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contrainte-consigne et les 7 familles (Patrick Ducler)

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La question des consignes et des contraintes est en débat depuis les années soixante-dix. Les idées ont évolué, se sont modifiées, amendées, contredites. Contextualiser l'usage des consignes, des contraintes amène à répertorier les principales familles de cours pratiquées en Arts plastiques.


Consignes et contraintes dans le dispositif du cours d'Arts plastiques


La méthodologie est à la mode. Dans un souci bien compréhensible de réussite pour tous, les stratégies sont peaufinées. Ainsi, au Collège, les consignes, plus que jamais, sont à l'ordre du jour. A tel point que des élèves auxquels vous n'avez jamais donné cette habitude, bien au contraire, en inventent au premier travail venu, vous en demandent ou se plaignent de n'en avoir pas !

Il n'est plus de concertation sans que soit évoqué ce jeu subtil des consignes qui rendent les exercices "plus efficaces". Un pédagogue à la mode invente quatre sortes de consignes ! Elles envahissent les devoirs, les polycopiés, les manuels scolaires, les examens et les concours. Le mot d'ordre devient "A-t-il bien suivi la consigne ?" Et chaque élève de se demander in petto si oui ou non il a bien respecté les consignes ! Le respect des consignes devient critère d'évaluation ! Pour peu, la réussite scolaire s'évaluera à l'aulne de ses capacités à respecter et suivre des consignes ...

Programmes

Trouve-t-on, dans cette effervescence, les effets un peu tardifs mais radicalisés des indications contenues dans les Programmes et instructions publiées en 1985, eux-mêmes prenant acte de recherches pédagogiques plus anciennes ?

Français

Par exemple, dans le programme de Français, au chapitre Méthodes et Pratiques, il est écrit :
" L'apprentissage de l'autonomie est évidemment progressif. Les élèves, surtout en sixième, ont besoin d'être guidés par des consignes, des questionnaires précis, des exercices de champ limité. Peu à peu, ils deviennent capables d'effectuer, avec une aide réduite, des travaux qui nécessitent des connaissances plus nombreuses et des démarches plus complexes."

Mathématiques

Plus loin, dans le programme de Mathématiques, il est dit :
" Les activités choisies doivent développer la capacité de se poser des problèmes et de progresser vers leur résolution. Elles doivent aussi : permettre un démarrage possible pour tous les élèves, donc ne donner que des consignes très simples et n'exiger que des connaissances solidement acquises par tout le monde ; créer assez rapidement une situation assez riche pour provoquer des conjectures ; rendre possible la mise en jeu des outils prévus ; fournir aux élèves, aussi souvent que possible, des occasions de contrôle de leurs résultats, tout en favorisant un nouvel enrichissement. On y parvient, par exemple, en prévoyant divers cheminements qui permettent de fructueuses comparaisons."

Arts plastiques

Rien n'est explicitement précisé dans les Programmes d'Arts plastiques. C'est dans les rapports de concours (CAPES interne et Agrégations), certains textes de l'INRP, du CNED, des IUFM et autres stages de formation continue que se travaillent la signification, la répartition et le rôle des consignes dans un cours. Bien que cette réflexion sur les consignes, en Arts plastiques, appelle immédiatement un autre terme : contrainte, ce terme n'apparaît, dans le texte des Programmes (cité plus haut), qu'en Allemand, dans un emploi assez vague : "... tout en suscitant la production de faits de langue précis, au moyen d'une stimulation plus ou moins contraignante." Ce court extrait marque néanmoins une distinction essentielle pour la suite de notre débat : la consigne guide (les élèves, surtout en sixième, ont besoin d'être guidés par des consignes), la contrainte stimule. En Arts plastiques, les divergences d'acception portent simultanément sur les deux termes, consigne et contrainte, et par conséquent sur leur articulation.

Le débat en Arts plastiques

En Arts plastiques, comme ailleurs sans doute, la question des consignes est en débat depuis les années soixante-dix. Les idées ont évolué, se sont modifiées, amendées, contredites. Longtemps, les plus "avancés" sur la question évoquaient "les-consignes-et-les-contraintes" en un tout allant de soi, les autres n'en parlaient pas. Progressivement, quand les seconds commencèrent à dire "consignes-et-contraintes", les premiers annoncèrent : "consignes ou contraintes"... Il semblait bien qu'éternellement le fossé subsisterait.

