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Etude du Livre VI. Chap. IV & V de l'Ethique à Nicomaque d'Aristote : Que signifie : penser l'éthique comme "art" de vivre ?

mis à jour le 10/09/2007


vignette Aristote philosophie

Conférer une ossature morale à sa vie et rechercher le bonheur relèvent pourtant d'un véritable art de vivre : ce texte éclaire la distinction entre la « phronesis » (ou « prudence »), cette sagesse pratique à élaborer tout au long de nos vies et  qui en éclaire l'expérience, et la « techne », ce savoir-faire nous permettant de produire selon des règles exactes un objet ou une œuvre (et par là même la distinction entre production technique et action morale).

mots clés : contingence, art, existence, accident, Dieu, autrui, technique


Etude du Quatrième et Cinquième chapitre de l'Ethique à Nicomaque, Livre VI. d'Aristote

Le texte

Lire

L'étude


Avec ce chapitre quatre, s'effectue un saut dans la contingence.

Un collègue effectue une remarque sur la proximité de ce texte avec le deuxième livre de la Physique, qui considère la nature, l'art et le hasard comme causes de production des objets. Cette proximité est cependant à nuancer, dans la mesure où il existe certes des similitudes entre art et prudence, mais également des différences.
Le commentaire se centre alors sur l'action et la production. Dans les deux cas, il y a bien une disposition accompagnée de règle vraie. Mais le chapitre quatre propose non pas des définitions de l'action et de la production, mais des définitions des vertus qui correspondraient à l'action et à la production.
Produire (poiein), c'est amener quelque chose de contingent à l'existence. Ceci est la clé du rapport au hasard (Remarque : le texte fonctionne par éclairages rétroactifs et par anticipations, le montrer chemin faisant, dans la patience requise, est très formateur pour les élèves). Le principe qui amène ces choses à l'existence ne réside pas dans les choses mêmes, mais dans l'agent (= celui qui détient la capacité à produire). On constate dès lors une certaine proximité entre l'art et la fortune : le principe ne réside pas dans la chose même, tout se passe comme si la chose était livrée au sort. Mais pour le produit de la technè, le principe est l'homme qui a la capacité de produire.
Une incise est effectuée à propos de ce que dit Agathon : « L'art affectionne la fortune, et la fortune l'art » (p. 284). L'accident n'est-il pas source d'inspiration créatrice ? A titre d'argument : dans la Critique de la faculté de juger, le beau laisse subsister la dimension de pure grâce qui permet le jugement réfléchissant.
Une question est ensuite posée sur le rapport poiesis / praxis chez Marx : ne pourrait-on pas dire que Marx articule ce qu'Aristote sépare ?
Il est alors rappelé que la distinction poiesis / praxis vise  à distinguer deux hexeis (dispositions) : la disposition à produire et la disposition à agir, le but étant de parvenir à la phronèsis. Sans ce souci de contextualisation, on peut poser des problèmes trop décalés par rapport à leurs conditions effectives d'émergence (exemple : traiter du solipsisme à partir du quatorzième alinéa deuxième méditations métaphysique de la équivaut à se couper du thème de l'inspectio mentis développé dans l'alinéa précédent ; tant qu'à parler d'autrui chez Descartes, pourquoi ne pas évoquer Dieu, à partir de la troisième méditation métaphysique, ou la générosité, à partir des Passions de l'âme ?). De surcroît, accentuer la césure ne va pas de soi, dans la mesure où, si la poiesis est effectivement une disposition à produire, la praxis est une disposition à se produire (= à agir). Dans les deux cas, les excellences qui vont se correspondre se définissent comme dispositions à produire accompagnées de règles vraies. A titre d'illustration, l'exemple du médecin qui se guérit lui-même (utilisé, entre autres, en Physique II) relativise la césure supposée. Ces remarques permettent d'affirmer que, par-delà les oppositions les plus manifestes d'emblée, une grande philosophie est plastique.

L'attention est ensuite attirée sur la double définition finale (p. 284). En ce qui concerne le « défaut d'art », il est notable que la capacité à produire n'est pas touchée : la disposition à produire subsiste (mais elle est accompagnée de règle fausse), là où l'on penserait spontanément le défaut d'art comme une incapacité structurelle.
Remarque : définir l'art (technè) par une disposition implique que ce n'est pas d'abord une ensemble d'objets techniques qui définit la technique (question que G. Simondon réanimera en notre temps). L'art (ou la technique : la technè) désigne une manière d'être et de bien se disposer soi-même à l'égard d'une de nos grandes capacités
Conséquence : la distinction naturel / artificiel est à nuancer.

