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Étonnants Voyageurs 2012 : la nouvelle de Pauline

Voici la nouvelle écrite par Pauline, élève en quatrième au collège République, Cholet (49). Cette nouvelle a obtenu le quatrième prix du jury académique. Elle traite le sujet 1 et fait suite à l'incipit "Kosmas" :

concours de nouvelles 2012 Etonnants VoyageursKosmas rencontrait des Amazones pour la première fois. Assis sur les genoux, les mains posées à plat sur le sol, il attendait. La poussière et l'odeur âcre des montures lui piquaient les narines. De temps à autre, il essuyait d'un revers de manche la sueur qui perlait à son front, sans parvenir à chasser le bourdonnement de la foire ni la chaleur accablante sur ses épaules.

La totalité de ses marchandises tenait sur un tapis usé : les maigres richesses d'un pied poudreux encore novice, au tout début de sa vie d'arpenteur du désert. Mais la fortune ne sourit qu'à ceux qui la tentent. Son oncle, par exemple, avait commencé avec beaucoup moins que ça, et maintenant c'était un riche négociant qui conduisait des caravanes de trois cent têtes jusqu'à la mer Noire.

Regroupées derrière une double rangée de peaux de loups bleus étalées en demi-cercle, les Amazones attendaient, elles aussi... Leurs petits chevaux, taillés pour la course, tapaient du sabot en fouettant les mouches à coups de queue énervés.

Celle qui lui faisait face, assise en tailleur et les mains jointes, le regardait sans le voir, toute entière plongée dans l'ombre de cet arbre gigantesque qui l'abritait avec ses compagnes. Kosmas la vit se pencher pour écouter un chuchotement de sa voisine, et, tandis qu'elle redressait vivement la tête en balayant sa chevelure du bout des doigts, il eut le temps d'apercevoir qu'il lui manquait l'oreille droite.

Soudain elle se leva et vint s'accroupir devant lui. Elle s'empara sans un mot d'un fin collier de cuir qu'il avait disposé près d'une gaine de couteau en corne, et l'éleva entre le pouce et l'index. Au bout du collier tournoyait un pendentif, un petit serpent d'or.

«Que veux-tu en échange? » demanda-t-elle dans sa langue rude.

Les Oreilles

Elle était grande et mince, ses yeux marron étaient doux. Des cheveux longs, ondulés et noirs comme l'ébène encadraient son visage fin, aux traits marqués. Elle portait une tunique courte, jaune et délavée par le soleil. Elle parlait d'une voix douce et envoûtante, arborant toujours un petit sourire narquois.
« Alors que veux-tu ? un autre bijou, un vêtement, un cheval pour transporter tes richesses ? dit-elle, impatiente.
- Non, non et non, ce collier a beaucoup plus de valeur que ces choses sans aucun intérêt pour un commerçant tel que moi.
- Mon oreille, peut-être ? lui proposa-t-elle.
- Allons dans un endroit plus calme... » lui dit-il.

François Place, image sujet 1
Extrait de l'ouvrage "Le secret d'Orbae", François Place © Casterman

