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analyse de séquence - 4

mis à jour le 20/03/2021


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Extrait de Ready Player One de Steven Spielberg : l'hôtel Overlook.

mots clés : analyse, film de bac



Ready Player One
, est un film américain de science-fiction coproduit et réalisé par Steven Spielberg en 2018. Il est le fruit d’une adaptation du roman Player One d'Ernest Cline, paru en 2011.
Dans un futur proche, en 2045, le monde devenu en majorité très pauvre s’est plongé dans un univers de réalité virtuelle : l’Oasis. Un jeu dans lequel son créateur James Halliday, avant de mourir, a caché un oeuf de pâque. En promettant de léguer son immense fortune à qui retrouvera en premier l’easter egg, cet excentrique a lancé une compétition planétaire qui depuis cinq ans n’a trouvé aucun vainqueur. C’est alors que le jeune Wade Watts grâce à son avatar Parzival, comme la plupart de ses compatriotes se lance à la chasse au trésor. Il doit trouver pour cela trois clés qui le mèneront à l’easter egg. Pour cela il se fera aider dans sa quête par quelques-uns de ses « amis » virtuels.

La séquence analysée se trouve au milieu du film, de 1:02:10 à 1:07:35. Une première clé a déjà été trouvée par Parzival. Alors même que l’on vient d’assister dans les scènes précédentes à la première rencontre dans le monde réel entre Samantha (allias Art3mis dans le virtuel) et Wade, celle-ci nous plonge de nouveau rapidement dans une séquence articulée entre réel et virtuel. Dans cette séquence Spielberg déploie toute une batterie d’effets, de va et vient entre réel et virtuel, entre vrai et faux, et de références à la pop culture. Mais au lieu d’un clin d’oeil rapide à cette pop culture comme il le fait tout au long du film, cette fois, il se réapproprie des scènes du film Shining de Stanley Kubrick dont il fait une adaptation ludique pour le spectateur avisé. Spielberg ici particulièrement, met en scène un dialogue interactif avec le public, via une mise en scène élaborée où le « grand » cinéma prend place via le « remake » de Shining. Il semble dépoussiérer une certaine écriture du cinéma. Une analyse linéaire de cet extrait va permettre de le confirmer.

 

Le spectateur vient donc d’assister à la première rencontre dans le monde réel entre Samantha et Wade. Mais cette fausse tranquillité va vite être interrompue dans la séquence présentée.

 

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Dans ce premier plan rapproché épaule, Samantha et Wade assis côte à côte sur un banc semblent se rapprocher l’un de l’autre afin de s’échanger un premier baiser. Samantha, de face, regarde Wade qui lui est de profil. On prête donc attention davantage aux émotions de Samantha. On voit son regard changer qui va amorcer sa réplique : « Putain ». Cette scène bouleverse la première perception de ce qui aurait dû se passer. Alors que l’on pouvait s’attendre à l’échange du baiser car tous les codes du teen movie étaient présents, ce gros mot jeté à la figure de Wade vient rompre le calme installé depuis le début de la séquence. La scène du baiser (tant attendu par le jeune spectateur) n’aura pas lieu. Samantha vient de comprendre comment trouver le second indice et amorce son départ en se levant. Cette rupture du rythme calme qui va devenir plus soutenu est appuyée par la musique et les quelques notes plus fortes. Cette scène fera écho à l’indice à trouver pour obtenir la seconde clé : « Le pas que Halliday n’a pas franchi avec Kira ». Dans un raccord mouvement le second plan moyen prolonge cet effet de rythme car Samantha qui s’est levée rapidement pour sortir du cadre vers la gauche laisse Wade seul encore quelques instants dans le monde réel. Monde réel toujours accentué par la présence de la nature et de la lumière naturelle.

