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lettres-histoire
Dire au lycée professionnel
Comment enseigner l'oral ? Comment étayer l'oralité des élèves ? Quelles places dans nos enseignements ?
Trop souvent réduite au cours magistral dialogué, engageant des échanges de l'enseignant vers l'élève et rarement des élèves vers les élèves, la pratique de l'oral occupe néanmoins une place importante dans les programmes de la voie professionnelle. L'autorisation de la parole de l'élève se fait la plupart du temps lors de travaux de groupes s'appuyant sur l'interaction verbale comme vecteur d'apprentissage. Enfin les oraux préparés font rarement l'objet d'un réel apprentissage de l'oral en tant que fait de langue.
Pourtant l'oralité se définit aussi par sa pluralité, il n'y a pas un type d'oralité mais bel et bien une diversité des situations et des modalités à déployer. Que font les élèves de la voie professionnelle quand ils parlent en cours ? Une partie des échanges échappent parfois au contrôle de l'enseignant. Et dans une culture de l'écrit, l'oral est souvent associé à la spontanéité, pratiquer l'oral en classe se mue alors en un cours où alternent questions et réponses, expressions de ressentis ou réflexions, et s'achève au mieux en débat improvisé. Mais le travail de la parole implique d'autres apprentissages : lire à haute voix, donner des impressions, s'exprimer dans un débat, rendre compte et exposer, jouer des rôles, créer des activités, échanger entre pairs et coopérer. Il participe ainsi activement au développement d'une intelligence interpersonnelle qui se construit lors de l'émission d'hypothèses, de la confrontation des impressions,
de l'identification du locuteur et de sa position, ou encore de l'insertion dans une situation de communication directe prenant en compte l'auditoire. Aussi la force de l'éloquence sert des stratégies d'argumentation. La construction de la parole devient alors construction personnelle de l'élève qui prend confiance et affirme ses choix.
Joelle Keraven classe les activités pratiquées selon cinq genres d'oralité : l'oralisation de la parole de l'autre (théâtre, lecture, compte- rendu), son appropriation (jeu de rôles et exposés), le débat, l'expression de sa propre parole, une oralité réflexive ou de retour en arrière (rendre compte, traduire une pensée écrite, relevé d'indices...)
La nature linéaire du discours oral excluant tout retour en arrière rend difficile son évaluation.
En effet, comment proposer des moments d'écoute et d'analyse pour dégager des critères de réussite (réécoute comme des brouillons) ? Comment revoir ses performances pour réajuster ?
Comment évaluer la réception et l'écoute? Chronophage, indicateurs de réussite difficiles à expliciter ou synthétiser, l'évaluation de l'oral impose pourtant une nécessaire régulation incluant les élèves dans l'élaboration des critères de réussite, au risque sinon d'incompréhension. Il convient donc de s'interroger sur ce qui peut s'évaluer ou s'auto-évaluer, et d'avoir une connaissance des différentes productions d'oralité. Enfin, la parole fluide, par essence fugace n'est-elle pas difficile à cerner, comment construire alors une trace de cette parole, et finalement que reste-t-il d'une séance d'oral?
L'évaluation de l'oral devrait mettre en évidence des capacités d'action soucieuses des circonstances de production et de réception (situation de communication), des capacités discursives (choix du discours et de son contenu), des capacités linguiste-discursives (l'emploi des « matériaux » qui entrent dans la composition du message oral, efficacité des moyens langagiers, indices de temps, systèmes verbaux...)
Si en fin de trimestre, on peut attribuer à chaque élève une note « générale » d'oral sur 20, il faut garder à l'esprit qu'il doit s'agir d'une notation positive, conçue pour encourager et développer la pratique de l'oral et non pour rebuter les élèves. Une bonne solution serait de pratiquer l'auto-évaluation. Cette démarche possède le mérite d'amener l'élève à s'interroger sur les points forts et les points faibles de son travail oral selon cinq critères : fréquence de la participation orale, respect des autres, qualité de l'expression orale (langue, élocution), pertinence des interventions orales (à propos, intérêt, argumentation), progrès réalisés dans la participation orale.
Enfin l'élaboration de critères de réussite et d'évaluation s'inscrit en regard des capacités mises en jeu : qualité du tri de l'information, oublis éventuels dans la prise de parole avec des retours en arrière, hiérarchisation de l'information, explications, commentaires, la mise en voix du discours oral (niveau sonore, débit, diction, registre de langue, élocution, intentions et intelligibilité du discours, expressivité, lexique, ton, contrôle de soi...)
