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Étonnants Voyageurs 2009 : la nouvelle de Lise Courtès

Voici la nouvelle écrite par Lise Courtès, élève de quatrième au collège Victor Hugo à Nantes (44). Cette nouvelle a obtenu le troisième prix du jury académique.

Autour des doigts une brosse à dent


Le sac à dos de Marine n'est pas comme celui de tout le monde ! Elle s'assure tous les soirs qu'elle y a mis des pansements, de l'aspirine, du désinfectant, du fil et une aiguille, des crayons et des stylos en plus de cahiers blancs, des trombones, un stick de colle, des ciseaux, des mouchoirs en papier, des tampons, du sel et du poivre, de l'huile d'olive, une culotte de rechange, des enveloppes, son couteau suisse, un compas, une bouteille d'eau, des barres énergétiques, des allumettes, une pince à épiler, une lime à ongles, du savon, du shampoing, des cubes de bouillon, des sachets de thé, du sucre, des épingles à nourrice, du chocolat, une lampe de poche, son téléphone portable, un dictionnaire, son doudou. On ne sait jamais quand il va falloir sauver une vie .Peut-être même ... la sienne. Aujourd'hui, elle est allée jusqu'à y enfoncer sa brosse à dent et un tube de dentifrice neuf, son oreiller et tous les sous de sa tirelire. Parce que cette fois-ci ça y est, elle a décidé de quitter la maison. Il est temps que sa vie commence.
- A ce soir chérie !, crie sa mère en entendant la porte claquer.
     Marine ne répond pas. Elle part comme si elle, la bonne élève, la fille modèle, allait sagement au collège, comme tous les jours .Aujourd'hui elle ne court pas, elle suit doucement ses jambes vers la gare. Aujourd'hui est le premier jour du reste de sa vie. La vie que Marine a choisie de vivre loin de nous, de sa famille, de son collège et de moi. Je ne peux pas lui reprocher ce choix. D'une certaine manière je le comprends mais il m'attriste, c'est la seule vraie amie que j'ai jamais eue.
    Ce matin, avant de partir, Marine est venue me dire au revoir. Elle a sonné à 8 heure 30 et j'ai pensé qu'elle venait me chercher pour que nous fassions le chemin vers le collège ensemble. Elle portait, comme à son habitude, son éternel sac à dos bariolé, chargé de babioles de toutes sortes dont je comprends mieux maintenant l'utilité.
    C'était bien ma Marine, ses cheveux roux en bataille aujourd'hui, et ses yeux verts pétillants. Mais quelque chose dans son regard paraissait différent, je n'aurais pas su le définir, peut-être comme un apaisement.
Elle s'est penchée vers moi et m'a dit à l'oreille :
-C'est aujourd'hui, Rose. Mais lui ne vient pas avec moi ; je n'en ai plus besoin, mais toi si, pour comprendre.
Bizarrement j'ai tout de suite compris ce qu'elle voulait dire. Elle m'a embrassée sur la joue droite, très vite et elle est partie. Marine est partie. J'ai trouvé dans mes mains le carnet bleu turquoise que je lui avais offert pour ses dix ans et dessus un post-it, sur lequel était écrit :
« Pour Rosalie, parce qu'elle est mon amie »
   Aujourd'hui, je ne suis pas allée au collège, j'avais quelque chose à lire, quelque chose à comprendre. Mais ma mère, hélas, je ne sais pas si elle comprendra ! Je suis montée dans ma chambre et j'ai ouvert le carnet intime de Marine.
 
 Lundi 11 novembre

Ce matin, je t'ai trouvé au fond d'un tiroir que je n'ouvre pas souvent. Tu étais sans doute là depuis le jour où je t'ai reçu de Rose. Je crois que c'était pour mes dix ans. En te voyant, je me suis dit que c'était peut-être le moment de parler de toutes ces choses qui bouillonnent à l'intérieur, pour les tourner et les retourner dans tous les sens, les agiter, les mélanger et essayer si c'est possible de les comprendre.
A l'encre turquoise, comme ta couverture, ce sera plus joyeux, et j'ai envie d'être joyeuse. Alors à bientôt !
 
