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le Goncourt des Lycéens 2004 au lycée agricole Le Fresne d'Angers

mis à jour le 10/04/2008


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Un bilan de la participation, à l'automne 2004, d'une classe de seconde du lycée agricole Le Fresne d'Angers

mots clés : Goncourt, lecture critique, prix littéraire, jury littéraire


au début, rien n'est simple...


Pour qui enseigne, depuis des années, des décennies même (c'est mon cas), le risque est grand de vivre dans une certaine routine, de reprendre d'année en année avec quelques variations les mêmes cours, les mêmes auteurs, les mêmes textes, les mêmes thèmes... Certains en arriveraient à penser que l'enseignement est un « long fleuve -pas toujours très- tranquille... qui mène à la retraite », mais ils oublieraient de voir que certaines aventures méritent encore d'être courues pour avoir la joie de découvrir de nouveaux rivages et que certains défis méritent d'être relevés pour retrouver l'enthousiasme des jeunes pionniers.
Alors lorsqu'un projet comme Le Prix Goncourt des Lycéens se profile à l'horizon d'une rentrée scolaire et d'une rentrée littéraire, c'est l'occasion de provoquer quelques changements salutaires dans l'esprit de l'enseignant et de ses élèves, dans les méthodes de travail et de favoriser une approche vivante et active de la lecture et de la littérature...

En Septembre 2004, conscient des difficultés et des problèmes qui ne manqueraient pas de surgir et de l'investissement personnel en temps et en travail supplémentaire, j'ai donc choisi de relever le défi et de partir à l'aventure avec une de mes classes, une Seconde du Lycée Agricole du Fresne à Angers (une « première » dans un lycée technique de l'enseignement agricole) composée de 30 élèves (8 filles et 22 garçons).
La classe de Seconde, sans charge d'examen  en fin de l'année, présente l'avantage de proposer un programme et un horaire (notamment avec le dédoublement des heures de module) tout à fait compatibles avec ce projet... Seuls l'âge moyen des élèves, autour de 15-16 ans, et leur manque de maturité pourraient être un handicap, vite surmonté en cours de projet.
 

quantité et qualité

L'annonce du projet le jour de la rentrée et l'annonce du programme du Goncourt des Lycéens 2004 une semaine plus tard, font l'effet d'un véritable électrochoc sur les élèves ! Lire les 14 romans sélectionnées par les Goncourt, soit 4200 pages en 50 jours, semble d'abord une folie, une « mission impossible »... Certains élèves iront jusqu'à écrire qu'ils ont été pris en « otages » ! On est loin de leurs habitudes de lecture (2 ou 3 livres en moyenne par an pour le plaisir), et loin des quelques livres (5 ou 6 par année scolaire selon les recommandations du programme) -pas toujours lus entièrement- imposés par l'enseignant de français dans le cadre du cours.
Lors de la première distribution des livres au CDI avec les représentants de la FNAC, les réflexes habituels sont les premiers critères de choix : la plupart des élèves se ruent sur les livres les moins épais (Dernier amour de Gailly, 120 pages) et délaissent les « pavés » (Dans la marche du temps de Rondeau, 980 pages). Une semaine plus tard, après un premier échange et une seconde distribution, les préjugés commencent à tomber et les critères de choix sont plus élaborés : on discute avec le camarade qui a déjà lu le livre, on lit attentivement la quatrième de couverture, on feuillette...
Ce qui était impossible hier commence à devenir envisageable. La compétition de lecture est même lancée entre élèves. Le « miracle » Goncourt s'est produit, l'aventure suit son cours et rien ne pourra l'arrêter. Six semaines plus tard : les 30 élèves auront lu presque 8 livres en moyenne (entre 5 et 10 pour la majorité, 1 aura lu les 14 livres, 6 plus de 10 et 2 seulement n'ont pas franchi le seuil des 5 livres) et chacun aura lu plus en 50 jours que dans les 365 jours précédents ! Le défi de la quantité a été relevé... et tous ou presque auront changé leur rapport à la lecture, s'étonnant même de leur capacité à lire autant ! L'action ne s'arrête d'ailleurs pas d'un seul coup après le vote, les élèves continuant à lire pour découvrir les livres qu'ils n'avaient pas lus, puis découvrant les autres romans d'auteurs qu'ils avaient appréciés (Zeller, Grimbert) ou découvrant les lauréats des autres prix littéraires (Laurent Gaudé Le soleil des Scorta Prix Goncourt 2004 ou La mort du roi Tsongor Prix Goncourt des lycéens 2002), enfin devenant à leur tour des passeurs : faisant lire leurs camarades de la classe (lors d'exposés programmés sur le reste de l'année), d'autres classes au cours d'une soirée au CDI, leurs parents (un parent sur deux avait lu au moins un des livres de la sélection avant Noël).
Cette course n'a pas empêché quelques réflexions sur la quantité (caractéristique de la production française où les éditeurs inondent le marché en attendant que les critiques et les prix fassent une deuxième sélection). Ainsi les élèves ayant appris que plus de 440 romans français étaient publiés à la rentrée de septembre 2004 et ayant compris l'importance des prix littéraires, ont eu à cœur de lire le maximum de livres. Cependant, on peut regretter cette surenchère effrénée, en rappelant que lors des éditions précédentes une dizaine de romans sélectionnés suffisait largement !
Si ce « miracle » se reproduit chaque année, dans chaque classe, c'est que le projet est bien rôdé et fonctionne -presque- tout seul, générant des actions, des animations et des rencontres... Devant ces choix multiples, il est parfois difficile pour les élèves et les accompagnateurs de dégager une priorité : lire le maximum de livres pour bien choisir avant le vote ou se « disperser » dans de multiples activités, toutes aussi intéressantes les unes que les autres, mais difficiles à maintenir de front... Surtout quand pour l'enseignant, il y a d'autres classes à assurer et pour les élèves d'autres cours à suivre, d'autres matières à travailler. Cependant cette recette pourrait être allégée et adaptée à de nombreuses classes de lycées en diminuant le nombre de livres à lire, en réduisant les charges de travail...etc.

