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Étonnants Voyageurs 2010 : la nouvelle de Cécile Rabec

Voici la nouvelle écrite par Cécile Rabec, élève de seconde au lycée Notre-Dame de Challans (85). Cette nouvelle a obtenu le troisième prix du jury académique.

la Septième Poupée


Louise poussa un grognement.
Elle avait retardé tant qu'elle avait pu le moment de se mettre au boulot, espérant jusqu'à la dernière minute qu'un miracle la sauverait mais là, le dernier jour, à onze heures du soir, soit neuf petites heures avant le cours fatidique, elle était coincée. D'autant plus coincée que madame Agay était connue pour la sévérité avec laquelle elle traitait les élèves qui ne rendaient pas leur travail dans les délais impartis.
Pour la dixième fois de la soirée et la centième depuis une semaine que madame Agay leur avait donné ce fichu devoir, elle lut le sujet :
« Baba Yaga est une figure centrale des légendes russes. Vous utiliserez le conte étudié en classe et les résultats de vos recherches personnelles pour rédiger un texte de quatre pages dans lequel Baba Yaga jouera un rôle essentiel. »
Le conte étudié en classe ? Louise en gardait un souvenir si vague qu'elle en était venue à se demander si elle n'était pas absente le jour où la prof l'avait présenté. Vos recherches personnelles ? Il ne fallait quand même pas rigoler !
Bon, d'accord, elle n'avait rien fichu, rien écouté, rien préparé et, demain, elle allait se faire trépaner par madame Agay. Et tout ça à cause de cette...
-Maudite Baba Yaga ! cracha-t-elle.
Comme un écho à son juron, un claquement sec retentit dans le couloir, suivi du bruit d'un corps lourd se traînant vers sa chambre.
Louise se figea. Si elle avait réveillé ses parents, que l'un d'eux entrait et la surprenait en train de... de ne pas travailler au lieu de dormir, madame Agay n'aurait plus rien à massacrer demain.

Elle se précipitait vers son lit lorsque sa porte s'entrouvrit. Son père se tenait droit, planté devant celle-ci. Elle sursauta, faisant mine d'être réveillée. Mais il était difficile de jouer la comédie devant son père. Il distinguait parfaitement lorsqu'une personne était sincère ou non. Cette qualité ne plaisait pas du tout à Louise. Elle avait beau, de temps en temps, tenter sa chance en inventant une bonne note ou alors en mentant sur sa destination du samedi soir, non, vraiment, ce n'était pas une bonne idée de faire croire à son père qu'elle dormait, surtout que dans la chambre, la lumière était encore allumée et la feuille vierge de son devoir de français ainsi que toutes ses affaires de cours, étaient éparpillées sur son bureau. Certes, ce n'était pas inhabituel que le désordre règne en maître dans la chambre de Louise, mais à onze heures du soir, il y a des limites ! Son père découvrit donc rapidement sa supercherie. Démasquée, Louise sortit de son lit encore habillée (autre détail compromettant...) et tenta de se justifier. Mais en vain, car son père la coupa avant même qu'un mot puisse sortir de sa bouche.
Il lui demanda :
« Qu'est-ce que tu fais encore debout à cette heure tardive ?
Figure-toi que je travaillais Papa !
Tu travaillais ?! Ça change ! dit-il sur un ton ironique... Et que faisais-tu ?
Mon devoir de français... répondit-elle en essayant vainement de cacher sa feuille blanche...
Hum, hum... et je suppose que tu meurs d'envie de me faire lire ton travail...
Mais bien sûr que... non ! Cela n'en vaut pas la peine, je n'ai pas encore fini.
Tu n'as pas fini, ou alors pas commencé ?! demanda-t-il en haussant la voix.
C'est juste que... euh... je n'ai pas encore trouvé l'inspiration...
Bon, maintenant, va te coucher ! Tu trouveras sûrement l'inspiration en dormant ! renchérit-il.
Oui mais, c'est pour demain matin, huit heure tapante !
Tu n'avais qu'à t'y prendre plus tôt ! Au lit maintenant !
Oui Papa... ronchonna-t-elle. »
En même temps, son père n'avait pas forcément tout à fait tort. Louise tombait de fatigue et ne tarda pas à s'endormir profondément... tellement profondément qu'elle plongea dans un rêve venu tout droit d'un vaste pays, loin et glacial...

