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arts plastiques et éducation à l'espace (Magali Chanteux)

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Intervention orale lors du Séminaire : Éléments pour construire une pédagogie de l'espace auprès des jeunes organisé par la Fédération Nationale des CAUE, le Groupe d'étude sociologique du centre Paul Lapie et l'institut National de Recherche Pédagogique les 6 et 7 mai 1999 et le soutien du ministère de la Culture.

Article publié dans les actes du séminaire

Il m'est demandé de vous parler de l'éducation à l'espace. Mon propos va essayer de préciser les relations entre arts plastiques et éducation à l'espace du point de vue de l'enseignement au collège. Il ne s'agit pas exactement d'éducation à l'espace. En fait, malgré ce qui se dit couramment, il est difficile de parler d'une éducation spécifique à l'espace, quelle que soit la discipline d'enseignement. L'éducation à l'espace se fait tout autant en dehors de l'école qu'à l'école. C'est donc avec beaucoup de modestie qu'il faudrait parler en arts plastiques d'une éducation spécifique à l'espace. Malgré cela, il convient de dire qu'à la lecture des textes réglementaires en vigueur, programmes d'arts plastiques et textes d'accompagnement, le terme espace revient en permanence. Pour le collège, il est présent cent soixante-neuf fois dans les programmes et textes d'accompagnement, certes avec des emplois différents qui ne renvoient pas systématiquement à des contenus d'apprentissage. Mais c'est dire l'importance que peut avoir la question de l'espace dans l'enseignement des arts plastiques. L'espace fait partie des quelques notions centrales, constamment travaillées, au cœur même de ce qui est enseigné en arts plastiques.

L'enseignement des arts plastiques ...

L'enseignement des arts plastiques peut être considéré comme relativement récent par rapport aux autres disciplines. Créé en 1972, il s'est constitué tout au long des dix ou quinze ans qui ont suivi. Cet enseignement a pris le relais de celui du dessin et la transformation  d'intitulé marque suffisamment les différences d'objectifs. Aujourd'hui arts plastiques correspond à un enseignement plus ouvert et plus large, qui vise en priorité à permettre, par la pratique, au plus grand nombre d'élèves d'accéder à l'art de leur époque. Dans le système éducatif français, cet enseignement est obligatoire à l'école primaire et au collège (c'est-à-dire pendant les cinq années de cursus primaire et quatre années du cursus secondaire). Pour l'enseignement au collège, qui est celui auquel je me réfère pour cette intervention, il y a pour tous les élèves une heure d'arts plastiques inscrite à l'emploi du temps de la sixième à la troisième ; le volume global d'enseignement en arts plastiques sur les quatre années correspond à un volume d'heures compris entre cent vingt heures et cent trente-deux heures. C'est à la fois peu et beaucoup. Mais cela permet de comprendre qu'il ne peut y avoir un découpage précis qui accorderait tant d'heures à l'architecture, ou tant d'autres à la couleur, cela d'autant moins que cette pédagogie prend appui sur les méthodes actives et met l'élève en situation de pratiquer. Dès lors qu'il agit en arts plastiques, l'élève est confronté d'emblée et globalement à différentes questions et différentes notions. L'enseignant crée de toutes pièces la situation qui amène les élèves à "rencontrer" une question relative aux arts plastiques (l'autonomie de la couleur, la notion de passage par exemple). Les élèves mettent la main à la pâte et, en réponse à cette situation, inventent une production à travers laquelle ils montrent leurs approches de la question en jeu. La production plastique de l'élève met de toute façon toujours en œuvre espace, couleur, matière, lumière, geste ou corps.

... et l'espace

L'éducation à l'espace s'inscrit au sein même de l'enseignement des arts plastiques et ne fait pas l'objet d'un travail isolé de la part des professeurs d'arts plastiques. Il n'y a aucune formation initiale ni continue spécifique d'une éducation à l'espace. Pourtant, l'espace et l'éducation à l'espace sont pour eux une préoccupation constante. On pourrait même dire qu'il ne font que cela. Les élèves pendant les séances d'arts plastiques travaillent en permanence avec des supports, des matériaux. Dès lors qu'il y a pratique, il y a mise en question de l'espace par la gestuelle de l'élève, par sa position dans l'espace, par sa relation avec ce qu'il est en train de mettre en forme, par le regard porté sur sa production et sur celles de ses camarades.