Nuances ou différences ?

Actuellement, aux commentaires contradictoires des uns s'oppose la négation de l'existence même d'une question des troisièmes pour qui le débat ne serait qu'une querelle de "distinction". Ainsi, à propos des consignes, un texte de l'INRP postule :
" La consigne instruit de façon précise sur ce qui est à faire ; illustratrice d'un déjà connu, elle anticipe la tâche."

La portée de la consigne est expressément limitée à dicter un comportement, de façon forte ; la consigne place l'élève en position d'exécutant (La consigne instruit de façon précise sur ce qui est à faire ... ), les consignes sont du côté de l'application. En revanche, dans un rapport du CAPES interne elles sont des données qui balisent le travail de l'élève :
"... les consignes délimitent le cadre du travail (par exemple : les outils et les supports à utiliser, les matériaux à mettre en oeuvre, les opérations à effectuer... )".
Là, sans consignes, les élèves se trouveraient dans un bateau sans gouvernail et ne pourraient parvenir à bon port. On peut dès maintenant saisir à mi-mot que les perspectives pédagogiques et didactiques qui sous-tendent les deux textes sont sensiblement différentes. Nous y reviendrons.

Les contraintes obtiennent un consensus apparent sur son caractère stimulant, fécond. Mais, pour l'INRP :
"... la contrainte limite les possibles d'une production, mais reste féconde. Par deux points : d'une part, la prise en compte de la contrainte peut se faire dans des réponses hétérogènes, donc préserve dans le cours même, le caractère moteur de la variante. D'autre part, la contrainte rappelle que, si la production artistique est ouverte, elle n'est pas pour autant indéterminée."
dans le texte CAPES on pense que ...
"... la contrainte ouvre au questionnement en présentant aux élèves une difficulté à vaincre, un obstacle à surmonter, un objectif à atteindre : tout au long de leur production, elle les stimule dans leur recherche de solutions et rend leurs choix signifiants".

Ce dernier point de vue reprend en l'interprétant (mais en pensant peut-être le préciser), les termes du rapport de CAPES interne de 1988 qu'il ne cite que partiellement, le plus ancien texte publié abordant expressément cette question :
" De même, la multiplicité des consignes - largement décrites - n'est jamais pensée en terme de contrainte. Les consignes sont les instructions données sur ce qu'il y a à faire, alors que la contrainte, elle, va permettre de problématiser la tâche, c'est ce qui pour l'élève permet d'aborder le problème posé."

Ce qui n'apparaît pas dans le texte du CAPES 92, c'est que les contraintes devraient permettre l'émergence de la dimension artistique : ... proposer des contraintes aux élèves est dans la ligne d'une pratique artistique plus qu'user de consignes ... (INRP).

En fait, la différence essentielle entre le texte INRP et le texte CAPES porte moins sur l'effet général de la contrainte, qui est de stimuler, mais sur ses effets particuliers : dans un cas elle provoque "une question, une difficulté, un objectif à atteindre..." tandis que dans l'autre on insiste sur le caractère "hétérogène des réponses" obtenues. On le voit, ces quelques extraits de textes montrent qu'à travers la question des consignes et des contraintes de très diverses questions sont implicitement et diversement en jeux : dimension artistique, problème à résoudre, objectifs à atteindre, obstacle à surmonter, hétérogénéité des réponses, créativité peut-être ...


Consignes et contraintes, une définition ?

Propulsés dans le débat, les nouveaux enseignants ne demandent qu'à comprendre. Pourquoi ne pas commencer par définir les termes ? Que sont les consignes ? Que sont les contraintes ? Déterminer la pertinence d'user des consignes et/ou des contraintes suscite un embarras inauguré par une divergence d'interprétation : personne ne met tout à fait les mêmes significations dans les deux termes. Par exemple, les matériaux, les outils et les supports, lorsqu'ils sont indiqués dans le dispositif, à quelle catégorie appartiennent-ils : consigne ou contrainte ? Comment le déterminer ? Est-ce à cause de cette difficulté que dans la plupart des textes les exemples sont rares, et que l'on reste toujours un peu plus vague pour énoncer l'une ou l'autre catégorie ? Est-ce pour cette raison que des enseignants prétendent que les notions de consigne et de contrainte recouvrent une seule idée et liquident le débat d'un revers de main ?