 

diversité

Face à la diversité des thèmes, des styles proposés dans la sélection de 14 romans, il est facile de trouver quelques notions du programme qui aident les élèves dans leur lecture et qui trouvent naturellement leur illustration : ainsi l'approche des différentes caractéristiques du genre biographique, de l'autobiographie à l'autofiction en passant par le roman autobiographique était largement facilitée cette année avec les ouvrages d'Amélie Nothomb  Biographie de la faim, de Marie Nimier La reine du silence, de Philippe Grimbert Un secret ou de Franz-olivier Giesbert L'américain ; de même un travail sur le registre réaliste et les niveaux de langue trouve une application immédiate dans les romans de Jean Paul Dubois Une vie française ou Florian Zeller La fascination du pire ; enfin l'étude des titres, des quatrième de couverture permet de comprendre les fonctions du paratexte... quant à l'étude des incipits, elle permet de mesurer la variété des situations d'énonciation et des stratégies narratives...
Inutile d'ajouter que les techniques de résumé, la rédaction de fiches de lecture ou de simples « coups de cœur » viennent logiquement compléter les premiers travaux d'approche : ils sont d'autant mieux acceptés que la compétition est ouverte pour répondre à la demande des documentalistes qui intégreront les meilleures fiches individuelles ou collectives dans le fichier du CDI ! Puis l'analyse d'articles critiques recensés dans la presse écrite (l'accès à Internet ayant été limité pour des problèmes techniques pendant les deux mois du projet à l'intérieur du lycée)  a débouché sur la rédaction d'articles personnels où les amateurs du « copier-coller » ont vite été démasqués et ont juré « qu'on ne les y prendrait plus » !
Parallèlement, les méthodes d'argumentation devenues nécessaires pour débattre ont connu les progressions les plus spectaculaires, d'abord à  l'intérieur de la classe quand il s'est agi de défendre le livre de son choix et de déterminer les critères de ce choix (dans cette classe où les élèves ne s'écoutaient pas les uns les autres, deux séances de face à face en classe entière ont été très bénéfiques) ; ensuite à l'extérieur lorsque chaque roman a été présenté et défendu par deux élèves (fin Octobre dans le cadre de Lire en Fête) devant un public varié composé d'élèves, d'étudiants, d'enseignants et de personnels du lycée ; puis pour quatre d'entre eux devant les micros d'une radio locale pendant une heure face à un journaliste et le chargé de communication de la FNAC.
Le rôle des différents médias est important pour la réussite du projet car face à des élèves sensibles à toute médiatisation de l'information, ils montrent que l'intérêt ne se limite pas au champ clos de la classe ou du lycée : un flash à la télévision locale, quelques réponses reprises par plusieurs radios locales et surtout 7 articles dans les deux quotidiens (Ouest-France et La Courrier de l'Ouest) qui ont assuré le suivi de l'opération sur deux mois et demi.
Enfin et surtout, les rencontres avec les écrivains sont l'occasion de modifier radicalement le rapport de l'élève au livre, à l'auteur et à la littérature en général. La classe a pu rencontrer Marc Lambron à la FNAC de Nantes et Florian Zeller à Angers en Octobre, puis Philippe Grimbert  en Janvier 2005. Dépassant rapidement le premier préjugé selon lequel les écrivains sont tous morts depuis longtemps, les élèves oscillent ensuite entre l'agacement et la séduction devant des écrivains qui ne les laissent jamais indifférents, puis dépassent ce moment de fascination (fut-elle celle du pire, avec force débats devant la prestation de Florian Zeller) pour débattre des véritables enjeux sur la nécessité d'écrire, sur le sens du message...
 