 

La musique accentue la tension et permet le raccord son des plans qui nous plonge de nouveau dans l’immeuble. Dans le décor où se trouve Samantha et son homme de main en plan moyen, on assiste à la mise en place de la tenue qui annonce le départ pour le monde virtuel. Il n’y a plus de lumière naturelle, plus aucune lumière du jour. Les différentes sources lumineuses additionnelles, (éclairages de cinéma mais aussi néons ou fenêtres calfeutrées), d’assez basse intensité sont réparties dans l’espace scénique. Ceci donne une atmosphère au lieu hors du temps. La colorimétrie dans les nuances de jaune et marron réalisée en post production a permis de créer cet espace mal défini et suffoquant (virtuel, passé, lieu sale et pauvre, ancien lieu industriel aujourd’hui désaffecté), en opposition complète avec la scène d’avant sur le toit où l’on avait l’impression de respirer (clair, lumineux, haut en couleurs et vue sur le ciel). Le léger travelling avant vers Samantha entrecoupé de plans sur Wade qui arrive de l’extérieur permet d’augmenter le rythme de la scène. S’ensuit une série de champ contre-champ puis de cadres en axes opposés afin d’installer le dialogue entre les deux protagonistes. Ils finiront par se retrouver sur le même plan rapproché pour se donner la réplique.










 

Alors que Wade s’approche de Samantha tout en échangeant sur l’indice, il comprend où Samantha veut l’emmener : « Là où Halliday n’a pas franchi le pas ». Réplique qui comme on l’a vu a été déclenchée par la scène précédente et qui semble faire écho chez Wade. Dans son léger regard porté hors champ comme vers un souvenir proche, le spectateur peut presque sentir le regret qu’il n’ait pas lui aussi franchi le pas quelques instants plus tôt. Wade tout en lançant le lieu de leur destination « au cinéma » se voit recevoir sa combinaison qui arrive comme par miracle du hors champ. Sa combinaison qu’il reçoit bruyamment le sort de son « souvenir » et l’envoie directement au prochain plan mais lui virtuel. Le rythme de la musique et des sons diégétiques rythme le montage. Les coupes se font en fonction de la musique qui accompagne toute la scène jusqu’à l’arrivée des deux protagonistes et de leurs amis au plan suivant.





Un plan assez long installe la prochaine énigme comme dans le début d’un jeu vidéo. Parzival, Art3mis, Aech, Daito et Sho (leurs trois amis virtuels) arrivent en courant vers le conservateur des archives de Halliday qui est au premier plan dans le cadre et de dos. La caméra « virtuelle » effectue un mouvement complexe doux et assez long (façon steadicam ou Louma) : travelling vertical puis un recul pour installer tous les protagonistes, puis horizontal et enfin de nouveau se rapproche du dos du conservateur pour s’arrêter sur un plan rapproché épaule sur Wade qui lève les yeux vers le hors champ en haut du cadre. Grâce à cette longueur du plan, Wade peut annoncer ce qu’il cherche : « les films vus par Halliday la semaine du rencard ». On ne peut s’empêcher alors de penser dans cette scène à la position du conservateur en regard de la mise en scène de ce passage. Le conservateur ne serait-il pas Spielberg qui, comme on le sait, a intégré l’espace virtuel afin de diriger ses acteurs pour être au plus juste des déplacements et des mouvements de chacun ?
Suite à ce raccord regard de Wade, l’autre plan surgit. Ce plan encore assez long semble réalisé à la louma et se déplacer dans le virtuel comme dans une scène réalisée en réel. La simul cam permet de simuler les mouvements de caméra réels. Nous sommes un peu perdus entre effets réalisés en post production et ceux réalisés en prise directe : mélange de la motion capture, prise de vue réelle, animation par ordinateur. Ici semble se déployer toutes les prouesses techniques que Spielberg a développées pour ce film. Là, un « ciel étoilé » de jaquettes de films se met à tourbillonner comme dans une métaphore de ce qu’il nous reste en mémoire. Un nombre incalculable de films scintillent dans le ciel et descendent jusque sous les regards de Wade et Art3mis qui peuvent en lire les titres. Cette scène illustre la passion de Halliday pour le cinéma et certainement l’héritage transmis à Spielberg par celui-ci. Spielberg, via Parzival et Art3mis, dans les répliques suivantes donnent le ton et leurs avis sur certains films : Remake de La Mouche sorti en 1986, Un Monde pour nous (1989). Il ne faut pas perdre de vue que ce film se déroule en 2045 et que Halliday a vu ces films en 2025. Donc, on peut facilement imaginer que les supports de films VHS sont largement dépassés dans ce futur proche. Pourtant c’est le choix de Spielberg de faire défiler sous nos yeux ces accessoires vintages. Ces titres sont encore comme des clés de lectures possibles du film, non à percevoir uniquement comme un blockbuster, mais comme un jeu destiné au spectateur averti, qui doit lui aussi, chercher les clés et avancer en même temps que Wade. La caméra s’approche des deux protagonistes pour permettre la réplique sur l’indice, « Une création que son créateur renie », et faire apparaître en même temps qu’un son étrange, la jaquette du film Shining de Stanley Kubrick réalisé en 1980. C’est cette apparition qui fait basculer de nouveau du virtuel au réel.

