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Comment enseigner la sociologie au lycée ?

mis à jour le 09/09/2006


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Ce document est une courte synthèse de la journée de formation continue du 19 janvier 2006 qui s'est tenue à l'IUFM de Nantes sur le thème : comment enseigner la sociologie au lycée ? Il reprend des éléments de l'intervention de M. Beaud (sans nullement prétendre restituer toute la qualité des propos et l'intégralité des échanges avec les participants), et suggère quelques pistes bibliographiques.

mots clés : Sociologie, lycée, enseigner, Stéphane, Beaud, ES


Compte-rendude l'intervention de Monsieur Stéphane Beaud (professeur de sociologieà l'université de Nantes et chercheur au Centre nantais de sociologie(CENS) et chercheur associé au Laboratoire de sciences sociales del'Ecole nationale supérieure)

 

 


L'enseignement de la sociologie : de la fac au lycée

 

 

 

Lasociologie française est dans une phase de profonde reconstruction.L'héritage de Bourdieu est en train de se dilapider. La mort deBourdieu a libéré certains « anti-bourdieusiens primaires » et lasociologie française actuelle traduit un poids important del'académisme (exemple
Cesont les enquêtes de terrain qui constituent la plus grande part despublications (« fieldwork »). On peut y distinguer trois tendances :

·        Tendance interactionniste (références à Becker, Hughes...), ;

·        Anthropologie sociale (référence à Malinowski) ;

·        Ethnologie française.

Peud'enquêtes traitent des problèmes sociaux et abordent « la dureté dumonde social » pour reprendre l'expression de Robert Castel. Parexemple, il n'y a pas d'enquête sur le logement ou sur le travail.C'est une sociologie microscopique qui évacue trop souvent l'analysedes rapports sociaux. On constate un effondrement de la référencemarxiste, une absence de références théoriques aux fondateurs(Durkheim, Weber...). La référence théorique majeure aujourd'hui estl'interactionnisme.

Références bibliographiques :

  • CastelRobert, « Pierre Bourdieu et la dureté du monde » , in collection« Guides Repères », La Découverte, Paris, 2003 (voir en particulierl'introduction et la postface sur la place des « enquêtes de terrain »dans la recherche sociologique actuelle).

 

Ilexiste un décalage important entre l'enseignement de la sociologie aulycée (où l'on reste centré sur les auteurs) et à la fac. Commentenseigner la sociologie ? Je ne prétends aucunement faire une leçon surl'enseignement de la sociologie, je peux simplement à la lumière de mesexpériences comme professeur de SES puis de sociologie à la fac vousprésenter ce qu'on enseigne à la fac et m'interroger sur les modalitésde transposition au lycée.

 

       L'enseignement de la sociologie à la fac

 

·        Un enseignement pluridisciplinaire :

L'enseignementuniversitaire n'est pas monodisciplinaire. Certes, il existe toujoursdes cours magistraux par exemple d'histoire de la pensée sociologiquemais ils sont en parallèle avec des TD d'application. On trouveégalement des TD d'enquête mais aussi des cours d'économie, de droit etd'histoire sociale comparée. J'enseigne en particulier un coursd'histoire sociale comparée (Allemagne, Angleterre, Italie et Espagne)pour montrer l'intérêt de l'histoire dans l'analyse sociologique.
Enseignerla sociologie, c'est enseigner autre chose que la sociologie et à cetitre l'introduction de l'histoire est un phénomène majeur del'évolution de l'enseignement de la sociologie.

Références bibliographiques :

  1. Noiriel Gérard, Introduction à la socio-histoire, Collection Repères, La Découverte, 2006.
  2. Vilar Pierre, La guerre d'Espagne (1936-1939), collection Que sais-je ?, PUF, 2002.

 

·        L'écueil des auteurs

Lesétudiants ne lisent les grands auteurs qu'en tant que producteurs deconcepts exploitables dans des enquêtes. Il y a donc une sorte dedisjonction entre l'histoire de la pensée sociologique et les enquêtesempiriques. L'enseignement des auteurs à la fac est le plus souvent unenseignement magistral dont les coûts d'entrée pour les étudiantsrestent élevés (textes datés, d'accès difficile, trop théoriques...).L'idéal est de pouvoir partir de textes simples qui mettent enapplication les apports conceptuels et méthodologiques de ces grandsauteurs car la théorie ne parle que si elle est incarnée et illustrée.