Louise se réveilla, les pieds dans la neige, encore vêtue de son magnifique pyjama brodé d'une multitude de petits lapins et oursons en tout genre, tout simplement ri-di-cu-le ! Mais bon, en ce moment, Louise s'en fichait, ce qui l'importait était de savoir où elle était et comment elle avait fait pour arriver là ! La jeune fille décida donc de continuer son chemin et d'atteindre la ville la plus proche. « Proche » était un bien grand mot ! Cela faisait maintenant plus d'une heure qu'elle marchait dans le froid, luttant face au vent et aux flocons de neige qui devenaient de plus en plus puissants et incontrôlables. Heureusement, elle aperçut au loin, une petite lueur ainsi qu'une traînée de fumée. Elle se hâta vers cette maisonnette, le cœur rempli d'espoir. Hélas, en arrivant devant le seuil de la porte, elle se rendit vite compte que la femme aperçue par la fenêtre, n'était pas une femme comme les autres. Elle ressemblait davantage à un monstre plutôt qu'à une simple femme. Ses yeux globuleux donnaient l'impression qu'ils allaient sortir de leurs orbites, et son visage ressemblait tout simplement à celui d'un animal tout droit venu de la Préhistoire ! Certes, la comparaison était quelque peu exagérée mais il fallait le voir pour le comprendre ! Elle avait la particularité de ne posséder qu'une seule et unique jambe. Louise avait maintenant deux possibilités : soit elle se sauvait en courant dans la neige et dans le froid vers une destination qui lui était encore inconnue, soit elle prenait son courage à deux mains et décidait de frapper à cette porte et de faire la rencontre de cette mystérieuse et terrifiante femme. N'ayant pas d'autre choix que ces deux propositions elle décida de se lancer et frappa donc trois petits coups à la porte, si petits que même un être vivant à l'ouïe très développée ne les aurait pas entendu. Elle tremblait et frissonnait, c'est sans doute pour cette raison que les coups étaient si légers. Louise respira profondément et retenta sa chance. Cette fois, son geste avait été entendu car elle discernait le bruit des pas qui s'approchaient lentement de la porte. Elle retint son souffle... serra les dents... vit la poignée s'incliner... puis, la porte s'ouvrit. Elle ravala sa salive avant de prendre la parole :
« Bon... bon...jjj...jour... bafouilla-t-elle
   -    Qui êtes-vous ?! demanda la femme sèchement.
Pendant quelques secondes, Louise se demanda si elle n'avait pas mieux fait de choisir la première option et de s'enfuir le plus loin possible.
   -    Alors ?! Tu vas me répondre ?!
La réaction de la vieille dame empira ses doutes. Mais bon, maintenant il était trop tard pour reculer...
Elle répondit brièvement :
Louise...
Ah oui ? Tiens, tiens, ton nom me dit quelque chose... »
Cette nouvelle ne la rassura pas vraiment, mais bon, elle se risqua quand même et entra dans la pauvre demeure avant que la vieille dame ne lui pose d'autres questions. La maison ne comportait qu'une seule pièce, petite et lugubre. Au centre de celle-ci, un poêle trônait, il servait à la fois de lumière et de chauffage. Louise observa plus attentivement l'intérieur de la maisonnette et remarqua que le rangement et la vielle dame ne faisaient pas un tout ! Le sol était jonché d'un amas de feuilles et de vieux journaux. Plusieurs étagères remplies de bibelots en tout genre étaient disposées le long des murs, si bien que ces derniers paraissaient comme invisibles. L'une d'elle comportait une multitude de chats miniatures, qu'ils soient en verre, en porcelaine, peint sur une toile ou alors élaborés sur un canevas, la vieille femme les collectionnait. Et ce n'était pas la seule collection qu'elle possédait. En effet, Louise en remarqua la présence de plusieurs : des assiettes, des poupées, des timbres, des vieille revues ou bien même des fleurs séchées. Mais ce qui attira le plus l'attention de Louise fut une drôle de collection, mise en valeur en plein centre du mur, sans doute cela devait être la plus importante aux yeux de l'intrigante femme. Cette collection était constituée de poupées russes en verre, utilisées comme bocaux. A l'intérieur de chaque poupée russe on pouvait discerner une masse rosâtre légèrement parsemée de pigments grisâtres. Cette masse macérait dans une espèce de liquide transparent. Seule la plus grande poupée était vide. En dessous de chacune d'elles, on pouvait distinguer une petite étiquette, où il semblait y avoir d'écrit un nom et un âge... Mais Louise n'en vit pas plus car la vielle femme l'interpella, ce qui la coupa dans son observation :
« Je vois que tu admires mes collections...
   -     Oui, et je me demandais ce que ces poupées renfermaient...
Tu le découvriras au moment voulu... Mais dis-moi plutôt ce qui t'amène par ici ? Cela faisait bien longtemps que je n'avais pas eu de  visites.
A vrai dire, je ne le sais pas vraiment moi-même. Je me suis endormie et lorsque je me suis réveillée j'étais au beau milieu d'un vaste champ enneigé.
Veux-tu que je te dise où est-ce que tu te trouves ?
Oh oui, j'aimerais bien le savoir !
Et bien, figure-toi que tu trouves en Russie.
En Russie ?! Le pays de Baba Yaga ?!
Tu la connais ?!
Je devrais ! J'aurais dû faire des recherches sur elle pour un devoir de français, mais bon, cela m'est un peu sorti de la tête !
Donc tu ne sais pas à quoi elle ressemble, ni qui elle est ?
En effet...
Et si je te disais que Baba Yaga était une ogresse... déclara-t-elle sur un ton maléfique. »