Cette place principale, centrale accordée à la pratique des élèves est maintenant à peu près acquise. Il n'y a presque plus de cours magistral, sauf lorsqu'il est rendu indispensable pour une raison ou pour une autre. Partout où la formation de l'enseignant est assez récente, le "cours" d'arts plastiques se fonde sur la pratique de l'élève : c'est en pratiquant que l'élève prend conscience qu'il existe des questions, qu'elles appellent la réflexion, qu'elles mobilisent les connaissances et en nécessitent de nouvelles. L'ensemble du programme d'arts plastiques pose donc l'espace plutôt comme une question que comme un ensemble de contenus d'enseignement bien inventoriés, listés, nomenclaturés. Il s'agit davantage de quelque chose qui est continuellement remis en question dans les pratiques des élèves et dans les résultats de leurs pratiques les productions qui sont discutées, que d'une suite de contenus exposés et expliqués par l'enseignant. En essayant d'être un peu rigoureux, on peut dire que l'éducation à l'espace est "travaillée" mais non "didactisée". L'espace comme contenu d'enseignement est abordé, questionné par le biais d'autres notions comme par exemple, la limite, la bordure, le cadre, le plan, l'étendue, l'épaisseur, etc., autant de questions que l'enseignant peut travailler avec les jeunes élèves au fur et à mesure qu'il les juge abordables et fertiles pour eux.

Chronologie d'un cheminement pédagogique en classe de sixième

Pour ancrer plus concrètement mes propos, j'ai choisi quelques cours en collège accompagnés de photos de travaux d'élèves. En prenant par exemple une classe de sixième, je voudrais vous montrer comment au fil de l'année scolaire, un enseignant peut, par et à travers les propositions faites, soulever certaines questions sur l'espace, sensibiliser les élèves à l'existence même de ces questions et comment, petit à petit, il amène les élèves vers des questions de plus en plus complexes. Il n'y a pas nécessairement un projet répétable, qui pourrait être refait, identique à lui même chaque année, une programmation en quelque sorte. Bien au contraire. Les séances de travail avec les élèves ne s'enchaînent pas l'une après l'autre pour "traiter une question". De manière plus subtile peut-être, une séance amorce, soulève la question, puis celle-ci est laissée en repos, comme disent les élèves "elle fait son chemin", pour être reprise autrement, plus tard.

Je dois faire un bref détour pour expliquer le terme de proposition que j'ai employé. Précédemment j'ai souligné que l'enseignement des arts plastiques au collège s'appuyait sur les apports des méthodes actives ; c'est dire que la pédagogie se veut centrée sur l'élève, laissant à l'élève des initiatives, des prises de décisions, des prises de risques. Pour arriver à cela, la plus grande partie d'une séance est consacrée à l'action des élèves et non pas aux explications ou aux exposés de l'enseignant. Le cours prend donc forme autrement : dans la conception de la situation d'enseignement (qui varie d'une séance à l'autre), dans le choix du dispositif mis en œuvre (les modalités d'organisation de la situation d'une part, les éléments d'induction d'autre part), dans l'élaboration de la proposition de travail. Ainsi, la pédagogie des arts plastiques a t-elle tiré parti du temps bref une heure mais régulier toute l'année scolaire qui est le sien pour réduire au minimum le discours de l'enseignant et augmenter au maximum la durée de la pratique de l'élève : dans une séance de cinquante-cinq minutes, les élèves disposent le plus souvent de quarante minutes de pratique (le quart d'heure restant correspond à la mise en place, à un temps de parole, au rangement).