Quelques exemples :

  • Ily a un vrai travail à faire pour isoler les points théoriques et lesmises en application. Il est possible d'utiliser des textes quiappliquent les points théoriques majeurs comme sur ce thème : IanKershaw avec son travail biographique sur d'Hitler ; Alexis Spirelorsqu'il analyse la gestion bureaucratique de l'immigration en Franceaprès 1945.
  • il s'agit en fait d'une histoirede l'enseignement en France). Forte actualité de cet ouvrage etpossibilités de faire des comparaisons fructueuses entre l'enseignementdes jésuites et celui des classes préparatoires aujourd'hui. Dans cetexte, Durkheim en comparant l'histoire de l'enseignement dansdifférents pays repère quelques grands invariants qui caractérisentchaque pays (traditions nationales qui participent à la constitution dela « personnalité intellectuelle » d'une nation).

 

§        Exemple 3 : Norbert Elias à travers son analyse sur le commérage montrebien les oppositions entre les établis et les outsiders. Approche trèsfacilement transposable aux oppositions entre français et étrangersdans la société contemporaine.

 

 

Références bibliographiques :

  1. Kershaw Ian, Hitler, (1889-1936) : Hubris, Flammarion, 1999 et Hitler (1936-1945) : Némésis, Flammarion 2000.
  2. Spire Alexis, Sociologie historique des pratiques administratives à l'égard des étrangers en France (1945-1975). Thèse de doctorat en sociologie sous la direction de Charles Suaud et de Patrick Weil, Université de Nantes, 2003
  3. Durkheim Emile, L'évolution pédagogique en France, PUF.

 

, n°60, novembre 1985, pp.23-30 et Norbert Elias (avec John L. Scotson)

 

 

·        Les TD d'enquête

Ledépartement de sociologie de Nantes où sont passés des sociologuescomme de Singly, Baudelot, Verret, Passeron a une forte traditiond'enquête. Depuis une vingtaine d'années, on observe une certainedésaffection à l'égard des enquêtes quantitatives (peur de chiffre,peur des math....). En revanche, il y a un fort intérêt de la part desétudiants pour les enquêtes de terrain. Quelques exemples d'enquêtes :

 

§         L'immigration à Nantes (TD d'enquête qualitative, 1ère et 2nde année) :

Mêmesi elle reste  historiquement assez faible, on note une forteaugmentation de l'immigration à Nantes depuis 10 ans. Le travailproposé aux étudiants est le suivant : travail préalable decontextualisation et de problématisation ; construction d'une grilled'entretien ; trouver un enquêté , réaliser un entretien (avec untravail sur le contexte d'entretien) ; exposé final.
Surces thèmes de l'immigration et de l'intégration, voir les textes deGérard Noiriel et ceux d'Alain Corbin sur l'arrivée des limousins àParis (on retrouve exactement les mêmes processus aujourd'hui).

§         Choix de l'école privée à Nantes et en Vendée :

Objectif :s'interroger sur les motivations à l'origine du choix du privé aprèsêtre passé par le public. Travail réalisé avec les étudiants : travailpréalable de problématisation (tensions autour de l'école, choix del'école privée par les classes populaires et les petites classesmoyennes, pourquoi la carte scolaire devient invisible ?...) ; faireune pré-enquête sur l'espace scolaire existant ; réalisationd'entretiens puis analyse.
Ily a un grand intérêt à partir de petits objets d'étonnement, à essayerde trouver des points d'accroche qui stimulent la curiosité. Lesentretiens et les observations ont une grande vertu pédagogique pour leprofesseur comme pour les étudiants : ils s'investissent facilement etcela leur donnent le sentiment de toucher une réalité sociale méconnue.

           

§         Enquête ethnographique :

Lafac de sociologie a beaucoup de mal à stabiliser ses étudiants.Beaucoup d'entre eux travaillent « à-coté » pour reprendre l'expressionde Florence Weber. L'idée était de les faire travailler sur leurspropres expériences et de les inciter à choisir des sujets qui osentaffronter ce que Robert castel appelle la « dureté du monde social ».

Démarche :travail par observation des pratiques de travail (en se centrant surdes emplois d'exécution très souvent mal connus : caissière ; centred'appel...), mise à jour des contraintes hiérarchiques, rapport auclient, résistance aux clients, rapports sociaux de résistance,durcissement des conditions de travail..., restitution collective.

