Le choc était si rude, si épouvantable, que je méditai de me supprimer. J'y songeai courtement, bien entendu. J'étais chrétien, quoiqu'un peu tiède, mes filles étaient jeunes, et je n'avais que trente-cinq ans. Je voulais vivre. J'avais tant de chose encore à faire, à dire, à construire. Vivre, certes, mais comment ? Que décider ? Je pouvais tricher avec le « régime ». Une douceur ici, un alcool là, comme le pratiquaient nombre de mes frères et sœurs en maladie. Après y avoir réfléchi, je m'y refusai. Par orgueil sans doute, je résolus de vouloir ce qui m'était imposé, d'accompagner mon destin. La privation gourmande serait mon défi, mon aventure, mon exploit, mon Annapurna ! Je suivis sans davantage barguigner, à la lettre près, le « régime standard ». Je maigris de dix kilos en un mois. Mes amis, à qui je taisais ma maladie, s'étonnaient :
« Tu prendras bien un peu de tarte Tatin, pour nous faire plaisir ?
- Songerais-tu à te faire moine ? Tu veux m'offenser ? Tu refuses de trinquer avec moi ? »