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Etude du Livre VI. Chap. II de l'Ethique à Nicomaque d'Aristote : L'homme un désir raisonnant ou une raison désirante ?

mis à jour le 10/09/2007


vignette Aristote philosophie

Ce texte nous apprend à voir la morale ou l'éthique, non comme un ensemble de recettes ou de préceptes mécaniques qui, de manière dogmatique, nous ordonneraient (par interdits et prescriptions) ce qu'il y a à faire et que nous n'aurions plus qu'à suivre aveuglément, mais bien plutôt comme la manière personnelle à chaque fois à inventer pour donner sens à sa vie, à partir d'un éclairage de ce qui peut être rationnellement considéré comme un Bien, tant pour soi que pour autrui. En ce sens l'éthique entretient des rapports étroits avec d'autres notions du programme,  notamment avec la raison et le rapport qu'elle entretient avec la réalité de nos actes et conduites, avec l'existence d'un vivant conscient capable de se faire sujet de ses actes et de ses résolutions, avec la culture  comme développement des potentialités théoriques et pratiques de l'homme cherchant à s'accomplir.

mots clés : perception, sujet, en acte, contingent, causes, possible, liberté, existence, désir, politique, raison


Etude du deuxième chapitre de l'Ethique à Nicomaque, Livre VI. d'Aristote

Le texte

Lire

L'étude


 Le texte débute par un rappel de parties précédentes, portant notamment sur la bipartition de l'âme.

Une question est posée sur : « c'est sur une certaine ressemblance et affinité entre le sujet et l'objet que la connaissance repose » (1139 a 10, p. 275).
La perception est perception de quelque chose (autre qu'elle-même tant que la perception n'est qu'en puissance). Lorsque la perception est en acte, elle ne fait plus qu'un avec l'objet perçu. Quand la pensée pense en acte, elle se fait être l'objet. La pensée qui contemple les réalités éternelles et nécessaires s'éternise et se rend nécessaire. Quand la puissance s'actualise, elle se met en situation d'actualisation avec l'objet (de coïncidence, voire de coexistence pourrait-on dire).
Pour la partie rationnelle : renvoi à la contemplation d'êtres qui ne peuvent être autrement qu'ils sont. L'autre partie s'intéresse aux réalités contingentes. A ce stade, la notion de délibération revêt une grande importance. On ne délibère jamais que sur ce qui peut être autrement. On aura donc deux vertus, chacune portant sur l'un des deux versants.

Une question est posée sur le rapport à la cosmologie.
Il existe des réalités contingentes : des choses soumises à des principes contingents : nous-mêmes et nos actes ?
La raison contemple :
des réalités éternelles et nécessaires. Mais par là, que faut-il entendre exactement ? Des réalités éternelles et nécessaires, mais aussi sans doute les principes éternels et nécessaires de ces réalités.
Idem pour le contingent : il y a des réalités contingentes, mais il y a sans doute aussi des principes contingents, ces principes étant « causes » (au sens fort de ce terme chez Aristote) de ce dont ils sont le principe : or il se pourrait bien que ce soit le cas de la plupart de nos conduites.
Aristote insiste sur la capacité à être affecté (rappel ici de la classification de l'ensemble des phénomènes de la vie pratique en affections (ou passions), capacités (à les recevoir) et enfin dispositions : E.N, II, 4 à 6). D'où la définition de la vertu (ou du vice) comme bonne ou mauvaise disposition : manière de bien ou de mal se disposer à l'égard de nos affections (pathos) et de nos capacités (dunamis). Or de cette manière de se disposer nous sommes responsables, alors que nous ne le sommes ni de nos affections (pathologiquement subies) ni, a fortiori du fait que nous soyons capables d'être affectés par elles. Seules donc les dispositions (hexeis) sont, comme la vertu, susceptibles d'éloge ou de blâme : ce sont donc elles qui engagent (en mettant la question de la valeur des affections en rapport avec la sagesse) la réflexion éthique.
1130 a 15, p. 276-277 : hypothèse dès lors ouverte : la contingence dont il est ici question est saisie, non seulement dans l'ordre cosmologique, mais dans l'ordre pratique. Pour deux raisons :
 Il y a contingence des principes pratiques parce que la valeur de nos actes est variable, et fonction d'une responsabilité d'un sujet capable de choix (ou de laisser-aller)
Indépendamment de la question de la finitude humaine, la contingence est ce qui rend possible l'ouverture au possible. Précisons : il y a bien finitude humaine, mais il y a aussi indétermination de la nature de l'homme qui lui laisse la liberté pratique du sens et de la valeur à conférer à sa propre existence.
S'il n'y a d'action que pour un être capable de s'instituer comme principe de l'acte, la sensation n'est principe d'aucune action.
p. 277 : homologie pensée / désir, à quoi correspondrait, dans le champ pratique, le désir ou l'aversion. Le désir n'est pas encore la proairesis (désir délibératif) : la proairesis implique un chiasme intellect / désir. Dans le désir, il y a spontanément (automatiquement pourrait-on dire, au sens de l'automaton) de la poursuite et de la fuite. Mais les dispositions (exeis) sont susceptibles d'éloge ou de blâme, et  la vertu morale est une disposition capable de choix. L'horizon de désir trouve donc une clairvoyance (une vigilance) grâce à la proairesis.
Le désir seul est un automate (on pourrait dire qu'il « produit en nous de la machine », du machinal plutôt d'ailleurs que du mécanique ) ; l'intellect seul est contemplatif : il n'a ni à fuir ni à élire son objet. Par conséquent, pour qu'il y ait action, un croisement (chiasme) du désir et de l'intellect est requis. Par le choix réfléchi, le désir doit devenir désir délibératif.
Dans le « pro » de proairesis, on peut entendre la prévision, la prévention, la prévoyance (dans tous les sens du terme). Proairesis signifie alors le désir clairvoyant, prévoyant, d'où une temporalisation du désir, qui vise l'empan de sa visée. Le désir seul serait « immédiateté vers... »
Rien ne prédispose mécaniquement l'homme à réaliser une homologie harmonieuse entre intellect et désir, ce qui est l'objet de l'éthique et de la politique. Ce qui rend possible la vertu morale est donc une double condition à instituer en et par soi : que la règle (d'action) soit vraie et le désir droit.

