Il est possible de bâtir une séquence proposant un parcours de lecture du film autour de la problématique : « Un film permet-il de dénoncer une injustice mieux qu'un réquisitoire ? » On travaille ainsi sur les notions d'argumentation directe et indirecte en mettant en évidence les ressorts propres à la fiction - incarnation d'idées complexes, identification aux personnages, plaisir de suivre une intrigue - en prolongement des objets d'étude de Seconde Parcours de personnages et de Première Du côté de l'imaginaire ». Il faut étudier le traitement de l'image (scènes, plans, clichés...) pour pouvoir répondre à la question : En quoi le cinéma, l'image animée, peut-elle être une arme ? ou plus efficace qu'un texte littéraire ?
LECTURE CRITIQUE D'UN PROJET DE SEQUENCE
problématique de le réflexion
Comment travailler sur l'objet d'étude en évitant les dérives vers l'histoire littéraire ou vers l'illustration thématique
Projet du professeur
Objet d'étude : Les philosophes des Lumières et le combat contre l'injustice Projet organisé autour d'un combat contre une injustice spécifique : La condition de la femme
Questions du programme visées par la séquence : Une action juste l'est-elle pour tout le monde ? Quelles armes littéraires les philosophes des Lumières ont-ils léguées aux générations suivantes pour dénoncer l'injustice ?
En quoi les philosophes des Lumières permettent-ils l'élaboration d'un jugement argumenté ?
Problématique : En quoi les philosophes des Lumières, lorsqu'ils considèrent que l'inégalité des sexes est une injustice, nous aident-ils à combattre le non respect des droits de la femme ?
Point fort : la séquence s'inscrit dans le programme. Points faibles: la séquence risque d'être très proche du sujet d'étude du programme d'Histoire de Seconde Professionnelle « Les Lumières, la Révolution française et l'Europe : les droits de l'Homme » ainsi que celui de Première « Les femmes dans la société française de la Belle Epoque à nos jours » . Il s'agit en français davantage d'étudier comment certains philosophes du XVIIIe siècle se sont emparés de cette question et quelles armes ils ont utilisées, avec quelle efficacité. Réalisation d'un dossier «fil rouge» sur les philosophes des Lumières à partir d'un questionnement sur des supports différents et des recherches personnelles.
Points forts : Apport de connaissances sur la période de référence de l'objet d'étude - constitution au fil de la séquence d'un « fil rouge » assurant la continuité des séances.
Points faibles : Risque sous cette appellation « dossier » de ne pas préciser suffisamment le statut de ce dossier, son objectif (suite de portraits de philosophes ? compilation de leurs écrits sur le thème du féminisme ?). L'objectif de la séquence n'est pas de traiter de l'histoire de l'évolution de la condition de la femme ou des armes littéraires que les philosophes nous ont léguées pour dénoncer l'injustice, ici l'inégalité entre les sexes ou les genres, mais de développer deux des finalités du programme « devenir un lecteur compétent et critique » et « confronter des savoirs et des valeurs pour construire son identité culturelle ». Une règle pourrait être de finaliser l'élaboration d'un dossier en orientant systématiquement le travail des élèves vers un journal de lecture ou de recherche.
Séance 1 Objectif : à partir d'une situation donnée, faire prendre conscience de la relativité de la notion du juste et de l'injuste. Elaboration d'une définition de la justice à partir d'une série de questions. Mise en relation de ce qui est juste, de ce qui est injuste selon les élèves et selon les philosophes en s'appuyant sur le manuel de français. Travail portant sur le lexique, la compréhension du lexique et sur la construction d'une liste d'injustices combattues par les philosophes des Lumières et par notre époque.
Points forts : Prise en compte d'une des trois questions accompagnant l'objet d'étude - Utilisation du manuel comme « livre de lectures » ou « banque de ressources » - Pratique de la lecture de prise d'information (quels textes parlent d'une question touchant la justice ?) - Travail, oral majoritairement, collaboratif impliquant les élèves.
