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la médiation de l'art contemporain (Pierre Saïet)

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Une interrogation sur le couple artiste/enseignant, sur la médiation de l'art contemporain dans le système éducatif français.

Les 2 et 3 Mars 2000, la Galerie Nationale du Jeu de Paume organisait un colloque sur le thème de la rencontre enseignement / médiation.  Pierre Saïet, IA IPR d'Arts plastiques participait à la table ronde du Vendredi 3 Mars, sous la direction de Michel Baudson. Il nous propose ici le texte de son intervention.

La production artistique d'Anita et Irène, élèves inscrites à l'Atelier d'arts plastiques du collège Chemin Vert de Caen entre 1996 et 1998, illustrait le propos.  

J'interviens ici en tant qu'Inspecteur Pédagogique Régional chargé, dans l'Académie de CAEN, du suivi de 3 enseignements : Arts plastiques, Cinéma-audiovisuel, Histoire des arts. Mon champ de compétence est celui de l'enseignement secondaire des premier et second cycles. Les arts plastiques et l'éducation musicale sont également présents à l'école primaire mais ce secteur ne relève pas de mes attributions, même si des liens existent entre les deux niveaux d'enseignement.

Ma contribution sera centrée sur les arts plastiques et s'appuiera sur un témoignage concret, visuel, à partir duquel je dégagerai une réflexion portant sur 4 points :

  - une interrogation : l'espace de la classe est-il encore le lieu d'exercices normalisés?

  - un postulat : l'enseignant est un médiateur

  - une hypothèse : la rencontre de l'artiste et de l'enseignant constitue, en soi, une médiation

  - un constat : l'art contemporain est au centre de la didactique des arts plastiques

 

L'ensemble des documents que vous allez voir s'inscrit comme une réponse possible -peut-être un démenti- à une accusation courante, celle d'un dogmatisme de l'enseignement artistique en France. Par ailleurs, il est  fréquent de lire -y compris dans des ouvrages récents-  que l'espace de la classe est le lieu d'exercices normalisés, peu propice à une réelle sensibilisation à l'art. Curieusement, ces deux assertions se contredisent : d'un côté on reproche le sectarisme d'une didactique pure et dure, de l'autre un rituel pédagogique de type traditionnel.

Voyons de plus près ce qu'il en est vraiment :  

 - je dois préciser le contexte : un Atelier de Pratique Artistique dans un collège de ZEP urbaine (Zone d'Education Prioritaire, c'est à dire dans un environnement social défavorisé où le taux d'échec scolaire est important et va de pair avec une relative délinquance).  

projection de transparents

Le travail d'Anita et d'Irène s'est déroulé entre Septembre 96 et Mai 98, durant leur scolarité en classes de 4ème et de 3ème, donc entre 14 et 15 ans.

Rappelons qu'il s'agit ici d'un Atelier de pratique artistique optionnel qui s'ajoute à l'enseignement obligatoire. On pourrait objecter que ce dispositif reste relativement rare (quoique plus d'un tiers des collèges français en possède au moins un) et que l'activité qui s'y déroule se distingue nettement du cours usuel. Or, l'autonomie de jugement, de décision et de pratique qu'ont acquise ces élèves n'a pu naître toute seule. Si la pédagogie globale de l'enseignant était celle de l'imposition, de l'exercice, du dogmatisme esthétique, il est bien évident que nous ne verrions pas éclore ce type de travail au sein d'un Atelier de pratique artistique, avec des élèves qui, répétons-le, sont aussi éloignés que possible d'une fréquentation des institutions culturelles, hormis celles que leur propose l'Ecole.

Ici, me semble-t-il, le professeur a un rôle qui transcende celui de dispensateur de savoirs et de savoir-faire : être à l'écoute d'un projet  (encore hésitant et balbutiant) qui émane réellement des élèves, leur apporter les éléments de réflexion qui vont structurer la démarche, offrir l'espace de réalisation et de présentation qu'elle requiert, les aider enfin à atteindre la phase de verbalisation, c'est à dire l'auto-évaluation qui va leur permettre d'en prendre conscience en se saisissant du vocabulaire adéquat pour communiquer aux autres le fruit de leur découverte.

