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Descartes, Les passions de l'âme - V. La constitution du sujet comme être au monde. La liberté du sujet incarné : sortir de soi sans se dissoudre.

mis à jour le 14/10/2009


Descartes

Ce document est le compte rendu de séances de formation continue consacrées en 2008-2009 à la lecture collégiale des Passions de l'âme de René Descartes.

mots clés : philosophie, la matière, l’esprit, la morale, la liberté, le sujet, descartes


Présentation :


La constitution du sujet comme être au monde. La liberté du sujet incarné : sortir de soi sans se dissoudre.

L'admiration, ce noyau d'énergie institué en nous par la nature, n'est bonne que par l'usage que l'homme en fait. Distinguer le bon usage du mauvais usage de l'admiration est une question morale où se joue la liberté du sujet eu égard à ses passions. En effet, l'admiration reste une passion, ce n'est pas un acte de la volonté. Si le sujet reste stupéfait face à un nouvel objet, il est absorbé, obnubilé donc passif et stupide. L'admiration excessive interdit alors toute réflexion, il faut donc en déterminer les limites pour qu'elle devienne une passion théorique, c'est-à-dire celle qui pousse l'esprit à inspecter ses propres représentations pour se libérer des opinions et des préjugés faisant obstacle à la connaissance  des objets réels.

Notions : la matière, l'esprit, la morale, la liberté, le sujet.
 

La bonne admiration :


L'aspect négatif de l'admiration est abordé dans les art. 70-78.
On peut se reporter également au début des Météores (Discours premier : le premier alinéa) :
« Nous avons naturellement plus d'admiration pour les choses qui sont au-dessus de nous, que pour celles qui sont à pareille hauteur ou au-dessous. Et quoique les nues n'excèdent guère les sommets de quelques montagnes, et qu'on en voie même souvent de plus basses que les pointes de nos clochers, toutefois, à cause qu'il faut tourner les yeux vers le ciel pour les regarder, nous les imaginons si relevées, que même les poètes et les peintres en composent le trône de Dieu, et font que là il emploie ses propres mains à ouvrir et fermer les portes des vents, à verser la rosée sur les fleurs et à lancer de la foudre sur les rochers. Ce qui me fait espérer que si j'explique ici leur nature, en telle sorte qu'on n'ait plus l'occasion d'admirer rien de ce qui s'y voit ou qui en descend, on croira facilement qu'il est possible en même façon de trouver les causes de tout ce qu'il y a de plus admirable sur la terre. » [fin de citation]
On peut aussi rappeler le Discours huitième des Météores, éd. de F. Alquié, tome I, Garnier, p. 760 : « Et ceci me fait souvenir d'une invention pour faire paraître des signes dans le ciel, qui pourraient causer grande admiration à ceux qui en ignoreraient les raisons ». [fin de citation]
En d'autres termes : plus on ignore les causes, plus l'on est béat d'admiration. L'admiration revêt le sens d'obstacle à la connaissance. Voilà pourquoi Descartes ne reconnaît pas de valeur à l'étonnement, à l'inverse de Hobbes notamment. Autrement dit, l'étonnement peut avoir un usage inverse à celui d'ouverture pour la connaissance. Descartes est assez réservé en ce qui concerne l'étonnement ou le désir de savoir, toujours subordonné chez lui à la recherche de la certitude. Selon Descartes, savoir pour savoir n'est pas forcément le but de l'intelligence ; selon lui, le but de la recherche est la certitude et pas le savoir. De surcroît, la critique de l'érudition et de l'histoire pousse à faire du savoir presque un obstacle à la recherche de la connaissance. C'est dans cette perspective qu'il y a une mise à distance de l'érudition. La rénovation complète du savoir s'effectue sur la base non de l'érudition mais de la certitude. De ce point de vue, l'admiration ne sert à rien. [Avec ses Entretiens sur la pluralité des mondes, Fontenelle va dans ce sens]
L'admiration qui rend la connaissance possible par la perception d'un événement nouveau produit l'effet inverse lorsqu'elle devient une disposition. Comme passion de l'âme, elle est justifiée mais à titre de disposition de l'âme, autrement dit de passion qui s'institutionnalise, l'admiration est critiquée car elle quitte sa finalité en devenant recherche effrénée du « nouveau », ce qui rend l'âme passive et superficielle.
Remarque : plus « c'est compliqué » au niveau phénoménal, plus « c'est simple » au niveau causal, d'où la recherche de théories unitaires. Il s'agit donc de rapporter le plus de choses possibles au moins de causes possibles. C'est lorsque l'admiration disparaît comme passion liée à la diversité qu'elle est retrouvée comme disposition fondamentale de l'âme. Il y a alors l'idée d'une admiration ou d'une structure admirative de l'homme comme ce qui fait de lui un être dont la vie n'est pas entièrement normée par la recherche de l'utile. Certes, l'homme est un être de la nature et cette nature est indépassable, mais l'homme n'est pas réductible à la nature. L'admiration correspond à un dépassement de l'utilitaire, du final, du vital.
À ce stade de l'enquête,on peut comparer Descartes et certains de ses contemporains. Hobbes commence son anthropologie avec la réduction de tous les comportements à de la mécanique. L'anthropologie hobbesienne est par conséquent commandée par la physique. En un sens, la théorie de l'homme est également délivrée par une physique chez Spinoza : dans le deuxième livre de l'Ethique, on trouve une physique qui sert de fondement au livre trois. Avec l'admiration, Descartes fait signe vers autre chose que l'ordre de la nature. L'admiration peut être comparée à une réduction, à une épokhè [doute ou suspension] naturelle, dont la possibilité tient à la possibilité de considérer le réel autrement que du point de vue de l'intérêt. Dans l'anthropologie cartésienne, il n'y a pas de conatus [c'est-à-dire d'être comme mouvement d'acquisition ou d'appropriation] : l'homme est d'abord ce qui se représente les choses. Il n'est pas d'abord ce qui appète.
Le doute cartésien est-il possible sans l'admiration comme passion primitive ? Le doute est comme une utilisation savante de la passion de l'admiration : on y voit le monde comme si on le découvrait. Dans « mon étonnement est tel, qu'il est presque capable de me persuader que je dors » [première Méditation Métaphysique, éd. Alquié, tome II, Garnier, p. 406], l'étonnement n'est pas le thaumazein. Le doute est le processus d'objectivation le plus radical qui soit : avec le doute, on n'est plus couplé avec le jeu du phénomène. Dans l'admiration se dessine la possibilité générale de suspendre la croyance. Une autre relation au réel que la relation de conscience positionnelle se fait jour. L'admiration est la passion qui dépasse la physique et rend possible la métaphysique.
 
