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former à l'enseignement des questions socialement vives

enseigner les traites, l'esclavage et leurs abolitions.

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Ces comptes-rendus font suite aux interventions d'Anne Vezier, maitre de conférences en histoire et didactique de l’histoire, et de Bernard Michon, maître de conférences en histoire moderne, le 13 octobre 2020 au Musée d’Histoire de Nantes – Château des Ducs de Bretagne. Leur lecture est nécessaire au bon usage des diaporamas qui sont joints. Nous remercions les conférenciers pour ce partage.


 

Premier compte-rendu – Anne Vézier : Maitre de conférences en histoire et didactique de l’histoire

« Le concept de question socialement vive, un outil pour penser l’enseignement des traites esclavages abolitions ? Enjeux et pistes didactiques. »

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1. Qu’est-ce qu’une question socialement vive ? 

Les questions socialement vives vont au-delà des questions des questions sensibles puisqu’elles permettent d’apprendre quelque chose de plus, de susciter un intérêt encore plus grand. Elles posent un questionnement nouveau et font appel à l'émotion, voire au traumatisme.

Ce sont des questions controverses que l’on retrouve dans les médias, relevées par les historiens, par la philosophie. Se pose alors la question de la légitimité : qui est légitime pour dire l’Histoire ? sur quels critères peut-on questionner, qualifier un événement du passé ? 

Vous trouverez dans le diaporama un relevé de tribunes, de chroniques, de propos d’acteurs autour de cette question. L’actualité internationale peut de plus interpeller, pensons à l'affaire George Floyd car nos élèves y sont sensibles.

 La question du silence de certains acteurs est posée mais aussi de la responsabilité des descendants, des prédécesseurs. Faut-il par exemple indemniser des victimes ?  L’élève peut alors questionner son positionnement : « de qui suis-je solidaire » (Charles Heimberg, in L’enseignement des QSV en Histoire et Géographie) ? De mes ancêtres ou de mes contemporains ? Cette réflexion repose sur des valeurs et des émotions et examine la question identitaire. Les QSV permettent ainsi de sortir d’un discours réparateur pour adopter une posture épistémologique et interroger les savoirs (voir schéma). 

Pour sortir de l'émotion, il faut aller vers les savoirs : l'enjeu est de construire avec les élèves la problématique. Pourquoi se poser des questions encore aujourd’hui ? Qu'est-ce qui est en débat ? Pourquoi est-ce « vif » ? Les faits ne sont pas en débat, ce sont les interprétations qui sont questionnées. Ce sont donc ces enjeux complexes reposant sur les pratiques sociales de référence qui sont à construire avec les élèves. Enseigner les QSV, c’est enseigner des résultats et faire comprendre les choix, les interprétations.

Cependant, les QSV peuvent aussi être associés aux risques : elles nécessitent un dévoilement, elles peuvent concourir à un repli sur les opinions ou à une perte de sens si elles ne sont pas abordées.

 

2. Exploration didactique de la tension entre « éducation à » et enseignement de l’histoire.

Quelle place pour cette question de la traite des noirs, de l’esclavage et leurs abolitions dans nos enseignements ? Un rappel de nos programmes est réalisé. Il paraît essentiel de faire comprendre simultanément les enjeux du présent et du passé. Ainsi, on peut enseigner les résultats de cette histoire mais aussi, avoir un regard d'historien qui questionne les pratiques de référence et pose le travail sur la distance comme cadre d’une éducation critique de l’enseignement sur le passé. Le rapport entre le passé et le présent peut se réduire pour les élèves à une confrontation entre « eux et nous », les incitant à sélectionner les informations qui font sens pour eux. Mais cela s’oppose à un enjeu de savoirs qui réduit l’enseignement au « comment cela se passe-t-il ? ».

 Il vaut alors mieux se poser la question du « pourquoi » à la place du « comment » ? Ce qui nécessite de questionner en même temps le vécu, les valeurs, les émotions qui parlent aux élèves et les enjeux globaux.  La contextualisation est donc indispensable pour expliquer cette tension aux élèves et peut être mise en lumière par une démarche d’enquête.

