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mis à jour le 17/02/2013
Un outil pédagogique autour de la question de la nuit, à partir de l'analyse de deux oeuvres de la collection du musée des Beaux-Arts d'Angers.
mots clés : chaarp, nuit, tremblay, guérin
« La plupart des mythologies la sollicitent également pour raconter ou expliquer la naissance du monde : au début était la nuit, l'immense nuit des origines, et c'est en sortant des ténèbres que la vie a pu prendre forme. » Michel Pastoureau[1]
Evoquer la nuit c'est penser la peur originaire de l'homme, être diurne bien plus qu'animal nocturne. Même si Michel Pastoureau, ou Orphée[2] dans ses chants, nous rappellent que la nuit est l'origine de tout, la nuit se défait difficilement de son manteau de cauchemars, d'ombres inquiétantes, d'angoisses ou de peurs enfantines. La nuit réduit les sens, cache et obscurcit. Pourtant, elle peut aussi nous raconter le calme et le silence ou le repos et les rêves. Pourquoi la nuit ne parvient-elle pas à éclaircir son image ? Pour quelles raisons reste t-elle si ténébreuse ? Mais surtout, qu'est-ce qui attire les artistes dans ce noir et ce chaos ? Quels enjeux plastiques ou sémantiques, la nuit, leur permet-elle de travailler et de questionner ?
[1] Michel Pastoureau, Noir, Histoire d'une couleur, Seuil, Paris, 2008.
[2] « Mère des dieux et des hommes, origine de toutes les choses crées » in Michel Pastoureau, Noir, Histoire d'une couleur, Seuil, Paris, 200, p. 24.
Pierre-Narcisse GUERIN
La mort de Priam ou La dernière nuit de Troie
1822-23
huile sur toile
4.39 x 6.29 m
La mort de Priam ou La dernière nuit de Troie de Guérin
Le double titre de l'œuvre oriente la nuit vers une symbolique noire, ultime et mortelle : l'assassinat de Priam, d'un roi et la fin d'une cité. Guérin nous place devant une nuit d'épouvantes et de massacres. Nous pourrions être tenté de penser la nuit noire au sens propre comme au figuré mais cette dernière n'est pas vraiment noire, elle est rougeoyante. Un incendie entoure les atrocités des hommes et ronge l'espace de vie disponible confirmant l'impression de scène théâtrale où l'intérieur d'une ville et ses enceintes créent un mur de fond, un décor sinistre. Sur la scène, un nombre important de personnages grouille et forme un tumulte, pris au piège. La nuit a son rôle. Elle enveloppe les sombres actions et cache ce qu'il ne faudrait voir ni savoir. Le peintre Guérin confirme le rôle funeste de la nuit, ainsi propice au vol et au meurtre.
Plastiquement, le rouge de l'incendie, le contraste des blancs et la fixité des regards renforcent la frayeur. La composition de la toile s'appuie sur deux diagonales nettes. Le rouge orangé s'oppose aux fumées noires. Les masses, le mouvement et l'inachèvement renforcent le drame et le mystère. Cependant afin de mieux saisir ce double effroi d'un meurtre et du brasier d'une ville, il est indispensable d'observer attentivement l'histoire narrée. Ce tableau de très grand format, le plus grand du musée des beaux-arts d'Angers est inspiré de l'Iliade d'Homère et de L'Enéide de Virgile. Il s'inspire particulièrement de la pièce Andromaque[1] de Racine. La toile représente Troie incendiée par les Grecs. A l'intérieur du palais en flamme, les personnages s'affolent, se figent ou s'étalent morts au sol. Les protagonistes de cette mort sont annoncés. Nous retrouvons Hélène, en bleu, au premier plan à droite qui s'enfuit suivie de sa servante, le regard plein de remords d'être la cause de ce désastre. On aperçoit également Andromaque, à gauche, en blanc, courant avec son enfant, Astyanax. Pyrrhus l'épée à la main, les yeux remplis de folie, donne la mort à Priam sous les traits d'un homme âgé. Hécube, la reine et la femme de Priam s'effondre face au meurtre de son mari. Une seule personne est droite, figée, au centre de la composition. C'est Cassandre qui avait prophétisé toute cette violence.
[1] « Songe, songe Céphise, à cette nuit cruelle
Qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle.
Figure-toi Pyrrhus, les yeux étincelants,
Entrant à la lueur des nos palais brûlants,
Sur tous mes frères morts se faisant un passage.
Et de ton sang couvert excitant le carnage.
Songe aux cris des vainqueurs, songe aux cris des mourants.
Peins-toi dans ces horreurs Andromaque éperdue. »
Sans titre de Tremblay
Dix plaques de linoléum noir, carré et marbré de blanc sont collées et assemblées. Posés sur ces dernières, deux corbeaux noirs aux yeux de strass picorent d'autres pierres brillantes. Au centre de l'œuvre, deux visages de profil se dessinent également en strass : un homme à gauche et une femme à droite à la chevelure plus importante et aux traits plus fins. Les deux amants, les yeux fermés, sont sur le point de se donner un baiser. Leur chevelure s'étiolent, se dispersent et rejoignent le bec des deux corbeaux. L'un est en haut du format, tête penchée vers le bas tandis que le second est à droite, perpendiculaire. Posés de part et d'autres des visages, que font ces oiseaux ? Sont-ils de mauvais augures, attirés par les brillants, les picorant un à un, afin de les faire disparaître ? Ou donnent-ils naissance à ce couple en déposant les pierres lumineuses ? Le motif du couple amoureux se retrouve souvent dans l'œuvre de Daniel Tremblay tout autant que son goût du détournement des matériaux et du dessin contour. La charge poétique est forte. Les couples se doublent (humain et animal). Le baiser est presque donné et les visages sont en symbiose car ils s'emboîtent, se complètent. La nuit n'est plus sombre et angoissante, elle est romantique et amoureuse. Elle savoure sa fonction originelle puisqu'on peut deviner au creux des bouches, la silhouette d'un bébé. Les amants sont éternels et fixés dans la constellation. Mais le corbeau rôde et présage des inquiétudes. Bestiaire du diable, il a la réputation de se nourrir de cadavres. La nuit ne serait donc pas si douce et paisible mais plutôt synonyme de disparition. L'oiseau lentement déshabillerait l'œuvre et retirerait leur souffle aux amoureux...
