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faire dialoguer une œuvre littéraire et un tableau : de L’École des femmes à La Dentellière

mis à jour le 23/01/2019


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Dans le cadre de l'étude d'une œuvre intégrale, L’École des femmes, une séance d'analyse de l'image conduit les élèves à établir des rapprochements, autour des valeurs sociales, éthiques et religieuses qui régissent l’éducation et la conduite des femmes de l’aristocratie et de la  bourgeoise naissante alors en cours, entre la pièce de Molière et le tableau de Johannes Vermeer, La Dentellière, permettant ainsi une circulation entre des arts différents, puisque ces deux œuvres appartiennent à la même décennie.

mots clés : lecture de l'image, peinture, histoire des arts, oeuvre intégrale


Contexte

La dentellièreLa séance se déroule en début de classe de Seconde, dans le cadre de l'objet d'étude "La tragédie et la comédie au XVIIe siècle". Le choix d'une progression annuelle chronologique est basé sur la volonté d'ancrer l'histoire littéraire sur des repères clairs, permettant d’appréhender les continuités et les ruptures au long des cinq siècles au programme. Nous proposons l'étude de La Dentellière de Johannes Vermeer dans le prolongement d'une lecture analytique de la deuxième scène du troisième acte de L’École des femmes, au cours de laquelle Arnolphe explicite les devoirs de la femme mariée à Agnès - qui passe d'ailleurs, pour établir un premier lien avec le choix pictural, une bonne partie de la pièce à coudre -, avant de lui faire lire Les Maximes du mariage.

Tableau

La Dentellière, vers 1670-1671, Johannes Vermeer, Musée du Louvre, Paris
Huile sur toile marouflée sur panneau, 24,5 x 21 cm.

Développer des compétences d'analyse de l'image

Il s'agit de développer des compétences d'analyse de l'image que les élèves ont déjà travaillées au collège, en réactivant des acquis sur l’analyse de la lumière, des couleurs, des types de plans, des techniques, de l’angle de vue. La séance vise donc à placer les élèves en situation d'analyser le tableau afin de tenter d'en dégager les particularités, les enjeux et de parvenir, au final, à une interprétation satisfaisante... tout en les initiant à l'histoire des idées.

Déroulement

Étape 1 : Partir de ses impressions pour mettre en relation le tableau et la pièce.

Un metteur en scène, qui monte L’Ecole des femmes de Molière, souhaite placer ce tableau sur l’affiche du spectacle. Un débat nait avec sa troupe, à laquelle il a fait la proposition. Trouvez les explications et arguments qui nourrissent ce débat.

Vous placerez les mots suivants : couleurs, lumière, composition de l’image, cadrage, angle de vue.

Les élèves disposent d’une fiche-outil où les notions sont définies avec des exemples, pour mener l’activité.

Alternative : en début d’année, un questionnaire peut être proposé aux élèves pour guider leur regard, leur analyse et leur réflexion, afin de les faire entrer progressivement dans le tableau afin d'en découvrir le véritable enjeu : 1) Quelle impression se dégage de ce tableau ? - 2) Comment peut-on décrire l'espace dans lequel se trouve la dentellière ? - 3) Quelles sont les couleurs dominantes ? Est-il possible de les opposer ? - 4) Décrivez le visage de la jeune fille. - 5) En tenant compte de l'année de création de ce tableau, quel peut être le livre près du coussin ? - 6) Quel serait alors le véritable sujet du tableau ? Justifiez votre réponse. - 7) Qu'est-ce qu'une allégorie ? En quoi ce tableau obéit-il à cette définition ? - 8) Quels sont les buts respectifs de Molière et de Johannes Vermeer ?

Étape 2 : Écriture d'invention

Imaginez, en respectant les règles d'écriture théâtrale et le ton de la pièce de Molière, le discours que pourrait tenir Arnolphe à Agnès à partir de ce tableau, tel que vous l'avez analysé, et ce qu'elle pourrait répondre au nom de de la liberté des femmes, de de leur droit à l’éducation et à l’autonomie. Les meilleurs écrits seront mis en scène à la fin de la séquence.
 