Le choix d'une classe de sixième m'a paru intéressant parce qu'il s'agit d'enfants de onze, douze ou parfois treize ans, donc d'un moment très particulier de transformation et de développement psychologique, social, psychomoteur. Ils changent de niveau scolaire. Pour eux la classe de sixième est une aventure. Ils arrivent avec des représentations qui se sont constituées au fur et à mesure de leur scolarité, de leurs expériences. Ils ont déjà des connaissances, quelles qu'elles soient. Le travail de l'enseignant va donc se greffer sur des choses déjà existantes et dans l'exemple que j'ai choisi, c'est par touches successives, par approches variées que l'enseignant va introduire une réflexion sur l'espace et aider à la construction des connaissances. Cette classe de sixième n'a rien d'exceptionnel, elle est tout aussi nombreuse que toutes les classes de sixième, les élèves n'y sont ni plus en avance ni plus en retard qu'ailleurs, ni plus sages ni plus sots.  

À propos d'un petit poisson qui manque d'espace...

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taille réelle : 1.8 cm

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Lors de la première séance avec ces élèves, l'enseignant a distribué des petits autocollants représentant des petits poissons, de tout petits poissons mesurant cinq millimètres de longueur. Chaque élève a reçu un autocollant sur un petit morceau de papier blanc. L'incitation que donne l'enseignant à toute la classe est : " Ce petit poisson manque d'espace : donnez-lui en davantage!" Les élèves ont à peu près quarante minutes devant eux et peuvent choisir tout le matériel et les matériaux disponibles dans la classe. Ils s'engagent tout seuls avec leurs interrogation : qu'est-ce que cela peut bien vouloir dire de donner plus d'espace à un petit poisson ? Dans ce cas précis, la proposition de travail s'appuie sur le goût du récit, le plaisir de raconter, l'attirance pour la représentation figurative qu'ont les élèves de cet âge. On est à peu près sûr qu'ils vont réagir et replacer le poisson dans un espace sous-marin. Mais là n'est pas la question et lorsque tous les travaux sont regroupés et affichés, les questions commencent. Certains trouvent que dans tel travail il n'y a pas beaucoup d'espace et que dans un autre au contraire, il y en a beaucoup. Ils remarquent qu'ici le petit poisson "a l'air étouffé parce que l'espace est trop plein" alors que là "il n'a pas beaucoup d'espace parce qu'il est au bord de la feuille". Sur ces remarques, que les élèves formulent sans difficulté lorsqu'ils sentent qu'elles ont de l'intérêt pour l'enseignant, celui-ci construit pas à pas les notions. Le "plus" d'espace demandé au départ permet à l'enseignant d'attirer l'attention à travers les remarques des élèves par exemple sur la question du bord, ou celle de la place, ou celle du rapport des dimensions entre le poisson et le support... Dans ce travail oral les élèves découvrent des finesses qu'ils n'attendaient pas, auxquelles ils ne prêtent en général pas d'attention.  


À propos de la cour d'école ou d'un géant

courcour

courcour

courcour

cour


Dans cette même classe, quelque temps après cette première séance, l'enseignant propose aux élèves de représenter la cour du collège comme ils veulent mais dans un format de 7,5 cm sur 4,5 cm, qui leur est donné. Cela correspond à peu près à la taille des grands timbres-poste. La demande est complètement différente par rapport à l'expérience précédente. Avec cette deuxième demande, l'enseignant introduit une nouvelle question : celle de la compréhension de l'espace entre espace de la réalité et espace représenté. Il amène à comprendre qu'il n'y a pas de lien de nécessité. Ce n'est pas parce qu'on représente un paysage qu'on a besoin d'une toile de deux kilomètres de large. Cela peut paraître trop simple pourtant cette question est difficile et importante pour de jeunes élèves. Elle permet d'aborder l'idée de "grandeur nature", la notion d'espace de la représentation. Par exemple si vous demandez dans une classe "Dessine-moi un géant" en proposant aux élèves des grandes feuilles et des petites, la majorité des enfants choisira une grande feuille ; mais il y en a toujours un qui prend la petite feuille et qui ne dessine qu'un morceau du géant. C'est ensuite très aisé de faire comprendre aux élèves taille, proportions, échelle. Remarquons en passant, que ces notions sont difficiles pour les élèves de sixième.  