On observera que la référence artistique n'a pas été imposée ni même introduite comme élément de recherche, moins encore comme focalisation mais qu'elle s'est dégagée tout naturellement de la pratique des deux élèves, qui n'ont pris connaissance de l'œuvre de Boltanski qu'au terme de leur travail.

Par la souplesse - je dirai même la délicatesse- qui consiste à privilégier la proposition, l'interrogation, l'invention de situations ouvertes, la rencontre avec l'œuvre sans a priori ni rejet, l'enseignant m'apparaît ici, et de surcroît, comme un médiateur.
 
la rencontre artiste/enseignant est en soi une médiation

L'atelier, cette année-là, pour des raisons circonstancielles, a fonctionné sans artiste-intervenant, à l'inverse d'autres années. Cette alternance n'est d'ailleurs pas sans intérêt; elle permet d'éviter l'accord de principe ou d'habitude, lequel ne vaut pas mieux que le rituel pédagogique proprement dit.

Cette rencontre des deux partenaires ne va pas de soi. Elle suppose que s'établisse une articulation fine entre la pratique personnelle de l'artiste et le concept d'autonomie que le professeur souhaite faire prévaloir dans la situation d'atelier.

On a si souvent parlé de la difficile conciliation entre la pratique d'artiste et la pratique d'enseignant, qui obéiraient à des logiques antinomiques, que je n'y reviendrai que brièvement, par deux remarques : depuis plus de 10 ans qu'existe ce type de dispositif, on peut dire que s'il y avait réellement incompatibilité nous n'envisagerions pas aujourd'hui un si fort développement du partenariat.

Toutefois, dès 1989, l'Inspection générale des arts plastiques avait proposé d'affiner cette relation en termes de compétences spécifiques : celle de l'artiste, restreinte car spécialisée dans une branche ou même dans une voie particulière (et c'est ce qui en fait tout l'intérêt), et celle de l'enseignant, double car portant à la fois sur la matière à enseigner à un public très hétérogène et sur les savoirs propres au champ de référence (celui-là même qui est apporté par l'art vivant), qu'il doit reconstruire à l'usage des élèves.

Remarquons par ailleurs qu'une pratique d'artiste n'est pas toujours transmissible par un discours auquel peut se refuser son auteur. Pour l'artiste, il n'est pas aisé, devant un public d'élèves, de mettre en jeu les questions, les doutes, l'évolution qui habitent sa pratique. C'est à tort que l'on accorde à l'immédiateté de l'exemple (celui de la présence physique de l'oeuvre) une magie opérante. Ce que l'on constate parfois est plutôt, hélas, un effet de nivellement, les élèves pouvant devenir les imitateurs dociles de la pratique d'artiste, toujours singulière et donc fascinante.

Si j'avançais l'hypothèse que la complémentarité artiste/enseignant est en soi une médiation , c'est qu'un chemin est à tracer pour qu'elle trouve du sens . Il est sans doute utile que chacun des partenaires revisite ses représentations : celles que l'artiste a de l'école se fondent sur de lointains souvenirs scolaires, pas toujours positifs. Il lui arrive d'ignorer -et de découvrir- que l'enseignement, lui aussi, a évolué. D'autre part, il faut savoir que la plupart des professeurs d'Arts plastiques entretiennent une pratique personnelle (publique ou privée) qu'ils ne livrent pas aux élèves comme objet d'étude, par déontologie et par souci élémentaire d'éviter la contagion modélisante. Ceci peut enrichir ou au contraire rendre plus complexe la relation.

C'est donc la rencontre de deux types de compétences, de deux points de vue et, au delà, de deux pratiques sociales : l'une s'exerçant au quotidien, sur la durée, l'autre s'affirmant dans la singularité, l'épisodique mais aussi par la présence corporelle indispensable de l'œuvre se faisant.

l'art contemporain au cœur de la didactique des arts plastiques

On a coutume de parler des disciplines d'enseignement comme de territoires compartimentés, cloisonnés, enfermés. Récemment, la doyenne de l'Inspection générale de Philosophie défendait au contraire l'idée qu'une discipline est un regard sur le monde, un regard qui le structure.

Le monde auquel se réfère l'enseignement des Arts plastiques est celui de l'art, tout particulièrement celui du XX° siècle. Dans les classes, tous les jours sont convoquées les images des œuvres, soit sous la forme traditionnelle de la reproduction papier, soit au moyen des nouvelles technologies, mais aussi les œuvres elles-mêmes grâce aux réseaux de galeries ou d'espaces d'exposition crées prioritairement dans les établissements éloignés des centres d'art ou des musées.