Sans doute pour répondre à cette difficulté auprès des futurs enseignants, et leur éviter une trop grande incertitude, un document de travail de l'IUFM de Créteil, largement diffusé, proposait les définitions suivantes (nous en respectons la typographie):

"...Le MATÉRIEL (imposé sous forme de CONSIGNES ou proposé sous forme de SUGGESTIONS) : outils, matériaux, supports, documents ...

- Les CONTRAINTES, les exigences : ce qui, dans la demande de l'enseignant, suscite un QUESTIONNEMENT chez les élèves (problème à résoudre, but à atteindre, critères à respecter ..."

La moindre tentative de définition appliquée prête immédiatement le flan à la critique. Pourquoi, en effet, associer matériel et consignes ? Pourquoi associer contrainte et respect des critères ? Ne serait-on pas en droit de penser, par exemple, dans le cadre même de ces définitions, que le respect des critères soit plutôt le fait d'un respect des consignes ? Mais ce qui supposerait que les consignes ne soient pas seulement du côté du matériel ... Et l'incertitude de resurgir.

Le dispositif

Les indications sur les consignes et les contraintes sont, dans la plupart des textes, intégrée à la question du dispositif ; ils participent de sa définition. Pourtant, deux textes importants font figures d'exception : la définition de "dispositif" publiée dans le BO du 29/09/1988 n'emploie aucun des deux termes et le texte de l'INRP (cité en référence) lui, ne parle pas de dispositif. Cette double particularité (qu'il nous faudra reprendre plus loin), appelle immédiatement deux questions : consignes et contraintes sont-ils ou non des paramètres d'un dispositif, ou faut-il penser qu'elles ressortent d'un niveau plus général ? Et deuxièmement, peut-on se passer de l'un des termes, voire des deux ?

Tous les textes étudiés, malgré leurs différences, ont un point commun - ce qui, en terme de problématisation, constitue peut-être une anomalie et nous offre ainsi une entrée nouvelle pour la réflexion : aucun , aussi précis soit-il, n'indique explicitement un cadre théorique de référence, didactique et pédagogique. La discussion est systématiquement décontextualisée ou reste dans un non-dit général et approximatif. Cela s'explique-t-il par la volonté des uns de ne pas prendre le risque de modéliser le cours d'Arts plastiques (particulièrement dans les rapports) et d'entretenir une féconde incertitude (ce qui relève de l'illusion, les concours modélisent), ou par l'incertitude même quant au sens de ces notions ? Peut-on dire ce que sont des consignes, des contraintes et situer leur rôle, sans préciser dans quel type de pédagogie elles sont mises en oeuvre, sans préciser à quels modèles didactiques renvoient l'usage des consignes, des contraintes ? Nous pensons que non. Ces questions sont très intimement mêlées et demandent d'être traitées dans une approche globale. La décontextualisation est, selon nous, source de l'échec permanent à clarifier, dans un dispositif , ce qu'est une consigne, ce qu'est une contrainte et leur rôle réciproque. Aucune réponse ponctuelle à l'une de ces questions ne nous semble valide. Les notions de consigne et de contrainte véhiculent, en toile de fond, une philosophie de l'enseignement, une pratique pédagogique, une démarche didactique. Nous pourrions, à ce point de l'analyse, supposer que l'imprécision qui caractérise l'emploi de ces notions est le fait de la prudence des uns (le non-dit fréquent des textes de la discipline) et de l'errance des autres. Derrière le débat sur les consignes et les contraintes se joue une approche plus ou moins progressiste de la discipline.

Les sept familles

Contextualiser l'usage des consignes, des contraintes dans le débat spécifique des Arts plastiques, amène selon nous à répertorier les principales familles de cours pratiquées en Arts plastiques, "familles" assez cohérentes et distinctes pour être abstraites en sortes d'équations théoriques, en "modèles", ce qui n'est pas sans risques 8. Personne ne se reconnaîtra entièrement dans une "famille", chacun pourra les contester et prétendre se situer en marge ou à la croisée de différentes "familles" - le trop célèbre "flou artistique" étant ici d'usage. Tentons néanmoins de repérer quelques dominantes, en utilisant des formules sans doute imprécises et partisanes mais que nous espérons toutefois assez évocatrices. Dans les textes officiels, trois types de cours sont nommées : le cours usuel, le cours en situation d'autonomie et l'atelier de pratique artistique. La réalité est complexe ; le seul cours usuel qui nous occupe ici et qui représente la presque totalité de l'enseignement recouvre des réalités très diverses sous des formes apparentes parfois assez semblables, diversité sans doute plus importantes que ce qui était observé dans une étude ancienne de l'INRP. Voyons, comme un jeu, quelques familles.