Chapitre cinq :

Premier paragraphe : « Une façon (...) délibération » (p. 284-285).
La prudence est approchée à partir de l'homme prudent, comme s'il était impossible d'en parler sans se placer l'homme prudent sous les yeux. Le texte se situe ici dans la dimension de l'exemplarité ou de l'incarnation de la prudence. Un collègue remarque que, parallèlement, la sagesse est aperçue à partir de l'homme sage au livre A de la Métaphysique.
Le terme de « preuve », p. 285, est utilisé pour traduire semeion (signe).
Y a-t-il contradiction entre « non pas sur un point partiel » (p. 284) et « en un domaine déterminé » (p. 285) ? Apparemment oui mais, sur le mode de l'interprétation, il est cohérent et fructueux de poser que la contradiction n'est contradiction qu'en apparence car une distinction est vraisemblablement à produire entre le « compétent », qui manifeste un savoir-faire déterminé, et le « prudent » qui, dans l'ordre de la doxa, déborde la compétence purement technique. A rebours de la compétence étroitement locale, la prudence prend dès lors en compte la totalité de ma vie. De surcroît, un collègue helléniste fait remarquer que « déterminé » (p. 285) aurait dû être traduit par « quelconque », de telle sorte que l'embarras du lecteur aurait finalement la traduction Tricot pour véritable origine.
Remarquons que ce premier paragraphe s'ancre dans l'appel à la doxa (à l'expérience commune). Il part de l'usage. Avec nos élèves, des exemples pourraient être pris dans le domaine de la politique (le bon législateur, le bon juge, mais également l'exemple de Périclès, p. 286).

Deuxième mouvement : « Mais (...) cité » (p. 285-286).
La prudence est ici définie par distinction. Ainsi, après être parti de la doxa, on reprend les outils conceptuels précédents (science et art, notamment).
Un collègue demande si l'on ne peut pas penser au Ménon, à la condition de remplacer la phronèsis par la vertu, dans la mesure où la question de l'enseignement de la phronèsis est en jeu dans ce passage.
En un sens, l'objet est le même que dans le Ménon, mais un élément est ici fondamental : la primauté de la contingence. Aristote propose une réflexion sur l'homme comme principe des réalités qui peuvent être autres qu'elles sont. Mais si le langage livre des signes, c'est la pensée qui tranche.
La distinction entre poiesis et praxis est alors mobilisée : celle-ci à sa fin en elle-même (une fin immanente, une fin inhérente) ; celle-là a sa fin hors d'elle, au sens où l'objet finit par se détacher de son producteur.
Remarques :
a) on ne peut détacher la visée du bien pour soi de la visée du bien pour l'homme. Les Grands livres d'éthique (chapitre 14) évoquent l'égoïsme de l'homme de bien, mais en ajoutant que cet égoïsme peut conduire au bien de l'homme en général.
b) La prudence renvoie au problème de l'administration économique et politique (« l'administration d'une maison ou d'une cité », p. 286).
c) p. 286 : « apercevoir », ligne cinq, traduit « theorein » : en ce sens, la phronèsis n'est certes ni une épistémè ni une technè, mais elle n'est pas dépourvue de toute considération théorique. Une fois encore, peut-on continuer d'affirmer, à la lecture de ce texte, que la prudence est un simple calcul des moyens, nullement concernée par sa fin ?