À propos, cette fois, d'un petit ange frigorifié

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Nous sommes maintenant au mois de novembre, dans cette classe de sixième dont je vous relate les découvertes. C'est la dixième séance depuis le début de l'année. Ce jour-là, L'enseignant donne à chacun un petit ange en plastique blanc et leur dit : "il fait deux degrés aujourd'hui et ce petit ange a très froid. A moins que vous ne lui construisiez sa maison, il ne vivra pas". Sur un support narratif de ce type, tous les élèves démarrent au quart de tour et se mettent avec des papiers à construire une maison pour l'ange. Le travail dure deux séances. A la fin de la seconde séance, chaque ange a une maison, aucun élève n'est resté en panne. En effet, il n'y a pas de grande difficulté à plier, ou découper et assembler du papier. L'intérêt de cette séance n'est pas dans les opérations faites pour fabriquer cet objet, mais dans l'attention que les élèves ont apportée à la demande qui leur était faite. Les maisons qu'ils ont construites sont bien à la taille de ce petit ange de deux centimètres, elles constituent des abris, et les élèves discutent sur l'un des travaux qui semble trop ouvert pour protéger vraiment contre le froid. Ainsi, non seulement la question du rapport d'échelle introduite dans les travaux précédents semble comprise, mais ce travail permet d'introduire une réflexion sur maison, abri, demeure...

À propos de l'illusion de profondeur

Depuis le début de l'année scolaire, trois propositions et quatre séances d'arts plastiques ont attiré l'attention des élèves sur l'espace, ont introduit leur réflexion sur l'espace à partir de ce qu'ils produisent plastiquement. A présent, l'enseignant met les élèves dans une situation où les notions de frontalité et d'illusion de la profondeur sont directement abordées. Nous sommes en janvier ; chaque élève reçoit un document (voir figure XXX) : une route qui se rejoint exactement au milieu de la photographie au point de fuite central. La demande faite aux élèves est "d'ôter l'illusion de profondeur" par tous les moyens possibles.

Peut-être faut-il rappeler qu'il ne s'agit nullement d'enfants particulièrement "doués" ni spécialement choisis. Le collège se situe dans le dix-huitième arrondissement et les élèves correspondent tout à fait à la moyenne des élèves. Et pourtant un travail comme celui là peut être fait en classe, avec des élèves, sans qu'on leur tienne la main, sans qu'on leur dise comment faire, sans leur montrer ce qu'il faut ou non faire. Mais il est certain que cette demande n'aurait aucune chance d'aboutir si elle avait été faite en septembre. J'ai rapporté les faits chronologiquement parce qu'à chaque séance, lors du regroupement des productions, il y a un travail oral qui stabilise ce que les élèves découvrent, expérimentent. A la fin de chaque séance, sont nommées, sont éclairées des notions, peu nombreuses à chaque fois mais toujours celles qui semblent accessibles grâce aux observations que font les élèves sur leurs travaux. Au mois de janvier l'élève comprend ce que veut dire "retirer, ôter l'illusion de profondeur". Il commence à distinguer la différence entre réalité observée et représentation ; il sait ce qu'est un plan, et il a connaissance de la caractéristique plastique d'un plan, sa planéité. Le défi nouveau est d'empêcher l'illusion de la profondeur. Espace suggéré et espace littéral font partie du programme de sixième. La question que soulève cette nouvelle situation est de ramener la photographie à l'espace littéral qu'elle occupe et non pas à l'espace qu'elle suggère. La difficulté est à la portée des élèves : la cible pédagogique n'est pas trop loin ; elle n'est pas non plus trop près. Pédagogiquement, si on se contentait de solliciter la créativité des élèves sans introduire de difficulté, d'une part l'élève se lasserait et d'autre part il n'y aurait sans doute pas d'apprentissage autre que l'habileté technique ; celle-ci n'est pas l'unique objectif de l'enseignement

Les travaux produits lors de cette séance sont en majorité d'assez grande dimension car les élèves ont utilisé le document pour le mettre sur un support plus grand, ce qui est très intéressant. Au cours de l'année, les élèves ont pris l'habitude de varier les supports et de travailler sur des espaces plus grands que la feuille usuelle. Il me semble que cela fait aussi partie d'une éducation à l'espace : une libération des gestes qui n'en restent pas à une posture de graphie et qui réclame un espace plus grand que la feuille de cahier. Développer l'amplitude du geste, situer son corps par rapport à un support presque aussi grand que soi, ou intervenir à plusieurs dans le même espace tout cela participe tout autant de cette éducation à l'espace et constitue autant d'approches faites en arts plastiques à tel ou tel moment de la scolarité.

