Contenu

éducation artistique et action culturelle

Recherche simple Vous recherchez ...

espace pédagogique > actions éducatives > action culturelle > pratiques

une conférence sur la lecture à haute voix par Yves-Jacques Bouin au Mans (72)

mis à jour le 20/05/2010


lireavoixhaute.jpg

Dans le cadre des conférences du mardi de l'Inspection Académique de la Sarthe, Yves-Jacques Bouin, comédien, poète, est venu donner une conférence intitulée : "Livre ouvert, gorge déployée", le 16 mai 2010 à l'IUFM du Mans.

mots clés : voix, lecture à haute voix, profération


le propos...

Le texte qui suit est extrait de la conférence d-Yves-Jacques Bouin. Il est donc écrit à la première personne.

Nous nous intéresserons à la profération du texte littéraire.
Première chose à savoir : l'expression orale est un acte sportif. Comme n'importe quelle  activité sportive la parole fait appel à toutes les énergies du corps. Si au bout d'une heure passée à parler on ne se sent pas physiquement, musculairement fatigué c'est que la profération n'a pas été optimum. Mais c'est aussi une bonne tonicité, une bonne synergie, qui va permettre de ne pas subir mais de maîtriser cette fatigue, qui dans le cas contraire conduirait à l'altération de la profération.
Pour illustrer mes propos, je ferai appel à un certain nombre de poèmes pris dans le répertoire des poètes contemporains. Pour certains très connus, pour d'autres beaucoup moins.
 silhouette

les quatre énergies

Il faut d'abord identifier les 4 énergies utilisées pour la profération :
 

l'énergie physique


Le mouvement, la force. L'appareil musculaire est logiquement sollicité pour la parole : à commencer par la respiration, les muscles du visage, le dos, le mouvement des bras, la stabilité des jambes et des pieds.
Pour illustrer de façon amusante cette dépense d'énergie physique, j'ai choisi un poème d'Henri Michaux : le grand combat.

[Yves-Jacques Bouin fait la lecture de ce texte]

Qu'en termes choisis ces choses-là sont dites. Dans ce poème qui abonde en néologismes, la lutte, la déstabilisation, le ventre sont évoqués, l'émotion également. Autant d'éléments auxquels nous sommes confrontés  avec la lecture à voix haute.
En matière d'expression orale,  le grand secret, c'est un peu celui de polichinelle comme on va le constater au cours de cette présentation.

l'énergie émotionnelle


Les émotions vont permettre aussi le passage à une bonne profération. Mais pas n'importe quelle émotion. En effet, les deux extrêmes d'une émotion non maîtrisée pour  celui qui parle en public sont d'un côté la timidité et de l'autre le cabotinage ; exprimer plus violemment : d'un côté l'inhibition et de l'autre l'hystérie. On voit avec l'une comme avec l'autre, les entraves et disfonctionnements que cela peut entraîner dans la parole. On peut ne pas pouvoir sortir un son, on peut rougir, on peut bégayer etc. Il est donc nécessaire de pouvoir maîtriser son émotion : l'éprouver, l'identifier ; repérer les situations dans lesquelles elles se manifestent. Une bonne connaissance des effets de l'émotion sur sa propre prise de parole va permettre le début de cette maîtrise. Et la maîtrise de l'émotion est ce que j'appellerai les sentiments. Les sentiments ne rendent pas malades, au contraire ils permettent de vivre et de traverser les situations sainement. Les sentiments sont l'émotion maîtrisée. L'émotion maîtrisée peut s'appliquer aux textes que nous avons à lire ou à dire. Elle devient un atout, un outil et non un licou. Maîtriser son émotion ce n'est pas la cacher, la réprimer, c'est la possibilité de la mobiliser, de la faire surgir, quand on en a le désir et avec l'intensité et la durée que l'on a choisies. Sa maîtrise permet de la communiquer aux autres.
Par exemple, avec peut-être, le poème le plus connu d'Apollinaire : Le pont Mirabeau (in Alcools).

[Yves-Jacques Bouin fait la lecture de ce texte]

la troisième : l'énergie intellectuelle


C'est l'appel à la mémoire, l'exercice de l'instruction, de l'éducation, et aussi le test, l'exercice de l'imagination. Tout acte de lecture fait appel à la mémoire.
Mais reprenons,  par exemple, le poème d'Apollinaire que je viens de dire. L'espièglerie de Jacques Roubaud, quasi enfantine lui fait écrire deux textes intitulés Pont Mirabeau dans le très beau titre de son recueil : la forme d'une ville change plus vite hélas, que le cœur des humains :
1er texte :
 « Sous le pont Mirabeau coule la Seine »
« Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne ? »
puis il nous fait remarquer à la page suivante :
Quand deux cours d'eau de noms différents se rencontrent, le cours d'eau qui résulte de leur confluence prend le nom de celui dont le débit est le plus élevé au moment de leur rencontre. Selon les mesures les plus récentes, le fleuve qu'on nomme Seine à Paris devrait s'appeler Yonne.

Ainsi Roubaud peut conclure par ce second poème :

Sous le pont Mirabeau coule l'Y-onne
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvionne
La joie venait toujours après la ponne.
 
 Ainsi, c'est notre mémoire, la connaissance du poème d'Apollinaire qui nous permet de comprendre immédiatement de quoi il s'agit et d'apprécier l'humour du texte de Roubaud.

