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suivre son propre chemin avec les oeuvres (Guy Tosatto)

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Une réflexion sur les indispensables relations à nouer et entretenir entre les enseignants d'arts plastiques et le musée, pour amener davantage nos élèves au contact direct avec les œuvres et favoriser la construction de leur culture personnelle.

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Le partenariat récent entre le Ministère de la Culture et celui de l'Éducation transforme-t-il la mission d'un Directeur de Musée des Beaux-Arts ?

Guy Tosatto
Les dispositions qui ont été prises étaient attendues depuis longtemps. Il y a toujours eu un problème d'accès concernant non pas tant l'art ancien que l'art moderne et contemporain. On fait souvent le procès à l'art contemporain ou à l'art moderne d'être hermétique, et de fait, on se rend compte - vous êtes bien placés pour le savoir- que dans le cursus d'un jeune, aussi bien à l'école qu'au collège, il n'y a quasiment pas d'enseignement d'histoire de l'art: ce n'est pas prévu. Aussi faut-il qu'il y ait des professeurs, soit d'arts plastiques, soit d'histoire ou de français, qui aient un goût particulier pour les arts en général, pour que dans leurs cours ils introduisent une ouverture sur ce domaine.
La possibilité d'expliquer le présent par le passé fait terriblement défaut à l'enseignement et j'espère que, notamment dans les dispositions qui seront prises, il y aura des heures dégagées pour ce type d'enseignement. Il faut réintroduire un enseignement en histoire des arts - la peinture, la sculpture, l'architecture, la musique, etc. - dans le cursus normal de formation des jeunes français, avec évidemment aussi une approche pratique à développer en parallèle. On ne doit pas négliger ce qui existait dans l'éducation jusqu'au XIXè siècle, l'enseignement des arts comme mode privilégié pour la compréhension du monde.
Je crois que s'il y a une césure aussi importante entre l'appréhension de l'art du passé et celle de l'art du XXème siècle -sans négliger le rôle des ruptures dans les langages artistiques au XXème siècle- c'est que l'on n'a pas pris les moyens d'enseigner le développement des arts au cours du XXème siècle. On est donc aujourd'hui dans une situation où il y a énormément de choses à rattraper en ce qui concerne l'enseignement.

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Les programmes d'arts plastiques du collège et du lycée laissent une part importante à l'approche de l'art contemporain. Voici un extrait des textes officiels concernant le programme de la classe de seconde: «L'enseignant conçoit des situations ouvertes et variées permettant de transposer dans le domaine scolaire les questions issues du champ artistique (...) Il s'agit d'encourager l'initiative et l'autonomie de l'élève à différents niveaux.». Comment envisagez-vous de prendre en compte le cheminement vers l'autonomie de l'élève dans le cadre des visites de groupes scolaires?

Guy Tosatto
C'est une question très technique. Je crois que tout l'environnement que l'on crée, nous, au musée - qu'il soit pédagogique ou scientifique, etc. - est avant tout fait pour donner une liberté plus grande au visiteur qui lui permette d'entrer pleinement en contact avec les œuvres. De fait, la finalité de tout ce qu'on peut, nous, offrir au musée, c'est de conduire à l'autonomie du visiteur. Je pense que dans toute démarche pédagogique a priori, en tout cas ça devrait l'être, la finalité, c'est de pouvoir dire «maintenant fais ta propre visite, suis ton propre cheminement avec les œuvres, et bâtis ta propre histoire avec cette histoire qui t'est proposée là».

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La démarche du musée est-elle la même selon les niveaux d'âge dans les groupes scolaires?

Guy Tosatto
La démarche est forcément différente parce que on ne peut pas adopter le même langage pour des très jeunes et pour des adolescents. Il y a nécessité d'adapter les modes et les moyens en fonction des classes d'âge. Cela étant, la finalité est toujours la même.

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C'est une des gageures du musée que de répondre aux contraintes techniques et notamment en terme de responsabilité par rapport aux œuvres, et en même temps de laisser une liberté aux élèves, par exemple de circuler sans être forcément accompagnés par un adulte.