  Mardi 12 novembre

Aujourd'hui, j'étais seule au collège, Rosalie n'était pas là : une bronchite. Je me suis drôlement ennuyée. Avant j'aimais l'école mais je crois que maintenant, je ne viens plus que pour Rose. Alors, quand elle n'est pas là, je ne fais plus rien.
Quand je suis rentrée à la maison, personne n'était là. Bonheur ! Quelle joie de dévorer des galettes de riz et mon livre sans avoir à supporter les paroles creuses de mon père et l'inquiétude permanente de ma mère.
Hélas, ce bonheur a été de courte durée ; 6 heures 30, la porte s'ouvre :
-Bonjour Marinette ! Alors ta journée ?
Ma mère pense toujours que j'ai  5 ans, je déteste ce surnom.
-Bof, me suis-je contentée de marmonner.
-Tu pourrais parler un peu mieux à ta mère ! S'est exclamé mon père.
Tiens c'est fou ! Il se souvient de mon existence. Mais c'est toujours pour me reprocher quelque chose. Le reste du temps c'est comme si je n'étais pas là. Je m'en fiche : pour moi il n'est pas là non plus ! Allez, je dois dormir.
Good night !
 
  Mercredi 13 novembre

Rose n'est toujours pas là. Ah ! Vraiment, elle m'énerve. Me laisser seule dans ce capharnaüm adolescent. Tous ces imbéciles qui se croient intelligents, je n'en peux plus. Quand je suis rentrée chez moi, la tension désagréable de la journée a été multipliée par dix. Je crois que je suis claustrophobe, mais seulement chez moi, dans cette maison qui suinte l'ennui.
  Au bout d'un moment, j'ai cru que j'allais exploser alors je suis sortie et je me suis mise à errer dans les rues, sans autre but que celui de m'éloigner le plus possible de cette maison de fou ! Sur un poteau était collée une affiche colorée sur laquelle était inscrit : Dans votre ville, du 13 au 17 novembre, le CIRQUE « LES TETES BRULEES » ! .L'affiche m'a plu et sans savoir vraiment pourquoi, j'ai décidé d'y aller. De toute manière je n'avais rien de mieux à faire.
 Et là-bas, il m'est arrivé un truc extraordinaire, mais comme je suis fatiguée, je le raconterai demain ! Bonne nuit !!
 
Jeudi 14 novembre

Alors voilà, comme prévu je suis allée au cirque. Quand je suis arrivée, là où je pensais trouver un énorme chapiteau, il n'y en avait qu'un tout petit, mais comme cousu à la main, magnifique et bigarré. J'ai payé mon entrée (à prix sympathique d'ailleurs !),  je me suis installée au fond, sur le banc le plus élevé et j'ai attendu.
   Quand le spectacle a commencé, j'ai été saisie en cinq secondes par le tourbillon de couleurs, de lumières et de joie qui le remplissaient.
Je me suis laissée porter par les sensations qui surgissaient en moi, comme grisée et étourdie. Et puis quelque chose de plus fort m'a saisie. Quelque chose d'extraordinaire : comme une seule voix, comme une soudaine explosion de gaieté, le public s'est mis à rire. Ce rire a jailli de la foule et j'ai senti qu'il la portait, et qu'il me soulevait moi aussi. Toute entière. Il s'est communiqué à moi presque sans que je m'en rende compte et il est monté dans ma gorge, dans ma bouche. Au dessus du brouhaha, je l'ai entendu sortir de moi, et c'était comme si toutes les choses qui me préoccupaient avaient disparu, ou pris un sens, un autre éclairage. J'ai aimé cette sensation, je l'ai tellement aimée qu'en quittant le chapiteau, portée par la foule, je ne pensais qu'à une chose : revenir le lendemain.
 