Un autre poème de Jacques Roubaud avec lequel on pourrait tenir le même propos :
Jacques Roubaud nous dit l'avoir lu devant  une classe de très jeunes élèves au grand scandale de l'un d'entre eux. La vache : description

La Vache Est Un Animal Qui A Environ
Quatre Pattes Qui Descendent Jusqu' A terre.

 (in les animaux de tout le monde)
silhouette
 

l'énergie sexuelle


Enfin la quatrième énergie, illustrée par un poème de Pierre Morhange intitulé : Les mains.

[Yves-Jacques Bouin fait la lecture de ce texte]

La quatrième énergie, je l'appellerai  énergie sexuelle : celle qui fait appel au toucher, aux sensations. L'intimité que l'on entend dans le poème de Pierre Morhange, il faut avoir l'ambition de l'obtenir avec son interlocuteur, mais aussi avec soi-même.

Pour la parole, plutôt que les mains, c'est l'ensemble de l'appareil vocal, mais aussi le regard, qui vont exercer cette fonction du toucher. Il va falloir retrouver les sensations de la petite enfance, voire même plus jeune encore : à nouveau prendre conscience de la présence de la langue, de la salive, des dents, des lèvres, du palais, de la luette, de la gorge, des poumons... autant de parties du corps auxquelles nous ne pensons que lorsqu'elles nous font mal pour une raison ou une autre. Ou alors au moment où on les utilise, précisément, pour des fonctions érotiques.
Avec le désir d'une bonne expression, il va falloir en retrouver la jouissance telle que celle d'un enfant qui apprend à parler. Il va falloir, en toute modestie apprendre à parler et à lire, alors que nous savons ou croyons savoir faire l'un et l'autre.
Or combien de fois faisons-nous des erreurs de lecture, bégayons-nous sans même nous en rendre compte. Ce sont souvent les autres, ceux qui nous écoutent, qui nous font la remarque et nous corrigent. Combien d'entre-nous finissent par prendre des tics de langage, un débit trop rapide ou trop lent, une intensité trop faible ou trop forte, un ou plusieurs défauts d'articulation, une paresse à articuler correctement. Ces défauts peuvent s'accumuler, évoluer, disparaître au profit de l'arrivée de nouveaux etc. C'est une vigilance à les chasser qui permet une expression tonique.

Souvent celui qui écoute peut dire : cette personne m'a touché ou encore ce qu'il a dit m'a marqué, ça m'a frappé ; ça m'a choqué ; j'ai été bousculé par ses propos. Ces expressions ne sont pas seulement une manière de parler ; elle ne désigne pas seulement les sentiments éprouvés. En effet, le son vient bien toucher le tympan. Le regard vient bien effleurer le regard ; une émotion se communique au cerveau, aux neurones. C'est cette relation-là qu'il faut créer, préserver,  avec la ou les personnes à qui on s'adresse et qui permettra la meilleure écoute.
Avec la jouissance il va falloir retrouver aussi l'enthousiasme ou encore l'impatiente : l'enthousiasme face au jeu, à l'événement ludique, l'impatience face au désir de jouer et de gagner, de marquer un but ; le petit enfant veut avoir le ballon pour lui tout seul ; il faut retrouver ce désir qui sera tempéré ensuite par notre structure adulte qui sait, ou doit savoir, partager ; mais la parole on ne nous la donne pas : il faut la prendre, on la prend au silence. Ensuite il faut la garder ; ensuite il faut la remettre, la remettre en jeu, la restituer, la redonner, la rendre.

 De telles remarque semblent évidentes. Mais combien, dans l'acte de parler, utilise de façon optimum ces quatre énergies ? Qui a conscience de devoir les mobiliser de façon permanente au moment de la profération.

Une partie de mon propos s'appuie sur une méthode de travail appelée la technesthésie. La technesthésie est la technique des sensations. C'est une manière de retrouver les sensations d'enfant.
Je ne parlerai que des mécanismes de base ; on peut en nommer quatre.

les quatre mécanismes

 

en premier, le combiné de base


La mémorisation est nécessaire pour regarder le spectateur.
Pas de partage et d'adresse à l'autre sans la présence quasi permanente du regard. Or, pendant un exercice de lecture c'est un vrai problème puisqu'on aura les yeux baissés sur son livre ou sa feuille. D'où la nécessité de la mémorisation ; ce qui ne veut pas dire apprendre par cœur, mais retenir l'image des mots l'instant de la profération ; les retenir comme on reconnaît immédiatement une image, par ce qu'elle représente mais aussi par son emplacement.
Il est nécessaire de mémoriser peu de mots à la fois si l'on veut être sûr de sa mémoire. Mais comment faire ce prélèvement ?  C'est ce qu'on va appeler le groupage de mots.
Pour vous montrer par l'absurde à quel point le groupage de mots est utile, je vais vous lire un texte d'Albane Gellé extrait de son livre l'air libre paru à lenseigne de l'Idée bleue.

