L'histoire étant faite avant tout par des Hommes, il serait bon de partir de deux parcours individuels qui se croisent, se complètent puis divergent : celui du très "médiatique"
Bartolomé de las Casas et celui d'Antonio de Montesinos (peu évoqué dans les manuels scolaires européens). Qui sont ces Hommes? Comment leur prise de conscience est-elle née? Comment ont-ils fait pour se faire entendre en "haut lieu", au point de faire douter l'empereur le plus puissant du temps : Charles Quint ?
A partir d'un
corpus documentaire proposé à l'enseignant, il s'agit de mettre en relief les parcours singuliers de ces deux frères dominicains qui vont déclencher, chacun à leur manière, ce que Lewis Hanke (op. cité) appelle "
une véritable crise de conscience européenne". D'abord Montesinos qui, dans un sermon enflammé, apostrophe les autorités de Santo Domingo au cours d'un prêche prononcé à Noël 1511 :

devant les hauts fonctionnaires coloniaux médusés, il développe une double et subtile dialectique mêlant questions pratiques et questions théoriques : quels sont les droits des " Indiens " ? Peut-on leur imposer un travail forcé et les traiter d'une façon aussi barbare ? Au-delà du comportement de la soldatesque et des excès des "encomenderos", quels sont les droits réels de l'Espagne sur des terres et des peuples " souverains " ? En 1541, Jacques Cartier, découvreur du Saint-Laurent eut pu abonder dans son sens, assénant à l'ambassadeur de Charles Quint
:" le soleil luit pour moi comme pour les autres et je voudrais bien voir la clause du testament d'Adam qui m'exclut du partage du monde..."Bartolomé de las Casas lui emboîte le pas : les deux hommes appartiennent à l'ordre des Dominicains, les deux se dressent contre l'injustice, traversent l'Atlantique, plaident la cause des " Indiens" auprès du souverain et obtiennent une forme de réparation en poussant la monarchie espagnole à légiférer dans l'urgence afin
d'améliorer rapidement le sort des indigènes :
- Leyes de Burgos en 1512/1513 pour Montesinos
- Leyes nuevas de 1542 avant la controverse de Valladolid opposant Las Casas à Juan Ginès de Sepùlveda
Mais Las Casas présente une particularité qui le distingue de Montesinos, son aîné. Ricardo Garcia Carcel, professeur d'histoire moderne à l'université de Barcelone, explique que le combat mené par le futur évêque du Chiappas dépasse largement l'implication d'un homme passionné, avec ses excès, ses exagérations, ses fixations (après tout, la
" Très brève relation de la destruction des Indes " n'est qu'un feuillet de 70 pages sur une oeuvre colossale de plus de quinze volumes) pour entrer en résonance avec des préoccupations qui font leur chemin depuis un certain temps déjà à la cour de Charles Quint, écho répercuté au plus haut niveau de l'État quand las Casas publie à Séville en 1552, sans être aucunement molesté par la censure alors que Juan Ginès de Sepùlveda en subit les foudres... Avant las Casas, Francisco de Vitoria :
De Indis (1538)
De Jure Belli (1539) a bien "déminé le terrain" en affirmant notamment : " C'est faire injure à Dieu que de croire qu'on peut s'approcher des mystères et des sacrements du Christ sous le seul effet d'une crainte servile ".