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artiste / enseignant en arts plastiques (Gilbert Pélissier)

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Si j'étais encore enseignant d'arts plastiques dans l'enseignement secondaire, assurément, je serais demandeur d'interventions d'artistes. C'est dire l'intérêt que je porte aux artistes, et à leurs interventions. Je serais donc demandeur, mais à une condition : que les artistes n'enseignent pas. Ils m'intéressent trop pour ce qu'ils sont et les enseignants aussi.

Intervention orale 1989 - texte publié en 1991, Le Kremlin-Bicètre, Savoir au présent

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La loi relative aux enseignements artistiques du 6 janvier 1988 mentionne, dans son article 7 du premier chapitre, que "des personnes justifiant d'une compétence professionnelle dans les domaines de la création ou de l'expression artistique... peuvent apporter un concours aux enseignements artistiques dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État".

Le décret du 6 mai 1988 précise, concernant les premier et second degré des établissements scolaires, que le concours de personnel extérieur, tant en ce qui concerne le contenu des enseignements artistiques, les méthodes d'enseignement et l'appréciation des travaux, s'exerce sous la responsabilité pédagogique des enseignants.

Lors des rencontres sur le partenariat dans les enseignements et les activités artistiques, au musée d'Orsay le 5 décembre 1988, un texte du dossier communiqué ce jour confirme ce qui précède et le développe. "Dans les cours obligatoires ou optionnels relevant de disciplines dotées en personnels spécialisés, arts appliqués, arts plastiques, éducation musicale, l'intervention de professionnels ne s'impose pas. Cependant elle peut paraître souhaitable dès lors qu'elle répond aux besoins exprimés par l'enseignant responsable". Et il est écrit que ce principe demeure valable pour les ateliers de collège, de lycée et d'école normale.

Un texte spécifique pour les ateliers, paru au B.0 du 25 mai 1989, affirme à nouveau que l'atelier est placé sous la responsabilité de l'enseignant spécialisé. "Sans être obligatoire la participation d'un intervenant est souhaitable. Elle garantit la complémentarité des compétences".

On peut donc constater, à partir de ces textes, que dans les différentes modalités de l'enseignement artistique dispensé dans les établissements scolaires : obligatoire (le cours obligatoire jusqu'en 3è), optionnel (les sections A3 du lycée), facultatif (les ateliers et l'option complémentaire des lycées), la responsabilité de l'enseignement spécialisé est respectée. Le partenariat est encouragé sans être imposé. Cet esprit nous paraît positif et augure d'un bon développement pour les enseignements artistiques si les textes sont respectés.

En effet un véritable partenariat ne peut- se construire que dans un respect réciproque avec des partenaires qui se désirent et en fonction du type de travail abordé. Ainsi que nous l'écrivions en 1987- pour les ateliers : "cette souplesse de participation, dont les modalités sont toujours à trouver en fonction de ce que fait l'atelier, est à observer. Elle constitue une garantie en précisant bien le désir de rencontre des partenaires. Car ce qui est en cause aujourd'hui dans la relation qui s'instaure entre champ pédagogique et champ artistique, entre enseignants et artistes ce n'est pas le succès d'une catégorie contre ou au détriment de l'autre, c'est la capacité à sortir d'une situation qui, à rester statique, serait celle d'une régression".

Ce qui importe désormais c'est de donner un sens à cette " complémentarité des compétences " afin que les acteurs développent les situations les plus fertiles pour l'apprentissage des élèves.

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Compétence? Si l'on retient ce que nous proposent les dictionnaires jusqu'à remonter au Larousse de l'ancien Français nous trouvons la "connaissance"; la connaissance qui fonde le droit intellectuel de juger. La connaissance est au cœur de la définition de la compétence, et, si nous poursuivons l'exploration nous trouvons un prolongement de la définition en direction de la spécialisation. La définition que donne le Petit Robert du Spécialiste n'est pas très éloignée de celle qui concerne la personne compétente : "personne qui s'est spécialisée, qui a des connaissances dans un domaine déterminé et restreint". L'idée de restriction quant au domaine nous paraît ici, aussi importante que celle de profondeur.