Il se leva, saisit un couteau, prit le collier, et se dirigea vers un de ces arbres, appelés noisetier de Byzance. Arrivée sous l'un d'eux, elle s'agenouilla ; Kosmas brandit son couteau et lui agrippa l'oreille. Quand il la reçut dans sa main, elle était encore toute chaude et elle dégoulinait d'un sang vermeil. Il lui tendit le collier et partit, très fier de son échange...
Il rentra chez lui dans sa petite demeure. Une idée diabolique lui vint alors à l'esprit. Quelques minutes plus tard, il était en train d'enduire l'oreille d'un poison mortel qui réagit au toucher. Il mit l'oreille dans un mouchoir, qu'il déposa sur son vieux tapis de marchand. Il continua à aller au marché, pour vendre ses piètres objets sans valeur. Mais un jour, il reçut un étrange client qui lui demanda s'il n'avait pas quelque chose d'humain. Kosmas lui répondit alors qu'il détenait une oreille qu'il aimait beaucoup et qu'il ne désirait pas échanger. L'acheteur insista et Kosmas lui dit qu'il devait payer pour la voir. L'homme ne devait pas être un négociant car Kosmas lui demanda un prix exorbitant et le client accepta sans marchander. L'individu régla le prix convenu avant d'avoir vu l'oreille. Il n'était pas méfiant et cela lui coûta cher. Kosmas lui tendit l'oreille et le sot mourut instantanément, sans douleur. Kosmas traîna ensuite le corps sous le noisetier où il avait récupéré l'oreille. Après avoir déposé le mort, le dos appuyé sur le tronc du noisetier, il rangea l'oreille dans sa poche, plia son tapis et partit chez lui en chantonnant, heureux. Quelques mois plus tard, grâce à ce commerce peu banal, il avait gagné plus d'argent qu'au cours des cinq années précédentes... Dix-neuf personnes étaient mortes mystérieusement sur le même marché.
Il poursuivit son trafic et devint riche. Il fit bâtir des édifices dignes d'un prince et décida de se faire appeler Sultan Kosmas. Puis il estima qu'il avait gagné assez d'argent et qu'il pouvait aller voir son oncle. Ce dernier lui avait interdit de lui rendre visite tant qu'il ne serait pas un riche négociant. Son oncle était un homme simple qui adorait le confort. Dans les souvenirs de Kosmas, c'était un grand personnage aux cheveux courts et blonds qui arborait un sourire édenté. Il était un excellent marchand audacieux et sûr de lui, il était avant tout pour Kosmas un exemple à suivre. Son oncle vivait de l'autre côté de la mer Noire, dans un petit palais, à Sébastopol. Kosmas quitta son nouveau palais d'Ankara où il vivait depuis quelques temps. Le trajet en caravane fut fatigant et quand Kosmas arriva à Istanbul, il voulut se reposer. S'étant habitué au confort, il ne voulut pas se rendre dans une simple auberge. Il fit donc l'achat d'un somptueux palais qui valait une petite fortune. Il s'acheta aussi un beau voilier qu'il débaptisa et renomme Kosmas Le Grand. Il partit de son palais un jour d'août, quand la mer était calme. La traversée fut longue, mais très agréable car la mer était d'huile.
Les retrouvailles entre Kosmas et son oncle furent réjouissantes. Ils mangèrent un plat bien consistant puis Kosmas prit la parole :
« J'ai rencontré une Amazone, elle avait une oreille coupée et elle m'a demandé le collier avec le serpent. Je l'ai échangé contre sa seule oreille. Sur le coup je n'avais pas réfléchi, puis je m'étais dit que ce n'était pas une si mauvaise idée et à la fin, je me suis persuadé qu'elle me ferait gagner beaucoup d'argent. Et toi, mon oncle, comment es-tu devenu si riche ? demanda-t-il.
- J'avais rencontré, comme toi, une amazone qui m'avait demandé si j'échangeais l'âne que ton grand-père m'avait donné. Je lui avais alors répondu que je n'échangeais que ce qu'il y avait sur mon tapis. Elle avait remarqué le pendentif avec un aigle et elle voulut me l'échanger, j'ai accepté. Elle m'a donné une de ses oreilles.
- Comment était-elle ? dit-il avec empressement.
- Elle était grande et mince, avec des yeux marron il me semble, elle avait des cheveux longs, ondulés et noirs, je crois. Son visage était fin, elle avait les traits un peu marqués.
- C'était donc toi qui lui avais coupé son oreille ! répondit Kosmas.
- Es-tu sûr qu'il s'agisse de la même ? Toutes les Amazones se ressemblent.
- J'en suis certain. Il faut qu'on la retrouve, nous pourrions, grâce à elle, devenir riches comme Crésus.
