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Las Casas, de Bry : la "légende noire" du massacre indien ?

mis à jour le 07/10/2009


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De la "très brève relation de la destruction des Indes" aux gravures de "Americae pars sexta" quelles idées se diffusent dans une large partie de l'Europe pour alimenter ce que certains historiens appellent "la légende noire" du massacre indien ?

mots clés : controverse de Valladolid, Las Casas, grandes découvertes, 2nde bac pro trois ans


Le contexte historique


En 1592, un siècle après le premier voyage de Colomb, l'Espagne des Habsbourg constitue une puissance majeure: elle contrôle une partie du continent européen et son empire colonial s'avère immense, surtout quand Philippe II absorbe les possessions portugaises (en devenant également roi du Portugal en 1580) Son père, Charles Quint, a abdiqué en sa faveur en 1556 mais il s'éteint deux ans plus tard, avec un goût amer dans la bouche...

La couronne qui possède le plus vaste empire colonial du monde, des " Indes " occidentales aux " Indes " orientales, de l'Atlantique à l'Océan Indien, est aussi celle qui subit les attaques les plus virulentes d'une partie de l'intelligentsia européenne de la fin du XVIème siècle, déchaînée par la double parution de " La très brève relation de la destruction des Indes" de Bartolomé de las Casas (publiée à Séville en 1552) et par celle, plus tardive, des magnifiques planches de Théodore de Bry, illustrant l'ouvrage "Americae pars sexta" (publié à Francfort en 1596). Commence alors, ce que certains historiens appellent "la légende noire", véritable arme de guerre contre le pouvoir espagnol, contre le pape et d'une manière générale contre la domination des Habsbourg sur des terres où "le soleil ne se couche jamais". L'angle d'attaque : le sort des "Indiens" et la responsabilité des colonisateurs dans le calvaire qu'ils leur font subir...

Que s'est-il donc passé pour que l'Espagne,qui ouvre en 1492 une ère nouvelle " d'élargissement du monde et de mise en relation synchrone de ses différentes parties " , se retrouve, un siècle plus tard, pratiquement accusée de "génocide" (si tant est que ce terme fortement anachronique convienne ici) par tout ce que l'Europe compte de savants, d'humanistes et de polémistes ?

Portrait de Philippe II (1550-1551) par Le Titien Musée du Prado
 

Des Indiens dévorés par les chiens, sous le regard des Espagnols

Comment aborder l'étude de cette situation historique ?


A la croisée de deux des nouvelles questions du programme d'histoire de seconde professionnelle bac pro trois ans (L'Humanisme, Les Européens découvrent le monde: XVIème-XVIIIème siècle) se détache l'étude d'une situation historique particulière,  La controverse de Valladolid

Quel fil conducteur adopter pour aborder la question ? Quelles réflexions mener avec les élèves sur un sujet qui semble de prime abord complexe et en apparence peu séduisant à traiter en classe ?

L'objet de cette fiche (et des suivantes) est de proposer des pistes de travail ainsi que des liens vers des documents les illustrant.
 
 
À l'évidence, la " mise en relation des peuples " à partir du 12 octobre 1492, gravée par le protestant flamand Théodore de Bry, annonce clairement le message qu'entend diffuser l'artiste : face à des indigènes " nus " (dans tous les sens du terme), les Espagnols armés et bardés de fer ne vont pas entretenir longtemps l'illusion du contact pacifique avec " l'autre ". Ils viennent pour soumettre, exploiter et évangéliser sans qu'une hiérarchie n'émerge véritablement du propos. Or, elle existe, comme le font remarquer Carlos Martinez Shaw (Professeur d'histoire moderne à l'UNED de Madrid) et Julio Valdion Baruque (Professeur d'histoire médiévale à l'université de Valladolid) et de cette hiérarchie, dépend en théorie le sort des Indiens !

