Sans entrer dans le cœur du dispositif didactique, il semble intéressant de faire un bilan rapide de ce que les élèves ont pu effectivement « faire ». A la vérité, les activités autour du Prix Goncourt sont si nombreuses qu'il est important, d'emblée, de choisir des activités adaptées au niveau de la classe, à son l'environnement, au sein du lycée, comme au niveau local. Le Goncourt des lycéens a d'ailleurs été l'occasion au Lycée Le Mans-Sud de puiser dans des ressources internes à l'établissement.
4.1 Activité de lecture
Il n'est pas nécessaire de le rappeler, l'objectif du Prix Goncourt des lycéens est de lire des livres. Cet objectif a été largement atteint. Encore faut-il, pour l'enseignant, stimuler sans cesse une activité peu reconnue des adolescents, surtout sur un rythme de lecture auquel les lycéens ne sont pas habitués.
Il est rapidement apparu qu'il était nécessaire de donner aux élèves du temps sur les heures de cours pour lire. Il a semblé risqué, en tout cas, de compter sur le seul temps non-scolaire. D'emblée, il a donc été décidé que les heures d'aide individualisée, les modules et les heures de vie de classe seraient réquisitionnées pour augmenter de façon substantielle le nombre d'heures de Français par élève. Autrement dit, sur ces heures, toute la classe était présente, ce qui a permis de dégager du temps pour lire, en maintenant cependant quelques heures pour poursuivre les apprentissages parallèles à la lecture. Les différentes salles du CDI ont permis d'organiser des groupes de travail, voire différents ateliers pour une aide individualisée. Par exemple, un lundi matin, la classe a été divisée en trois : un groupe de préparation de l'émission du lundi soir, lui-même réparti en trois groupes, un pour chacun des auteurs, un groupe de lecture, autonome, et un groupe en activité de recherche sur Internet. Le groupe de préparation de l'émission était encadré par Melle Lasne (sur son temps libre) et M. Degoulet, le groupe de recherche par Mme Brossard.
Comme le montre le tableau récapitulatif des activités (voir infra annexe 1), aucun élève n'est resté en marge de l'activité de lecture. Au contraire, ceux qui déclaraient être réticents à la lecture, au premier abord, ceux qui se donnaient pour objectif de lire « trois livres » ont été pris dans l'émulation collective et ont dépassé leurs objectifs.
La moyenne des livres effectivement lus est supérieure à huit (8, 65), ce qui est plus important que la moyenne observée par les organisateurs au niveau national (la moyenne avouée étant de six, même s'il n'existe aucune donnée officielle).
Sur le plan de la lecture, l'objectif est donc rempli, même au-delà des espérances les plus optimistes. Mais il faut comprendre qu'outre la bonne volonté des élèves et les stimulations internes au lycée, la radio a joué un rôle important : avec presque une émission par quinzaine, chacun a pu être poussé à lire pour participer à un débat retransmis en direct. Par ailleurs, les rencontres à la télévision avec Eric Fottorino, Franz-Olivier Giesbert et Alain Jaubert ont fait lire les élèves. Enfin, la venue de Florian Zeller au lycée le 20 octobre a incité 32 des 35 élèves à lire La Fascination du pire.
D'une certaine manière, l'élection du délégué de la classe, Frédéric Griffaton, dans le jury final qui a décerné le prix (seuls treize délégués participent à la délibération finale) est le résultat de l'efficacité de la lecture de la classe toute entière. S'il a été retenu par ses pairs au niveau régional, il le doit aux habitudes prises par la classe, notamment de travail sur les textes, au moment des émissions de radio, autant qu'à sa propre capacité de lecture.
C'est donc à l'oral que le Prix Goncourt a pris toute sa mesure. Deux activités ont été significatives : les cafés littéraires et les émissions de radio.
Organisés tous les quinze jours, le mardi, de 13h à 14h (heure de vie de classe pour toutes les classes de seconde), les cafés littéraires ont permis à la classe d'échanger autour d'un café, mais aussi de trois livres, choisis à l'avance. Le débat avait lieu au CDI et pouvaient y participer d'autres professeurs, de la classe ou pas.
Ce qui semble très positif est la participation de plus d'une dizaine de collègues. Les élèves ont à chaque fois trouvé les échanges intéressants. Le fait de pouvoir rendre compte de l'activité de lecture à des individus extérieurs à la classe, partager ses avis avec d'autres adultes que le professeur de la classe ou les documentalistes a été apprécié par tous.