 

 

Référence bibliographique :

  • Beaud Stéphane, « Le travail « à-coté » des étudiants », Idées n°143, mars 2006, p. 32-37

 

 

       Quelles transpositions au lycée ?

 

·        L'enseignement de la sociologie présente de nombreuses difficultés :

individualisme.Or, ce débat est aujourd'hui largement dépassé (voir sur ce sujet lasociologie de Norbert Elias). Le programme est aussi centré sur lesauteurs (en particulier en enseignement de spécialité) ce qui peutconduire à une sociologie désincarnée, dénuée de sens pour les élèveset à une dérive encyclopédique.
§         La sociologie est une science difficile et compliquée à enseigner qui nécessite de nombreux pré-requis.
§        Certains thèmes sont sensibles, difficiles à appréhender pour deslycéens (inégalités des chances scolaires, reproduction sociale...) etparfois porteurs de d'une certaine « violence sociale » et d'un certain« désenchantement ». Il est alors important d'adopter un langageprobabiliste (des trajectoires improbables sont toujours possibles, cfAnnie Ernaux et Bernard Lahire).
§        Il existe toujours des résistances à la sociologie (il faudrait selonBernard Lahire enseigner la sociologie dès la maternelle), de plus, lesréalités concrètes sont souvent éprouvées de façons négatives, il estalors nécessaire de prendre de la distance en utilisant des exempleshistoriques ou anthropologiques pour aider les élèves à se décentrer etainsi éviter les « effets retours » sur des cas individuels etcertaines formes d'humiliation.

 

Références bibliographiques :

  1. Beaud Stéphane, 80% au bac... et après ? Les enfants de la démocratisation scolaire, La découverte, 2002. (voir l'introduction sur la perception par les élèves de certains thèmes (école et mobilité sociale)).
  2. Amrani Younès et Beaud Stéphane, Pays de malheur ! Un jeune des cités écrit à un sociologue, La découverte, 2004 (voir le récit par Younès de sa « rencontre » avec Bourdieu (pages 13 et suivantes)).
  3. Elias Norbert, Qu'est-ce que la sociologie ?,Pocket Agora, 1993 [1970] (Elias y démontre le caractère très réducteurdu débat holisme/individualisme et plaide pour une sociologie des« configurations »).
  4. Ernaux Annie, Les armoires vides, Collection Folio, Editions Gallimard, 1974.
  5. Lahire Bernard, La Culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, collection « Textes à l'appui/Laboratoire des sciences sociales », La Découverte, 2004.

 

 

 

·        Quelques propositions :

§         Partir de textes simples et « accrocheurs » pour les élèves.

Ilest évident que certains auteurs du programme sont très difficiles àlire et à faire lire aux élèves (on retrouve ici les mêmes difficultésqu'à la fac.). Mais il est toujours possible de trouver des textes plussimples et plus accessibles. Voir par exemple les textes de Max Webersur les sectes protestantes (voir livre de F.Weber) ou bien le texte deJean-Michel Faure sur les marathoniens qu'il analyse en utilisant lesapports de Max Weber sur l'ascétisme.

 

 

Références bibliographiques :

  1. Weber Florence, Max Weber, collection Prisme, Hachette Supérieure (une présentation synthétique de Max Weber : sélection de textes et commentaires).
  2. Faure Jean-Michel, Suaud Charles, « Des marathoniens à la poursuite du temps », Revue internationale de psychosociologie, vol. IX - 20, 2003.

    Faure Jean-Michel, « L'éthique puritaine du marathonien », Le Nouvel âge du sport, Esprit, 4, 1987 (pp.36-41)

 

 

§         Utiliser l'actualité

(exemple :« La traite des jeunes Africains du foot », Le Monde 18 janvier 2006 ;questions relatives au marché du travail, aux transformations du foot,à l'immigration...) ou bien encore les portraits de

 

 

§         Travail autour des données statistiques

 

Lesétudiants sont très réticents face aux tableaux et aux donnéesstatistiques (« il y a trop de tableaux ! »). Il faudrait réfléchir àune pédagogie du tableau statistique. Comme le dit Baudelot, « il fautaller voir les hommes et les femmes sous le tableau ». S'interroger surla production des statistiques, sur les sources. Raconter la chaîne deproduction des statistiques, cela peut commencer par les remplir unquestionnaire du recensement. Comment construit-on les enquêtes ?S'interroger sur les catégories, sur la formulation des questions...
tout en restant modeste, il est possible d'initier un travail d'enquête au lycée (en TPE par exemple)