[Yves-Jacques Bouin nous a alors lu le texte une première fois en groupant mal les mots, effectuant des coupes qui désarticulaient le sens, et une second fois en groupant bien les mots de manière à donner du sens à la lecture du texte]

Le groupe de mots (appelé syntagme en linguistique) c'est la plus petite unité de langage ayant une signification pour l'auditeur, sans qu'il se pose de question de compréhension. La parole n'est jamais émise sans qu'elle soit criblée de nombreuses interruptions. Mais ces coupures ne peuvent pas se faire n'importe où. Et dans un texte il y en a plus qu'on ne l'imagine.
La découverte de toutes les coupures permet le principe de ralentissement d'un texte. Ce principe du groupage de mots travaille sur le contrôle du temps,  une convention s'établit entre la pensée et le moteur, celui-ci permettant à celle-là de fonctionner à l'aise. Le groupage de mots permet de répartir la respiration, de choisir aussi les moments où elle peut s'exercer. Une bonne respiration évitera l'émotion qui entraînerait une bousculade des mots à la sortie.

Remarque : lorsqu'on établit les groupes de mots possibles dans un texte, il y a deux groupes  qui doivent être pratiquement systématiquement séparés quand cela est possible. C'est le groupe qui contient le sujet et celui qui contient le verbe. 
Par exemple, l'aphorisme célèbre de René Char :
le poème // est l'amour réalisé du désir demeuré désir.

Ainsi on pose le sujet ; l'auditeur sait de quoi ou de qui on parle ; sinon l'oreille peut entendre le poèmé (le pot aimé) l'amour... et il y aura, si fugace soit-il, un moment d'incompréhension, que la logique réajustera (peut-être) après coup. D'emblée, il ne doit y avoir aucune ambiguïté pour l'oreille.
 
Le groupage de mots et sa mémorisation, c'est aussi s'offrir la possibilité de se séparer de la source de la profération, c'est à dire, le texte. Si nous  gardons le nez sur la page, c'est bien parce que nous craignons de perdre le fil. Il faut s' habituer à la gymnastique du regard, qui doit passer de l'appui sur la page à l'appui sur l'auditoire. Et ce passage du regard sur l'auditoire ne doit pas être fortuit, furtif, mais au contraire appuyé le plus fréquemment et le plus longuement possible.
 

en deuxième, la variation du flux verbal


Il faut que l'énergie soit bien distribuée pour ne pas que le moteur se fatigue. Le moteur de celui qui profère mais aussi le moteur de celui qui écoute. Celui qui écoute n'a pas un rôle aussi passif qu'on veut bien l'admettre, au contraire.
L'écoute est une action. L'orateur doit l'avoir sans cesse en mémoire et s'appuyer sur l'écoute. Cette action est... :
  1. intellectuelle, grâce à la mémoire, clé pour la compréhension.
  2. physique : par l'attitude de l'auditeur, sa posture assise. Il va être justement, à l'écoute, ou pas, et c'est ce avec quoi, celui qui parle va devoir composer, voire lutter ou bien rebondir. S'il est bien assis ou pas, si la salle offre une bonne acoustique, ou pas. Le confort de l'auditeur est aussi à prendre en compte au moment de la profération. 
  3. émotionnelle : c'est l'impatience que l'auditeur va ressentir, son attente ou son ennui, sa bienveillance ou son hostilité... 
  4. sexuelle par le plaisir éprouvé, la jouissance esthétique ou phantasmé.
Souvenons-nous de Louis Jouvet disant : "ce soir, le public avait du talent."

Et donc celui qui profère va devoir travailler la parole, en fonction de la situation dans laquelle se trouve son auditoire.  Il va devoir capter son attention. Et pour cela il va devoir impulser à la parole l'élan, le répit, la lenteur, la rapidité, le silence.

On peut distinguer deux cas extrêmes que nous connaissons tous et par lesquels l'ennui va s'installer chez l'auditeur : 
  • 1er cas : L'orateur qui va faire tourner son moulin à paroles avec une régularité confondante, ce qui va nous bercer puis carrément nous endormir.
  • 2e cas : L'orateur qui oublie que l'auditoire a besoin de moments de répit, de calme, de silence ; il est toujours en train d'emballer la machine à paroles, ce qui fatigue l'auditeur qui finira par ne plus écouter. L'orateur, la phrase, l'auditeur ont besoin de respirer.
La respiration :  le mot respiration vaut autant pour le sportif de la parole... que pour celui qui réceptionne...que pour l'objet lui-même de la profération, c'est à dire le texte.

Voici deux exemples opposés : La Colombe de l'Arche de Robert Desnos et Gabriel Péri de Paul Eluard.

[Yves-Jacques Bouin fait la lecture de ces textes]

Alors qu'avec le groupage de mots on travaille sur le temps avec l'accéléré et le ralenti on travaille sur le contrôle de l'énergie.
 

en troisième, le geste articulatoire


C'est l'obtention de la plus grande précision syllabique. On n'en a jamais fini avec cette précision.
Le toucher buccal ; c'est le domaine des sens, le retour aux sensations de l'enfance : savoir gérer sa salive, sentir ses lèvres, sa langue, son palais, l'arrière-gorge, le nez l'articulation : c'est ce qui va permettre cette grande précision. Il ne faut jamais se satisfaire de l'à-peu-près.
Et cette précision se fait, bien sûr, par l'articulation des consonnes et des voyelles ; la consonne, c'est à dire : le son qui sonne avec. Là il est bien entendu intéressant de se pencher sur la phonétique et d'étudier les sons dans leur nuance ; aujourd'hui, à cause de la précipitation, d'une habitude prise de parler vite depuis deux à trois décennies,  des nuances de son disparaissent et c'est bien dommage. La différence entre le son « an » a.n. et le son « en » e.n. n'existe pratiquement plus. Et aujourd'hui, qui fait la différence entre « in » i.n. et « un » u.n. ? Un brin d'herbe brun. Est en train de disparaître également la différence entre le son « é » et le son « è ». avec l'informatique, on assiste à un déficit des accents dans l'écriture, ce qui ne facilite pas la conservation de ces nuances qui forment la richesse de l'oralité de la langue.

