J'avais été fait prisonnier par la Milice fasciste le 13 décembre 1943. J'avais vingt-quatre ans, peu de jugement, aucune expérience et une propension marquée, encouragée par le régime de ségrégation que m'avaient imposé quatre ans de lois raciales, à vivre dans un monde quasiment irréel, peuplé d'honnêtes figures cartésiennes, d'amitiés masculines sincères et d'amitiés féminines inconsistantes. Je cultivais à part moi un sentiment de révolte abstrait et modéré.
Ce n'était pas sans mal que je m'étais décidé à choisir la route de la montagne et à contribuer à mettre sur pied ce qui, dans mon esprit et dans celui de quelques amis guère plus expérimentés que moi, était censé devenir une bande de partisans affiliée à Giustizia e Libertà (1). Nous manquions de contacts, d'armes, d'argent, et de l'expérience nécessaire pour nous procurer tout cela; nous manquions d'hommes capables, et nous étions en revanche envahis par une foule d'individus de tous bords, plus ou moins sincères, qui montaient de la plaine dans l'espoir de trouver auprès de nous une organisation inexistante, des cadres, (les armes, ou même un peu de protection, un refuge, un feu où se chauffer, une paire de chaussures).
(1) Giustizia e Libertad (Justice et Liberté) organisation antifasciste qui joua un rôle important, tant dans la lutte pour la libération de l'italie que durant les premières années de l'après-guerre où elle devint un parti politique. (Toutes les notes, sauf une qui est de l'auteur et signalée comme telle, sont du traducteur.)