Par une pratique régulière et structurée, les compétences se construisent progressivement.
Ainsi, les projets sollicitant l'oralité des élèves s'avèrent être de bons moteurs d'apprentissages et d'ancrage de pratiques discursives oratoires.
Ainsi, il est possible de construire un parcours progressif sur trois ans en Bac, allant de l'expression de ressentis à la mise en scène d'un discours délibératif.
En Seconde : L'expression de ressenti (cercle de lecture, boite- livre...) peut se travailler par l'écoute de lectures audio (parcours de personnage : un parcours de lecture lu en audio), la lecture à haute voix, la reformulation, l'interview de professionnels dans le cadre de la construction de l'information...On peut imaginer la proposition de cercles où chaque élève d'un groupe lit un passage de texte et fait un geste. Cela donne une déclamation collective et une chorégraphie succincte qui nécessite que l'on fasse attention à l'autre car il ne faut pas de temps d'arrêt pour la fluidité du texte et du jeu. La joute oratoire autour d'un livre est une pratique intéressante qui suppose au préalable la réalisation d'une critique et qui change de la fiche de lecture. L'oral en Seconde est donc fortement centré sur la restitution.
En Première : Apprendre à débattre et construire sa parole dans le respect d'autrui appuient la formation citoyenne des élèves. De multiples activités peuvent être imaginées : Dire un réquisitoire ou plaidoyer (oral étayé par une préparation écrite), participer à des débats académiques ou départementaux, soutenir un rapport de stage, analyser des discours audio (combat contre l'injustice), lire un texte engagé en mettant le ton et en le jouant, écouter le passage d'une émission de radio en lien avec un objet d'étude (homme face aux... : émission science publique avec ses très bonnes introductions). L'accent est mis sur la reformulation d'idées, l'expression d'une stratégie d'argumentation.
En Terminale, l'épreuve orale de contrôle exige d'être capable d'analyser une œuvre et de la présenter à l'oral.
Les élèves sont placés en situation pour utiliser ces procédés : production d'un discours argumenté à l'oral autour d'un axe de lecture d'une œuvre : par exemple « En quoi la lecture de la Peste interroge-t-elle le lecteur sur le Mal et la barbarie ? ». Je pense qu'il faut un travail en groupe (sur une même œuvre) afin qu'ils définissent des critères et évaluent. Cette modalité permet au professeur circuler, d'observer, de prendre des notes.
Il est attendu des élèves de Terminale qu'ils sachent mettre en scène leur parole dans un discours, qu'ils soient capables de prendre en compte le point de vue d'autrui et d'entrer en contradiction. L'objet d'étude la « parole en spectacle » permet une analyse plus fine des procédés oratoires nécessaires à toute dialectique.
Au fil des années, il semblerait opportun de proposer aux élèves des ressources lexicales (des tournures de phrases, des mots qui reviennent à l'oral et qui structurent la parole dans une situation contextualisée). Sans heurter les sensibilités, pourquoi ne pas synthétiser les types d'erreurs rencontrées en faisant repérer les mimiques, les répétitions, les tics de langue ?
Le professeur pourrait aussi disposer d'un discours enregistré avec des fautes qui ressembleraient à celles de ses élèves, ou le produire. Ce travail pourrait permettre la mise en œuvre d'une analyse grammaticale d'un discours et serait porteur de sens car très concret.
Enfin le programme de baccalauréat professionnel tend à l'éclosion d'attitudes civiques, à la pratique du débat citoyen dans une éloquence au service des idées et en interférences avec autrui. La place accordée à l'apprentissage de l'oral est donc capitale.
Le programme pose clairement ce qu'est l'échange oral en trois mots clés : écouter, réagir, s'exprimer. Cela présuppose le choix d'un destinataire identifié, une utilisation correcte des codes de la langue et une prise en compte des usages sociaux et personnels. Les élèves sont enclins à dire et à se dire, mais aussi à prendre leur place dans les débats contemporains. Continuer et améliorer l'apprentissage de la langue en CAP, c'est donner aux candidats les moyens de se construire en parlant d'eux, de s'insérer socialement et professionnellement, de fonder des savoirs en rendant compte...