Vendredi 15 novembre

       Donc hier, jeudi, j'ai pensé toute la journée à ce merveilleux spectacle .A ça et à rien d'autre. Cela m'a mis d'une excellente humeur et je souriais à tout le monde , même à mes parents, ce qui est inhabituel et paraissait presque les déranger. On aurait dit qu'ils faisaient tout pour me mettre en boule. Peine perdue ! Je n'en étais que de meilleure humeur. Le soir, j'avais le cœur battant en me dirigeant vers le petit chapiteau le plus fabuleux du monde !
Comme la veille, j'ai tout de suite été emportée par l'exaltation joyeuse que le spectacle produisait ! Merveilleux, insaisissable, drôle, simple et magique! Quelle joie de retrouver un tel plaisir à être quelque part et à regarder quelque chose, à partager cette sensation avec d'autres, au milieu de leurs rires. Tellement de plaisir qu'à la fin du spectacle je suis restée assise, muette de bonheur, éberluée.
      Au bout d'un moment, un des comédiens du spectacle, jeune et le nez encore rouge, est arrivé à coté de moi :
-Bonjour !a t-il dit, enjoué.
-B' jour...ai-je répondu doucement. Je peux m'en aller si vous voulez !
-Mais non, restez ! Nous organisons une petite soirée et elle est ouverte à tous. Plus on est de fous, plus on rit !
Sa proposition me tentait trop pour que je la refuse. Petit à petit, le chapiteau s'est de nouveau rempli. Toute la troupe était là, et d'autres visages, inconnus, mais tous souriants. Des guirlandes de toutes les couleurs nous éclairaient et des instruments se sont mis à jouer. J'ai longtemps observé et écouté. Ma timidité m'empêchait de participer vraiment à la fête.
Le jeune homme qui m'avait invitée est venu vers moi et, très naturellement, nous nous sommes mis à discuter, presque comme de vieux amis. Je ne suis pas sentie mal à l'aise, comme je le suis d'habitude avec les inconnus. Après le repas, des petits groupes se sont formés autour de numéros improvisés. L'un jonglait avec des œufs, son partenaire sur les épaules qui, lui aussi, jonglait. L'autre jouait de l'ukulélé en dansant et invitait les enfants dans sa ronde. Une jeune femme s'emmêlait et se démêlait dans de longs pans de tissus suspendus au sommet du chapiteau. Certains tentaient de nouveaux trucs et souvent les rataient. Tout le monde semblait essayer quelque chose. Et pourquoi pas moi ? J'ai fouillé dans une grande malle à accessoires pleine de bric-à-brac et j'ai dégoté des brosses à dents. Sans réfléchir, j'en ai posé une sur chacun de mes index et je les ai fait tourner. Avec un geste rapide et régulier, ça marchait très bien. Plusieurs personnes se sont tournées vers moi et, voyant mes brosses à dents tournoyer, elles ont éclaté de rire.  Et c'est à ce moment que j'ai compris que c'était ça, ça le cirque, faire rire, que je pourrais faire ma vie entière et que je voulais faire plus que tout au monde. Toute la soirée les gens ont ri à chaque nouveau numéro qui me venait naturellement. Si bien que le meilleur clown du cirque est venu me dire que si je voulais faire une apparition dans leur spectacle, j'étais la bienvenue !
             Au bout de deux heures, il a fallu que je rentre chez moi ; je savais que mes parents attendaient mon retour avec impatience. A la seconde même où j'ouvrais la porte, je fus attaquée par la voix de mon père :
-Vraiment Marine, tu rentres très tard !
-Tu exagère il n'est que dix heures et demi papa !
-Que faisais tu donc ?
Et  là, moi, j'ai fait une grosse erreur en essayant de leur parler du cirque et de la merveilleuse sensation que je ressens quand je fais rire les gens. Et voilà ce mon père a répondu :
-Le cirque c'est pour ceux qui n'ont pas su faire d'études ! Des imbéciles, ma fille, des imbéciles !
            Et c'est là que j'ai compris, sans aucune tristesse d'ailleurs, juste de l'acceptation, que je n'avais plus rien à faire avec ces gens là : mon père qui insulte ce qu'il sait que j'aime et ma mère qui n'ouvre jamais la bouche, soumise et naïve.
            Je suis allée dans ma chambre, j'ai pris mes affaires et à minuit, je me suis enfuie, j'ai couru jusqu'au cirque pour les supplier de m'accueillir, ce qu'ils ont fait avec joie d'ailleurs.
 
