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Penser le 11 septembre, Pierre Hassner

mis à jour le 24/11/2007


vignette hassner philosophie

Le 11 septembre 2001 nous a fait passer du monde de Locke etde Kant au monde de Hobbes, de Nietzsche et de Marx, c'est-à-dire dumonde de l'individualisme économique et du républicanismecosmopolitique au monde de la peur de la mort violente et du sentimentd'un fossé grandissant entre les nantis et les démunis, engendrantainsi une révolte nihiliste radicale.

mots clés : philosophie, politique, guerre, terrorisme, hassner


Compte rendu


Merci, monsieur Hassner, pour cette stimulante méditation soucieuse à la fois des principes théoriques et des faits historiques.

Vous commencez par vous interroger sur la possibilité d'une philosophie de l'événement en définissant celui-ci comme ce après quoi rien n'est plus tout à fait comme avant, comme par exemple la chute du mur de Berlin et la destruction des Tours jumelles de New York, qui ont changé la signification même de la guerre (qui n'est plus un affrontement violent entre Etats ni même deux blocs identifiés), jusqu'à engendrer un conflit d'interprétation entre les États-Unis d'Amérique et l'Europe quant à la nature même des relations internationales.

Puis vous reprenez la thèse centrale de votre ouvrage « La Terreur et l'Empire » (2003) d'un changement de paradigme depuis le 11 septembre 2001, qui nous aurait fait passer du monde de Locke et de Kant au monde de Hobbes, de Nietzsche et de Marx, c'est-à-dire du monde de l'individualisme économique et du républicanisme cosmopolitique au monde de la peur de la mort violente et du sentiment d'un fossé grandissant entre les nantis et les démunis, engendrant ainsi une révolte nihiliste radicale, qui veut le rien.

Mais contre la thèse du choc frontal des civilisations, notamment, vous insistez sur ce que le combat islamiste doit lui-même à la dynamique interne de l'Occident, ce qui relativise le manichéisme des partisans de la Terreur mais aussi des artisans de l'Empire.

Vous en venez alors au rôle des passions dans les relations internationales et à ce que vous appelez la dialectique du bourgeois aux passions douces et du barbare aux passions enflammées, dialectique qui en vient à l'embourgeoisement du barbare et à l'ensauvagement du bourgeois. Vous faites, pour finir, l'hypothèse d'un retour des grandes peurs et d'un ressentiment généralisé se référant à l'honneur qui exige d'être reconnu, géopolitique des passions à laquelle le simple calcul des intérêts ferait bien de prendre garde si l'on veut réellement éviter l'abîme nihiliste.

Eléments du débat


La thèse centrale du conférencier, qui interprète la nouvelle époque historique ouverte par l'attentat du 11 septembre 2001 contre les Tours jumelles de New York comme relevant d'un changement de paradigme qui nous aurait fait passer du monde de Locke et de Kant au monde de Hobbes, Nietzsche et Marx, et qui s'oppose à une lecture des conflits actuels (notamment de la guerre des États-Unis d'Amérique contre l'Irak) en termes de « choc des civilisations », entraîne la première question qui objecte à un tel propos d'adopter le point de vue des occidentaux en méconnaissant le rôle des religions ès qualités, en ce que celles-ci se trouvent ainsi reléguées au rang de simples passions par cette nouvelle géopolitique (contrairement à Derrida, par exemple, qui y voit bien l'affrontement de deux théologies politiques). Tout en convenant que l'on ne peut sans doute pas séparer politique et religion, le conférencier répond que l'on ne peut pas, non plus, tout interpréter en référence aux fondamentalismes religieux en présence ici (qu'il ajoute avoir bien étudiés par ailleurs), et que compter ceux-ci parmi les passions politiques ce n'est en aucun cas les « réduire » car celles-ci jouent un rôle central dans le nouvel état du monde, ce dont le rationalisme occidental ne se préoccupe pas suffisamment. En réponse à la question suivante, portant sur la divergence entre la France qui prône le multipolarisme et les États-Unis d'Amérique qui effectuent une démonstration de force unilatérale en Irak (cette guerre étant sans doute la réponse la plus adéquate en la circonstance), le conférencier tient que le gouvernement français et quelques autres ont eu raison de s'opposer à cette guerre qui sinon n'aurait pas manqué d'être interprétée comme une guerre faite à l'Islam, mais que par manque d'esprit tactique ils n'ont pas su l'empêcher, et qu'il faut être prudent à l'égard du principe multipolaire qui présuppose des États ou regroupements d'États de puissance sensiblement égale, ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui.