réflexion du professeur

Ainsi est atteint un des objectifs essentiels : celui qui permet aux élèves de se forger une opinion vraiment personnelle en lisant, sans tenir compte des avis des camarades ni des critiques lues dans la presse. Sauf de rares cas, ils ont préféré lire le maximum de livres et ont délaissé la lecture des articles critiques parus dans la presse et des sites Internet où ils auraient pu échanger et trouver matière à réflexion.
Le jour du vote est donc arrivé, vite, trop vite... et chacun a voté, pleinement conscient de son rôle. Les règles du jeu étant claires et connues de tous, le tiercé gagnant a été dégagé dès le premier tour... avec 3 romans qui ont obtenu le même nombre de voix ! Nouveau débat et nouveau vote... qui ont donné lieu à de nombreuses interrogations et réflexions sur les règles du jeu démocratique !  Deux semaines plus tard, les esprits étant calmés, deux nouveaux votes avec des règles différentes proposées par les élèves (avec attribution de points proportionnels au nombre de livres lus) ont abouti aux mêmes choix, avec quelques inversions dans l'ordre du tiercé ou quarté gagnant ! Ont abouti aussi à de nouvelles réflexions : ainsi le vote pour tel roman pouvait être lié à la personnalité de l'élève qui l'avait le mieux défendu ; à l'inverse, certains romans avaient été écartés (parfois sans être lus) parce que défendus par des élèves plus isolés dans la classe. D'où une réflexion sur les pressions qui peuvent exister dans tout vote et sur les stratégies de vote élaborées par certains qui ont permis de relativiser les critiques adressées dans un premier temps aux prix littéraires institutionnels décernés par des professionnels élus à vie !
Sur cet aspect, peu abordé dans un cours de français, il aurait donc fallu prévoir la présence d'un collègue sociologue capable d'analyser l'évolution du groupe.

Au final, grâce au projet, les élèves sont sortis de la classe, se sont retrouvés dans des situations concrètes d'argumentation et de communication face à des adultes, souvent extérieurs au milieu scolaire. Leur esprit critique, leur capacité à argumenter ont été renforcés ; ils sont devenus  plus actifs, plus critiques et deviennent aujourd'hui des passeurs.
Pour tous, le défi a été relevé et l'aventure était magnifique, tellement que la majorité ne pense qu'à la poursuivre pour découvrir de nouveaux livres, de nouveaux auteurs, de nouveaux horizons.
 

information(s) pédagogique(s)

niveau : Lycée tous niveaux

type pédagogique : analyse de pratique, démarche pédagogique

public visé : enseignant, chef d'établissement, inspecteur

contexte d'usage : classe, espace documentaire, sortie pédagogique

référence aux programmes :

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éducation artistique et action culturelle - Rectorat de l'Académie de Nantes