Les activités orales se structurent autour de quatre axes : l'apprentissage de la voix (clarté, diction, lecture à haute voix ...), l'écoute et la prise en compte de la parole de l'Autre (prendre des notes, suivre un débat, reformuler, commenter, réfuter), l'affirmation de soi dans le groupe et dans l'univers professionnel (se présenter, expliquer, raconter une activité, tenir un rôle), l'échange et l'action orale.
En Histoire-Géographie-Education civique, les situations de participation orale des élèves alternent les oraux spontanés comme l'interrogation en début de séance, les situations d'échanges autour d'une recherche en groupe et les oraux préparés comme l'exposé, le débat, le jeu de rôles ou encore l'écoute et le questionnement d'un intervenant extérieur. Lorsque les élèves restituent les connaissances de la séance précédente, les questions peuvent être posées soit par le professeur, soit par les élèves. Il est important de les faire reformuler et clarifier (mesurer la compréhension d'un mot, d'une notion). Un élève qui pose les questions peut être évalué sur la pertinence et la clarté de ses questionnements. Mis au travail sur des dossiers documentaires autour d'une problématique et/ou d'une tâche complexe, les élèves peuvent dans la relation entre pairs échanger et construire leur restitution. La critique des documents mène à la présentation synthétique des informations contenues dans la série documentaire, à la reformulation d'idées et au compte-rendu. Puis, pour raconter ou décrire, il convient de produire un récit vivant et de faire vivre les personnages, les situations. Lors des débats, un thème de réflexion est proposé aux élèves, avec un dossier de documents variés (mis à disposition par le professeur ou recherchés par les élèves), par exemple sur la laïcité ou la justice.
Un élève peut être désigné " président de séance ", et aura comme tâche de donner la parole aux autres élèves en appliquant les règles d'équité. Ainsi expression limpide sur un sujet donné, l'écoute d'autres opinions démontrent les qualités propices à la prise en compte des arguments et objections pour modifier ou nuancer son point de vue. Lors de jeux de rôles, les élèves s'identifient à des personnages, à des catégories sociales, à une situation historique ou à une situation actuelle (par exemple : un procès en cour d'assises).
Le travail se prépare en groupes. Lors des mises en commun il est possible de prendre des notes à partir d'une fiche-guide.
Ainsi, le programme de Français invite directement les élèves à entrer dans l'échange oral et à exprimer leur conviction, leur engagement et leur désaccord, à prendre en compte la parole d'autrui et à s'impliquer de manière conscience dans les propos tenus. Amené à prendre position à l'oral dans des débats de société au nom de valeurs, l'élève apprend donc à intégrer dans son discours l'avis de spécialistes ou les exemples tirés des fictions qu'il a lues « Prendre en compte le point de vue de l'autre, le reformuler objectivement ». Placé en situation d'orateur, il doit écouter pour répondre, recourir à la modalisation pour soutenir son point de vue, confronter les points de vue antagonistes lors de débats en classe ou télévisés, lors de tables rondes pour prendre en compte les différentes positions autour d'un sujet. Le programme est bâti selon une logique qui amène à se construire dans le débat : présenter son opinion (en seconde), entrer en contradiction avec autrui, s'impliquer dans son propos (en première), confronter ses valeurs aux valeurs collectives (en classe terminale).
On rencontre enfin cette capacité fondamentale, « situer la visée d'une parole dans son contexte ». « Comprendre comment la mise en scène d'une parole contribue à son efficacité » : il s'agit là de la capacité essentielle pour argumenter, en réception et en production.
En réception : ce qui m'a convaincu quand j'ai entendu ce discours, vu cette image, assisté à cette scène, n'est peut-être pas si convaincant « à froid » ; il s'agit donc de réexaminer pour penser « juste ». En production : je n'oublie pas que l'adhésion de mon interlocuteur, de mon lecteur, dépend de la qualité de mes arguments mais aussi de leur mise en spectacle (rhétorique à l'écrit, mise en scène à l'oral), je travaille donc aussi cet aspect de mon discours.
C'est pourquoi il est probablement judicieux d'essayer les transpositions de discours politiques à une autre époque, de mettre en voix une prise de position, un extrait de théâtre à partir d'un carnet de mises en scène.
lettres-histoire - Rectorat de l'Académie de Nantes