La bonne articulation se conquiert par l'exercice ; il faut s'entraîner, tout comme un sportif ou un chanteur qui fait ses gammes.
Parfois vient à notre secours, de façon ludique, certaines campagnes publicitaires, (qui souvent, entre parenthèses, doivent beaucoup à la poésie). Ainsi, il y a quelques années,  France Télécom avait affiché les slogans suivants,  pour présenter le téléphone portable :

Je suis chez ce cher Serge.

Sur sa luge cachée Gus lèche sa bûche glacée.

Sacha fonça tout schuss sur la souche et chut.

Giselle se gèle les aisselles aux Seychelles.

On appelle ces phrases des virelangues. Bien sûr on peut en inventer soi-même :

Le chant des mousses sèche le sang des mouches.

Les dalles de la salle se descellent dans les dédales du palais d'Adèle.

Sa grosse sacoche s'affaisse et choit sur ces six gros coussins chafouins.

L'avantage du virelangue est qu'il est ludique ; et ça marche bien avec les enfants. L'esprit de son jeu fonctionne sur la répétition.
Et précisément, l'articulation se bonifie en s'exerçant et surtout en ne se laissant rien passer ; si on fait une erreur dans un texte, il faut se reprendre jusqu'à ce que l'appareil vocal se plie à la difficulté. Il faut penser une erreur de texte comme  une fausse note en plein concert ; ça n'est jamais un hasard, c'est impardonnable et ça s'entend comme un éternuement au milieu de la figure.

L'un des plus célèbre virelangue, mis à part les chemises de l'archi duchesse, est : Je veux et j'exige d'exquises excuses. Avec cette phrase, j'ai vu caler parfois ceux qui avait une excellente diction naturelle ; un moyen de travail est la décomposition des sons. 
  • Jeu vœux zé jègue zi je dec  ski ze zex cu ze. Décomposer les sons permet d'accéder rapidement à la diction sans faille. Ces virlangues sont des cas extrêmes mais on trouve souvent cette sorte de difficulté dans un texte au moment où on s'y attend le moins et c'est à ce moment là que l'erreur nous guette.
Pour travailler la diction, il y a bien sûr, de très bonnes méthodes ; je citerai la méthode Gravollet, par exemple, qui passe en revue systématiquement toutes le combinaisons de sons depuis le ba, be, bi, bo, bu  jusqu'au ba, ge, di, bo, fu, en passant par le minia, minie, minié, miniè, minii, minio, miniu, minian, minien, miniin, minion, miniun...

A chaque exercice correspond un assouplissement d'un élément de l'appareil vocal.
 
Il faut s'exercer, s'exercer sans cesse.

Pour illustrer la nécessité d'une bonne articulation, voici un autre texte d'Henri Michaux : Les Ouménés de Bonnada (in Soyons enfin clairs - Arouet).
Ce texte, je l'ai souvent utilisé dans des cessions de formation, notamment pour la formation professionnelle à l'hôpital ; donc avec des personnes qui n'ont pas forcément une habitude de la lecture. En calant d'une part le découpage du texte, d'autre part en pratiquant la répétition en chœur, puis individuelle, on lève rapidement les appréhensions et finalement on s'amuse.       
                     
Avec l'articulation, on pourrait dire qu'on met en scène les 4 éléments : la terre c'est à dire la chair, notre corps ; le feu : le battement de la langue mais aussi tout le visage qui s'échauffe, voire le corps dans son ensemble ; l'air : le souffle, notre respiration ; l'eau : la salive qui vient à la bouche, voire même la transpiration. Et bien sûr on fait jouer nos sens par rapport à ces éléments.

en quatrième, l'organisation des séquences verbales


Tout a un commencement et tout a une fin. La séquence verbale est une suite ordonnée de termes constituant la plus petite unité d'action.
Lorsque nous parlons, sans nous en rendre compte, nous faisons du montage cinématographique. Deux séquence verbales doivent s'entendre avec la même  perception que l'on a d'un changement de plan au cinéma. Un changement de séquence verbale peut correspondre à un changement de paragraphe, mais il y a de nombreux autres cas. Celui qui lit a sous les yeux ces changements qui correspondent, par exemple à un changement de paragraphe, ou au fait d'aller à la ligne, de sauter une ligne etc. Ces changements de plan ne sont pas toujours guidés par un agencement typographique ; ils sont présents seulement par le sens. L'auditeur, lui, n'a pas tous ces repères visuels. Il ne peut se rendre compte des changements qu'avec son oreille et éventuellement l'attitude physique que lui offre l'orateur.

Pour différencier ces plans successifs, il faut en assurer sans ambiguïté le début et la fin. Cela se fait par ce qu'on peut appeler simplement  l'attaque et la finale.
Pensons au petit enfant. Comment fait-il pour s'affirmer : il commence son intervention en attaquant avec force et en terminant de la même façon. On peut l'illustrer avec ce poème de Paul Vincensini intitulé Dans l'arbre.