Éléments d'analyse

Le peintre : Johannes Vermeer (1632-1675)

Nous ne savons presque rien de sa formation. Il aurait été l'élève de Carel Fabritius, lui-même un disciple de Rembrandt, mais la seule certitude est qu'il fut admis, à vingt et un ans, comme maître peintre, à la guilde de Saint-Luc de Delft, ce qui supposait un apprentissage de six ans auprès d'un maître reconnu. Une quarantaine d’œuvres lui sont attribuées dont la plupart représentent des scènes d'intérieur.

Le tableau : un exemplum virtutis ou une allégorie de la vertu

Une scène de genre, classique (1) depuis le Moyen Âge : une jeune fille est absorbée par un ouvrage à l'aiguille, ici une dentelle comme l'indique le titre. Notons immédiatement les mensurations réduites de ce tableau, qui en font la plus petite toile de ce peintre.

L'analyse

Une scène de genre réduite à sa plus élémentaire expression. Une jeune fille, d'une classe aisée, comme l'indique la richesse des vêtements - le jaune or du corsage, la finesse de la dentelle du col, visible à sa transparence sur l'épaule droite -, se tient penchée sur un métier à dentelle que désignent les petits fuseaux entre ses doigts. Derrière elle, et qui occupe largement le fond de ce tableau, se trouve un simple mur nu, sans nul doute afin que le spectateur ne soit distrait par une quelconque ornementation murale, et sur lequel se détache uniquement, dans la partie supérieure du tableau, donnée par la médiane placée juste au-dessus des mains, le visage et les épaules du modèle. Ce mur, réduit à un simple aplat de couleur grise et sans aucun effet de perspective, semble confiner l'espace autour d'elle, soulignant ainsi la simplicité d'une vie et concentrant le regard du spectateur sur cette dentellière et sur son activité.

Cette mise en relief du modèle et, plus particulièrement, de son visage, que les diagonales encadrent, et qui constitue un portrait tout en délicatesse, pointant seulement les détails de sa coiffure ou sa concentration par les yeux baissés et la légère tension des mains, est accentuée par la lumière naturelle, provenant d'une source hors du tableau, située à droite et en hauteur, qui baigne l'ensemble mais surtout la moitié supérieure de l’œuvre. Le col blanc, parsemé de taches de lumière, ainsi que la couleur chaude du corsage, soulignés par le gris mural, accentuent cet effet, tandis que, dans la moitié inférieure, les couleurs froides, tels que les différents bleus du tissu de table, du coussin ou encore du drap, dominent, comme si l'approche de l'intimité de cette jeune fille semblait impossible.

En effet, malgré le mur nu et le cadrage resserré sur le modèle et son ouvrage et, par là-même, l'impression donnée d'un espace intime, l'obstacle des premiers plans successifs, composant simultanément la perspective – la verticale du pied du métier, la rainure du bois du métier et son pendant : l'ouverture du corsage – ou encore la masse que constituent, à gauche, l'épais tapis de table, le coussin à couture et, à droite, le drap bleu, qui descend du métier sur ses genoux, semblent volontairement refuser l'intimité de cette dentellière au spectateur. Plus encore, la légère contre-plongée, utilisée pour peindre le modèle, empêche de voir ce qu'elle fait. Il nous faut donc chercher ailleurs le véritable sujet de ce tableau et la concentration de la jeune femme, sur le petit espace de son ouvrage, devient alors la métaphore, à la fois, de l'application du peintre – idéalement symbolisée par la précision des deux fils tendus par cette dentellière - pour réaliser cette œuvre aux dimensions réduites et de la nécessité du spectateur de se pencher sur ce petit tableau, afin de le scruter et d'en comprendre l'enjeu.

Regardons donc au plus près. Il est d'abord paradoxal de prendre pour modèle une jeune femme, appartenant à la classe aisée, pour peindre une activité réservée à une servante et ce, y compris picturalement, comme le démontrent les tableaux des contemporains de Johannes Vermeer (2). Et la légère contre-plongée utilisée, qui rend le modèle plus imposant, peut être pensée alors comme la volonté d'édifier le spectateur. Ensuite, la sobriété qui domine la composition, avec ce grand mur gris, donne à l'ensemble une dimension monacale, faite de silence et de recueillement. Enfin, la pose même de cette dentellière, le dos voûté, la tête penchée et le regard modestement baissé, indique l'humilité.