Incontestablement, la priorité de la couronne, c'est l'évangélisation des âmes et en cela, la conquête des " Indes " doit davantage être envisagée comme une extension de la " Requonquista " que comme un fait historique ouvrant " les Temps modernes" (J Baschet, EHESS).
Dans l'un des codicilles au testament d'Isabelle la Catholique figure clairement le principe affirmé et réaffirmé de faire des " Indiens " des sujets libres de l'empire. Les rois catholiques renoncent à l'idée de l'esclavage et aux bénéfices économiques qu'eut pu procurer la traite,  au nom de cette " mission divine " les érigeant en " bras armé de Dieu dans la construction de la Jérusalem terrestre "  (Ramon Serrara, professeur d'histoire moderne à l'université de Séville). Mais alors, si les indigènes sont libres, pourquoi souffrent-ils ? Sans doute parce qu'un paradoxe majeur existe entre la volonté affichée à la cour d'Espagne et la réalité de la situation constatée dans les milliers d'encomiendas* qui constituent le maillage presque " carcéral"  du tissu économique extrêmement prédateur des hommes et des ressources du Nouveau monde.


 

Une proposition de documents pour aborder la question


Le corpus documentaire proposé aux élèves doit d'abord faire émerger cette position paradoxale dans laquelle sont plongés les " Indiens ". Libres et protégés par la couronne, ils sont en fait liés à un système qui les exploite, les fait travailler durement et parfois les broie.

À partir de quatre documents, il est possible de cerner cette dichotomie entre les principes, le droit d'un côté et de l'autre, leur mise en application ou en pratique sur le terrain. Une carte des possessions espagnoles d'Amérique du sud au milieu du XVIème siècle (aller à la carte IV. 90) donne les dimensions de cet empire où les voies de communication s'étirent de Panama à la Patagonie et du port del Callao sur le Pacifique à l'embouchure du Rio de la Plata. Les dates de fondation des villes espagnoles renseignent à la fois sur la stratégie de la conquête spatiale de ces vastes territoires et sur l'importance des ports par où arrivent les futurs "encomenderos", et d'où partent les produits et les métaux précieux du Nouveau monde.
À partir d'une définition de l'encomienda américaine  il est nécessaire ensuite que les élèves identifient la source du problème.
  • Pourquoi les " Indiens " (sujets libres) doivent-ils travailler ?
  • Pourquoi leur travail se transforme-t-il en quasi esclavage?
  • Quelle est leur attitude face à un système qu'ils ne comprennent pas?

Deux documents complémentaires illustrent enfin le sort des " Indiens " (avec les précautions d'usage liées aux circonstances de production du document.). D'abord un extrait de la " Très brève relation de la destruction des Indes " (dont le texte complet en langue espagnole est ici proposé) ainsi que quelques extraits des " Lois de Burgos " (1512-1513) montrant le souci de la couronne d'améliorer dans le moindre détail les conditions de travail et d'existence quotidienne des " Indiens " dans les "encomiendas". Si ce souci se manifeste à des milliers de kilomètres de l'empire colonial, c'est d'une part que les problèmes existent bel et bien sur le terrain et que d'autre part des hommes ont su leur donner suffisamment d'écho pour les propulser au centre d'un débat qui relève de l'Humanisme dans le sens où l'Homme est la mesure de toutes choses.  

 

L'Encomienda indienne aux origines du mal?

 
Armes royales sur une façade monumentale de Séville

Séville, 1493: c'est la "semaine sainte" et sur le belvédère de San Nicolàs, un jeune garçon de neuf ans assiste, effaré, à une bien étrange exposition mise sur pied par un homme qui achève son premier voyage d'exploration de la " mer océane ". Le regard du jeune Bartolomé de las Casas aura peut-être croisé celui du grand amiral Colomb mais se sera sûrement davantage attardé sur les " Indiens " exhibés sur les hauteurs de la ville lumière. Il y a aussi les os de poisson, les masques, les plumes et tout le bric à brac étalé pour tenter de faire oublier la pauvreté du butin : manquent à l'appel l'or, la soie et les épices... Que vont en penser les rois catholiques qui attendent Colomb à la cour de Barcelone ?
 