Louise frissonnait de tout son corps, elle claquait des dents et s'enfonçait au plus profond de son fauteuil. La vieille femme arborait un sourire tellement cruel et ricanait en montrant ses dents aiguisées qu'en quelques secondes, elle comprit tout. Cette femme monstrueuse au visage difforme était en fait une ogresse du nom de Baba Yaga !
« Maintenant je pense que tu sais qui je suis... Tu peux donc savoir ce que renferment ces poupées. Figure-toi que ce sont des cœurs ! Et pas n'importe quels cœurs ! Ils appartiennent aux enfants qui ont omis, ou tout simplement faits exprès, de ne PAS s'intéresser à moi quand on leur demandait ! Il est dit qu'il y en aurait eu sept d'âges différents. Pendant très longtemps, je n'en possédais que six et j'attendais patiemment la venue du septième enfant. Je savais que ce serait une jeune fille de 15 ans, prénommée Louise. Tu te demandes sans doute comment je le savais ? Et bien, d'où je suis, je peux facilement apercevoir la vie humaine. Je t'ai guettée le jour où tu as reçu ce sujet de français et j'ai rapidement compris que tu le dénigrais et que tu serais donc ma prochaine victime... »

À ce moment-là, Louise regarda l'étiquette de la septième poupée et lut ces quelques mots qui lui étaient destinés :
Louise
15 ans

Son sang ne fit qu'un tour dans sa poitrine. Elle était à la fois glacée d'effroi et brûlante comme une fournaise ! En une fraction de secondes sa vie s'arrêta. Elle savait qu'elle allait finir ses jours dans ce pays inconnu, loin de sa famille et loin de tout... À l'intérieur d'elle-même, elle bouillonnait, elle s'en voulait. Elle se disait que si elle avait fait cette fichue rédaction, tout cela ne serait sans doute pas arrivé. Louise allait maintenant devenir la septième poupée...
   
    Aujourd'hui, 13 octobre 2009, toutes les personnes ouvrant le journal à la rubrique des faits divers pouvaient lire cet article :
« Ce matin, les parents d'une jeune fille de quinze ans ont eu l'horreur de la retrouver morte dans son lit, le cœur arraché. Ce meurtre ne fait que perpétuer la liste... En effet, six autres jeunes filles ont également été assassinées de la même façon durant les deux dernières décennies. Le coupable, est à ce jour encore inconnu, mais nous savons qu'il agit toujours au beau milieu de la nuit et que les cœurs disparus n'ont jamais été retrouvés. Ce septième meurtre sera-t-il le dernier d'une longue liste ? Ou alors celle-ci ne cessera-t-elle d'augmenter au fil des années ? Le mystère reste intact. »

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