Troisième mouvement : « De là (...) humains » (p. 286).
Ce passage concerne la sophrosunè. Il invite à concevoir une dimension sotériologique de la tempérance, dans la mesure où celle-ci sauve (ou sauvegarde) la prudence. De même que le « pro » de « proairèsis » renvoyait à une prévoyance ou une clairvoyance, la tempérance établit une modération du poids déterminant du plaisir et de la peine sur nos conduites. Ce problème ne se pose pas pour la vérité spéculative, car nous ne sommes pas impliqués de manière affective par un jugement sur les propriétés du triangle alors que c'est le cas pour un jugement sur l'action. On peut parvenir à l'intempérance, à la corruption (akrasia du livre 7) si l'on ne résiste pas à la mécanique affective. L'effet produit est la disparition de la vue du principe (= disparition du noùs dans le champ pratique) : le désir est là devenu aveugle ; il a perdu la vision  de ce en quoi l'homme agit en tant qu'homme. Le vice se situe au niveau de la vision des principes. Ces considérations présentent alors une portée tragique. Le risque est bien de se perdre comme homme, et telle est la différence avec la technè. Un collègue fait alors remarquer que le champ de l'éducation (livre 10) est alors impliqué. On ne peut dès lors que répéter que la prudence n'est pas indifférente à sa fin. Pour autant, on ne peut restreindre la phronèsis à une dimension simplement intellectuelle.
Le problème de la hiérarchisation entre prudence et tempérance est ensuite posé. La tempérance n'est-elle pas la condition de possibilité de la prudence ? Entre ces deux termes, une action réciproque n'est-elle pas nécessaire ?
Remarques :
a) Ce texte permet de questionner la lecture d'Aristote à partir de la hiérarchie individu / maisonnée / cité, dans la mesure où notre extrait se situe en dehors de cette tripartition (cf « la sphère des biens humains », p. 286).
b) Ce texte implique la question du temps, et de la finitude : le risque de rechute dans le vice est une éventualité, ce qui pose le problème de la durabilité de la tempérance et de la prudence. Il s'agit de se conserver prudents et tempérants.

Quatrième mouvement : « En outre (...) rien » (p. 287).
Des problèmes se posent pour comprendre la première et la dernière phrase du premier paragraphe, p. 287 : « En outre, dans l'art on peut parler d'excellence, mais non dans la prudence. (...) On voit donc que la prudence est une excellence et non un art. »
Interprétation proposée : dans l'art, on pourrait parler d'excellence ou non, autrement dit : dans l'art, il y a une possibilité d'user de l'art de manière vertueuse ou pas. Et, précisément, celui qui se trompe volontairement (cf texte, p. 287) ne fait pas de son art une excellence. A ce moment là, la prudence est une excellence, une vertu, ce que la technè n'est pas. Elle est une vertu et, pour cette raison, elle n'a pas d'excellence spécifique.
Autre perspective possible : insister sur le fait que la véritable excellence ne se définit pas par une puissance des contraires.
Fin du deuxième paragraphe de la p. 287 : caractère inoubliable de la phronèsis. La phronèsis est une capacité à se produire dans la lumière de ce que l'homme peut être au mieux.
L'excellence qui est en question dans cet extrait a pour objet le soi : en ce sens, le processus de subjectivation est à l'œuvre. C'est donc à présent que l'on saisit pourquoi on ne pouvait comprendre la prudence sans l'homme prudent (le texte fonctionne ici de façon rétroactive) : la prudence s'incarne dans un être, dans l'ordre de l'auto-institution d'un sujet. En un sens, ce mouvement n'est pas sans rappeler les Passions de l'âme, ouvrage qui aborde l'institution de soi comme sujet en termes quasiment montaniens. Déjà, Aristote posait la question de savoir comment envisager les rapports à soi ; par exemple, selon lui, la guerre prépare la paix, et le temps libre prépare la skholè : dès lors, comment vivre, sinon en faisant ce qui est possible, dans la visée du plus haut possible pour l'homme ? Il s'agit alors d'imiter non pas tel ou tel exemple d'homme prestigieux, mais la phronèsis elle-même, à la manière de la distinction Bild / Exemplar dans la « Méthodologie de la raison pure pratique » (Pléiade, tome 2, p. 793-794, PUF « Quadrige », p. 164-165). Par conséquent, la phronèsis est en actualisation permanente d'elle-même. Elle est une puissance qui ne peut être qu'en puissance. C'est une disposition (un habitus) incorporée qu'il s'agit de penser : non pas une idée, mais une manière d'être. La phronèsis n'est pas une faculté au sens qui nous est familier, c'est-à-dire un pouvoir que l'on utiliserait, ou pas, mais qui resterait par principe toujours à notre disposition. La phronèsis présuppose un travail, une habitude à contracter pour qu'elle puisse se déployer, d'où le registre de la lutte avec soi-même. Avec la bouleusis comme choix délibéré préférentiel, et le daimôn duquel l'arrière-plan religieux s'estompe, c'est la conscience qui apparaît, dans un mode de manifestation proche de celui dépeint par Kant au § 3 de l'Anthropologie du point de vue pragmatique.

 

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information(s) pédagogique(s)

niveau : Terminale

type pédagogique : leçon

public visé : enseignant, élève, étudiant

contexte d'usage : classe

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