Guy Tosatto
Il ne s'agit pas simplement d'une liberté physique, mais surtout d'une liberté intellectuelle, c'est-à-dire que ce qu'on va donner ou en tout cas ce qu'on essaie de donner lorsqu'on fait des visites accompagnées, c'est certains éléments de compréhension ou des clés qui permettent d'entrer dans la logique de l'œuvre ou de la démarche de l'artiste, etc. Mais ces clés ne sont pas la finalité de la visite, de l'appareil pédagogique qui est mis en place. La finalité, c'est que ces clés servent à ouvrir aussi les portes chez chacun des jeunes pour qu'il puisse ensuite faire son propre cheminement intérieur dans le contexte du musée. Parce que, évidemment, lorsque l'on donne des éléments pour comprendre une œuvre, il y a toujours une sorte d'effet de miroir: en parlant d'une œuvre qui est quelque chose qui est en face de soi, l'intérêt c'est aussi que cette chose qui est en face de soi à un moment vous renvoie votre propre image, et vous fasse comprendre aussi par vos sensations, vos réactions ce que vous êtes en définitive. C'est un travail de connaissance également de soi-même. Une simple compilation de connaissances ne serait pas très intéressante. Quel enrichissement? C'est dans ce sens là qu'on envisage le musée-enseignement. Enseignement entre guillemets, parce que le musée n'est pas un lieu d'enseignement, c'est un lieu d'éveil, un lieu de sensibilisation, un lieu de connaissances. Sans vouloir revenir à la vieille mention sur le fronton du temple «Connais-toi toi même.», il est clair que le musée comme l'école, ou comme devrait être l'école, est un lieu de connaissance de soi, au travers du regard que nous donnent les artistes sur le monde extérieur. Les artistes d'aujourd'hui comme ceux d'hier. C'est dans ce cadre que j'avais imaginé l'exposition «Dialogue ininterrompu». Cette exposition avait des vertus pédagogiques très fortes même si elle n'était pas revendiquée en tant que telle. C'était avant tout une exposition; et son propos consistait à demander à des artistes de nous offrir le témoignage de leur regard sur l'art ancien, et plus particulièrement sur les œuvres du musée des Beaux-Arts. De fait, cela avait une vertu pédagogique parce que tout à coup le regard de ces artistes donnait une toute autre dimension à ces œuvres d'art, et cela nous interrogeait sur notre propre regard sur ces œuvres d'art. C'est dans cette confrontation là qu'il y avait quelque chose je crois de très vivant et de très réussi, au plan pédagogique, qui s'adressait à tous les publics, aussi bien aux jeunes qu'aux adultes.

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Quelle importance attachez-vous à l'action pédagogique d'un Musée des Beaux-Arts et celui de Nantes en particulier?

Guy Tosatto
Pour moi comme pour beaucoup de mes collègues l'action pédagogique dans un musée est quelque chose de primordial. C'est une prise de conscience qui n'est pas toute récente dans les musées, qui date déjà d'une vingtaine d'années lorsque l'on a commencé à créer les premiers services pédagogiques, les premiers datant de la création du centre Pompidou plus ou moins. C'est à ce moment là qu'en France, on a pris conscience de notre retard vis-à-vis d'autres pays européens, notamment ceux d'Europe du Nord qui étaient très en pointe sur ces questions de la pédagogie au musée. Je crois que depuis le retard a été rattrapé. Un retard qui était aussi dû à un manque d'infrastructures. De fait tout cet élan que l'on a connu dans les années 80 de création de nouveaux musées, de rénovations - Nantes a été un des premiers dans ce cas - a souvent permis une remise en question de l'institution, sa re-dynamisation ou sa dynamisation tout simplement pour les lieux qui étaient créés, et cela s'accompagnait naturellement de la création d'un service pédagogique. J'ai dirigé deux projets dès leur origine, celui de Rochechouart en Haute-Vienne, et celui du Carré d'Art de Nîmes - à chaque fois ce sont des musées où il fallait tout créer - le service pédagogique était évidemment la première chose qu'on mettait en place parallèlement à la constitution des collections et la mise en place d'une politique d'exposition. ça allait de soi. On ne pouvait imaginer d'ouvrir un musée sans l'accompagner d'un travail en direction des publics quels qu'ils soient, pas simplement des scolaires. Je crois que beaucoup de choses ont été faites. Les écoles, les collèges et les lycées sont des partenaires privilégiés. C'est le public de demain. Il faut s'adresser au jeunes.

In Situ
Quelle dynamique nouvelle comptez-vous impulser au sein du service pédagogique du Musée des Beaux-Arts de Nantes?