Points faibles : Risque de réduire le travail sur le lexique à l'établissement d'une liste de thèmes (ce contre quoi le combat est engagé) plutôt que de travailler d'une part sur le lexique nécessaire aux élèves pour s'exprimer (qu'est-ce qui est juste / injuste / révoltant / triste / énervant / déroutant / contraire aux us et coutumes que je connais ... ?), d'autre part sur le lexique des textes proposés à la lecture cursive des élèves (avec quels mots les philosophes combattent-ils l'injustice ?). Pourquoi ne pas centrer tout de suite cette séance sur les femmes ? La banalisation de l'emploi d'un lexique sexiste, le sous-entendu, le cliché, etc
Séance 2 Objectif : s'interroger sur le regard que le XVIII° siècle porte sur la condition de la femme. Lecture et mise en écho de deux textes extraits d'Emile ou De l'éducation de Rousseau et du Journal de la société de 1789 de Condorcet. Lectures complémentaires (lecture cursive) : Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, Olympe de Gouges (Femme, réveille-toi, biographie d'Olympe de Gouges par Emanuèle Gaulier pour information) ; Femmes soyez soumises à vos maris, Voltaire ; (parcours de lecture) : Le Mariage de Figaro Beaumarchais.
Points forts : L'élève confronte sur une question de société (la condition de la femme) un débat du XVIIIe siècle. Certains des textes permettent d'étudier les « armes littéraires » des philosophes.
Points faibles : le professeur fait lire à ses élèves un va-et-vient entre des textes du champ littéraire préconisé, les Lumières, mais il faudrait actualiser le corpus avec quelques supports récents, sinon la démarche ne s'inscrit pas dans une démarche partant et revenant au contemporain, au vécu. La séance ne s'inscrit pas dans un aller retour avec le contemporain, le vécu de l'élève.
Séance 3 Objectif : identifier des armes littéraires que les philosophes nous ont léguées pour combattre l'injustice. Lecture et étude de la langue : A partir d'un texte extrait de Zadig ou la destinée de Voltaire, repérage des différentes armes mobilisées par l'auteur (argumentation directe, indirecte, ...). Ensuite, à partir d'une liste de différentes formes d'écrits pour lutter contre les injustices, les élèves précisent les objectifs visés et illustrent d'un exemple chaque forme identifiée. Oral : établir des liens avec le monde actuel dans un débat oral dans lequel les élèves doivent illustrer leur argument par des exemples (un groupe défend l'idée que les armes du passé ont apporté plus de justice de nos jours, l'autre groupe que ces armes ne suffisent pas à gommer toutes les injustices).
Points forts : l'oral de la séance fait s'interroger les élèves sur l'efficacité des écrits hérités des Lumières.
Points faibles : l'étude de la langue n'apparaît pas vraiment (faire s'exprimer les élèves à l'oral ne suffit pas à travailler avec eux la langue, celle de leur oral comme celle des écrits sur lesquels ils fondent leurs exemples dans le débat). Le travail sur les stratégies argumentatives des philosophes des Lumières, probablement possible dans cette séance, devra être précisé. Attention à éviter une approche déductive : on fait un cours sur les différents types d'argumentation et le texte devient un prétexte pour appliquer les connaissances acquises. « On n'apprend pas en français des notions (les figures de l'ironie...) que l'on illustrerait par des lectures (cours magistral, méthode déductive). On lit des textes, on fait réfléchir et pour cela, on se sert d'outils de lecture, d'outils linguistiques, construits lors des lectures (méthode inductive, pédagogie de projet) ». « Pour défendre ces valeurs, les philosophes des Lumières ont usé d'armes littéraires spécifiques qui gardent toute leur pertinence pour argumenter aujourd'hui. Un deuxième axe de travail consiste donc à étudier les stratégies argumentatives des philosophes des Lumières pour être capable de les réinvestir dans une argumentation liée à des débats contemporains.» comme le précise le document ressource accompagnant l'objet d'étude
(http://eduscol.education.fr/cid50211/ressources-en-francais.html)
Séance 4 Objectif : répondre à la question : La condition de la femme, une lutte toujours d'actualité ? Lecture de Mémoire de deux jeunes mariées, Balzac ; lettre administrative de 1925 dont l'objet est la désignation des emplois de chefs de bureau pouvant être confiés à des femmes ; extrait d'un manuel scolaire catholique d'économie domestique pour les femmes, publié en 1960 ; article de Claude Sarraute, Le Monde ; La cause des femmes, Gisèle Halimi. Grille de lecture pour trois textes du corpus (identification des thèmes, thèses, arguments) et mise en commun des réponses. L'objectif de la séance est de constater l'évolution de la condition féminine depuis les Lumières.
