A l'origine je souhaitais faire un travail sur la transgression de l'espace à travers les yeux d'un enfant. La portée autobiographique s'inscrivait dans le projet dès le commencement, puisqu'il devait se développer autour d'un lieu marquant de mon enfance : la ferme de mes grands-parents.
Finalement ce projet résulte d'une rencontre. Celle avec le vide.
Un vide étouffant, si pesant qu'il déforme ma perception de ces lieux autrefois si familiers. Je savais que les choses avaient changé, je les côtoyais d'ailleurs depuis plusieurs années, ces espaces tordus et faux. Cependant je n'imaginais pas que les sensations passées puissent avoir déserté leurs territoires.
En se concentrant un peu, on finit par les voir : les souvenirs enfermés dans des bulles qui flottent dans l'air comme du vide. Finalement je m'aperçois que les porteurs des saveurs d'un monde, c’est nous, c'est la mémoire des habitants, des habitués, des nostalgiques.
Grâce aux vieilles cassettes magnétoscope conservées par ma mère, les bulles explosent libérant ce que la mémoire ne pouvait reconvoquer, ce que l'imagination ne pouvait inventer.
J'entends alors les sons. Ceux de la traite du soir, de la casserole de soupe sur la plaque, les crépitements du feu de bois et le chien qui aboie. Je vois les mains s'animer, les mimiques et les visages. Je ressens l'affection, la complicité, la patience et la bienveillance.
Arrivent alors les premières difficultés, plutôt d'ordre technique. Comment récupérer le trésor gravé sur les fines bandelettes des cassettes ? Après de longues recherches, je me rends à l'évidence : numériser un film a un coût. Bien que ce soit des images de l'an 2000. Images tremblotantes, zoomantes, dézoomantes, décadrées, surcadrées, malcadrées. Les laboratoires me demandent environ 50 euros pour m'offrir un DVD des films d'une heure réalisés par ma mère. Cinquante euros pour me voir déambuler en couche, filmée sous six angles différents.