 

 

Références bibliographiques :

  1. Bessière Céline, Houseaux Frédérique, « L'enquête par questionnaire. Suivre des enquêteurs », Genèses, n°29, décembre 1997, p.100-114.
  2. Jean-Louis Fabiani « Le choix des armes : dénombrer, observer, écouter, transcrire, décrire »inCorpus, sources et archives, Actes des Journées d'Études du séminaire de l'Institut de recherche sur le Maghreb contemporain (IRMC) : Sciences sociales : configuration en reconstruction Tunis, 29-30 Janvier 1999. Disponible en ligne http://www.irmcmaghreb.org/publicat/corpus.htm
  3. Gollac Michel, « Des chiffres insensés ? Pourquoi et comment on donne un sens aux données statistiques, Revue française de sociologie, n°1 volume 38, 1997, p. 5-36.

 

 

       Quelques éléments biographiques complémentaires :

·        Articles et ouvrages de Stéphane Beaud :

  • Beaud S. et Weber F. , Guide l'enquête de terrain, collection « Guides Repères », La Découverte, Paris, 2003.
  • Beaud S. , « Le travail « à-coté » des étudiants », Idées n°143, mars 2006, p. 32-37
  • Beaud S. , « Les usages sociaux de l'entretien. Plaidoyer pour l'entretien ethnographique », Politix, 1996, n°35, p. 2226-257.
  • Beaud S., 80% au bac... et après ? Les enfants de la démocratisation scolaire, La découverte, 2002.
  • Beaud S. et Pialoux M., Retour sur la condition ouvrière, Fayard, 1999.
  • Beaud S. et Pialoux M., Violences urbaines, violence sociale, Fayard, 2003.
  • Amrani Y. et Beaud S., Pays de malheur ! Un jeune des cités écrit à un sociologue, La découverte, 2004.
  • Beaud S. et Pialoux M. , La « racaille » et les « vrais jeunes », Critique de la vision binaire du monde des cités, novembre 2005, texte disponible sur le site : www.liens-socio.org, rubrique Idées (site très riche consacré aux sciences sociales).

 

 

·        Articles et ouvrages portant plus spécifiquement de la sociologie au lycée en sciences économiques et sociales :

  1. Pinet N., « Auteurs et enseignement de la sociologie en terminale. L'exemple de Durkheim », DEES, décembre 1996, n°106.
  2. « L'approche ethnographique », Idées, n°143, mars 2006. (Articles de Stéphane Beaud, Florence Weber...)
  3. Pinet N., « De la sociologie aux sciences économiques et sociales », DESS, mars 1999, n°115.
  4. Rallet D., « A propos des auteurs et de l'enseignement de la sociologie en terminale », DEES, mars 1997, n°107.
    Guiraud C. et Colin T., « Comment enseigner Bourdieu aux élèves des milieux populaires ? », IDEES, octobre 2000, n°129.
  5. Chatel E., Enseigner les sciences économiques et sociales, le projet et son histoire, INRP, 1990.
  6. Chatel E., Caron P., Grosse G., Jean G., Richet A., Soin R., Apprendre la sociologie au lycée, INRP, 2002.
  7. Chatel E., Grosse G., Richet A., Professeur de sciences économiques et sociales. Un métier et un art, Hachette Education, 2002.

·        Exemples d'enquêtes ethnographiques :

  • Peneff Jean,
    L'Hôpital en urgence. Étude par l'observation participante, La
    Métailié, 1992 (un exemple d'étude ethnographique).
  • Pinçon-Charlot Michel et Monique, Voyage en grande bourgeoisie, Journal d'Enquête, Collection « Sciences sociales et sociétés », PUF, 1997 (exemple d'une étude ethnographique).

 

 

Pour la formation continue : marc.pelletier@ac-nantes.fr
 

information(s) pédagogique(s)

niveau : Terminale ES, 1ère ES, 2nde

type pédagogique :

public visé : enseignant

contexte d'usage : non précisé

référence aux programmes : Programmes de seconde, première (dont option) et terminale ES (dont spécialité).

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