Une question est posée sur la nature de la représentation dans la pensée de Descartes.
La réponse proposée insiste sur le fait que la représentation procède d'une dissociation de l'idée et du jugement. Avec la représentation, il y a un plan d'appréhension de l'idée en tant qu'idée. Avec la représentation, il y a une vérité matérielle de l'idée dans l'esprit.
 
M. Guenancia reprend le fil de son exposé, en développant l'approche cartésienne des passions, pour mieux revenir à l'admiration.
D'une certaine manière, les passions sont des jugements. Descartes envisage une mise à l'écart de l'admiration qui n'est pas un jugement au sens d'une adhésion comme l'amour, la haine, etc. Le doute est une phase suspensive, en rapport avec l'admiration. Par là même, il existe un régime commun de l'âme dans l'anthropologie et dans la métaphysique.
Après avoir été joué par les passions qui nous constituent comme sujet humain, que faire des passions ?
On parle de règles dans l'utilisation des passions, de règles d'usage plus que de réglementation. Descartes s'appuie dans les art. 145 sq. sur la distinction stoïcienne entre ce qui dépend de nous et ce qui n'en dépend pas. Ce qui dépend de nous est à entendre de manière formelle : ce sont nos volontés. On ne peut en faire une énumération, à la différence de ce que fait Hobbes, dans le Léviathan.
L'âme trouve dans les passions matière à découvrir et à exercer sa propre force. Cf. art. 145 : le premier de ces remèdes généraux est la générosité ; le second : cf. art. 145-146, en relation avec la providence divine.
La générosité est indexée à sa démarche, dans l'ordre d'un renforcement : il faut vouloir vouloir. On est ici assez proche de la troisième maxime de la fameuse « morale provisoire » du Discours de la Méthode : il s'agit effectivement de « changer ses désirs plutôt que l'ordre du monde ». Mais cette maxime apparemment déterministe est apparemment métamorphosée en fondement de la liberté.
La philosophie de la générosité est rendue possible par la position de l'admiration comme première. Avec l'admiration, l'âme « sort la tête » de ce pour quoi la nature l'a destinée. Deux cas sont distingués :
. Il suffit de voir souvent les mêmes choses pour s'habituer à ne plus admirer.
. Le « nouveau » dure comme « nouveau ». Le « nouveau » est alors quelque chose de permanent. Il y a une persistance du « nouveau » au-delà de son occurrence temporelle. Le « nouveau » est lié à une disposition à admirer.
Il s'agit alors de trouver à l'âme des objets dignes d'admiration. Comment faire contrepoids à la banalité ? Descartes va rechercher les moyens de dépasser l'admiration « par le haut » en cherchant ce qui est vraiment admirable. Quelles sont les choses dignes d'être admirées ?
Il manque une règle à l'admiration, il manque la médiation de la mesure. Cette règle consiste en définitive dans la médiation du concept de dignité. Il importe donc de considérer la dignité de l'objet envisagé. La dignité est par conséquent une règle pour la direction de l'esprit en matière morale.
Tout se passe comme si Descartes se proposait d'inverser le pôle de l'admiration en conservant cependant l'énergie de l'admiration. On constate ainsi une similitude entre le respect pour Kant et l'admiration pour Descartes avec, d'une part le rôle de la loi (Kant) et la dignité ou la grandeur de l'objet (Descartes).
Remarque : il n'y a pas de « plus » ou de « moins » dans les choses dignes d'être admirées. Il y a égalité formelle entre les choses dignes d'être admirées, et cette égalité formelle est celle de la volonté. Un concept générique de la chose digne d'être admirée peut servir d'objet ou de règle pour l'entendement. La bonne volonté chez Descartes n'est pas tant la pureté des mobiles de la volonté qu'une volonté qui dirige l'entendement dans la bonne voie, c'est-à-dire une volonté rectrice. Il y a ici presque une inversion des rapports entre entendement et volonté, comme si l'entendement ne pouvait produire le concept d'objet digne d'être estimé. Ici, la volonté donne la direction.