À propos de la fenêtre aux géraniums
 

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format réel : 9 x 9,5 cm
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Ceci nous amène au mois de mai. Cette classe de sixième est déjà loin de la rentrée scolaire, les élèves sont à l'aise en arts plastiques, ils ont pris conscience du contrat pédagogique et savent utiliser la liberté qui leur est donnée lors des séances hebdomadaires ; ils connaissent bien la salle d'arts plastiques, apportent des matériaux, des objets et ont pris goût à la responsabilité qu'ils ont de choisir leur format de travail, le support, les matériaux, selon les propositions. Deux nouvelles propositions pendant ce mois de mai vont être faites pour des travaux concernant la réflexion sur l'espace : un retour sur la question de l'échelle avec la fabrication d'un épouvantail et un travail de synthèse à partir d'un document.

L'enseignant distribue un document, plaquette publicitaire de La Poste : le document représente une fenêtre ouverte avec des géraniums au rebord. Rien n'est dit sur cette fenêtre. La demande est très ouverte : "Faites quelque chose. La seule obligation est de mettre cette fenêtre dans votre production". Les élèves se mettent à l'œuvre, chacun à sa manière, chacun avec ses moyens. Et tout ce qui a été fait et dit pendant l'année est mobilisé : le loin et le près, le dedans et le dehors, le frontal et la profondeur, l'illusion et le réel, la représentation et la présentation. Les productions sont variées, astucieuses et les élèves en parlent avec plaisir, montrant par leurs critiques positives ou non, les acquisitions faites tant dans le vocabulaire que dans la familiarisation avec les problèmes liés à l'espace.

J'ai pris l'ensemble des séances de cette classe et relevé celles qui ont été explicitement consacrées à travailler sur l'espace avec un apprentissage de notions. Comme je l'ai fait remarquer, d'autres séances ont eu lieu qui contribuent à l'éducation à l'espace par d'autres types d'apprentissages, relevant davantage des gestes, des postures, avec des productions sur des supports très différents et avec des instruments inhabituels. De même une sortie de la classe dans les rues autour du collège avec appareils de photos et carnets de croquis renvoie à l'éducation à l'espace. Ce qui m'a paru intéressant dans le projet pédagogique de cette collègue, c'est la lente imprégnation dont témoigne ce travail sur l'année avec des avancées et des retours, des manières différentes de remettre en scène une question. Sur les trente et une séances de l'année scolaire, nous venons de voir que sept ont pour but l'acquisition de connaissances notionnelles à partir de l'expérience et de l'expression individuelles.  

Les programmes du collège et l'éducation à l'espace

J'ai donc pris à titre d'exemple un cheminement pédagogique sur cinq propositions mises en œuvre avec les mêmes élèves au cours de leur année de sixième ; les questions ne s'arrêtent pas brutalement à la fin de la sixième. Dans cet exemple, le professeur d'arts plastiques à travaillé tout au long de l'année par petites touches en revenant à chaque fois sur l'espace littéral et l'espace suggéré ainsi que sur la représentation de l'espace, les questions de taille et de proportions, de format du support.

Tout au long de la scolarité du collège les programmes d'arts plastiques incitent à aborder différentes questions relatives à l'espace. Sans doute les situations d'enseignement que j'ai essayé de vous présenter vous permettent-elles de comprendre comment un enseignant s'y prend et comment il travaille. Il est peut-être intéressant de voir maintenant ce que prévoient les programmes et ce qui, normalement, doit être mis en place année après année. Les programmes apportent aux enseignants un cadre commun de référence : ils indiquent les connaissances et les compétences normalement maîtrisées par les élèves à la fin de chaque cycle du collège. Toutes les questions ne sont pas à aborder tous les ans et l'enseignant peut conduire l'enseignement au plus près de la réalité des élèves et de l'établissement. Dans la mesure où, dans la plupart des collèges, le professeur d'arts plastiques est seul dans sa discipline d'enseignement, il lui est plus aisé qu'à d'autres de structurer son enseignement dans la durée. Il aborde les points de programme en fonction des élèves, de leurs centres d'intérêt, de leurs motivations. Les arts plastiques ont l'énorme avantage de ne pas être considérés comme une discipline "fondamentale" dans le cursus scolaire. (Il n'est pas fréquent de voir un élève passer dans la classe supérieure uniquement parce qu'il est excellent en arts plastiques). Ainsi, les professeurs d'arts plastiques n'ont aucun autre moyen, pour réussir auprès des élèves et les faire réussir, que de travailler au plus près d'eux, de les mettre en situation de réussite, de les responsabiliser, de leur donner la parole à partir de leurs productions.