Question : la distinction entre parties rationnelle et irrationnelle peut-elle être maintenue ?
 Aristote dit souvent que l'âme n'a pas de parties. La bipartition est ici schématique (rôle clé de la phantasia) et méthodologique.
Dans le croisement intellect / désir : importance de la phantasia. L'imagination se fait apparaître la fin comme bonne et désirable. Cf Péri Psuchès : l'imagination travaille au ras du perçu, dans le domaine des « images », mais prépare par là même le terrain à la pensée (à l'intellect actif).
Dans le désir droit et la règle vraie, on travaille sur la même chose. On peut donc se représenter, se « figurer » comme disait Platon (cf début de l'allégorie de la caverne) ou encore s'imaginer leurs activités comme renvoyant à la même « partie » de l'âme : la partie la moins irrationnelle de la partie irrationnelle (le désir qui peut devenir droit en entendant la raison) et la partie de la partie rationnelle qui se préoccupe ou se « soucie » de l'existence pratique contingente et soumise au temps (qui fait que la règle d'action peut être vraie). Nous pouvons donc les faire coïncider, et nous les figurer comme une seule et même partie, envisagée selon un double point de vue (du désir ou de la raison). Cette partie est-elle alors moins rationnelle que l'autre partie rationnelle, ou doit-on plutôt les distinguer en disant de l'une qu'elle s'occupe du raisonnable là où la seconde, se limitant au domaine de l'éternel et du nécessaire, conçoit et contemple le rationnel pur ?
Il existerait ainsi  un « décollement » de la théoria par rapport au questionnement pratique qui met en jeu un être au monde affecté.
Mais est-ce à dire que la raison pratique est seulement de l'ordre d'un pis-aller ? N'y a-t-il pas ici résurgence de la question de la finitude, celle du « pauvre homme qui fait ce qu'il peut » ? Au contraire, il y a bien un gain pour l'activité humaine et ses oeuvres :
le désir gagne en clairvoyance ; il est moteur de l'action (fin du Péri Psuchès) ;
l'intellect humain y gagne sa dimension proprement pratique, et sans doute par là la condition de possibilité, pour les hommes qui ne sont pas des dieux,  de la vie théorétique elle-même (cf début de Métaphysique : il a fallu que les arts libèrent les hommes des besoins de la survie pour qu'ils puissent commencer à jouir de la skholè nécessaire à la vie de l'esprit dans le questionnement proprement « philosophique ») .

Approfondissement


Retour sur la fin du chapitre deux :

Première remarque, centrée sur la vérité pratique : il existe une articulation entre éthique et vérité. La vérité n'est pas seulement l'adéquation entre la chose et l'intelligence qui cherche à la concevoir ; elle est une manière pour l'âme de réaliser au mieux l'une de ses possibilités les plus hautes.