Dans la définition du spécialiste nous retrouvons donc la connaissance mais avec une idée décisive, c'est l'idée de restriction. Cette restriction est aussitôt à mettre en rapport avec la conception de l'enseignement - au niveau où nous le situons - qui est "général", c'est à dire non-spécialisé, non professionnel. Une contradiction apparaît.

Autre remarque. "La question de la compétence enveloppe celle de distance par rapport à l'objet concerné. Plus cette distance augmente, plus augmente la difficulté - qui peut aller jusqu'à l'impossibilité pratique - d'acquérir la compétence désirée". Inversement, "se tenir dans les limites étroites du domaine considéré" privé de la vision générale.

En tenant compte de ces remarques sur la connaissance, la connaissance du spécialiste, avec l'idée de restriction liée à la spécialisation et l'idée de distance par rapport à l'objet concerné et en les rapportant à la condition qui est celle de l'enseignement secondaire, serons-nous mieux en mesure d'apprécier ce qu'il en est de la compétence de l'enseignant et de l'artiste.

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Du côté de l'enseignant d'arts plastiques, et sans qu'il soit besoin d'analyser, il paraît difficile aujourd'hui de faire correspondre celui-ci à la définition ancienne de spécialiste.

Les arts plastiques se définissent dès 1969, sur les lieux universitaires de leur création, comme "champ ouvert", (et en rappelant que l'université est devenue le lieu de formation des enseignants du secondaire) la compétence à acquérir, liée à l'idée de "domaine", de "restriction", n'est pas sans poser de problèmes.

Par une brève incursion historique, on peut faire remarquer que le professeur "d'arts plastiques", se nommait autrefois, et originellement, professeur de "dessin", et à ce titre il était un spécialiste parce que l'objet de son enseignement aussi riche soit-il, était restreint. L'apprentissage du dessin, de caractère dogmatique, soumis à des codes normatifs de représentation, tenait l'enseignant dans "les limites étroites du domaine considéré". Il est devenu professeur de "dessin et arts plastiques" (1952), et, plus récemment professeur d"'arts plastiques" (1973) tout en conservant son ancien statut de spécialiste. Cela, bien que sa discipline d'enseignement se soit considérablement transformée, élargie au "visible" en terme de "champ", c'est à dire sans limites concrètes, transcendant ainsi la notion de "domaine" et de "domaine restreint" propre à l'exercice de la spécialisation.

S'il est donc permis de s'interroger sur le statut de spécialiste du professeur d'arts plastiques de l'enseignement secondaire, en considérant qu'il ne peut être le même spécialiste qu'autrefois, ni le spécialiste de chacun des domaines relevant des arts plastiques aujourd'hui, ne peut-on s'interroger sur une autre conception de la spécialité ?

D'une part, les catégories d'enseignants que présente l'Éducation Nationale paraît nous offrir une réponse pertinente dans la mesure où ces catégories, "polyvalent" (instituteur) "bivalent" (qui enseigne deux disciplines différentes) "monovalent" ou "spécialiste" (qui enseigne une discipline), répondent à une étendue d'enseignements ou à une limite. Cette dernière impliquant l'idée de restriction propre à la définition du spécialiste explicitement reconnu comme tel à Éducation Nationale.

D'autre part, s'il est bien vrai que l'enseignant d'arts plastiques ne peut être compétent en tous domaines, au sens professionnel des métiers, avec les pratiques particulières et les savoirs précis ou étroits-que- cela suppose, il a acquis une autre compétence. En même temps que s'est effectué le passage du "dessin" aux "arts plastiques", il est devenu par la conception de la formation initiale reçue à cet effet, celui qui a la capacité de rendre compte de la diversité des arts plastiques.

La réalité `qu'offre la création artistique depuis la modernité; et surtout la création artistique contemporaine, nous dit fortement que le système cloisonné des "Beaux-arts" a vécu et avec lui les spécialités afférentes. La transversalité du champ et la singularité des pratiques, qui échappent bien souvent aux catégories artistiques et qui ne s'identifient plus en conséquence dans les termes d'autrefois, impliquent d'autres outils d'approche et un nouveau type de compétence.