Définition et origineLa nuit : Du latin, noctem, nox, noctis, qui signifie la nuit et le sommeil, elle désigne l'obscurité créée par la rotation de la Terre ainsi que l'espace de temps entre le coucher et le lever du soleil. Les mots liés à la nuit sont la mort, l'ombre, les ténèbres et la veillée. Elle s'oppose au jour et à la lumière.
Nyx, déesse de la nuit : Fille du chaos dans la mythologie grecque, Nyx demeure dans un caverne le jour et arpente le ciel la nuit vêtue de noir, parfois armée d'ailes. On retrouve dans la mythologie germano scandinave, une même divinité de la nuit : Nott, fille du géant Norvi. Il reste à noter les furies et les parques, filles de la nuit et maîtresses du destin des hommes.
la nuit : enjeux plastiques (noir, incendie et détournement)
Noire, rougeoyante ou constituée de linoléum, la nuit permet aux artistes d'expérimenter. Pierre-Narcisse Guérin en contant un épisode de la guerre de Troie, mêle la nuit à l'incendie, oppose les lumières chaudes aux froides et accentue la fureur rouge de Pyrrhus (le « roux » en grec). Il innove en détournant l'usage immodéré de la couleur fait par les romantiques au profit d'un classicisme rénové. Ainsi, le peintre mêle la tragédie, l'épopée et le sens du drame romantique au classicisme de la composition en frise et aux émotions contenues et glacées des femmes. La vérité et le beau idéal de Guérin ne parlent plus uniquement à l'esprit mais aussi aux sens. La nuit allie l'énergie romantique à la raison classique.
Daniel Tremblay expérimente tout autant dans l'usage des matériaux et leur détournement. Le noir est celui du linoléum. Il n'est plus au sol, dédié à la marche mais il devient surface de dessin accroché au mur. Véritable enjeu de la pratique de Daniel Tremblay, la transformation des matériaux (cartes postales, ardoise, paillasson) se double de sens, elle se poétise. Le matériau noir et pauvre gagne en signification en changeant de fonction. L'objet n'est pas une matière neutre. Grâce à sa dimension populaire, il crée un univers accessible au plus grand nombre. Le banal linoléum se métamorphose en merveilleuse nuit, romantique et mystérieuse voire menaçante.
mythique !
La nuit peut être en enjeu plastique et technique tout autant qu'un enjeu sémantique : effroyablement meurtrière ou douce amère...La nuit ne se résume pas aux effrois mais elle construit. De sa version péjorative et négative naissent des mythes fondateurs et un rapport au monde solide.
Dans le mythe de la caverne de Platon, l'obscurité de la caverne[1] enferme les hommes dans le monde des illusions puisqu'ils ne perçoivent que des échos des sons et des ombres portées des éléments. Un seul homme fera face à la lumière éblouissante de la réalité mais à son retour : qui le croira ? Platon y décrit le monde sensible face au monde des idées, le conditionnement des hommes et leur déni de la réalité. La nuit ne tue pas mais elle aveugle et écarte de la vérité.
Un autre mythe, égyptien, celui de Rê, décrit, lui aussi, un combat contre les forces obscures chaque nuit (de 5h du soir à 5h du matin) afin de faire réapparaître chaque matin « le monde d'en haut » au prix d'un terrible et long combat pour Rê, dieu du soleil.
Désillusion ou combat, la nuit se charge d'histoires et de légendes. La nuit est fondatrice et se veut explicative. Qu'elle soit légende ou croyance, elle anime des personnages merveilleux : un couple étincelant ou l'épopée d'une ville vouée au désastre.
[1] Platon, La République, Livre VII, p. 279. ed. GF Flammarion.
une disparition programmée : la nuit du spectateur
Dans les œuvres de Guérin et Tremblay, la disparition est annoncée : celle d'un couple picoré ou celle d'un roi assassiné. Rêve ou cauchemar : la nuit plonge le spectateur face à des émotions intenses. La peinture de nuit permet de vivre éveillé ce dont on rêve, ce que l'on craint et ce que l'on imagine de plus terrible et de plus noir. Sous ses yeux, face à l'oeuvre, le spectateur voit clairement ce qu'il soupçonne lorsqu'il est blotti au fond de son lit. La nuit mystérieuse recèle son flot d'images, d'imaginaire, de réalité et de fictions : oisive, silencieuse, sombre voire sinistre, elle est considérée comme un déclin, d'abord celui de la lumière puis de l'activité. De ses mystères, surgissent une attente, un suspens : que va devenir Troie ? Comment va évoluer ce couple ? Le spectateur est happé, sidéré. Et c'est finalement la nuit noire qui révèle, met à jour.
niveau : tous niveaux
type pédagogique : démarche pédagogique
public visé : non précisé, enseignant
contexte d'usage : sortie pédagogique, classe
référence aux programmes :
éducation artistique et action culturelle - Rectorat de l'Académie de Nantes