T'es fou
Tire pas //
C'est pas des corbeaux
C'est mes souliers //

Je dors parfois dans les arbres
 
Dans un texte aussi court, on peut distinguer trois séquences : deux petites et une grande ; la première qu'on pourrait appeler, par exemple : l'injonction, la seconde : l'explication et la troisième : la résolution de la situation.
Il y a non seulement l'attaque et la finale mais aussi un infléchissement de voix au moment du passage à la troisième séquence, comme un changement de luminosité, de couleur de mouvement ou d'action, dans le passage d'un plan cinématographique à un autre. 
Dans ce cas, les changements de séquence correspondent à des fin de vers.
Voyons avec le poème de Norge intitulé : Les chaises

C'est une chaise qui a créé le monde : // au commencement, il n'y avait que des chaises. Elles s'ennuyaient. // Faisons-nous un homme, dit une chaise, un homme qui posera son séant sur notre siège, qui s'appuiera contre nos dossiers, qui nous changera de place, qui nous polira, nous cirera, nous caressera. // Cette chaise-là pensa l'homme si fortement que l'homme fut. // Et l'homme, enfant de la chaise, vit de plus en plus assis.
 
Dans ce poème, on peut distinguer 5 séquences verbales que j'ai signalées par un double slash. Il n'y a qu'un seul et même paragraphe, un petit pavé de textes et c'est au lecteur de dessiner auditivement les différents plans pour celui qui écoute.

Troisième exemple avec un second poème de Norge intitulé : On peut se tromper.  Ici c'est un cas particulier mais fréquent.

Tiens, c'est une girafe et j'ai cru si longtemps que c'était un pommier. Alors ces pommes que j'aimais tant ? // - C'était de la crotte Aristide. // - De la crotte ! alors, j'aimais de la crotte ? //- Mais oui, Aristide, on peut se tromper et le principal c'est d'aimer.

Il s'agit ici d'un dialogue. Dans ce cas, il y a changement de séquence à chaque fois qu'il y a une nouvelle réplique. 
Mais bien entendu dans une même réplique il peut y avoir plusieurs séquences. Pensons, par exemple, aux longues tirades des tragédies.
Bien commencer permet de se saisir de la parole ; bien terminer permet de la redonner au silence c'est à dire, permet à un autre orateur, dans une conversation, dans une réunion, de s'en emparer.
Gardons encore l'image du petit enfant qui va taper du pied pour s'affirmer ou encore qui va terminer son affirmation, lorsqu'il est en colère par l'interjection : « Na ! ». une fois encore, l'enfant va nous offrir le moyen mécanique de pouvoir toucher de la voix, l'attaque et la finale.
Ce mouvement quasi naturel, je l'utilise systématiquement pour déclencher, d'une part une bonne attaque, d'autre part une bonne finale et enfin un bon dynamisme. Il est aussi une manière de retrouver les sensations du petit enfant qui va puiser son énergie dans le sol.
Avec la séquence verbale, on opère un travail sur la structure du texte.
silhouette
 
La maîtrise de ces 4 mécanismes va permettre de capter l'attention de l'auditoire de façon optimum et surtout si on y adjoint :
  • Les variations de tonalité : de l'aigu au grave et du grave à l'aigu. C'est ce qu'on appelle en chant la tessiture de la voix, c'est à dire l'échelle de sons qui peuvent être émis par une voix sans effort visible.
  • Les variations d'intensité : c'est le parcours qui va de la voix chuchotée à la voix puissante. Souvent aujourd'hui, les jeunes gens, dès qu'on leur demande de parler un peu fort ont comme défense la réflexion : - Mais je ne vais pas crier, Monsieur.
Un exemple de variations avec le poème de Ghérasim Luca : Ma déraison d'être (extrait du principe d'incertitude).

[Yves-Jacques Bouin fait la lecture de ce texte]

La tonalité, l'intensité, mais aussi le changement de timbre, on dit aussi changement de voix, qui peut correspondre, bien sûr, à un changement de personnage dans un conte, une nouvelle, un texte dramatique.
Il faut savoir que le timbre dépend du nombre d'harmoniques que la voix utilise au moment de la profération, l'harmonique étant le son produit au moment où deux vibrations des membranes vocales se croisent. (les imitateurs).
 
Un exemple : La môme néant de Jean Tardieu.
(voix de marionnettes, voix de fausset, aiguë, nasillarde, cassée, cassante, caquetante, édentée.)

[Yves-Jacques Bouin fait la lecture de ce texte]
 
Et encore : Les erreurs de Jean Tardieu.
( La première voix est ténorisante, maniérée, prétentieuse ; l'autre est rauque, cynique et dure.)

[Yves-Jacques Bouin fait la lecture de ce texte]

La tonalité, l'intensité, le changement de timbre mais aussi la maîtrise et les nuances de la respiration. Une respiration ventrale, privilégiant le travail du diaphragme est vivement conseillée. Ce mode de respiration permet d'éviter la contraction du trapèze : c'est un muscle formant une large nappe qui recouvre les muscles postérieurs du cou et de la région située entre les omoplates. Or il est confortable que toute cette partie soit la plus décontractée possible afin que l'appareil vocal soit, lui-même, le plus détendu possible.