Pourtant, il me semble que le débat gagnerait en densité avec la présence d'un vrai contradicteur, d'un modérateur. A vrai dire, j'en ai plusieurs fois endossé le rôle, mais en marchant sur des œufs : le rôle du professeur n'est pas vraiment de donner son avis, pourtant, les élèves ont besoin d'avoir en face d'eux un adulte qui les provoque, qui déclenche leur prise de parole, l'expression personnelle. Marie-Thérèse Lasne et d'autres sont également venus aider à la tenue du débat, mais j'ai le sentiment que sur ce point il faudrait formaliser davantage l'exercice pour le rendre plus efficace, quitte à trouver des solutions pour pallier le manque de livres.
Nous avons un temps cherché à croiser radio et cafés littéraires : le café du mardi reprenant les livres discutés la veille à la radio, mais les élèves ne voyaient pas l'intérêt de redire ce qu'ils avaient déjà dit la veille à la radio.
On conclura en soulignant que l'activité a semblé utile pour les élèves et qu'en tout état de cause, placée sur les heures de vie de classe, elle a contribué à souder la vie de la classe et à poser les jalons de son éducation citoyenne.
L'utilisation de l'outil radiophonique a donc été la plaque tournante de l'activité Goncourt.
Depuis plusieurs années, Denys Ezquerra anime sur Radio-Alpa, radio locale non-commerciale située au Mans, « En Toutes lettres », un magazine littéraire hebdomadaire diffusé en direct le lundi soir de 19h à 20h. Depuis quelques années, il s'associe au Prix Goncourt des lycéens et reçoit les classes du Mans pour échanger autour des livres de la sélection.
L'intérêt de cet outil est simple : il donne aux élèves un support concret et nouveau pour travailler l'argumentation. Il transcende le débat en classe, en ce qu'il l'ouvre à tous (de nombreux parents m'ont dit avoir écouté les émissions, ainsi que des enseignants) et le rend plus sérieux, plus crédible aux yeux des élèves.
A deux reprises, le mardi matin, Denys Ezquerra est venu préparer les élèves et a également proposé au tout premier groupe de répéter, de s'entraîner à la prise de parole en vue de l'émission (tout cela sur son temps libre).
L'objectif de l'exercice est en réelle adéquation avec les programmes de seconde, puisqu'il était nécessaire de créer, autour de chaque œuvre, un groupe équilibré, autant que faire se pouvait, entre des élèves qui avaient aimé le livre et d'autres qui pouvaient en dire les limites, voire le critiquer. Il était donc nécessaire, en amont, de préparer des argumentaires, puis, alors en direct, d'organiser l'échange. L'exercice fut difficile, pas toujours totalement réussi, mais on a rapidement constaté que l'appréhension de départ a vite été dépassée : tous les élèves qui ont participé ont toujours été volontaires, certains sont même revenus une seconde fois.
En tout, la classe aura participé à quatre émissions, débattu de sept romans et témoigner de son expérience du prix Goncourt. Le délégué de la classe, élu au niveau national, a donné son avis « à chaud » le soir du 8 novembre en rentrant de Rennes.
Par le biais de la radio, la classe de 2. 07 a eu également la chance de participer à une émission de télévision. En effet, à l'initiative de Radio-Alpa, des plateaux communs avec Canal8, chaîne locale diffusée sur le câble, ont eu lieu pendant la « 25ème heure du livre », manifestation ayant lieu au mois d'octobre au Mans. A cette occasion, les élèves ont pu interviewer trois auteurs, dans une émission diffusée en direct à la radio, puis en différé à la télévision. L'exercice était alors différent, puisqu'il ne s'agissait plus de débattre d'un livre, mais d'interroger son auteur.
L'ensemble de ces activités liées aux médias locaux a été un véritable moteur pour l'activité de lecture : vingt-six élèves sont passés une fois - et plus - à la radio, six élèves étaient sur le plateau de télévision, avec à chaque fois le défi de tenir un discours sur une œuvre littéraire, discours à la fois préparé, mais également improvisé dans le feu des échanges.
