois ans, l'Humanisme, étude d'une situation historique: "la controverse de Valladolid" et son élargissement

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lettres-histoire - Rectorat de l'Académie de Nantes