Avec la respiration, on peut produire du rythme et du sens. Par exemple : si le souffle est dans l'expiration, cela procure une détente. S'il est dans la rétention, cela va provoquer une tension ou une sorte de bégaiement ; un exemple avec le poème de Raymond Queneau pour lequel, précisément, on peut utiliser les deux possibilités.
Voici un poème de Raymond Queneau bein connu : Encore l'Art Po

[Yves-Jacques Bouin fait la lecture de ce texte]

Avec la maîtrise de tous ces outils, il ne faut jamais oublier d'avoir un objectif, c'est à dire de savoir où on va. Ainsi de l'expression,  on commence à toucher à l'interprétation. C'est ainsi que lorsque je fais travailler la lecture à voix haute, je propose, aux participants, de nombreux exercices de marches ou de déplacements dans l'espace qui nous a été alloué. Avoir un objectif c'est se fixer un but, se rendre à un endroit précis, choisi d'avance, c'est à dire, ne pas piétiner, ne pas flâner involontairement. L'acte de la lecture perturbe l'acte physique d'aller vers ; on l'oublie ; il est nécessaire de le remettre sans cesse en jeu par la concentration, afin de comprendre physiquement ce que l'on conçoit très bien intellectuellement, mais sans pour autant pouvoir le réaliser.

Le recto-tono peut être associé à ce travail de l'objectif : le recto-tono, c'est le ton droit, ton uniforme, uni ; en musique il s'agit d'un chant sur une seule note. Le recto-tono permet de corriger, en partie, les à priori de sens, les voix qui chantent sans s'en rendre compte, ou qui parle faiblement ou trop fort, ou trop grave ou trop aiguë, les personnes qui surjouent, qui tente de donner une certaine interprétation. Le recto-tono est une manière de trouver un son médium une sorte de note centrale, comme on dit en chant, afin de prendre la mesure de ses possibilités vocales.
Pour illustrer le recto-tono, voici un poème de Philippe Jaccottet : L'ignorant.

[Yves-Jacques Bouin fait la lecture de ce texte]

Une remarque concernant ce poème : il contient 5 phrases interrogatives dont aucune n'a été marquée particulièrement par l'inflexion de la voix ; cependant les interrogations sont passées sans problème avec tout leur sens.

quelques précisions de vocabulaire

On peut constater qu'avec les outils de l'expression orale, on aura pu produire du sens, sans pour autant parler d'interprétation. Avec l'interprétation on touche plus profondément au domaine du comédien. Mais jusqu'à présent on n'a pas parlé d'interpréter un personnage, de jouer un sentiment, d'éprouver une émotion ; on n'a pas parlé de psychologie, ni de situation. Cependant rien qu'en utilisant ces instruments de la lecture à voix haute, des sens sont apparus, des émotions ont  émergé, aussi bien chez le lecteur que chez l'auditeur.
Cette réflexion met à jour la différence de sens qu'il y a entre expression et interprétation. L'interprétation sera le choix d'un sens plutôt que d'un autre ou le choix de plusieurs sens.
 

quelques autres précisions de vocabulaire

  • Les cordes vocales : l'emploi de cette expression donne une image fausse de ce que nous avons dans la gorge pou émettre un son : il serait plus logique, plus adapté, d'employer  bourrelets ou membranes vocales, qui se trouvent placés à l'horizontale ; le mot corde offre plutôt une image verticale, d'objets fins, comme des cordes de guitare, par exemple.
  • Ne pas parler de projeter la voix : ce sont les ondes qui transmettent les sons émis par le corps. L'homme fait  résonner et vibrer son corps. On ne demande pas à un instrument de musique, un violoncelle par exemple, de projeter sa voix, de projeter le son qu'il produit. L'instrumentiste va s'employer à faire résonner l'instrument en faisant vibrer cordes et bois.
  • Concernant la résonance et la vibration :  pour reprendre l'exemple du violoncelle : la vibration des cordes se transmet à la table d'harmonie et à l'ensemble du corps de l'instrument pour le faire résonner. Dans le corps humain, ce sont les poumons, l'appareil vocal, la bouche, la gorge et les sinus qui résonnent, c'est à dire les parties creuses de notre anatomie. Le reste du corps ne résonne pas mais vibre. C'est l'ensemble de ces phénomènes, c'est la qualité de la production de sons à la source, qui permettra au son de se déplacer dans les meilleures conditions. Les ondes ne transportent que ce qu'on veut bien leur offrir.
  • Mettre le ton n'a aucune signification ou une signification tout à fait réductrice. A moins que l'on soit dans une situation de représentation, dans la vie, lorsqu'on parle, on ne pense pas à mettre le ton, on ne se dit pas, je vais mettre le ton et cependant toutes les nuances de sens passent. Il n'y a pas une seule façon de dire les choses.
L'important est d'être en adéquation avec soi-même, avec ce qui est dit et avec la façon dont on va l'exprimer. C'est cet accord qui donnera une bonne interprétation.