Deuxième remarque, centrée sur le passage où il est question du principe de l'action morale (1139 a-b 30-32, p. 278, Vrin poche) : le choix délibératif (= le choix préférentiel) est principe de l'action morale en tant qu'il est principe de l'action, mais le principe déterminant le choix délibératif lui-même est le désir (orexis) « accompagné » de règle droite (littéralement : orexis et orthos logos). Le désir est donc désormais correctement réglé, c'est-à-dire clairvoyant sur  sa fin (ce qui relance la question récurrente de savoir si la phronèsis porte seulement sur les moyens ou si elle porte également sur sa fin).
On peut concevoir un « emboîtement » à partir du croisement entre le désir et l'intellect.
On peut faire une référence au Péri Psuchès à propos du désir comme principe moteur rendant capable l'intellect d'une dimension pratique.

Troisième remarque, centrée sur la vertu : le fin du deuxième chapitre permet d'opérer un retour sur le lien vertu pratique / vérité. Le choix ne peut exister sans une certaine forme de compréhension (cf p. 278) : devons-nous alors continuer de présenter ce texte à partir de deux genres de vertu, à savoir vertu morale d'une part, et vertu dianoétique d'autre part, ou alors le texte ne retravaille-t-il pas cette première présentation, au sens où une même vertu pourrait revêtir et une dimension orale, et une dimension dianoétique ?
Remarquons que « dianoia » est traduit par « pensée » ; plus précisément, c'est bien une réflexivité discursive qui est désignée par le terme de dianoia. Ensuite, le raisonnement met l'accent sur la distinction entre dianoia et noùs.
Comment, par ce croisement de l'intellect et du désir, surgit un gain pour le désir et pour la pensée (dianoia) ? Un gain double apparaît : la dianoia acquiert sa dimension pratique de ce croisement avec le désir ; de ce croisement survient la proairèsis.
La dianoia est un désir de savoir ; elle est le savoir qu'a le désir de se connaître lui-même.

Quatrième remarque, centrée sur le « croisement » (1139 b) :
p. 279 : présence d'une superbe définition de l'homme : « le choix préférentiel est un intellect désirant ou un désir raisonnant, et le principe qui est de cette sorte est un homme » (définition très intéressante pour notre programme de notions, qui comporte « La raison et le réel », « La matière et l'esprit », « Le désir », etc.). Dans la formule, il s'agit bien d' « intellect désirant » et non de « pensée désirante » : c'est « noùs » qui est employé par Aristote ; « désir raisonnant » est la traduction de orexis dianoétikè.
Précisons bien qu'il ne s'agit pas absolument d'une figure inversée l'une de l'autre : il s'agit d'un « croisement » au sein du « croisement » général entre l'intelligence et le désir.
On constate qu'à la fois Aristote et Platon tissent une relation entre noùs et dianoia, et l'on retient souvent qu'Aristote critique Platon. Cela reste néanmoins à nuancer, car quel est le statut exact de cette critique ? Et à propos de quel problème précis y a-t-il critique ?
Le noùs est ici l'intellect désirant : ceci entre en résonance avec le passage précédent d'après lequel la pensée n'impulse aucun mouvement. Dans ce passage, le noùs est « vivant ». Le passage précédent était ancré dans la raison délibérative.
Dernier paragraphe, p. 279 : premier rappel de la bipartition de l'âme rationnelle : les deux parties ont pour tâche commune la vérité, mais sur un registre différent. Ce double rapport à la vérité engage pour chacune une vertu ou excellence propre.
Ceci est important vis-à-vis du problème de la morale : une pensée purement théorétique ne peut rendre compte des problèmes de la morale. Pour autant, on ne peut pas dire que la morale ou la vertu n'ont aucun rapport avec la vérité. Cette approche est sans doute à méditer avant d'aborder le programme de notions à partir de la présupposition d'un hiatus principiel entre morale et vérité. La science aborde-t-elle tous les « secteurs » de la vérité ? La vérité se réduit-elle à une démarche purement théorique ? à une démarche purement théorétique ? Ce texte nous invite à chercher d'autres dimensions de la vérité : la vérité pratique et la vérité à partir de la technè, notamment (et donc à une interrogation sur le sens de la notion de vérité elle-même).

 

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niveau : Terminale

type pédagogique : leçon

public visé : enseignant, élève, étudiant

contexte d'usage : classe

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