On peut en effet dire que sur les quatre années de collège, les mêmes questions sont introduites et reprises par des contenus variés, choisis par les enseignants. Les grands axes de travail au collège en ce qui concerne l'espace sont : espace en deux dimensions (graphique et pictural) et espace en trois dimensions (espace du volume, sculptural, architectural...) ; représentation de l'espace et modes de représentation ; organisation ou composition ; espace littéral /espace suggéré : illusion de la profondeur, matérialité de l'oeuvre ; relations entre corps, œuvre et espace. En classe de sixième le programme met l'accent sur "espace littéral et espace suggéré", au cycle central il est mis sur les modes de représentations de l'espace et en troisième sur les relations qui s'instaurent entre le corp, l'œuvre et l'espace. Les programmes d'arts plastiques précisent un cadre d'enseignement, proposent les axes de travail, indiquent les grandes questions à travailler ; ils n'imposent pas les contenus par lesquels aborder chaque question ni comment l'enseignant doit construire la question , ils ne prescrivent pas les références culturelles : tout cela reste du ressort de l'enseignant. Il n'y a donc pas de liste de contenus et c'est l'enseignant qui fait le choix des contenus qu'il considère à la fois comme adaptés à chaque groupe d'élèves et comme utiles et pertinents pour répondre aux exigences des programmes. La critique nous est en souvent faite : " mais vous devriez avoir des liste de contenus, des manuels, des progressions prévues...". Eh bien non ! Parce que si on se centre sur la pratique des élèves, si l'on s'appuie sur leur créativité ou inventivité, si on les place en situation de réussite, une prescription de contenus à chaque niveau de classe n'a que peu de sens. Il n'y a aucune raison majeure d'inscrire une question comme "dedans/dehors" en cinquième plutôt qu'en sixième, ou à introduire l'idée d'enveloppe ou de vide en quatrième et non pas en troisième. L'important est de savoir qu'à la fin du collège, les grandes questions auront été rendues accessibles aux élèves dans et par la pratique, avec les apports culturels nécessaires. Par expérience, je peux en tout cas attester que les enseignants s'efforcent de construire leur enseignement dans l'esprit des programmes et l'espace en est la vedette : sur cinquante cours observés, un tiers portent sur l'espace.

Par ailleurs, les programmes insistent de la sixième à la troisième sur la nécessité pour chaque élève de savoir nommer ce qu'il voit, de savoir exprimer verbalement ce qu'il a fait. Non seulement cet objectif s'inscrit dans les objectifs généraux du collège (la maîtrise de la langue) mais il garantit que des notions et des opérations seront identifiées, que le vocabulaire sera d'abord découvert, puis utilisé. Ainsi, dans une classe de cinquième, une proposition telle que "à vol d'oiseau" avec comme incitation une photographie de paysage amène les élèves à produire différents types de réponses plastiques, chacun à sa manière ; cette diversité des productions plastiques allant du plan à des petites constructions en volume, permet à l'enseignant de faire préciser les mots qui sont utilisés pour parler des travaux : plan, maquette, perspective cavalière, vue aérienne, masse, surface, bord, etc. En acquérant davantage de vocabulaire, chaque élève suivant son tempérament engrange des idées que l'on voit souvent resurgir dans des travaux ultérieurs.  