Ce n'est donc pas en terme de perte de spécialisation mais de transformation de sa spécialisation qu'il est possible de situer l'enseignant d'arts plastiques dans le cadre de l'enseignement secondaire.

Mais surtout, il importe de considérer qu'enseigner les arts plastiques - comme toute autre discipline - implique une double compétence. L'une portant sur la matière à enseigner (ce que l'on vient d'entrevoir), l'autre sur le métier d'enseignant au sujet duquel nous souhaitons faire apparaître la complexité qu'il présente.

Cette double compétence résulte d'une formation "celle-ci suppose la distinction claire de plusieurs types de savoirs qui sont au demeurant de nature très différente: le savoir universitaire, le savoir scolaire, la didactique, la pédagogie - ces deux dernières pouvant être (en totalité pour la première, en partie seulement pour la seconde) enseignées à l'Université et pouvant devenir par conséquent des savoirs universitaires, distincts pourtant des savoirs disciplinaires proprement dits".

Le savoir propre à chaque discipline, tel qu'il est enseigné à l'Université "est constitué par l'ensemble des connaissances considérées comme certaines et des méthodes reçues comme valides... Il est continuellement transformé, réorganisé, accru par l'avancée de la recherche... Il doit être, au cours d'une vie, continuellement entretenu et étendu".

"Nul ne saurait prétendre que le savoir universitaire est enseigné tel quel au niveau scolaire... Ce n'est pas de la vulgarisation... Ce n'est pas non plus une sensibilisation qui, par des rencontres occasionnelles d'éléments épars, relie artificiellement quelques vagues lambeaux de savoir à des intérêts préexistants, au lieu de faire naître des intérêts théoriques neufs. Ce qui est enseigné au niveau scolaire est une reconstruction du savoir à l'usage des élèves".

Cette reconstruction, ou cette transformation du savoir, résulte d'une opération qui est appelée "transposition didactique". Plus largement on peut considérer, allant des savoirs de référence, ceux issus de la recherche, aux savoirs appris par les élèves, une chaîne didactique impliquant, en chacun de ses moments un travail original et spécifique de transformation, de construction, de choix: savoir de référence ou "savant" - savoir enseignable - savoir enseigné - et finalement savoir appris par l'élève et soumis à évaluation afin de réajuster l'enseignement en cours.

Nous sommes là au cœur d'un travail, qui est aussi une création propre à l'enseignement. On peut y situer le rôle de l'enseignant qui par sa formation a la capacité de réaliser comme spécialiste - comme professionnel - les opérations spécifiques que réclame l'enseignement particulier qu'il représente.

Quant à l'artiste, n'est-il pas permis de le situer du côté du "savoir savant", en amont même de celui-ci, au lieu où se produisent les objets nouveaux, matière de la connaissance qui s'élabore? Il est là dans cette position exceptionnelle, où, à la fois créateur et théoricien de sa propre démarche, il propose au travail de la recherche une connaissance nouvelle susceptible de venir enrichir le savoir propre des arts plastiques.

Mais peut-on, simultanément, le situer ainsi et lui accorder la même légitimité, c'est à dire la même compétence pour réaliser les choix, qui parmi l'ensemble des connaissances constitueront le savoir disciplinaire à enseigner, avec les transpositions que cela suppose? En fait, I'artiste peut-il prétendre posséder cette compétence à enseigner qui ne relève pas de son type de spécialisation.

Soulignons encore, cette fois s'agissant d'arts plastiques et non d'enseignement, que l'artiste est celui qui par la nature de son travail s'est "spécialisé dans une branche particulière" de l'art, "l'adjectif "une" renvoyant à la singularité qui s'oppose tacitement à la multiplicité que recouvre le terme de généraliste". Et là, de surcroît, ne cultive-t-il pas une démarche à nulle autre semblable, exclusive, unique, singulière. Ce qui fonde son prix, sa valeur d'artiste, son renom, n'est-ce pas précisément cette "restriction" qui le singularise mais qui, aussi, le prive de la même autorité hors de ce domaine restreint?