quelques définitions

On peut faire une différence entre :
  • La lecture : assis sur une chaise , assis derrière une table ou debout  devant un pupitre, mais le livre devant soi.
  • Le récital : sans le livre. Le texte est su par cœur. Il n'y a pas forcément un choix et un ordre précis des textes qui indiquerait une véritable progression dramatique.
  • La lecture-spectacle : elle est mise en scène ; le livre accompagne toujours le lecteur. Il y a une cohérence, un agencement particulier des textes. Le lecteur produit un jeu sur le plateau ; des objets peuvent apparaître, un costume, un décor etc. On reste cependant dans la situation de lecteur.
  • Le spectacle : c'est la même chose mais sans le livre.
Dans tout les cas, une mise en voix est nécessaire. Et cette mise en voix se fait par l'ensemble des outils que je viens de décrire. Une lecture se prépare si l'on veut qu'elle soit réussie.
Dans tous les cas la posture est essentielle ; voilà pourquoi la parole est aussi un acte sportif ; sans être raide, le corps ne doit jamais être relâché mais toujours en éveil, aux aguets. Il doit intégrer le maximum d'informations de façon à être en mesure de les gérer : le bruit extérieur, une salle dissipée, une salle dont l'acoustique est mauvaise, ou trop mate ou trop sonore, etc.
Pour illustrer l'anarchie des positions dont il faut prendre conscience afin de les maîtriser pendant la lecture, voici l'inventaire suivant : Bouinventaire - Toute latitude novembre 1999

Ma conclusion sera donc ce par quoi je commence en général une formation à la lecture à voix haute, c'est à dire la posture. Je viens à l'instant d'en parler.
 

la posture


La posture doit être dynamique :
  • Assis on doit avoir les pied bien au sol, ne pas s'appuyer contre le dossier, le dos droit, le même poids réparti sur le fessier. On doit pouvoir se lever sans effort. Avoir un regard bien horizontal.Debout, c'est ce qu'on appelle la position zéro : bien campé sur ses deux jambes avec la même répartition du poids du corps sur chaque jambe. On doit pouvoir faire un mouvement sans en défaire un autre au préalable. La position zéro est celle qui permet d'être le plus invisible et d'exprimer le moins de choses possibles dans un lieu donné.
Ces deux positions, je les appelle volontiers : Rentrer chez soi. Ce sont des positions qui permettent de se re-centrer, de se rassembler lorsqu'on se trouve dans une situation difficile et que précisément on a perdu toute contenance, ou qu'on ne maîtrise plus une façon d'être, ou encore qu'on a sciemment pris une posture particulière. Alors on rentre chez soi, c'est à dire qu'on retrouve une position de base qui devient si on l'exerce une position de confort et de sécurité.

La position met en jeu quatre appuis : les pieds bien solidement posés au sol, environ deux pieds dirait Jacques Roubaud ; quand on est assis : les fesses, deux aussi... en général, bien posées sur la chaise. L'appui du regard d'une part sur le livre et d'autre part sur l'auditoire.

 Jacques Roubaud dans le Monde Diplomatique de Janvier 2010 écrit en fin d'article :
« ... la poésie a lieu dans la langue, se fait avec les mots ; sans mots pas de poésie ; ... un poème doit être un objet artistique de langue à quatre dimensions, c'est-à-dire être composé à la fois pour une page, pour une voix, pour une oreille, et pour une vision intérieure. La poésie doit se lire et dire. »
Cette proposition de définition de la poésie en 4 points centraux n'est pas sans rapport avec l'exercice de l'oralité.
  • Le poème, et plus généralement le texte, est composé pour une page : il faut donc avoir la volonté, l'obstination de faire passer à l'oral l'image du poème, celle que l'on voit sur la page,  même si cela nous semble inaccessible.
  • Pour une voix : la voix doit être à la fois au service et prendre ses libertés vis à vis du poème. Le XXe siècle a découvert la polysémie ; il a été compris qu'un texte pouvait contenir une multiplicité de sens, des sens que l'auteur lui-même, n'avait pas eu conscience d'exprimer. A partir de cette réflexion la notion de trahison du texte devient assez fragile. Un texte est toujours interprété, il peut avoir un sens différent d'un interprète à l'autre. En conséquence le sacro-saint respect du texte est lui aussi battu en brèche. En tout cas au moment du travail :  Il faut malaxer le texte dans tous les sens pour parvenir à en affiner l'interprétation et justement ne pas risquer le contre-sens.
  • Pour une oreille : il est toujours nécessaire de tendre vers l'euphonie, c'est à dire, une certaine  harmonie vocale même si le contenu du texte parle de choses détestables ou horribles. Ne jamais oublier que l'oreille et l'esprit de l'auditeur sont très vite inattentifs c'est à dire que la pensée, la concentration s'échappent et qu'il faut sans cesse que l'orateur la ramène à lui, tout en laissant aussi la liberté d'imagination à celui qui écoute ; il faut laisser le temps à l'esprit de flâner à partir du texte. Ne jamais oublier aussi, que l'auditeur n'a pas l'image du texte sous les yeux pour l'aider à la compréhension.
  • Une vision intérieure : c'est de l'interprétation dont il s'agit. Pour le poète, c'est son imaginaire qu'il va déployer avec sa poésie. Pour l'interprète, c'est ce qu'il va mettre derrière les mots, les comédiens appellent cela  le sous-texte. « Rien que les mots c'est moins que les mots », dit un homme de théâtre : Richard Demarcy. En conséquence que met-on derrière les mots ? Que donne-t-on le temps aux spectateurs de mettre derrière les mots ?
J'illustrerai cette idée par un poème écrit en pensant aux enfants, intitulé : Ce que peuvent les mots
 
Trois mots sont
La rime et la raison
De mon poème :
Maison
Ballon
Bonbon

On ne peut pas entrer
Dans le mot maison
Du poème
Ni mettre un but
Avec le mot ballon
Quant à sucer
Le mot bonbon
Essayez donc !