- Tu as l'esprit bien affûté, mon cher neveu, bravo. Hum, mais quelle serait la raison pour que l'on veuille l'emmener ?
- Nous n'avons qu'à lui dire que c'est grâce à ses oreilles que nous sommes devenus si riches. Nous lui dirons que toute cette richesse lui appartient et qu'elle a le droit d'en profiter. Cette idée te convient-elle ?
- C'est parfait, quand partons-nous ?
- Nous partons à l'instant. »
Le retour fut moins long que l'aller. Tout le temps du voyage, ils l'avaient  passé à échafauder leur plan. Presque tout était au point, la seule chose qui n'était pas encore éclaircie était le lieu où se trouvait l'Amazone.
Ils arrivèrent à Istanbul, après vingt jours de mer, fatigués et de mauvaise humeur. Pendant les semaines qui suivirent, ils cherchèrent l'Amazone qu'ils finirent par dénicher au marché d'Ankara. Dès qu'elle les vit, elle vint dans leur direction, souriante.
« Que puis-je pour vous, messieurs, dit-elle.
- Auriez-vous l'amabilité de venir avec nous dans mon palais d'Ankara ? demanda l'oncle de Kosmas.
- Et pour quelle raison, je vous prie ? rétorqua-t-elle.
- Pour partager avec nous une richesse, qui est aussi la vôtre. C'est grâce à vos oreilles que nous sommes devenus si riches, répliqua Kosmas.
- Je suis très bien ici et je n'ai nullement envie de déménager, et encore moins pour aller vivre avec vous, s'indigna-t-elle.
- Vous pourriez devenir très riche, vous vivriez dans le grand luxe avec des gens compétents pour vous servir, argumenta l'oncle.
- Mais je vis bien ici, répondit-elle.
- J'ai un marché à vous proposer : venez avec nous et vivez en notre compagnie pendant quelque temps. Quand nous jugerons que vous avez assez profité de votre richesse, nous vous laisserons repartir, et nous vous redonnerons vos deux oreilles qui nous ont permis de devenir si riches.
- D'accord », accepta-t-elle, sans doute heureuse d'enfin pouvoir récupérer ses deux oreilles.
Ils partirent pour le palais de Kosmas à dos de chameau. Quand ils furent arrivés au magnifique palais, l'Amazone rompit le silence :
« Vous avez là un superbe palais.
- Oui, le plus beau et le plus grand de tous les palais d'Ankara », dit fièrement Kosmas.
Ils entrèrent. Deux serviteurs les accueillirent chaleureusement. L'Amazone regarda autour d'elle. Des carreaux de marbre blancs et noirs étaient disposés au sol. Les murs étaient peints en vert clair. Les meubles étaient simples et vernis. Il y avait des dorures partout. Des constellations étaient représentées sur l'ensemble du plafond. L'Amazone fut accompagnée dans ses appartements et s'y installa, sans complication.
Quelques temps plus tard, Kosmas vit l'Amazone dans une posture pour le moins étrange. Elle marmonnait quelque chose d'inintelligible. Kosmas s'approcha d'elle, elle lui semblait à moitié consciente. Puis devant les yeux ébahis de Kosmas, l'Amazone fit apparaître un instant un bol rempli de nourriture.
Kosmas donna des réceptions où l'on pouvait voir les oreilles et l'Amazone, qu'il présentait tel un animal de zoo. Des milliers de personnes venaient la voir, elles payaient. Les deux hommes s'enrichissaient chaque jour davantage.
Kosmas et son oncle ne voyaient l'amazone qu'aux heures des repas. Elle avait l'air très malheureuse, toujours pensive. Elle les regardait à peine, et ne leur parlait presque pas, la seule chose qu'elle demandait était : « Quand est-ce que je retrouverai mon chez moi ? ». Kosmas et son oncle ne lui répondaient jamais. Trois semaines passèrent, l'Amazone restait dans son coin à bouder. Elle ne vint plus manger avec eux, les serviteurs lui apportèrent ses repas dans sa chambre. Un matin, contrairement à son habitude, elle vint manger avec eux.
illustration de François PlaceElle marcha vers eux, lentement, elle ne leur parla même pas, elle avança toujours lentement, puis d'un coup, elle fonça sur Kosmas et son oncle. Elle les ligota et dit :
« L'heure de ma vengeance a sonné. »
Elle saisit un couteau, s'approcha de Kosmas, lui coupa nerveusement une oreille, qu'elle lui mit sous le nez, puis lui arracha l'autre. Puis elle alla vers l'oncle de Kosmas et lui fit subir la même épreuve. Puis elle les mangea devant eux. Un sourire s'épanouissait sur son visage. Elle les regarda longuement puis, d'un geste délicat, elle releva ses longs cheveux. Deux oreilles étaient là.
Pauline

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