Le texte débute par un rappel de parties précédentes, portant notamment sur la bipartition de l'âme.
Une question est posée sur : « c'est sur une certaine ressemblance et affinité entre le sujet et l'objet que la connaissance repose » (1139 a 10, p. 275).
La perception est perception de quelque chose (autre qu'elle-même tant que la perception n'est qu'en puissance). Lorsque la perception est en acte, elle ne fait plus qu'un avec l'objet perçu. Quand la pensée pense en acte, elle se fait être l'objet. La pensée qui contemple les réalités éternelles et nécessaires s'éternise et se rend nécessaire. Quand la puissance s'actualise, elle se met en situation d'actualisation avec l'objet (de coïncidence, voire de coexistence pourrait-on dire).
Pour la partie rationnelle : renvoi à la contemplation d'êtres qui ne peuvent être autrement qu'ils sont. L'autre partie s'intéresse aux réalités contingentes. A ce stade, la notion de délibération revêt une grande importance. On ne délibère jamais que sur ce qui peut être autrement. On aura donc deux vertus, chacune portant sur l'un des deux versants.
Une question est posée sur le rapport à la cosmologie.
Il existe des réalités contingentes : des choses soumises à des principes contingents : nous-mêmes et nos actes ?
La raison contemple :
des réalités éternelles et nécessaires. Mais par là, que faut-il entendre exactement ? Des réalités éternelles et nécessaires, mais aussi sans doute les principes éternels et nécessaires de ces réalités.
Idem pour le contingent : il y a des réalités contingentes, mais il y a sans doute aussi des principes contingents, ces principes étant « causes » (au sens fort de ce terme chez Aristote) de ce dont ils sont le principe : or il se pourrait bien que ce soit le cas de la plupart de nos conduites.
Aristote insiste sur la capacité à être affecté (rappel ici de la classification de l'ensemble des phénomènes de la vie pratique en affections (ou passions), capacités (à les recevoir) et enfin dispositions : E.N, II, 4 à 6). D'où la définition de la vertu (ou du vice) comme bonne ou mauvaise disposition : manière de bien ou de mal se disposer à l'égard de nos affections (
pathos) et de nos capacités (
dunamis). Or de cette manière de se disposer nous sommes responsables, alors que nous ne le sommes ni de nos affections (pathologiquement subies) ni, a fortiori du fait que nous soyons capables d'être affectés par elles. Seules donc les dispositions (
hexeis) sont, comme la vertu, susceptibles d'éloge ou de blâme : ce sont donc elles qui engagent (en mettant la question de la valeur des affections en rapport avec la sagesse) la réflexion éthique.
1130 a 15, p. 276-277 : hypothèse dès lors ouverte : la contingence dont il est ici question est saisie, non seulement dans l'ordre cosmologique, mais dans l'ordre pratique. Pour deux raisons :
Il y a contingence des principes pratiques parce que la valeur de nos actes est variable, et fonction d'une responsabilité d'un sujet capable de choix (ou de laisser-aller)
Indépendamment de la question de la finitude humaine, la contingence est ce qui rend possible l'ouverture au possible. Précisons : il y a bien finitude humaine, mais il y a aussi indétermination de la nature de l'homme qui lui laisse la liberté pratique du sens et de la valeur à conférer à sa propre existence.
S'il n'y a d'action que pour un être capable de s'instituer comme principe de l'acte, la sensation n'est principe d'aucune action.
p. 277 : homologie pensée / désir, à quoi correspondrait, dans le champ pratique, le désir ou l'aversion. Le désir n'est pas encore la
proairesis (désir délibératif) : la
proairesis implique un chiasme intellect / désir. Dans le désir, il y a spontanément (automatiquement pourrait-on dire, au sens de l'
automaton) de la poursuite et de la fuite. Mais les dispositions (exeis) sont susceptibles d'éloge ou de blâme, et la vertu morale est une disposition capable de choix. L'horizon de désir trouve donc une clairvoyance (une vigilance) grâce à la
proairesis.
Le désir seul est un automate (on pourrait dire qu'il « produit en nous de la machine », du machinal plutôt d'ailleurs que du mécanique ) ; l'intellect seul est contemplatif : il n'a ni à fuir ni à élire son objet. Par conséquent, pour qu'il y ait action, un croisement (chiasme) du désir et de l'intellect est requis. Par le choix réfléchi, le désir doit devenir désir délibératif.
Dans le «
pro » de
proairesis, on peut entendre la prévision, la prévention, la prévoyance (dans tous les sens du terme).
Proairesis signifie alors le désir clairvoyant, prévoyant, d'où une temporalisation du désir, qui vise l'empan de sa visée. Le désir seul serait « immédiateté vers... »
Rien ne prédispose mécaniquement l'homme à réaliser une homologie harmonieuse entre intellect et désir, ce qui est l'objet de l'éthique et de la politique. Ce qui rend possible la vertu morale est donc une double condition à instituer en et par soi : que la règle (d'action) soit vraie et le désir droit.
Question : la distinction entre parties rationnelle et irrationnelle peut-elle être maintenue ?
Aristote dit souvent que l'âme n'a pas de parties. La bipartition est ici
schématique (rôle clé de la
phantasia) et méthodologique.
Dans le croisement intellect / désir : importance de la
phantasia. L'imagination se fait apparaître la fin comme bonne et désirable. Cf
Péri Psuchès : l'imagination travaille au ras du perçu, dans le domaine des « images », mais prépare par là même le terrain à la pensée (à l'intellect actif).
Dans le désir droit et la règle vraie, on travaille sur la même chose. On peut donc se représenter, se « figurer » comme disait Platon (cf début de l'allégorie de la caverne) ou encore s'imaginer leurs activités comme renvoyant à la même « partie » de l'âme : la partie la moins irrationnelle de la partie irrationnelle (le désir qui peut devenir droit en entendant la raison) et la partie de la partie rationnelle qui se préoccupe ou se « soucie » de l'existence pratique contingente et soumise au temps (qui fait que la règle d'action peut être vraie). Nous pouvons donc les faire coïncider, et nous les figurer comme une seule et même partie, envisagée selon un double point de vue (du désir ou de la raison). Cette partie est-elle alors moins rationnelle que l'autre partie rationnelle, ou doit-on plutôt les distinguer en disant de l'une qu'elle s'occupe du raisonnable là où la seconde, se limitant au domaine de l'éternel et du nécessaire, conçoit et contemple le rationnel pur ?
Il existerait ainsi un « décollement » de la
théoria par rapport au questionnement pratique qui met en jeu un être au monde affecté.
Mais est-ce à dire que la raison pratique est seulement de l'ordre d'un pis-aller ? N'y a-t-il pas ici résurgence de la question de la finitude, celle du « pauvre homme qui fait ce qu'il peut » ? Au contraire, il y a bien un gain pour l'activité humaine et ses oeuvres :
le désir gagne en clairvoyance ; il est moteur de l'action (fin du
Péri Psuchès) ;
l'intellect humain y gagne sa dimension proprement pratique, et sans doute par là la condition de possibilité,
pour les hommes qui ne sont pas des dieux, de la vie théorétique elle-même (cf début de
Métaphysique : il a fallu que les arts libèrent les hommes des besoins de la survie pour qu'ils puissent commencer à jouir de la
skholè nécessaire à la vie de l'esprit dans le questionnement proprement « philosophique ») .