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une nouvelle : Une mare de boue

Je me souviens du jour où j'ai décidé. Il pleuvait depuis deux mois. Des pluies fétides et lourdes, porteuses de fièvres. J'habitais avec ma mère le grand camp sous les autoroutes, dans le quartier des tentes. Le soir, des nuées de gamins se glissaient sous les grilles, près du canal.
Nous grimpions sur les talus détrempés jusqu'au bord de l'autoroute. Et là, nous regardions passer les voitures.
De l' autre côté des autoroutes, j'ai w s'allumer les grandes tours des Beaux: Quartiers. Aucun d'entre nous n'y était jamais entré, mais les vieux en parlaient souvent. lis se vantaient d'y avoir travaillé, autrefois. À les écouter, on aurait cru que là-bas, les gens n'avaient jamais froid, jamais faim et qu'ils ne connaissaient pas la fièvre. C'était comme un rêve.
 C'est là, accroupi sous la pluie tiède, le derrière dans la boue, que j'ai décidé de visiter un Beau Quartier. Une fois dans ma vie. n devait bien exister un moyen d'y arriver. li fallait que je demande au vieux Sylla. Il devait savoir ça.

Je suis donc allé le voir, c'était lui qui habitait le plus près des talus, derrière la grande rue. Enfin, il habitait... Nos « habitations » n'étaient que de simples tentes dressées avec des vieux tissus sous le pont de l'autoroute. Sylla était un vieillard grognon et solitaire, la seule chose qui l'intéressait vraiment, était de compter les voitures décapotables qui filaient, telle des flèches, sur l'autoroute, quand il avait le courage de grimper sur les talus. Il m'avait vu arriver de loin, et tout de suite il avait baissé la tête, signe d'agacement chez lui.

- Ohé! Antoine, qu'est ce qui t'amène ici ? Tu n'es pas avec ta mère ? dit- il.
- Bonjour Sylla ! Je veux juste te poser une question.
- Allez ! Vas y ! Dis-moi tout.
- Tu es allé dans les tours à l'ouest de l'autoroute. je crois... Est-ce que...
- Ah ! ah ! ah ! Hi ! hi ! hi ! Tu veux y aller, c'est ça ? NON ! Il ne faut pas y aller.
Il était complètement saoul.

- Pourquoi ? répondis-je en faisant semblant d'entrer dans son petit jeu.
- Parce que... NON !
- Euh ?
- C'est un lieu inintéressant, mon gars ! Il ne faut plus jamais y aller ! C'est le turc qui  l'a dit. En plus il n'y a personne en ville. Elle est déserte, la ville, déserte !
- Mais qu'est ce que tu racontes ?
- Non il ne faut pas... y aller.

J'ai décidé de m'éclipser. Le vieux était décidément incapable de m'expliquer quoi que ce soit. Je suis donc parti tout seul. La pluie résonnait sous le vieux pont. Un courant d'air glacé s'engouffra dans mon maigre vêtement. Je me suis levé, je suis passé devant les tentes comme un somnambule. J'ai embrassé ma mère en lui disant que je reviendrais bientôt, je suis passé sous la grille, j' ai grimpé les talus dégoulinants de pluie et je me suis levé face à l'autoroute bruyante. Les voitures faisaient un tapage d'enfer ; le vent et la pluie ne faisant qu'accentuer l'effet de vitesse. J'ai regardé une dernière fois les tentes loin derrière les grandes grilles aux
pointes tordues et coupantes. Je me suis avancé vers les voitures et... une main me tira soudain en arrière. Je m'entendis prononcer un de ces jurons bien connus de ma tribu et je levai les yeux...
- Tu es fou ! Tu aurais pu te faire tuer !
- Euh...
 C'était Lili la fille du Turc, et ma sœur, et le "Turc" était notre père à tous deux. On  l' appelait "Turc" à cause de sa carrure et de son visage dur . ... Lili était tout son contraire, physiquement, elle était maigre et fine on avait l'impression qu'au moindre courant d'air elle allait s'envoler ! Mais quel sale caractère ! Et sensible en plus ! Une bombe à retardement.
Lili cria un peu fort, peut être pour tromper sa peur. Quant à moi j'étais heureux de pouvoir enfin voir ces beaux quartiers ! Ces quartiers, où ils ne connaissent pas la fièvre. Ces quartiers, où ils n' ont jamais froid. Ces quartiers où ils n' ont jamais faim! Je pourrais enfin savoir !
Devant nous se tenait un grand mur de pierre abîmée parsemé de mousse verte. II y avait beaucoup de prises et l'escalade fut facile. J'ai aidé Lili à grimper.
 Allez ! Un dernier effort ! dis-je, souriant. Antoine...
Je me suis hissé sur le bord du mur, à côté de ma petite sœur. Ce que j'aivu m'a atterré. J'ai manqué de tomber en arrière. Je tremblais de tout mon corps. J'ai sauté du mur et plongé mes mains dans la boue. Pour voir si tout était bien réel. Lili resta sur le bord du mur, les yeux écarquillés. Devant nous, il y avait les tours. Au pied des tours, c'était un paysage dévasté et... familier. Des tentes, des toiles de tente trouées de mille parts. Et surtout, la faim, le froid, la fièvre et la pluie. Parmi eux un gamin, préparait un sac, le derrière dans la boue. II passa à côté de moi et me dit simplement :
- j' ai décidé de visiter un beau quartier. Au moins une fois dans ma vie. Il doit bien exister un moyen d'y arriver ! Viens avec moi !

Mon histoire est finie, maintenant. Je m'assois et je pleure, Lili sur mes genoux. C'est là accroupi sous la pluie tiède, le derrière dans la boue que j'ai compris enfin le vieux Sylla. Ils n'existent pas. Ils n'ont jamais existé. Ce monde n'est qu'une mare de boue dépourvue de ciel.

                              
 Zoé Freund
Classe de quatrième
Collège Victor Hugo - Nantes

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