 


















On retrouve dans l’immeuble (réel), grâce au raccord mouvement de la main, Wade en plan rapproché poitrine, habillé de sa combinaison et de son casque de réalité virtuelle pour attraper la jaquette. S’ensuit un échange via différents plans, entre lui et Samantha, sur le film Shining. Il faut savoir que Stephen King, l’auteur du livre Shining, détestait effectivement l’adaptation de Stanley Kubrick. Ce moment, presque intime, ne durera que quelques instants, car Aech les sort de la réalité pour les ramener dans le jeu. Peut-être encore une critique déguisée du virtuel qui coupe les joueurs de toute possibilité d’échanges réels. Wade, Samantha, (du moins leurs avatars), et leurs amis, décident de se rendre dans le film Shining malgré la mise en garde du conservateur.
Via une espèce de plateforme circulaire faisant écho à la soucoupe volante de Rencontres du 3e type de Spielberg, 1977, (film lui aussi discrédité par son scénariste Paul Schrader), les joueurs débarquent dans un autre niveau du jeu symbolisé par cette descente ; processus aussi de déplacement des gamers dans des espaces différents emprunté aux jeux vidéo. L’arrivée (l’atterrissage) des joueurs se fait devant l’entrée spectaculaire du cinéma nommé The Overlook en même temps que la musique du générique de Shining débute faisant monter la tension. The Overlook, nom de l’hôtel où se passe le film Shining de Stanley Kubrick, est mis en avant comme encore une énigme à résoudre ; promesse d’une séquence d’horreur ? (A l’affiche donc, placardé sur tous les murs, le fameux Shining).
Nous sommes dans un plan séquence, demi-ensemble, qui nous amène de l’extérieur à l’intérieur du cinéma. D’abord en point de vue assez bas, presque à échelle de regard d’un enfant, puis plus on avance avec le groupe, plus on prend de la hauteur. Aech s’écarte, et nous (le spectateur/joueur) tient la porte pour nous permettre d’entrer avec les autres que nous finissons par survoler. Dans cette scène, comme dans un jeu vidéo, le spectateur semble tout d’abord prendre place auprès des autres joueurs. Puis finit par reprendre sa place de spectateur dans un champ contre champ au fond de la salle de réception de l’hôtel Overlook, ainsi permettant de voir descendre l’équipe de joueurs au complet.

 