À la question de savoir si l'on peut faire une distinction entre la « défense offensive » et la « guerre préventive », il est répondu que toute guerre se prétend défensive et même maintenant, de façon plus sophistiquée, « préemptive », ce qui ne peut masquer le fait qu'elle est bien de nature offensive, surtout dans le cas actuel de celle des États-Unis d'Amérique contre l'Irak ; et à celle de savoir quelle action préventive on peut mener contre les passions qui sont les ressorts de la nouvelle géopolitique, tout particulièrement à l'œuvre dans le conflit entre Israël et les Palestiniens, Pierre Hassner avoue son pessimisme : les « Accords de Camp David » et, plus récemment, « La feuille de route », présentaient de réelles avancées vers des solutions, au moins partielles, mais le déchaînement des passions partisanes s'est ajouté à la politique pro-israélienne des États-Unis et à la faiblesse politique de l'Europe (à laquelle Israël ne fait de toute façon aucune confiance) pour les mettre en échec ; il ne reste plus qu'à travailler à la paix sur le terrain, aux côtés de la gauche israélienne. Interrogé à propos de la thèse d'Emmanuel Todd sur la fragilité des États-Unis (dans « Après l'Empire. Essai sur la décomposition du système américain »), Pierre Hassner s'oppose vigoureusement à « ce très mauvais livre », les États-Unis n'étant pas si fragiles (« Ni Todd ni Revel ! » s'exclame-t-il), puis à propos de la difficulté d'établir une « gouvernance mondiale » unifiée étant donné la compétition entre la démocratie européenne de l'État social (ou Providence) et la démocratie américaine de l'individualisme triomphant, il dit son accord avec cette distinction tout en tenant à la nuancer historiquement : avant leur actuel « capitalisme de casino », les États-Unis d'Amérique ont connu le New Deal de Roosevelt, et l'État-Providence du « capitalisme rhénan » est aujourd'hui en crise jusqu'en Allemagne ; il faut donc résister à la séduction du déterminisme : « L'histoire n'est pas écrite ! ». À l'occasion d'une question semblant créditer les États-Unis de la foi religieuse en leur « mission », redoublée par la ferveur de la droite américaine pour la liberté individuelle (alors que la gauche ne trouve pas mieux que de toujours accuser les autres - les « capitalistes » - de la misère du monde), puis paraissant déduire du 11 septembre et de la riposte américaine que démonstration a été faite de la complicité d'Al-Qaïda et de Saddam Hussein, le conférencier tient à rappeler qu'aux États-Unis mêmes les croyants s'affrontent à propos de la guerre de leur pays contre l'Irak, les protestants fondamentalistes et pro-sionistes se révélant plus va-t-en-guerre que nombre de catholiques, qui s'y sont opposés, comme en Italie où la gauche chrétienne est très influente, et que s'il y a une chose que cette guerre a démontré c'est que le combat de Saddam Hussein n'était pas celui d'Oussama ben Laden, qui le considérait d'ailleurs comme un infidèle, voire un traître à l'Islam du fait notamment de sa référence à la laïcité mais aussi de la guerre de l'Irak contre l'Iran, soutenue en son temps par les gouvernements occidentaux. Pierre Hassner affirme alors avec force qu'il faut à la fois combattre le terrorisme avec les États-Unis et mener une bataille politique contre les États-Unis.

Une dernière intervention insiste sur le changement de paradigme qui touche désormais à la guerre elle-même puisque dans le cas de la lutte contre le terrorisme ce ne sont plus des États qui s'affrontent de façon conventionnelle dans leurs méthodes comme dans leurs finalités, jusque dans la paix à laquelle ils étaient encore susceptibles de parvenir. Dans ces nouvelles conditions ne faut-il pas repenser la guerre elle-même tout comme le rôle des États (d'ailleurs de plus en plus déconsidérés aujourd'hui au profit des nations ou encore des civilisations) : quelle stratégie adopter dans le cadre de cette nouvelle géopolitique ? Pierre Hassner convient tout à fait de cette radicale nouveauté (évoquée dès le début de sa conférence), qui bouscule les catégories et les stratégies de la science et de l'action politiques classiques en nous appelant à travailler à l'élaboration d'« une science politique nouvelle pour des temps nouveaux » (comme Tocqueville en son temps).

Rédacteur : Joël GAUBERT

 
 
 
auteur(s) :

Joël Gaubert

contributeur(s) :

Société Nantaise de Philsophie

information(s) pédagogique(s)

niveau : enseignement supérieur, classes préparatoires

type pédagogique : leçon, connaissances

public visé : enseignant, élève, étudiant

contexte d'usage : non précisé

référence aux programmes : La politique, La société, La justice et le droit, L'État

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