Points forts : mise en relation de textes du passé avec des textes contemporains à travers des enjeux qui traversent les époques.
Points faibles : La séance a pour objectif de voir « l'évolution de la condition féminine » ; on tombe clairement dans l'histoire et on en oublie les formes mêmes du combat.
Evaluation en deux temps
1) Corpus : Hommes, femmes avons-nous le même cerveau ? Catherine Vidal, 2007 et Essai sur l'admission des femmes aux droits de la cité, Condorcet, 1790. Compétences de lecture sur ces deux extraits et compétences d'écriture, avec une guidance en deux parties, sous la forme d'une lettre d'indignation adressée à une entreprise pratiquant des discriminations à l'embauche, à l'encontre des femmes.
2) Evaluation - bilan : Questions de connaissances sur le mouvement des Lumières et les acteurs des Lumières.
Points forts : Evaluer les acquis de la séquence - Faire dialoguer le présent et les Lumières - Choix d'une écriture intéressant.
Points faibles : La deuxième question évalue des connaissances ; elle est révélatrice du détournement de l'objectif de l'objet d'étude vers le cours d'histoire. Si cette évaluation est la dernière séance de la séquence, il est dommage qu'elle soit partie du présent et du ressenti des élèves mais qu'elle n'y revienne pas par la suite. Il manquera une séance finale pour que la séquence réponde à la question : En quoi les philosophes des Lumières ... nous aident-ils à combattre le non respect des droits de la femme ?
Conclusions de l'analyse du projet du professeur.
Cette séquence qui possède des qualités n'évite pas l'écueil d'une utilisation détournée de l'histoire littéraire fondée sur une réflexion thématique qui incite à se dégager des textes pour privilégier en fait l'étude historique d'une évolution des mentalités. Le texte devient alors prétexte, illustration d'un thème.
Un temps de travail n'apparaît pas dans la présentation : celui qui est nécessaire à la compréhension littérale des textes. Cette étape est très souvent omise en classe : le professeur ne doit pas exclusivement se fonder sur l'impression d'une compréhension globale des textes du XVIIIe siècle. Le détour par la littérarité, sans devenir une stratégie dont il faudrait à tout prix s'acquitter, favorise une approche référentielle, celle du contexte (historique) et celle de la langue.
C'est donc la question de la contextualisation qui se pose, le positionnement de l'écrivain par rapport à l'histoire, par rapport à son environnement et aux conditions d'écriture de l'oeuvre. Mais contextualiser n'est pas lire un texte littéraire pour le réduire à un document. Il est nécessaire de faire un choix dans les éléments du contexte à retenir. L'essentiel est de poser des cadres de réflexion et interroger les notions d'objectivité et de subjectivité. Pour convaincre, pour sensibiliser, les philosophes des Lumières ne cherchent pas la vérité historique ou l'exactitude (cf Voltaire l'Affaire Calas ou le tremblement de terre de Lisbonne) mais leurs armes littéraires font appel à l'émotion, la raison, lironie, l'argumentation, la construction d'un personnage à partir d'une personne réelle, etc... C'est la part de subjectivité du monde que la littérature assume.