On constate, au terme de l'opération Goncourt, qu'au-delà de la lecture ou la connaissance du roman contemporain, un autre véritable bénéfice est au niveau de l'argumentation. Grâce à la prise de parole publique, les élèves ont immédiatement pris conscience des enjeux de l'argumentation autour de l'œuvre littéraire : nécessité de connaître impeccablement l'œuvre dont on parle, mais surtout besoin de convoquer les bons passages pour prouver ce que l'on avance et donc convaincre son auditoire. Il a donc été posé des jalons sûrs pour les exercices de commentaire et de dissertation.
- Rencontres avec les écrivains
La classe de 2. 07 du lycée Le Mans-Sud a eu la chance de rencontrer beaucoup d'écrivains. En dehors des rencontres Goncourt à Rennes, l'émission organisée pendant la « 25eme heure du livre » a été l'occasion de rencontrer trois auteurs : Franz-Olivier Giesbert, Alain Jaubert et Eric Fottorino, venus à la rencontre de leurs lecteurs et qui ont tous trois accepté avec enthousiasme de répondre aux élèves membres du jury du Prix Goncourt des lycéens.
Par ailleurs, Florian Zeller est venu au lycée, à l'initiative de la FNAC.
Tous ces contacts ont permis aux élèves de comprendre les conditions de création de l'œuvre littéraire et ce qui constitue le champ littéraire.
Le point apparemment le moins développé du Prix Goncourt des lycéens au lycée Le Mans-Sud aura été, par certains aspects, l'écrit. Entre l'activité de lecture à proprement parler et la préparation des émissions de radio - activité orale, donc - il y a eu les évaluations écrites et la préparation des argumentaires, pour passer à l'écriture. Peu nombreuses, il est vrai par rapport à l'oral, les activités d'écriture ont néanmoins joué un rôle décisif.
Profitant des argumentaires mis en place par les élèves pour préparer les débats, notre choix s'est porté sur l'écriture épidictique, qui a trait à l'éloge et au blâme. Le texte de critique littéraire, s'il peut croiser différentes formes de discours (informatif et narratif notamment) est avant tout argumentatif, puisqu'il vise à convaincre le lecteur de lire ou pas un livre. L'éloge et le blâme relèvent bien de l'argumentation, mais dans une forme moins familière aux élèves, plus complexe à cause des différentes formes de discours qu'on y croise. En cela, elle est une forme d'argumentation riche et intéressante pour les élèves qui peuvent jouer sur la biographie de l'auteur, le résumé du livre et l'argumentation plus traditionnelle. L'écriture épidictique a donc permis aux élèves de dépasser le cadre strict de la défense d'une thèse.
A deux reprises, les argumentaires des élèves ont été évalués par des exercices d'écriture épidictique dans un cadre d'invention. Il s'est agi, dans un premier temps, d'écrire à quelqu'un de sa connaissance pour le convaincre de lire un livre de la sélection. La lettre demandée avait les caractéristiques de l'écriture critique, puisque le correspondant était censé ignorer tout de l'écrivain et du livre. Par la suite, l'écriture de la lettre a été réinvestie dans un cadre énonciatif différent, puisqu'il s'agissait d'écrire directement à un auteur pour lui signifier le rejet de son livre.
La dernière évaluation a amené les élèves en périphérie de l'exercice de la dissertation : il s'agissait, en s'appuyant sur le corpus du Prix Goncourt, de définir ce qui faisait un « bon roman ». Par attraction-répulsion, les élèves ont très bien su montrer qu'ils avaient maintenant un bagage de lectures et qu'ils avaient développé leur esprit critique.
D'ailleurs, entre le premier et le dernier exercice, les critères d'évaluation des livres ont sensiblement évolué et les élèves ont appris à affiner leur analyse, passant de la simple verbalisation d'un goût pour le livre à l'appréciation d'une structure littéraire complexe (Korsakov, d'Eric Fottorino par exemple) ou à l'analyse de sentiments recherchés, parce que liés à la fiction et à l'autobiographie (nous pensons à Un Secret, de Philippe Grimbert).
On peut donc dire que si l'écrit n'a pas été un point nodal de l'opération, les activités d'évaluation menées ont été assez nombreuses pour que l'ensemble ne soit pas complètement coupé de l'écrit. D'ailleurs, l'écrit a été un très bon moyen d'évaluation des préparations, notamment des argumentaires, pour les activités orales. On peut constater que les élèves qui ont le mieux réussi les évaluations écrites sont ceux qui s'étaient investis de façon significative dans les activités orales et qui ont su en reprendre les meilleurs éléments.