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didactique

les fèves (Patrick Ducler)

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Un travail sur la question de la ressemblance avec des élèves de sixième. La place de l'observation, de la rêverie et du savoir-faire.

Des choses, des taches, des masses, des volumes, des contours [.] qui n'ont guère d'autre propriétés que d'occuper une région de l'espace. Dire que ce sont des choses informes, c'est dire, non qu'elles n'ont point de formes, mais que leurs formes ne trouvent en nous rien qui permette de les remplacer par un acte de tracement ou de connaissance nets.

Paul Valéry (Degas danse dessin - Gallimard, 1938 - Paris)


Ce document expose de quelle manière une leçon d'arts plastiques portant sur la ressemblance, pour des élèves de sixième,  conçue à partir des intuitions premières puis des analyses de l'enseignant s'est progressivement construite (et transformée) lors des expérimentations directes avec les élèves, au vu de leurs productions et à l'étude de leurs propos lors des verbalisations collectives et d'entretiens individuels ou d'équipes.

sujet(s)


sujetLes figurines en faïence sont devenues, en très peu d'années, les nouvelles fèves de nos galettes des rois. Il n'est guère de famille qui, pour l'Épiphanie, n'en ait au moins trouvé une. Souvent, elles font l'objet d'un soin attentif et sont précieusement collectionnées, échangées. Certains boulangers en vendent parfois sans les galettes pour subvenir aux besoins d'une collection suscitée mais impossible à satisfaire! Bref, elles intéressent. Cela justifie, a priori, l'idée d'en tirer un parti. Mais lequel ?

 

De petite taille, en faïence, brillantes, peintes à la main (sommairement), de forme indécise, sont les fèves qui retinrent mon attention parmi la cinquantaine récoltée auprès des élèves. Ces petites figurines familières mais incertaines, aux limites insaisissables, fuyantes, semblaient réclamer un autre avenir.

 

Leurs attitudes, fréquemment hiératiques, évoquaient une statuaire  primitive. Suivait alors, mentalement, un dispositif exceptionnel : peinture, fusain, pastel, papiers divers, colle, le tout à volonté ; les travaux atteindraient au moins un mètre de hauteur, plus si possible. Elles pourraient devenir l'enjeu d'un travail sur le monumental.

A moins qu'ayant fait de nous des ogres généreux - ne prennent-elles pas vie dans la bouche du mangeur de galette - elles deviennent les héros et les héroïnes d'un univers démesuré, fabuleux ? Elles susciteraient un travail sur l'espace onirique. Des matériaux de toutes sortes, les plus hétéroclites seraient disponibles ; seuls ou en équipes, les élèves inventeraient des univers démesurément minuscules.

Ou encore, elles inaugureraient très logiquement le début d'un travail sur la collection. Du déjà beaucoup vu en Primaire ? Qu'importe ! Nous inventerions des collections inédites pour dénombrer, comparer, échantillonner, classer, ranger. Un travail sur le Musée personnel.

Le professeur se prenait à rêver les situations et les productions.  

proposition

  A trop anticiper les productions, les situations imaginées ne risquaient-elles pas de tourner au "thème", voire au "sujet" ? Les fèves n'étaient-elles pas suffisamment motivantes pour qu'il faille inventer un scénario ? Pourquoi faudrait-il compliquer la demande et la mise en scène alors que l'élément initial, la fève, paraissait si riche de potentialités ? Finalement, je leur demanderai simplement de les dessiner !  Ce sera une simple leçon de dessin. ainsi formulée :

"Représentez la fève. La représentation doit être la plus ressemblante possible. Tous moyens possibles".

Le dessin à vue - croquis, étude, dessin d'observation - pilier du cours de dessin, finalité de plusieurs années d'un apprentissage souvent âpre, avait été, à juste titre, destitué du piédestal sur lequel l'avait porté l'enseignement académique. Le souci de restituer aux autres spécialités des arts plastiques, dans les années soixante, la place qui leur était due, la mise en place de nouvelles méthodes d'enseignement et de nouvelles perspectives sur les fonctions et les contenus de la discipline Arts plastiques avaient quelquefois débouché sur une situation inversée. On ne dessinait plus.
Aujourd'hui, si la pratique du dessin existe toujours (dessin d'expression et dessin formaliste), le dessin d'observation, injustement mais encore souvent confondu avec l'académisme - et avec lui toutes les valeurs conservatrices qui lui sont attachées, techniques ou esthétiques - est assez peu pratiqué. Dans ce contexte, donner un objet à dessiner à des élèves de sixième, sans autre forme de procès, est une idée presque neuve que la fève rend attrayante.

ressemblance

"La perception est en apparence une intuition immédiate. L'esprit semble passif, alors qu'il est actif. Le côté actif de la perception, l'esprit n'en a généralement pas conscience. Il y a cependant des cas dans lesquels le caractère actif de la perception apparaît distinctement, c'est lorsque l'esprit cherche à voir ou à entendre ; mais, quand il voit ou entend, le côté actif disparaît."