Nous sommes maintenant en 1556 : Charles Quint abdique en faveur de son fils et Séville voit se déverser le flot d'argent du Potosi qui nourrit la ville et embellit ses façades monumentales. Les blasons, ici ou là, rappellent au passant qui lève les yeux, les fondements mêmes de la conquête : par les colonnes d'Hercule, se sont les deux parties du monde que l'Espagne contrôle désormais... Il ne lui reste plus qu'à y envoyer les fonctionnaires, les missionnaires, les soldats et sans doute tous les aventuriers sans scrupules en mal d'enrichissement facile (" Ce sont des gens de sac et de corde, venus ici dans l'unique but de s'enrichir sans travail ni peine, joueurs de dés, paresseux et de mauvaise vie, aveuglés par la convoitise..." écrit le grand amiral dans une lettre adressée aux souverains, le 24 février 1495).


Pour ce faire, le moyen le plus simple pour les y attirer est de faire d'eux des "encomenderos"*  Julio Valdion Baruque l'explique simplement: l'Espagne transfère aux " Indes " le système médiéval de " l'encomienda ", conçu au départ pour fixer le front de la reconquête sur le royaume de Grenade en accordant aux combattants chrétiens les terres récupérées sur " les infidèles " ainsi qu'une main d'oeuvre attachée à ces domaines. Le propriétaire temporaire (l'encomienda ne peut être héréditaire) perçoit les revenus en lieu et place de la couronne avec, en échange, la double obligation d'assurer des conditions d'existence décentes et d'éduquer dans la foi chrétienne juifs et musulmans liés à ces terres.

 
Timbre cubain de 1942 rendant hommage à B.de las Casas
Bartolomé de las Casas dénonce cette incohérence dans l'argumentaire qu'il oppose à Juan Ginès de Sepùlveda : les " Indiens " ne sont ni les musulmans, ni les juifs vaincus par le rouleau compresseur de la Reconquista. Ils n'ont ni usurpé les terres chrétiennes ni menacé la foi du Christ et ne peuvent donc par conséquent être soumis à l'obligation de travail en échange de la protection et de l'éducation évangélique qu'on entend leur imposer. 
Comme le soulignent très justement Carlos Martinez Shaw (op.cité) et Lewis Hanke, Charles Quint est profondément déstabilisé par la contestation de la conquête et la réflexion sur l'oeuvre engagée : " Jamais probablement, avant ou après, un puissant empereur n'ordonna, comme alors, la suspension de ses conquêtes, pour qu'il fût décidé si elles étaient justes " (The Spanish Struggle for justice in the Conquest of America, SMU Press, Dallas, 2002).  Au fond, et comme le précise par ailleurs Joël Cornette (Université de Paris VIII), si la découverte de l'Amérique marque bien l'avènement d'une ère nouvelle par la création de nouveaux marchés et par le renforcement du catholicisme en tant que religion universelle, elle fait naître en même temps le doute et de multiples interrogations : " L'Amérique est-elle une figure de l'Eden ou de l'Enfer ? Les sauvages étaient-ils " bons " ou " mauvais " ? Qu'avions-nous à attendre de la conversion des " païens " de ce " monde-enfant " ? Vertigineuse interrogation et découverte de l'altérité..." (In l'Histoire, n°38, p 47)
 
auteur(s) :

Patrick Bergès, LP Gaston Lesnard, Laval

information(s) pédagogique(s)

niveau : Lycée professionnel tous niveaux, , 2nde professionnelle

type pédagogique : démarche pédagogique

public visé : enseignant

contexte d'usage : non précisé

référence aux programmes : Nouveaux programmes des Baccalauréats professionnels trois ans, seconde professionnelle : dans Les Européens à la découverte du monde, XVI-XVIIIème siècle, l'étude d'une situation historique et de son élargissement : 1492, Colomb à la découverte de l'Amérique et dans l'Humanisme : la controverse de Valladolid.

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