Si cette lecture, de la présence d'une telle vertu, est rendue possible, c'est parce qu'elle semble bien être confirmée par la présence de ce livre, posé sur la table, et dont les tons de la couverture font, comme pour mieux établir un lien avec la dentellière, si sa présence dans le carré central du tableau ou, encore, sa proximité avec son bras et les navettes de fils n'était suffisante, écho aux couleurs du corsage et du col de la jeune femme avec ses taches de lumière, tout comme le fuseau, qui semble relier le livre et les mains, et ceint d'un fil apparemment plus doré que blanc. Et cet ouvrage, dans la Hollande protestante du dix-huitième siècle, ne peut être que la Bible, dans laquelle le Livre des proverbes, attribué à Salomon, détaille (chapitre 31, 10 et suivants)  les qualités de la femme vertueuse, qui « a bien plus de valeur que les perles. ». C'est avant tout une couturière – comme l'Agnès de L’École des femmes d'ailleurs - qui achète de la laine et du lin pour en faire des vêtements ou du linge de maison. Ce livre, auquel le spectateur peu attentif pourrait bien ne pas prêter attention, est, semble-t-il, la clé de ce tableau énigmatique, en concrétisant les différents indices relevés, tels que ces deux fils tendus et absolument nets pour signifier que l'ouvrage entrepris est plus important que le modèle, pour suggérer finalement l'idée que cette Dentellière est une allégorie de la vertu, un modèle à prendre en exemple, et la scène de genre prend alors la dimension d'un rituel sacré.

Le dramaturge et le peintre poursuivent ainsi le même but : rendre leurs spectateurs plus vertueux. Seuls les moyens diffèrent, le premier s'appuie sur la comédie pour changer les mœurs par le rire, le second, sur un mode plus sérieux mais aussi plus énigmatique, propose un portrait à déchiffrer. Dans les deux cas, il s'agit bien de dépasser les apparences (4) même plaisantes, pour déterminer la leçon à retenir. Pour conclure sur Johannes Vermeer, ce qui fait la particularité de cet artiste, par rapport à ses contemporains spécialisés, comme lui, dans les scènes de genre, c'est l'empreinte théologique et morale qu'il y ajoute, sans omettre l'impression de douce sérénité empreinte d'une méditation à partager, prégnante par exemple dans La Dentellière, qui se dégage de ses œuvres.

Bibliographie

  • Vermeer, Pascal Bonafoux, Éditions du Chêne, collection Profils de l'art, Paris, 1992. 
  • Vermeer. Tout l’œuvre peint, Norbert Schneider, Éditions Taschen, Paris, 2010.
  • Le Détail : pour une histoire rapprochée de la peinture, Daniel Arasse, Éditions Flammarion, Paris, 1992, pages 199-201.
  • La Dentellière, Notice du Musée du Louvre : http://www.louvre.fr/oeuvre-notices/la-dentellière 


(1) Classique puisque nous la retrouverons reprise à travers les siècles : Femme de chambre cousant dans un intérieur (1906), de Félix Vallotton, Jeune fille devant sa machine à coudre (1921), d'Edward Hopper, en sont des illustrations modernes.

(2) Jeune femme à sa dentelle (1655), de Nicolas Maes ; La Dentellière (1664), de Caspar Netscher, par exemple. Ou, quelques siècles plus tard, les Dentellières de Kaljasin (1928), de Jevgueni Alexandrovitch Kazman.

(3) Norbert Schneider, dans Vermeer. Tout l’œuvre peint, précise que ce « passage de la Bible a souvent été cité dans les traités sur le mariage des débuts de l'ère moderne. », page 62.

(4) Voir la Querelle de L’École des femmes suscitée par cette pièce et la réponse de Molière avec La Critique de l’École des femmes et L'Impromptu de Versailles.

 
auteur(s) :

Pascal Doisneau, lycée Victor Hugo de Château-Gontier

information(s) pédagogique(s)

niveau : 2nde

type pédagogique : démarche pédagogique

public visé : enseignant

contexte d'usage : classe

référence aux programmes : Programme des classes de Seconde et Première applicable à la rentrée 2011 : BO spécial n°9 du 30 septembre 2010.

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