La deuxième rencontre a été centrée sur le recueil de poèmes, « PEAU », choisi par Antoine EMAZ pour l'opération. Il faut préciser que l'écrivain avait tenu à choisir ce recueil, et non pas un de ses livres publiés dans une collection de poche, pour que les élèves possèdent ce qu'il appelle un « vrai » livre, un objet ayant une certaine valeur, puisque l'opération prévoyait que le volume leur soit offert.
Avant la rencontre, plusieurs séances ont été consacrées au travail sur les textes. Le recueil a d'abord été distribué, un temps a été laissé pour la découverte de l'objet livre. Les élèves formulaient alors leurs premières impressions, leurs observations, leurs questions. Tous ont été étonnés par la mise en page (beaucoup de blancs, parfois quelques mots seulement par pages, certains étant complètement isolés), ainsi que par la présence de certaines choses qui ne leur semblaient pas forcément relever de la poésie. Par exemple, dans un poème, l'auteur a intégré les résultats d'un bilan sanguin, ce qui a surpris les élèves.
Par rapport au travail effectué dans une séquence précédente par le professeur, tous se sont aussi étonnés de l'absence de rimes, de majuscules, de vers réguliers. En revanche, certains élèves ont relevé des procédés (tel que l'anaphore) vus dans la poésie classique. Tout cela a amené les élèves, en collaboration avec le professeur, à débuter une réflexion sur ce qu'était la poésie, si ce n'est pas forcément l'écriture rimée et versifiée qui permet de la définir.
Pour continuer à préparer la rencontre, certains textes ont été lus à haute voix, par plusieurs élèves. Cette lecture oralisée a amené les élèves à respecter les blancs, les silences. Elle a été trouvée difficile par certains élèves. Elle a permis de soulever des questions sur le sens des poèmes. La préparation s'est achevée par l'écriture de questions ou d'observations à soumettre au poète. Ces questions pouvaient porter sur le sens précis de certains mots, la raison de l'emploi de tel ou tel procédé ; elles pouvaient aussi rester générales, sur le travail de l'écriture, en prolongement ou complément de ce qui avait été dit lors de la première rencontre. Cela a favorisé l'impression d'une continuité du projet, d'un lien entre les séances.
Le jour de la rencontre, le dialogue s'est instauré rapidement. Les questions sur la présence de tel détail, jugé trivial, dans la poésie, ont permis à Antoine Emaz d'expliquer sa conception d'une poésie n'étant pas faite pour rêver ou s'évader du monde, mais dont le rôle au contraire est de parler de la réalité dans laquelle on vit. Un échange aussi s'est installé sur l'absence de rimes et sur l'emploi de vers libres. L'auteur a ainsi pu donner un aperçu rapide et simple de l'évolution des formes poétiques au XXe siècle.
Ensuite, un élève a fait une lecture oralisée d'un poème, déjà lu lors de la préparation. Antoine Emaz lui-même a lu certains de ses textes. Cet échange a été suivi de questions sur le sens d'une phrase, les conditions dans lesquelles tel texte a été commencé... La lecture a permis à l'auteur d'insister sur l'importance des silences, des rythmes et des sons, même dans le cadre d'une poésie en vers libres. Elle a été le préalable à certaines véritables explications de texte. Enfin, les questions des élèves ont permis à Antoine Emaz de s'expliquer sur le titre du recueil, sur le fait qu'il emploie souvent des monosyllabes pour ses titres (de livres ou de poèmes), sur la table des matières et le retour précisément des mêmes titres, et donc, au-delà d'un poème isolé, sur le travail de constitution d'un recueil.
C'est à ce stade du projet, à l'issue de la deuxième rencontre, que la production des élèves a trouvé sa place. Après s'être approprié les poèmes et le recueil,
les élèves étaient invités à écrire eux-mêmes un texte. Deux possibilités leur étaient offertes : ils pouvaient construire un poème nouveau en empruntant des vers à plusieurs poèmes de « PEAU », ce qui permettait de donner naissance à un autre texte, dans une recomposition qui change la perception des mots. Ils pouvaient aussi écrire un poème véritablement personnel, en partant toutefois d'un des titres utilisés dans le recueil. Il est à noter que certains élèves n'ont rien produit à ce moment-là. Cela n'a aucunement choqué Antoine Emaz, selon qui on ne peut forcer un jeune à s'improviser poète en quelques heures de travail. En revanche, cette confrontation à l'écriture a créé en quelque sorte un lien avec le début du projet et la question des représentations que l'on se fait d'un poète ; il est arrivé en effet qu'un élève pour qui un poète écrivait forcément en rimes, et qui avait été surpris du coup par la forme des poèmes de PEAU, juge qu'il était « facile » d'écrire sans versification. Confronté aux difficultés de l'écriture, même en vers libres, il a été dès lors conduit à revenir sur son jugement.