Or, cette singularité, ce rapport étroit à l'objet concerné, considérés maintenant par rapport à l'enseignement de la discipline "arts plastiques", ne coupent-ils pas l'artiste de la vision générale nécessaire et de la distance requise? En d'autres termes y-a-t-il adéquation entre la compétence attendue pour assurer la couverture d'un enseignement disciplinaire dans son étendue, dans la durée des études et la compétence très spécialisée de l'artiste, portant sur un domaine restreint?

Ces questions ne valent, bien entendu, que si l'artiste assume sa position d'artiste, que s'il se tient dans les limites étroites du domaine qui est le sien, d'où provient sa compétence et d'où il tire sa reconnaissance. Mais c'est là son apport spécifique, intervenir pour ce qu'il est, artiste, enrichissant l'enseignement des arts plastiques par cette référence ponctuelle mais concrète, qu'il représente, offrant l'exemple d'un type de démarche artistique et d'un comportement atypique.

S'il sort de cette limite, mis en situation d'enseigner et pour répondre aux nécessités de l'enseignement: inscription dans la durée, diversité, multiplicité, mais aussi cohérence, et prise en charge pédagogique des élèves avec la difficile question de l'hétérogénéité ne sera-t-il pas conduit du même coup à abandonner sa position - radicale - d'artiste pour, progressivement, et à son insu, adopter un comportement d'enseignant?

Ni artiste ni enseignant et dépourvu de toute formation légitimante, sera t-il alors dans cette position de non-compétence le mieux placé pour enseigner dans l'enseignement - général? Sera t-il mieux placé pour enseigner les arts plastiques en quittant son domaine restreint de compétence mai s sans avoir acquis, comme le professeur d'arts plastiques, une double compétence lui permettant de prendre en charge les classes dans la durée, de rendre compte de la transversalité du champ des arts plastiques, et de construire selon les opérations spécifiques de l'enseignement?

Pour enseigner, I'enseignant et l'artiste ne sont pas en position symétrique. Ils ne sont pas équivalents non plus, car leur compétence respective n'est pas de même nature. Celle-ci leur donne un titre, "enseignant" ou "artiste", qui provient d'une formation académique ou d'autodidacte. Cette formation est sensée conférer la spécialisation qui est source d'excellence. La compétence acquise pour l'un à se prévaloir du titre d'enseignant et pour l'autre à se prévaloir du titre d'artiste. ne doit pas conduire à croire ou à faire croire qu'il existe une faculté générale de connaître les choses sans les avoir étudiées ou sans les avoir pratiquées".

Il importe donc de clarifier les termes de cette nouvelle relation, artistes, enseignants, afin de pouvoir, dans une visée qualitative et promotionnelle de l'enseignement des arts plastiques, rechercher les articulations les plus fécondes, évitant ainsi, dans un procès implicite portant sur la compétence, glissements fâcheux et illusionnisme.

 

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Gilbert Pélissier est Inspecteur général honoraire, il a été doyen de sa discipline et doyen du groupe des enseignements artistiques au ministère de l'éducation nationale en France. Il s'est fait connaître par ses nombreuses publications, participations à des séminaires, colloques et congrès dont celui, tenu à Montréal en 1993, par l'association internationale pour l'éducation artistique (INSEA) où il fut reçu en tant que conférencier d'honneur.
Il a enseigné à tous les niveaux et a exercé la fonction de conseiller pédagogique de 1970 à 1982. En 1979 il était codirecteur du Centre de formation pédagogique de Paris pour les arts plastiques et de 1981 à 1983 directeur de formation des professeurs d'arts plastiques de la côte d'Ivoire. De 1977 à 1980 il a effectué une recherche auprès de la Direction des Lycées portant sur la relation langage-perception et de 1978 à 1982 il a participé, en tant que responsable d'une équipe en arts plastiques, à la recherche nationale sur l'interdisciplinarité à l'Institut national de la recherche pédagogique.
Parallèlement à ces activités Gilbert Pélissier a collaboré plusieurs années à la revue Actualité des arts plastiques.
Avant d'être nommé inspecteur pédagogique puis inspecteur général il est chargé de mission ministérielle en 1982 à la mission des enseignements artistiques au ministère de l'éducation nationale. C'est dans ce cadre notamment qu'il propose et qu'il participe à la mise en place des premiers Ateliers de pratiques artistiques.

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