Pourtant la maison
Du poème
Me fait rêver

Et le ballon
Me donne envie de shooter

Avec le bonbon
Me vient l'eau à la bouche

Où sont-il donc ces trois mots ?

Dans mes yeux  à lunettes ?
Au bout de mon pied à baskets ?
Ou sur ma langue à sucettes ?

Mais non !
Trois fois non !
Ils sont
Là où ils sont :
Dans le  poème
Que j'aime
Dans vos  têtes
De poètes
Et dans tous les cœurs
Des  rêveurs



 Bouinventaire - Toute latitude novembre 1999


Les jambes croisées, assis, plusieurs fois, les bras croisés, les jambes décroisées, assis, les mains à plat sur les cuisses, ou l'une tenant l'autre en son creux, le corps droit, assis, les jambes allongées, les pieds l'un sur l'autre, les bras ballant, et les pieds ramenés dessous, assis, les bras laissés entre les cuisses, le dos penché en avant, et les bras derrière la nuque, mains jointes, les fesses au bord, les jambes dépliées allant en s'ouvrant, les pieds posés seulement sur les talons et assis banalement sans se faire remarquer, assis quoi, et regardant en l'air, et tête penchée, d'un côté, de l'autre, plusieurs fois, et assis, regardant les pieds, et déhanché, un pied bien à plat, la jambe formant un angle droit avec le mollet et la cuisse, l'autre jambe à l'avenant, tordue, prenant ses aises, et assis, pareil pour les bras : l'un au menton soutenant le poids de la tête, l'autre affectant des positions négligées comme libéré de toute fonction, et debout, comme s'il était assis, mais debout, les pieds bien à plat sur le sol, les bras le long du corps, immobile, passant inaperçu -  circulez  : y'a rien à voir - et une fesse plus basse que l'autre, les mains cachées, ou une main seulement, la jambe en avant, et debout, debout quoi, bien campé sur les deux jambes, légèrement écartées, les mains sur les hanches, et les mains l'une sur l'autre, tombées sur le pubis, la tête baissée, les jambes raides, et les jambes réunies, pieds rassemblés, mains le long du corps, tête bien dans le prolongement de la nuque, debout, regard devant les yeux, en position, quoiqu'il fasse, en position, quoiqu'il soit, en position, incroyablement en position, inconscient ou poseur le bonhomme, mais depuis le fœtus et la marche à quatre pattes jusqu'au claudications séniles  et à la pauvreté sereine du gisant... incroyablement en position, en position de défense ou d'attaque, être livré à l'insuffisance de ses membres, à la pesanteur de son corps, à la présence de soi.
    O vaillant sportif ! O fier héros ! O noble champion des
    olympiades du quotidien !




 
Comme vous avez pu le constater, il n'y a pas de grand secret à découvrir, pas de révélation. Les outils de la lecture à voix haute, chacun les connaît plus ou moins. Le tout est de les reconnaître de les nommer et d'en faire bon usage.

Je terminerai en laissant à nouveau la parole à Jacques Roubaud dans Dire la poésie et qui peut faire écho et mettre en discussion ce qui a été avancé :

   s'établir par la voix      dans le silence      le presque silence      est une expérience quasi      pour ainsi dire       opaque à soi-même      La voix      ne rencontre pas de réponse      ni de l'air      ni de la bande mince      brune qui défile en bruissant en chuintant dans le magnétophone devant soi      ni des têtes qui font face dans une salle      écoutant      ou dormant      ou      poursuivant quelque voie intérieure parallèle      pendant qu'il est dit de la poésie
   
Pourtant      si j'aborde chaque occasion de dire      sans angoisse si je m'en souviens sans regret     si je ne regrette aucun de ces remuements monotones de l'air      même s'ils n'aboutissent jamais       qu'à leur pure et propre fin      avec l'arrêt physique de la voix      sans exaltation      sans effet      sans écho      sans conviction      C'est que      jamais réellement privée      jamais entièrement publique la voix disant la poésie      manifeste      un mode original particulier      autonome      d'existence de la poésie

   Disant cela      précisément      je suppose      naturellement      que ce qui se dit alors est poème      pas autre chose      et       qu'il s'agit de poésie      se reconnaît avant tout      en cette espèce de la parole      qui fait que c'est dans la poésie que je parle     que c'est poésie volontairement que je parle      à      l'exclusion et au détriment      des autres manières de parler      Comme      la poésie      se situe      à sa manière propre       dans la page      à la différence de toutes les autres dispositions      ce que la page reconnaît      et      accueille      et      semblablement      à l'oreille      la voix car      Poésie      est      définition volontaire        
 
auteur(s) :

Yves-Jacques Bouin

information(s) pédagogique(s)

niveau : enseignement supérieur

type pédagogique : article

public visé : enseignant, inspecteur, étudiant

contexte d'usage : non précisé

référence aux programmes :

haut de page

éducation artistique et action culturelle - Rectorat de l'Académie de Nantes