confrontation des oeuvres, éléments pour une réflexion pédagogique
Il y a la lumière et son alter ego l'ombre. La première question étant comment est-ce réalisé ?, d'autres interrogations naissent par la suite : comment est conçu le dessin ? De quelle nature est-il ? Et plus largement, de quelle nature est l'image ? De la matérialité de l'objet à l'immatérialité de la lumière, quel est le corps de l'image?
Le dessin par et grâce à la lumière
L'ombre portée, la projection lumineuse constituent-elles à proprement parler une pratique de dessin ? Etienne Souriau propose comme définition du dessin : "[...] une œuvre inscrite sur un support à deux dimensions qui présente plastiquement une essence, un concept ou une pensée, ou représente les apparences du monde naturé ."
Dans les œuvres citées, il n'y a pas ou peu d'inscription. Le dessin est immatériel, intangible comme une ombre : fugace. Néanmoins, face à cette définition de tracé, nous pouvons opposer la légende du premier dessin réalisé par une jeune fille corinthienne avant de laisser partir son amant à la guerre. Ainsi, pendant le sommeil de son bien-aimé, la jeune femme trace le contour de l'ombre du beau visage. Préfigurant la mort et s'inscrivant dans la conception grecque de l'ombre comme une image désincarnée, ce premier dessin prend naissance dans un lien étroit avec l'ombre. Si dans la légende corinthienne, l'ombre crée un dessin, dans les œuvres étudiées, l'ombre elle-même devient le dessin. Le graphisme se dote d'un nouvel outil et d'une nouvelle matière. Le dessin se fait par et grâce à la lumière. Il délaisse l'inscription par la main de l'artiste au profit de celle de la lumière.
Un jeu complexe d'ombre et de lumière
De l'apparition de la photographie aux sculptures de lumière de Dan Flavin en passant par le modulateur de Moholy-Nagy, la lumière n'a plus la seule fonction d'éclairer mais elle est désormais objet et matériau.
Dans un jeu de positif-négatif, Lodi II de Bernard Moninot rejoue les codes de la photo-graphie, qui écrit par la lumière et crée un négatif avant de fabriquer une image. Ce type de fabrication propose une image détournée et en négatif d'un objet banal. La présence et la référence photographique sont fortes. Le dessin devient une écriture de lumière. Dans ces œuvres, l'ombre permet de créer une troisième dimension et donne un relief au premier dessin. Les catégories du dessin et de la photographie s'entremêlent dans la définition d'un dessin contemporain qui ne cesse de questionner la représentation, au premier sens du terme, de double, de présence.
Trois idées fortes
La présence de l'ombre est patente, structurante. L'ombre dessine. Elle n'est pas une trace mais l'objet du regard. Paradoxalement elle est en lumière. Ce jeu complexe de lumière et d'ombre semble faire se rejoindre deux techniques, deux catégories : la photographie et le dessin. Projection, inscription ou révélation, nous sommes donc face à une écriture de lumière. L'image est construite par l'ombre mais pas uniquement, l'objet est indispensable. Il est premier dans les deux systèmes graphiques (ou photo-graphiques) proposés. La contradiction intervient précisément dans ce passage entre la matérialité de l'objet et son dessin projeté.
Les deux œuvres projetées utilisent la lumière pour créer l'ombre formant à son tour un dessin. L'objet dialogue ou se fait oublier sous la lumière. Une trilogie est mise en place : ombre, lumière, objet. Du banal au merveilleux, de l'ombre à la lumière, du désordre à la figure, la magie opère et fait apparaître sous nos yeux la poésie des "images-objets".