Dans les plans suivants de ce « remake » assez jubilatoire, Spielberg s’est permis non pas d’adapter seulement des passages du film mais d’en tirer/voire recréer quelques scènes des plus mémorables et effrayantes d’un de ses films cultes. Tout y sera où presque : les scènes de la machine à écrire, la balle, les petites filles, l’ascenseur et le sang qui en surgit, la chambre 237… « Chercher l’erreur » pourrait être le titre de ce niveau. Ce film est un film à part entière où Spielberg a pris la liberté de tirer parti de certaines scènes et de les remonter dans l’ordre qui lui plaît. Ici, encore une fois, s’affiche son pouvoir dans l’industrie cinématographique. Il a non seulement réussi à négocier les droits pour faire cette séquence, mais il a également récupéré certaines images du film.
Il est difficile de savoir parfois au premier regard ce qui dans toute cette séquence tient du virtuel et du réel, du vrai et du faux, du monde des apparences ou de l’être profond. Dans les répliques échangées entre Daito et Sho sur le film Shining, on peut comprendre que l’un n’a pas vu le film et l’autre uniquement en se cachant les yeux tellement il a eu peur. A la première lecture de cet échange, il est question de différence des publics. Mais on peut vite comprendre, que derrière ces avatars (construits sur les fantasmes de ce que chacun aimerait être) se cache des humains et de la chair, eux bien réels. En cela, on peut imaginer que Spielberg désire montrer, que malgré l’image que ces joueurs
se sont construit via leurs avatars, leur personnalité reste intacte. C’est la clé de lecture d’un possible va et vient encore réel et virtuel.
Donc, comme un joueur, le spectateur peut s’abandonner à trouver ici et là ce qui a été modifié ou non dans les scènes du film réalisé par Stanley Kubrick. Mais comment Spielberg s’y est-il pris ? Il est parti des photogrammes du film original. Et il a utilisé des nouvelles technologies de pointes en matière de cinéma et de jeu vidéo via ses diverses entreprises liées au cinéma alliant ainsi comme dans d’autres passages du film, images réelles et virtuelles, décors réels et virtuels ; sans oublier la performance capture, (système encore plus élaboré que la motion capture), pour faire évoluer ses acteurs « virtuels » dans les espaces recréés de toute pièce. Alors que l’on pourrait imaginer que le film soit réalisé tout en animation 3D, Spielberg s’attache à faire « vrai » en permettant de donner un supplément de vie à ses acteurs grâce à toute cette nouvelle technologie.
Parfois nous sommes immergés dans les scènes comme pourrait l’être un gamer. A d’autres moments, nous reprenons notre place de spectateur, comme dans la scène du sang qui surgit de l’ascenseur où Aech, (et nous), finit par s’accrocher au cadre. Mais cette fois-ci, seul le spectateur (averti) peut identifier ce qu’il y a à voir. Encore un easter egg pour celui qui connaît la vraie version de Shining, car Jack Nicholson a été remplacé par Halliday. Il pousse dans ses scènes, comme c’est le cas encore dans la chambre 237, des visions à la fois subjectives et objectives qui nous laissent soit à la place de spectateur, soit à celle de joueur. C’est en tombant dans la baignoire que Each descendra encore d’un niveau et atterrira dans un autre espace du « film/jeu ». Spielberg y utilise, ici, comme dans le reste de son film, tous les codes des jeux vidéo : niveau à atteindre, parcours à effectuer truffé de dangers, combats et défis.
 





Cette séquence marquera la mémoire du spectateur par sa durée (en opposition au rythme ou au clin d’oeil très rapide des autres séquences ou des apparitions des références pop). Dans Ready Player One, il y rend à la fois hommage au 7e art et à son ami qu’il avait rencontré pour la première fois à l’hôtel Overlook lors du tournage de Shining. Il semble que dans cette séquence analysée de mise en abîme qui permet la venue de ce remake de Shining, (un film dans le film), pile au milieu de Ready Player One, se cache sans sous doute l’easter egg, non pas l’easter egg mais le Saint Graal de ce jeu de piste que nous avons mené depuis un peu plus de 1h. Ici, Spielberg en maître des effets spéciaux, un tantinet nostalgique, dans ce va et vient perpétuel entre réel et virtuel, semble réécrire une nouvelle page du cinéma. En effet, dans ce passage où il a pu « rejoindre » son maître et ami Stanley Kubrick, décédé quelques années auparavant, il s’amuse à allier cinéma, esthétique et fabrique du jeu vidéo. Spielberg un des maîtres du cinéma à grand spectacle, a encore une fois repoussé les limites de ce qui était possible. Grâce aux technologies de pointe mises à son service et grâce à sa culture et à sa maîtrise aussi diverse que pour l’art populaire, (cinéma et jeu de vidéo), ce réalisateur nous permet de réfléchir au devenir du cinéma. Dans une réplique qui suivra cette séquence, Art3mis dira « Fuis ton passé » comme une réponse possible à cette idée que le cinéma peut encore trouver de nouvelles écritures.
 

 
auteur(s) :

judith josso, marion hivert

information(s) pédagogique(s)

niveau : Lycée tous niveaux, Terminale

type pédagogique : étude de cas

public visé : enseignant, élève

contexte d'usage : classe, travail à distance, travail autonome

référence aux programmes :
Comprendre le sens global d’une oeuvre cinématographique et audiovisuelle en lien avec quelques éléments significatifs de son contexte (fabrication, métiers, public)

Analyser de manière argumentée les principaux éléments significatifs d'un plan ou d'une suite de plans cinématographiques et audiovisuels

Connaître quelques procédés d'écriture et repères de l’histoire du cinéma et de l’audiovisuel

Mobiliser ses connaissances pour nourrir son expérience de spectateur et sa pratique artistique

ressource(s) principale(s)

vignette.jpg voir, recevoir, percevoir, concevoir, pouvoir 21/03/2021
Travailler l'analyse de séquence avec les élèves.
analyse, film de bac, individuel, collectif

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