D'autres dispositifs d'éducation à l'espace au collège

Les ateliers de pratiques artistiques

En plus de l'horaire inscrit à l'emploi du temps des élèves, d'autres dispositifs éducatifs existent dans le cadre du collège. Le plus ancien de ces dispositifs complémentaires d'éducation artistique est "l'atelier de pratique artistique". Ces ateliers couvrent une douzaine de domaines artistiques différents, de l'écriture au arts du cirque. D'une certaine manière, tous contribuent à l'éducation à l'espace, mais certains plus spécifiquement par rapport à ce qui nous intéresse ici : architecture, paysage, patrimoine. Selon les académies, les différents domaines sont plus ou moins représentés car interviennent là l'histoire des ateliers, la politique académique d'implantation des ateliers et les spécificités locales et culturelles. A Paris, l'implantation d'ateliers d'architecture a été lente pour des raisons fonctionnelles et non pédagogiques. Actuellement quatre collèges ont un atelier d'architecture. Il se trouve que dans les quatre cas, c'est le professeur d'arts plastiques qui le conduit mais ce pourrait être un professeur d'une autre discipline. Ces ateliers fonctionnent en partenariat : un architecte y intervient avec le professeur responsable et en même temps que lui. Dans un atelier de pratique artistique -architecture- les questions d'espace sont toujours abordées du point de vue de l'architecture et les contenus mis en œuvre sont élaborés entre l'enseignant et l'architecte. Il ne s'agit pas d'un atelier où l'on ferait "comme si" on était des architectes mais bien d'un lieu où un spécialiste ayant une expérience vivante vient travailler avec les élèves en apportant son expérience et ses réflexions. Ainsi lorsqu'en arts plastiques les élèves travaillent à partir d'une proposition sur le "passage", par exemple, tout ce qui est fait est très divergent, très ouvert selon les compréhensions différentes de chacun des élèves ; cette même proposition "passage" faite dans l'atelier d'architecture donne lieu à un éventail de productions plus resserrées, ne serait-ce que parce que la proposition dès le départ esquissera une programmation.

L'opération "Dédale"

Il s'agit d'une opération qui a été montée à titre expérimental dans l'académie de Paris avec Madame Claude Remond de la Direction de l'architecture et du patrimoine et qui ensuite a été développée dans d'autres académies. Le principe de cette opération est de donner à des élèves l'occasion de travailler avec des architectes et vise à sensibiliser les jeunes à l'architecture. Dès 1967, l'intérêt de cette sensibilisation à l'architecture était apparue dans l'enseignement alors appelé "dessin et arts plastiques" : le premier baccalauréat avec option art date de cette période et il s'agit de l'option "arts plastiques et architecture". Depuis, les épreuves du baccalauréat ont toujours comporté des sujets de connaissance artistique sur l'architecture. L'opération "Dédale" a été très positive. Le principe de faire travailler ensemble architecte et enseignant a été accepté par les uns et par les autres : deux jeunes architectes diplômés sortant de l'école ont travaillé pendant dix semaines avec une classe sur un thème choisi par les élèves, par l'enseignant et les architectes, et accepté par le chef d'établissement et le conseil d'administration de l'établissement. Les choses ont été très bien faites : parents, administration, collégiens, équipe pédagogique ont été informés et intéressés. Un suivi régulier a été assuré associant différentes personnalités responsables des différentes unités pédagogiques dont les architectes avaient suivi le cursus, l'action culturelle de l'académie de Paris, l'inspection pédagogique. Les résultats dans chaque collège ont été riches d'enseignements pour les élèves comme pour les architectes et les enseignants. Ces opérations tirent une grande part de leur succès du caractère ponctuel qui leur confère un statut d'événement : la réussite manifeste de l'opération tient aussi au fait qu'elle échappe au caractère scolaire qu'aurait la même entreprise généralisée à toutes les classes.

C'est sur ce dernier point que je voudrais terminer : la complémentarité des divers dispositifs ou structures éducatives mis en place.