Comment bien user de l'admiration ? Cette question, traitée dans les art. 150 sq., est comme un parallèle avec celle de savoir comment bien user de notre libre arbitre dans la quatrième Méditation Métaphysique. Descartes croise ici la vie sociale. D'autres le font également (Pascal, Spinoza, Hobbes), mais la réflexion de Descartes s'oriente sur la formalité du pouvoir causal par rapport à la matérialité des effets produits par les causes.
En ce qui concerne la pensée de Pascal, on peut se référer aux Méditations pascaliennes de Bourdieu. Ce dernier soutient que la critique de l'aliénation est plus radicale chez Pascal que chez Marx. Pascal, en un sens, aurait déjà considéré le fonctionnement de l'imagination dans le champ symbolique. L'arbitraire a besoin de se revêtir et c'est l'imagination qui selon Pascal procure les vêtements nécessaires aux croyances. Hobbes, lui, ne croit qu'au pouvoir du glaive. Le pouvoir est selon lui visible et il est essentiel qu'il le soit. Pascal est sur ce point « l'anti-Hobbes » car, selon lui, le pouvoir est invisible et doit l'être. Le pouvoir multiplie alors les signes de grandeur, et il y a travestissement du savoir sous les habits du pouvoir. Pour qu'il soit vecteur de pouvoir, le savoir doit être un faux savoir, dans le registre de la dissimulation chez Pascal, à la manière d'une théorie de la production de l'admiration par les appareils sociaux. Selon Pascal, c'est l'émerveillement qui produit la croyance (qui la génère et la garantit).
Selon Descartes, les apparences sociales ne peuvent dissimuler la vraie grandeur. Descartes ne croit pas à l'impossibilité de découpler entendement et imagination car, selon lui, l'entendement peut penser par images. Le problème du traité des Passions de l'âme est le suivant : à un moment donné, la volonté conduit l'entendement. Contre toute attente, la réforme cartésienne de l'entendement est ainsi celle d'un entendement guidé par la volonté. Le « nouveau » n'est alors plus sporadique et apparent ; il se renouvelle en se produisant.
Cf. l'art. 160, qui se termine par une référence à l'admiration. L'orgueil et la générosité ont même contenu représentatif : avoir une bonne idée de soi. Qu'est-ce qui fait alors la légitimité ou l'illégitimité ? L'occurrence de l'admiration à la fin de l'art. 160 est ici le signe de la cohérence du traité des Passions de l'âme, qui cherche à reconnaître le mouvement des esprits animaux.
On peut opposer deux types d'admiration, qui se différencient par la nature de l'objet vers lequel elles se portent :
. Pour le premier type d'admiration, tout ce qui arrive de nouveau surprend immanquablement (le soi n'est pas un objet pour l'entendement).
. Le deuxième type d'admiration correspond à ceux qui admirent en eux quelque chose de plus grand qu'eux. Cette grandeur est la puissance d'user de son libre arbitre.
Il y a une grande différence entre admirer le fait que cette grandeur se trouve en soi et s'admirer soi-même : il y a un contraste entre la finitude du sujet et ce que cette finitude enferme en elle, et qui est l'idée d'infini.
Pour que le soi apparaisse comme objet, il faut qu'il ait acquis la conscience de sa finitude. Cela ne correspond pas à l'enthousiasme : il y a toujours une nouvelle admiration, qui par conséquent se régénère. Il s'agit d'une capacité de sortir de soi sans pour autant se dissoudre.
 

information(s) pédagogique(s)

niveau : tous niveaux

type pédagogique : leçon

public visé : non précisé

contexte d'usage :

référence aux programmes : La matière, l'esprit, la morale, la liberté, le sujet.

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