Mais nous savons que la seule référence à l'œuvre ou même le commentaire qui la situe et l'explique ne suffisent pas, s'ils ne sont portés par une pratique qui en intègre le geste, la matérialité et le questionnement critique. Aussi la didactique des arts plastiques se fonde-t-elle sur l'articulation pratique/théorie. Qu'est-ce que cela signifie? le sacrifice d'un discours préalable, annonciatif et prescriptif de l'enseignant; la mise au travail immédiate à partir d'une incitation captivante, porteuse d'une question relevant du champ artistique. Puis, une fois la chose faite, si le comportement des élèves est de type exploratoire (ce que permet ce dispositif), il s'agit de situer le statut de l'objet produit, son sens et  sa valeur, de s'interroger sur ce qui est advenu sans l'enfermer dans une signification unique et globalisante.

Notons que cette incertitude par rapport à la chose faite n'exclut nullement la satisfaction (G.PELISSIER). Elle retrouve cependant, rejoint et questionne les problématiques de l'art. Ainsi s'inscrit-elle dans le champ de l'interprétation. Comme l'écrit Nathalie HEINICH : l'interprétation est un instrument fondamental de l'intégration artistique : interpréter, c'est donner une prise, tout en justifiant l'interêt que l'on porte à l'objet.

Bien entendu, cette place centrale qu'occupe l'art contemporain dans l'enseignement des Arts plastiques n'est pas exclusive. L'art du passé n'en est pas absent; il s'y trouve au contraire éclairé par la dialectique rupture/continuité  qui prévaut dans les années charnière du début du XXe

Encore faut-il préciser qu'en parlant de didactique de l'art contemporain dans notre enseignement, il ne s'agit pas d'amalgamer tout type d'objet dans des notions indifférenciées. Chaque forme d'art doit s'approcher par des moyens, des questions et des notions qui lui sont propres sous peine de voir les élèves, privés d'historicité, répondre indifféremment à la demande et ne produire qu'un attendu contemporain, ce qui serait là, en effet, le plus inquiétant des conformismes.

C'est pourquoi Gilbert PELISSIER remarquait, en 1994: L'oeuvre significative d'une époque passée peut être sollicitée directement, immédiatement, sans restriction... L'idée à retenir est la permanence à établir entre oeuvre d'élève et oeuvre d'art de référence. Si des élèves viennent de réaliser un collage ou un assemblage avec divers matériaux ou menus objets, il paraît plus évident de faire appel à quelques oeuvres d'un artiste tel que Kurt Schwitters, par exemple, qu'à celles de Giorgione ou de Botticelli (encore que tout soit à examiner cas par cas)     

Il reste que la question de la médiation de l'art contemporain est une question complexe et massive, qu'on l'aborde sous l'angle du culturel, sous celui du social ou, comme je viens de l'ébaucher, dans le cadre du système éducatif français.

Mais on aura compris aisément  que je ne puisse entendre sans frémir les affirmations, venues d'un bord ou de l'autre, suivant lesquelles la solution se situerait dans une déscolarisation ou une dé-pédagogisation de l'art.   références bibliographiques

MATHIEU (Hélène), L'éducation artistique en question in L'observatoire des politiques culturelles , N°13, Automne-Hiver 1999.

PELISSIER (Gilbert), L'artistique : arts plastiques, art et enseignement, in Actes du colloque de Saint-Denis , mars 1994, CNDP, Centre régional de documentation pédagogique de l'Académie de Créteil, 1997, p 19-37.

PELISSIER (Gilbert), Le devenir de l'enseignement des arts plastiques : la question de la didactique in BRIGAUDIOT (J.P) Approches d'une discipline : les arts plastiques. CAPES et agrégation externes et internes.  Vanves, Ministère de l'Education nationale, CNED,1996.

PUJAS (Philippe), UNGARO (Jean), avec la participation de Karelle MENINE, Une éducation artistique pour tous ?,  Editions ERES, Collection Policultures, Ramonville Saint-Agne, 1999.

RIGAUD (Jacques), Pour une refondation de la politique culturelle , La Documentation française, Paris, 1996.

 

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