Guy Tosatto
A l'heure d'aujourd'hui, je ne suis pas à Nantes depuis très longtemps, ce que j'ai pu observer des actions qui sont menées par le service pédagogique m'a semblé très remarquable, de par la diversité et la qualité de ce qui est proposé, etc. Cela étant, on est toujours perfectible, et il faut toujours tendre vers une amélioration, vers une réponse plus juste, plus aiguë à la demande.  Il est nécessaire de ne pas se figer sur des recettes qui ont été mises en place une bonne fois pour toutes. On constate tous les jours que les choses vont très vite, la façon dont circulent les informations se transforme, avec de nouveaux modes d'accès au savoir, le passage du papier au CD Rom. Et je pense que dans le secteur de la pédagogie il faut être très attentif et même parfois essayer de précéder les mutations pour les préparer. Les dispositions qui ont été prises par le Ministère de l'Éducation Nationale notamment en direction des arts à l'école participent de ce mouvement là aussi. Mettre plus encore le système d'enseignement en phase avec les mutations contemporaines. Le musée et tout particulièrement le service des publics doit être très à l'écoute de cela. C'est dans cette optique là que j'essaie de travailler, c'est-à-dire ne pas se contenter de recettes qui marchent et qu'on a déjà testées d'années en années mais aussi essayer d'innover dans la démarche de sensibilisation du public.

In Situ
Quelle est, selon vous, la différence entre les rôles de l'enseignant spécialiste d'arts plastiques en visite avec des élèves au musée, et celui des personnels du musée?

Guy Tosatto
Le fait qu'il y ait une différence est évident. Chacun a son rôle à tenir avec sa propre vision des choses. Je crois que l'enseignant en arts plastiques apporte d'abord un rapport plus pratique, plus concret à la création, au maniement des outils de la création et dans une certaine approche aussi du langage artistique. Dans l'absolu il faudrait que les choses soient complémentaires, c'est-à-dire que le musée apporte un bagage à la fois historique, théorique, informatif aussi avec les témoignages qu'on peut recueillir auprès d'artistes. En somme un appareil scientifique sur les œuvres d'art. Parallèlement l'enseignant d'arts plastiques, lui, apporte une analyse plus directe. Le regard de l'historien d'art et le regard du plasticien sont différents et complémentaires, et l'un doit éclairer l'autre. Si on prend un tableau de Georges de La Tour par exemple, l'historien d'art pourra donner à la fois des éléments historiques sur le caravagisme, sur le travail de la lumière notamment dans les écoles du Nord, situer La Tour dans le contexte de l'art français de la première moitié du XVIIè siècle. Le prof. d'arts plastiques pourra parler plus spécifiquement des contrastes plastiques, de l'ombre et de la lumière, de la matière picturale, tout ce qui concerne le domaine de la composition, la relation des masses et formes, etc. C'est ainsi en tout cas que je l'entends, comme un vrai partenariat. Il y a là des complémentarités.
Le parti-pris, au Musée des Beaux-Arts de Nantes, a été de ne pas créer d'atelier d'arts plastiques, ce qu'on retrouve parfois dans d'autres musées - c'est le cas au Carré d'Art. Je crois que c'est plus juste, précisément, de concentrer l'effort du musée sur l'appareil théorique qu'on donne à l'enseignant en arts plastiques et qui ensuite le développe dans sa classe avec les jeunes qui auront eu à la fois le contact direct avec l'œuvre, avec une certaine démarche analytique et qui se poursuivra ensuite avec une approche plus technique ou matérielle à l'école ou au collège.



 

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Guy Tosatto est Directeur du Musée des Beaux-Arts de Nantes au moment de l'entretien (mars 2002)
De Juin 1984 à Février 1985, est assistant du Directeur de la Fondation Cartier pour l'art contemporain : Marie-Claude Beaud. De 1985 à 1991, devient Premier Conservateur du Musée Départemental de Rochechouart . Nous lui devons en 1986 la rétrospective de Raoul Hausmann et en 1988, celle d'Otto Freudlich ainsi qu'une importante exposition en collaboration avec Georges Didi-Huberman : Régions de dissemblance en 1990. D'octobre 1991 à Décembre 2000, prend la direction du tout récent Carré d'Art, Musée d'Art Contemporain de Nîmes avec un programme d'expositions temporaires d'ambition européenne : L'ivresse du réel : l'objet dans l'art du XXème siècle en 1993.
Sigmar Polke (1994), Gerhard Richter (1996), Thomas Struth (1998),
Wolfgang Laib et Bernard Frize (1999), Mario Merz et Rebecca Horn (2000)
Depuis Janvier 2001, nouveau Directeur du Musée des Beaux-Arts de Nantes.
Dialogue Ininterrompu et Picasso, la peinture seule et l'actuelle exposition d' Helmut Federle, sont les plus récentes de ses dernières propositions.

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