Dans le cadre d'un enseignement, l'enseignant voit les élèves dans la durée. Il a un projet plus ou moins construit sur l'année et en arts plastiques, sur plus d'un an . Il voit tous les élèves, toutes les semaines, ce qui détermine un certain mode de rapport aux élèves, au travail et au savoir. Ce n'est absolument pas la même chose pour un travail ponctuel, expérimental, pas plus que pour un atelier où ne viennent que les élèves qui choisissent l'atelier. Tous les dispositifs qui cohabitent permettent de multiplier les approches et de montrer les aspects différents des modes de relations à la connaissance, au savoir. Ils coexistent par leur complémentarité et ne sont ni dans un système de redondance, ni dans un système de compétition. Le tissu scolaire actuel a besoin de ces formes diverses qui nuancent ce qui pourrait être perçu comme un enseignement de masse fait au dépens des personnes. Le tissu scolaire a besoin de l'enseignement, distribué à tous, tout comme il a besoin des parcours diversifiés qui apportent dans les établissements la possibilité de cheminements pédagogiques pluridisciplinaires et originaux ; il a besoin d'opérations ponctuelles qui viennent apporter une nouvelle approche. Aucune opération, aucun dispositif ne peuvent cependant être greffés sur du vide. L'enseignement est le pilier ou le porte-greffe. Les élèves de l'opération "Dédale" avec lesquels j'ai repris contact, n'oublieront jamais ce qu'ils ont fait que ce soit dans l'enceinte du Palais Royal pour ceux qui ont travaillé sur les colonnes de Daniel Buren, ou que ce soit sur les voies désaffectées de la petite ceinture pour d'autres... Certains d'entre eux ont aussi eu l'expérience de l'atelier et tous ont eu un enseignement. Cette complémentarité est fondamentale. Si elle n'existait pas, les élèves perdraient beaucoup. En particulier serait écartée pour eux est la possibilité de s'engager et, par là, de comprendre que l'action est possible dès lors que l'on s'engage.

L'éducation à l'espace, qu'on appelle aussi sensibilisation à l'architecture, n'est pas et ne peut pas être le fait exclusif de tel ou tel enseignant, ou de tel domaine. Elle passe par de multiples voies. L'Ecole y est attentive et propose des dispositifs. Que ce soit dans un atelier de pratique artistique de théâtre, d'arts plastiques ou de danse cette éducation à l'espace est à l'œuvre tout comme elle est une des bases d'enseignement comme l'éducation physique et sportive ou la géographie... De même la sensibilisation à l'architecture est prise en charge par de nombreux domaines disciplinaires. Passée aujourd'hui dans les textes réglementaires de l'éducation nationale, la sensibilisation des collégiens à l'architecture n'a de sens que dans cette complémentarité des disciplines et des dispositifs. L'introduire obligatoirement dans l'un ou l'autre des enseignements, c'est-à-dire en faire un enseignement obligatoire prenant la place d'autre chose puisqu'on ne peut plus ajouter grand chose à l'emploi du temps déjà plein des élèves ne produira pas les effets pédagogiques que permettent complémentarité et pluralité des interventions.  

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Références des principaux textes

1.     Programme de sixième : arrêté du 22 novembre 1995.

Programmes de sixième, 1996,collection Collège, Centre national de documentation pédagogique, Diffusion Magnard (référence CNDP : 755 01414).

Accompagnement des programmes de 6e,livret 1, 1996, Collection Collège, Centre national de documentation pédagogique

2.     Programme du cycle central : arrêté du 10 janvier 1997.

Programmes, cycle central, 5e et 4e, 1997, collection Collège, Centre national de documentation pédagogique (référence CNDP : 755 02024).

Accompagnement des Programmes de 5e et 4e, livret 4, 1997, Collection  Collège, Centre national de documentation pédagogique.

3.     Programme de troisième : arrêté du 15 septembre 1998.

B.O. hors série n° 10, volume 2, du 15 octobre 1998

Accompagnement des programmes de 3e, livret 4, 1999, Collection Collège, Centre national de documentation pédagogique.

 

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Magali Chanteux est Inspectrice d'académie - Inspectrice pédagogique régionale honoraire.
Chargée de mission à l'inspection générale, elle a piloté de nombreuses formations de formateurs, participé et piloté des recherches auprès de l'INRP.
Elle est l'auteur de nombreux articles sur l'enseignement des arts plastiques dont plusieurs sont publiés dans InSitu.

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