 

3. L’enquête comme alternative à la visite

L’enquête propose un nouveau contrat didactique puisqu’elle confronte des sources, attestations d’un passé qui a eu lieu, à ce « qui vaut d’être étudié » c’est-à-dire le fait historique. L’enseignant doit s’interroger sur ce qu’il veut vraiment que les élèves apprennent : partir d’un point pour arriver à un questionnement plus large d’un humanisme critique, acquérir une dimension éthique et de connaissances… Il faut donc lancer les élèves dans une enquête : quelles sont les conditions de possibilités économique, politique, idéologique de l'esclavage ? Savoir comment cela a-t-il été possible ? Le pourquoi de l'esclavage ?  Ainsi Anne Vézier propose par exemple de partir d'un extrait du Code noir. Celui-ci doit ne pas être forcément pris comme une liste de peines mais comme un rapport royal avec des acteurs locaux. La démarche est étudiée dans le diaporama. 

Ainsi, à l’instar de Nicole Lautier, les questions socialement vives s’étudient selon un double mouvement :

- ce que comprennent les élèves d’une situation, même si ce sont des stéréotypes qui sont des révélateurs de modèles explicatifs

- leur apprendre à contrôler leur pensée pour les faire entrer dans un processus d’explication, non de déconstruction. 

L’enquête historique permet donc un processus de mise à distance mais ne peut se faire sans contextualiser un document qui résiste à une lecture littérale


A. Vézier conclut en précisant que traiter une question socialement vive, c’est construire une situation d’étude développant les compétences critiques. Elle constitue un défi de connaissances pour éclairer les débats de société et interroge des situations complexes pour nourrir des hypothèses de travail, non des leçons du passé.
 

4. Une bibliographie est disponible dans le diaporama.

Trois articles de Nicole Lautier à conseiller LAUTIER Nicole (2003). Histoire enseignée, histoire appropriée. Quelques éléments spécifiques d’une didactique de l’histoire. In BAQUES Marie-Christine, BRUTER Annie & TUTIAUX-GUILLON Nicole (éd.). Pistes didactiques et chemins d’historiens. Textes offerts à Henri Moniot. Paris, L’Harmattan, p. 357-380.

LAUTIER Nicole (2005). Penser l’autre dans l’enseignement de l’histoire. Le Cartable de Clio, 5, p. 56-66.

LAUTIER Nicole (2006). L’histoire en situation didactique : une pluralité de registres de savoir. In HAAS Valérie (dir.). Les savoirs du quotidien. Transmissions, appropriations, représentations. Rennes : PUR, p. 77-90.

 

 

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Second compte-rendu – Bernard Michon : Maître de conférences en histoire moderne

« Nantes, la traite des Noirs et l’esclavage colonial »

 

M. Michon nous propose une accroche : des photos de la manifestation contre le racisme et les violences policières qui ont eu lieu à Nantes le 8 juin 2020. Ces dernières nous interpellent : lier violences policières et racisme. Cela pose question sur la relation Histoire et Mémoire, d’autant que les manifestants sont passés devant le Mémorial de l’abolition de l’esclavage, Passerelle Victor-Schoelcher, Quai de la Fosse, 44000 Nantes. C’est donc avec le présent que l’on réinterroge le passé.

 

1. Que faire des traces visibles du passé négrier et esclavagiste de Nantes et d’autres villes… ? 

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a/ La question des noms de rues

Nommer une rue est un hommage à un aspect d’un personnage historique. M. Michon donne alors une série de rues concernées dont les noms sont liés à un passé négrier plus ou moins proche de la traite. Certains noms (Colbert) font polémique aujourd’hui alors que d’autres sont tout autant impliqués dans le commerce des esclaves sans être décriés, comme Montaudouin par exemple. Une histoire complexe se joue derrière ces noms de rues nantaises. Faut-il alors débaptiser les noms de rues ? Les oublier ? Ou travailler aux explications de leur présence ? 

 b/ Peau noire, masques blancs (F. Fanon)

Mise au point sur la présence des mascarons. De leurs fonctions protectrices au Moyen Age aux thèmes qui se modifient avec le temps pour représenter les éléments, les dieux, continents…Ces mascarons sont à utiliser avec d’autres supports afin de relativiser et de comprendre le contexte dans lequel ils ont été sculptés.

c/ Et les statues ? 

Exemple est pris de la statue de Colbert devant l’Assemblée nationale qui cristallise les passions et les oppositions. Il est indispensable de redonner son historicité à ce personnage, dont le statut date surtout de la IIIe République. Colbert est passé à la postérité comme le grand commis de l’Etat. Se construit alors autour de lui un roman historique qui « toilette » ce personnage, l’ancre dans un récit national républicain en insistant sur son ascension sociale.
Quant au Code noir, s’il est difficile à étudier, il faut savoir que ce texte est peu appliqué dans les colonies car les esclavagistes estiment que leurs relations avec les esclaves sont d’ordre privé, et donc que l’Etat n’a pas à légiférer dessus. En réalité, les conditions des esclaves sont pires que celles envisagées dans le Code noir.