La famille cours de dessin

" Le dessin libre est, à la vérité, une manière de composition semblable à la composition française, à cela près que les exigences du parler y sont remplacées par celles de la couleur et la forme. Comme la composition française donne l'habitude de la correction du langage, le dessin donne l'habitude d'un jugement visuel juste, avec une certaine adresse de la main ... Quel est donc le rôle du maître ? Il semble s'apparenter au rôle du jardinier qui se penche amoureusement sur ses semis, les excite à se développer par la lumière, l'eau, l'engrais, puis, voyant par où cloche l'un ou l'autre, repique, taille, met un tuteur jusqu'à ce que chacun ait donné le meilleur résultat."
La première famille de cours caractéristique est l'héritière du cours de dessin, tel qu'il était pratiqué dans les années d'après guerre. Il s'agissait d'une pédagogie démonstrative, explicative, dans laquelle les élèves étaient à modeler, les consignes, les conseils, les aides techniques sont nombreux (les tuteurs du professeur-jardinier). Cette situation se caractérise par des exercices. C'est fondamentalement un cours d'application et d'exécution. L'enseignement est centré sur le savoir et sur le maître, centré sur l'acquisition d'un savoir faire, de techniques et de modèles esthétiques plus ou moins avoués. Mais le Collège, l'École n'étant pas des académies, les travaux sont nécessairement plus simples, plus simplistes, dirons nous. Ainsi, pour comprendre (croyait-on) la peinture, fabriquait-on des cercles chromatiques, apprenait-on à faire des dégradés, échantillonnait-on parfois dans des cahiers, comme des leçons de choses, des contrastes de valeurs, des contrastes de couleurs (tons chauds/tons froids) et apprenait-on, à l'occasion, la "signification profonde" des couleurs : le rouge est colère, le bleu : mélancolie, le vert : espoir, sans souci d'ailleurs ni de cohérence ni de contradiction. On y éprouvait les techniques : crayon, plume, pinceau, en remplissant des surfaces décoratives, dans une progression partant des "bases", pour parvenir un jour à l'expression (qui n'est possible qu'en maîtrisant ces bases ... comme pour le maître). La charge, bien entendu plaisante, est excessive, mais qui prétendrait aujourd'hui travailler dans un tel dispositif ?

La famille Bauhaus

" D'après le manifeste initial du Bauhaus, la vraie source de l'imagination créatrice se trouve dans la compétence technique, qui ne peut s'acquérir que par la pratique."
Directement issues de cette tradition mais se réclamant d'une rupture, se développent, à la fin des années soixante, de nouvelles formes d'enseignement qui, en revanche, perdurent. Les références artistiques changent - on passe des modèles académiques à Matisse, Mondrian, Klee, Kandinsky et surtout au Bauhaus - Elles restent cependant toutes fondées sur le principe des apprentissages progressifs, fragmentés, mais mâtinées de créativité, d'expérimentation et utilisant un champs élargi de références (comme dans le mythe de l'Art total, du Bauhaus en particulier) : publicité, bande dessinée, images de toutes sortes, environnement visuel, design, artisanat, architecture, cinéma, théâtre, etc. L'apprentissage pas à pas est toujours de rigueur mais les perspectives sont nouvelles : c'est la formation de l'homme nouveau par l'art. L'aspect nouveau des travaux réalisés par les élèves qui semblent plus "modernes", le comportement des enseignants, plus "démocratique" peuvent donner le sentiment d'une révolution. Le "Point, ligne, plan" remplace les plâtres, les leçons d'Alberts "scientifisent" le travail sur la couleur.

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Patrick Ducler Inspecteur d'académie, Inspecteur pédagogique régional (1996 -2015)

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