Le conférencier ayant fait un usage distinct (différencié) des notions de force et de violence pour échapper à l'opposition frontale d'un pacifisme idéaliste (qui se condamne à l'impuissance en refusant de mettre la force au service du droit) et d'une anthropologie réaliste (dont le pessimisme condamne les hommes aux rapports de force), ce qui dans les deux cas empêche l'établissement d'une paix à la fois juste et forte, la question est d'emblée posée de savoir si l'on peut réellement distinguer la force et la violence et, si oui, en quels sens exactement. Le conférencier tient alors qu'il faut réserver, surtout en politique, la notion de violence à la désignation d'une contrainte physique qui s'exerce par et sur le corps, et s'interdire un usage métaphorique trop extensif de cette notion qui irait jusqu'à parler d'une « violence symbolique » (qui s'exercerait par et sur l'esprit), car sinon toute contrainte ou même influence psychique risquerait d'être systématiquement soupçonnée d'être une violence et donc de se retrouver délégitimée comme telle, comme cela apparaît exemplairement aujourd'hui dans la critique sociologique de l'école, qui confine à la destitution de toute autorité intellectuelle et morale, qui pis est au nom de la « justice ».
Une assez longue intervention remercie alors le conférencier de la quasi-totalité de son propos tout en visant à remettre en perspective le statut de la référence centrale qui y est faite à la pensée de Pascal : « Et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste. » (Justice,force, Pensée 103 L.-298 B.) Ce texte serait moins à lire comme celui d'un historien ou encore d'un anthropologue, aux propos desquels il faudrait alors accorder un sens littéral substantiel (justifiant le droit du plus fort en référence à la méchanceté foncière des hommes), que comme celui d'un axiomaticien géomètre qui distingue et articule les thèses possibles à propos des rapports de la force et de la justice selon une stratégie argumentative dirigée contre les demi-habiles, dont la demi-science (sociologique notamment) en fait des révolutionnaires qui en appellent, contre l'ordre établi, à la justice en ce monde (ce qui est illusoire, au mieux, et mensonger, au pire), alors que la vraie science politique doit rompre avec l'antique question de « la meilleure forme de gouvernement » et le souci médiéval du « bon roi », afin de faire l'économie de la guerre civile, qui est le plus grand des maux, et d'attendre le royaume de la justice, qui n'est pas de ce monde comme nous l'apprend la science vraie des chrétiens. Le conférencier dit alors « rendre les armes » sur la totalité d'un tel propos (issu d'un cours professé par son auteur), tout en précisant que sa référence à Pascal ne fait ici qu'accompagner (sans le fonder) son propre propos, comme l'indique le titre de son exposé. Mais pour ce qui est du fond du problème des rapports de la force et de la justice, il tient à redire son désaccord avec la position d'Alain qui, refusant de penser que la justice puisse et doive être forte, a plié devant une force qui se prétendait juste, contrairement à Mounier, par exemple, qui a su résister, dès le début, au fait accompli de la force brutale.
Le débat se trouve alors infléchi par une question qui objecte à l'assimilation des notions de droit et de justice, équivalence qui ne se trouve autorisée, au mieux, que par l'état de droit démocratique intra-national, mais qui justifie les pires violences au niveau international, où le droit exprime en les masquant les emplois les plus brutaux de la force, mettant ainsi à mal l'universalité du genre humain : la solution ne serait-elle pas alors de faire de la paix, en et par elle-même, le souverain bien (comme Crucé, qui serait le véritable inspirateur de l'Organisation des Nations Unies, et non pas Kant) ? Ce à quoi le conférencier répond que le projet de « paix par le droit » est bien d'inspiration kantienne, comme en témoigne le Projet de paix perpétuelle (1795) et la référence rectrice qu'y fait W. Wilson pour la fondation de la S.D.N., et que si la paix est bien l'objectif de l'O.N.U. ce n'est que pour autant qu'elle est subordonnée à la dignité de l'homme (comme le dit l'article 1 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948). Cela fonde l'équivalence du droit et de la justice puisqu'alors il s'agit du droit moral de l'homme, auquel le droit politique du citoyen doit lui-même être conforme pour prétendre valoir, ce qui pourrait justifier la résistance à l'oppression (exercée par l'état de droit établi) en référence à la justice.
Mais alors la question est posée de savoir sur quoi fonder un tel droit de résistance en nos temps démocratiques, où l'oppression tout comme la résistance qu'elle autoriserait tendent à se banaliser, du fait notamment que l'Etat préside lui-même à la redistribution sociale des richesses économiques. Le conférencier en revient alors, pour contrer un désordre établi ou une paix injuste, à la nécessaire référence à l'esprit démocratique ou plutôt républicain, seul susceptible de combattre un «
despotisme démocratique » (Tocqueville) qui aliène les « droits formels » de participation de tous et de chacun à la formation et même à l'exécution de la volonté générale par la médiation du débat public, au nom d'une gestion des « droits sociaux » qui réduit les citoyens au statut d'administrés. Ne serait-il pas urgent alors, pour contrer une telle « illusion démocratique », qui préside aujourd'hui au désordre établi ou à une paix injuste (au niveau international notamment), d'œuvrer à une refondation républicaine de la démocratie en rectifiant le prétendu droit du plus fort en référence à la force du plus droit ?
Rédacteur (de la synthèse) : Joël Gaubert