La ressemblance - il conviendrait de dire : la relation de ressemblance - a fait l'objet de leçons précédentes ; si elle n'est plus la question principale elle reste néanmoins au centre de la proposition, comme une clef.  La quête de la ressemblance est la condition qui, associée à la petitesse de la fève, à son imprécision morphologique, à son indécision formelle, devrait forcer le regard, rendre plus active la perception : les élèves devront attentivement scruter cet objet aux limites incertaines. Le regard sera dense, concentré et l'acte de regarder particulièrement éprouvé.

D'autre part, produire la ressemblance n'impliquera-t-il pas d'identifier les formes pour les comprendre, c'est-à-dire être capable de nommer pour voir, ne devront-ils pas  connaître pour reconnaître ?  Tout cela devrait entraîner de la résistance : comment dessiner des choses incertaines, presque insaisissables ?

L'hypothèse initiale est que les élèves de sixième ont des habitudes et des savoirs (aussi bien par l'usage du regard que dans la pratique du dessin) qui feront particulièrement obstacle à (re)produire de l'indécis, de l'informe ; les élèves aiment plus généralement la précision, la chose nette. Simultanément, dans cette opération, seront pris au dépourvu le regard (difficile à poser) et le dessin (délicat à délimiter), le second rendant acte du premier, vérifiant la difficulté première.

Étant donnée la simplicité de la proposition adressée aux élèves, il était permis de penser, à ce moment de la préparation du cours, que les difficultés qu'ils affronteraient seraient, elles aussi, assez simples à identifier. Les unes seraient pour l'essentiel  dues au manque de dextérité et d'expérience en dessin d'observation, à une faible maîtrise des procédures, c'est-à-dire une absence de métier parfaitement compréhensible à leur age et les autres à l'objet lui-même, fuyant, résistant à toute circonscription. Un tel travail déboucherait sur la question du dessin linéaire, des limites.. Nous pourrions montrer, en contre exemple, des dessins de Seurat.

reconnaissance

"Cette opposition visage-portrait rejoint peut-être celle qu'établit Jean-Luc Marion en opposant idole et icône. L'idole, comme le portrait conduirait du visible au visible par ressemblance, et l'icône comme le visage du visible à l'invisible par reconnaissance. . le visage est donc ce qui nous échappe, ce qui ne se réduit pas à l'entendement." 

Le 3 mai, dans une classe de sixième, des fèves (santons) toutes différentes sont distribuées au hasard, une pour deux ou trois élèves afin de faciliter les comparaisons

La satisfaction (produite par les fèves, comme prévu) se teinte d'inquiétude : ça va être dur ! La mise au travail est immédiate, des questions fusent. Aucune indication complémentaire n'est cependant donnée. Quelques instants après le début du cours, passé le premier événement que constitue la découverte de la leçon, les élèves s'affairent, discutent, échangent parfois.

Les fèves passent de mains en mains dans les petits groupes; des compromis sont recherchés pour trouver la meilleure position de la fève pour chacun. Elles sont parfois installées très spécifiquement , illustrant sans le savoir la question pressentie de la monumentalité.Ce qui surgit dès cette première mise en ouvre de la proposition, (qui n'était pas assez fortement inclus dans l'hypothèse première) c'est la force de la relation affective qui lie les élèves à la fève, ou plus justement, à un personnage imaginaire que figure la fève.
Plus tard, en fin de séance, l'entretien collectif (annexe, 6e B) permet de mieux comprendre que les représentations affectives des élèves, la rêverie, priment chronologiquement, sur l'analyse des moyens conceptuels et pratiques de représentation, particulièrement des volumes et des limites. Cet ordre de priorité a des conséquences un peu inattendues : l'articulation entre l'objet et le dessin transite par des représentations narratives très impliquantes (la fève doit faire face, elle est assimilée à un être humain qui les regarde) .  Ainsi, s'intercale entre la chose perçue et la chose dessinée, la chose rêvée, la chose associée pour former la chose vue. Le dessin devient alors une interprétation plus ou moins  approchée de la chose vue, c'est-à-dire de cette relation imaginaire, de ces regards croisés. Au delà des incertitudes et des incompétences graphiques, les dessins en portent plus ou moins les indices essentiels.

Parmi les figurines, celles qui provoquent les plus grandes hésitations et parfois les impossibilités de dessiner, sont des animaux. pour lesquels les obstacles sont de deux sortes : elles résistent à toute représentation de face parce que le corps (de la vache, par exemple) devient très difficile à représenter "derrière la tête" et que, vue de face, "elle est sans visage". ( "Une vache, ça n'a pas de visage !"). Les deux événements sont, bien entendu, intimement mêlés.
 

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Patrick Ducler est Inspecteur d'académie, Inspecteur pédagogique régional

arts plastiques - InSitu - Rectorat de l'Académie de Nantes