Autres exemples : que fait-on des statues de Napoléon, lui qui a rétabli l’esclavage en 1802 ? Et de celle de Louis XVI, roi qui a régné à l’apogée de la traite négrière ? 

Adopter un discours historique consiste donc à raisonner dans un contexte, non pas à juger le passé avec nos yeux d’aujourd’hui.


2. « Comment devient-on la capitale de la traite négrière française » ? (O. Grenouilleau)

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a/ Une domination sans partage

Démonstration faite à partir d’une carte extraite de l’ouvrage de M. Dorigny et B. Gainot, « Atlas des esclavages. De l’Antiquité à nos jours » Paris, Éd. Autrement, 2013, p. 31.

Nantes se trouve être le 4e port négrier européen, le 1er en France. Cette ville poursuit l’activité négrière alors qu’elle est illégale après 1810. Il faut noter le caractère frénétique, presque industriel de la traite occidentale après 1760 jusqu’à 1830 : entre 70000 et 80000 esclaves déportés/an.

Nantes assure ainsi 1800 expéditions négrières au XVIIIe siècle, suivie par un trio de dauphins : Honfleur et Le Havre, la Rochelle et Bordeaux qui organisent environ 500 expéditions chacun à cette même période. 

b/ Une activité par défaut ? 

Le port de Nantes a été moins compétitif sur le commerce en droiture que Bordeaux, par exemple. Mais la traite est le moteur de la croissance coloniale, dont on constate cependant une pause forcée entre 1756 et 1763 avec la guerre de Sept ans, puis entre 1778 et 1783 avec la guerre d’Indépendance des Etats-Unis.

c/ Les atouts de Nantes pour pratiquer la traite

La précocité : les Nantais ont très tôt su s’immiscer dans le système monarchique pour proposer une traite privée. Puis, au XVIIIe siècle, ils ont obtenu l’appui de l’Etat. Elle a ensuite bénéficié de la richesse de son arrière-pays. La ville a aussi eu un contact privilégié avec Lorient et sa Compagnie des Indes : c’est à Nantes qu’ont lieu les ventes de la Compagnie, les Nantais y sont les premiers acheteurs (des cauris des Maldives qui serviront comme étalons monétaires le long des côtes d’Afrique, les Guinées bleues échangées ensuite contre des esclaves, les toiles peintes d’Inde…).

 

3. Nantes, un des centres d’impulsion d’un système complexe

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a/ Ne pas cibler que les armateurs.
Il ne faut pas avoir de vision manichéenne sur ces questions : pas de jugement mais donner des éléments de compréhension. Précision : comprendre n’est pas relativiser ou excuser.

b/ L’économie ou le « système de plantation » (P. D. Curtin)

c/ Le rôle des intermédiaires africains

Les Européens n’accostaient pas sur les littoraux, ils bénéficiaient d’un partenariat avec des acteurs africains. La traite implique donc des Européens mais également les élites africaines des Etats côtiers.  Actuellement des chercheurs africains comme Ibrahima Thioud, Aka Kouamé ou Ahmadou Séhou travaillent à réévaluer le rôle des Etats africains dans la traite négrière, notamment dans une logique économique de concurrence « Là où les nègres sont maîtres » de R. Sparks. 
 

Conclusion

« C’est la traite qui a engendré le racisme et non le contraire » (C. Coquery-Vidrovitch). 

Le mot « nègre » est apparu au XVIe siècle et désigne une personne de couleur noire ; au XVIIIe siècle, avec l’intensification de la traite, un esclave est « nègre », ce qui permettra de justifier la colonisation au XIXe siècle. Le XVIIIe siècle a ainsi fait naître le préjugé de couleur.

Quelques ouvrages de Catherine Coquery-Vidrovitch, historienne, spécialiste de l'Afrique. Elle a publié de nombreux ouvrages qui font aujourd'hui référence, parmi lesquels à La Découverte : L'Afrique occidentale au temps des Français colonisateurs et colonisés, v.1860-1960 (en collaboration avec Odile Goerg), 1992 ou encore Être esclave : Afrique-Amériques, XVe-XIXe siècle (avec Eric Mesnard), 2013.

 

 

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