samedi 16 novembre

            Je suis donc au cirque depuis jeudi soir, mes parents ne savent pas ou je suis mais ça m'est égal, les journées sont trop extraordinaires pour que je m'en préoccupe ! Depuis deux jours je m'entraine sans relâche pour mon apparition de leur spectacle et je progresse sans cesse .Plus j'avance, plus j'aime ça ! Je m'entends vraiment bien avec tout le monde.Il règne dans le chapiteau une bonne humeur et un entrain que rien ne peut arrêter. En m'entrainant, je réfléchi beaucoup et me dis que je ne vais vraiment pas arriver à quitter cet endroit ! Une  drôle d'idée a germé dans ma tête même s'il est trop tôt  pour lui donner un nom. Une envie de....
            J'ai donc pris une décision, j'ai téléphoné à maman : après le baratin de la mère très inquiète et en colère car je ne voulais pas lui dire où j'étais, elle a enfin finit par me demander :
-Bon, que veux-tu Marine ?
-Maman, je voudrais savoir, tu n'as jamais pensé à partir, à quitter papa ? Pour de bon ?         
-Oh, j'y ai pensé, j'y pense, j'y penserai...
-Merci maman, au revoir.
Avant qu'elle ait pu dire quoi que ce soit j'avais raccroché. Mais le total manque de conviction de sa voix avait suffi  à me convaincre que je devais le faire, faire ce qu'elle n'avait jamais eu le courage d'entreprendre : partir pour être heureuse, être heureuse ailleurs, partir là ou je pourrais rire, rire et faire rire sans fin ! Mais il serait difficile de le faire accepter à mes parents, à mes amis du cirque et à Rose, Rosalie que j'avais oubliée, mon amie de toujours ! Mais bon, on verra ça demain, après le spectacle ...en attendant je m'entraine assidument.
Bonne fin de journée !
Dimanche 17 novembre

C'est aujourd'hui, que toutes les choses qui allaient « changer ma vie »sont arrivées. Il était 14 heures, le spectacle avait déjà commencé et j'entrais sur la piste dans une dizaine de minutes, quasiment tout le monde me serrait ou m'avait serré dans ses bras et le trac, qui je trouve est une sensation délicieuse, montait en flèche .Je regardais par une fente dans le rideau le public : au moins 200 personnes ! J'ai repéré Rose que j'avais invitée et qui avait accepté immédiatement de venir, mes parents n'étaient pas là, j'étais passée à la maison hier après midi pour prendre les affaires auxquelles je tenais le plus. Même si j'étais bien décidée à partir, je n'avais pas encore annoncé à mes » camarades de scène » que je faisais maintenant partie de l'aventure. « C'est à toi dans 20 secondes ! »m'a dit  Elise la contorsionniste .Un...deux....trois....J'entrais sur la piste ! Le public était détendu et rieur et je me sentis vite à l'aise. Je commence le fameux numéro des brosses à dents tout en enchainant des mimiques rigolotes .Premier rire dans la foule, puis deux, en une minute toute la foule riait et moi j'exultais ! Oh je ne pourrais décrire les sensations que j'ai ressenties ! C'était juste parfait et j'aurais pu continuer d'écouter ces rires toute ma vie ! Seulement il a fallu que je sorte et là il n'y a eu  besoin d'aucune explication, je crois qu'en me voyant, tout s'était décidé.
-Il va falloir une nouvelle caravane !a dit Jacques le directeur de la troupe en comprenant la situation. Nous partons ce soir à Brest ! Rejoins-nous demain par la gare .En attendant rentre chez toi Marine ! Et prépare-toi bien !
            J'ai fait ce qu'il a dit et en ce moment même je suis chez moi, dans ma chambre ! Demain, avant de partir je remplirais mon sac du bric à brac que seule Rose connait et comprend ! Ma mère me dira au revoir comme d'habitude comme si j'allais au collège bien sagement ! Je suivrai mes jambes vers la gare ; sur le chemin je passerai chez  Rosalie : j'ai quelque chose à lui donner .Et sur le chemin, je  rirai, rirai, rirai !Demain sera le premier jour du reste de ma vie.  

Lise Courtès

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