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secret professionnel des CPE

mis à jour le 28/11/2008


silence

Secret professionnel,  confidentialité et  discrétion dans les fonctions du CPE.

mots clés : secret professionnel, CPE, ethique, déontologie


Secret professionnel, confidentialité et discrétion du CPE.




Je vais vous parler des thèmes du secret professionnel, de la confidentialité
et de la discrétion dans les fonctions du CPE.

Le thème du secret professionnel tire sa pertinence de trois raisons :
Premièrement, l'existence et le développement du travail d'équipe, de l'approche
pluri disciplinaire des situations éducatives dans les établissements scolaires.
Deuxièmement, la naissance d'un devoir d'ingérence dans la vie privée des familles
dans le but de protéger des enfants et des adolescents victimes de violences. Enfin, il
faut rappeler l'engagement de procédures pénales pour non dénonciation de crimes à
enfants et non assistance à personne en danger.

Je vais procéder en 4 étapes :

1/ Eclaircissements sur le concept de « secret ».

2/ Présentation de la littérature juridique.

3/ Secret partagé et violation du Code Pénal.

4/ Conclusion : Quel(s) statut (s) pour les élèves ?

Introduction.

Evocation d'une 1ère situation : Marie est une élève de 1ère âgée de 17 ans.
Sa mère est infirmière et travaille de nuit. Marie est une élève attachante, gaie, bien
intégrée et ses résultats sont plutôt bons. Depuis quelques semaines, l'élève s'absente
de temps en temps et ses résultats sont un peu en baisse. Elle semble très soucieuse.
Elle fréquente un peu plus souvent l'infirmerie, elle est fatiguée. La CPE invite Marie
à venir la rencontrer. Marie accepte et paraît soulagée par cette proposition. Elle
explique d'emblée à la CPE que ses résultats sont en baisse parce qu'elle est enceinte.
Elle est mineure et veut garder l'enfant. Sa mère est au courant.

La CPE évoque avec Marie l'intérêt d'en parler avec l'infirmière, de réfléchir à
des aménagements de son emploi du temps si c'est nécessaire, d'en informer le chef
d'établissement et l'assistante sociale. Marie est d'accord, elle remplit le document de
transmission d'information par lequel elle autorise la CPE à transmettre les
informations sur sa grossesse à l'infirmière, à l'assistante sociale et au chef
d'établissement et à contacter sa mère.

Voilà une situation ou les faits et les démarches accomplies sont tout à fait
conformes à la législation sur le secret professionnel.

Evocation d'une seconde situation : Louise a 14 ans et demi quand elle arrive
au collège en 4ème en janvier. Elle vient d'un autre collège. L'AS de cet ancien
collège a contacté l'AS du collège où elle arrive pour lui donner quelques infos :
Louise n'a pas connu son père. La famille compte 4 enfants de 3 pères différents. Le
beau père est au chômage. Sa mère travaille beaucoup. La famille en est à son
énième déménagement. Dès qu'elle est repérée par les services sociaux d'une ville et
qu'on essaie d'engager une procédure, tout le monde disparaît.

Louise s'absente de plus en plus régulièrement. Le CPE parvient à rencontrer
la mère. Celle-ci explique que son ami étant au chômage, elle doit travailler de plus
en plus et que Louise doit garder ses petits frères. Le CPE alerte l'AS du collège. A la
rentrée suivante, cette élève paraît de moins en moins soignée. Elle est présente
physiquement mais rêveuse. Elle demande souvent à aller à l'infirmerie les 2 jours ou
l'infirmière n'est pas présente. Le CPE la rencontre et lui fait part de ses
interrogations sur ses absences, ses résultats en baisse, etc...

Louise reconnaît qu'elle a un problème, qu'elle veut bien en parler à condition
que ça ne sorte pas du bureau et que le CPE garde pour lui ce qu'elle a à confier. Elle
lui annonce qu'elle est enceinte. Le CPE écoute Louise et tente de lui faire entendre
qu'elle a besoin d'aide, que l'infirmière et l'assistante sociale sont de bonnes
interlocutrices pour ça et qu'il peut l'accompagner pour faciliter le dialogue. Louise
refuse et dit qu'elle regrette de lui en avoir parlé. Le CPE se sentant tenu par la
promesse qu'il a faite, choisit de respecter la confidence de Louise et de la revoir
pour essayer à nouveau de la convaincre. Malheureusement, quelques jours plus tard,
Louise essaie de résoudre son problème en faisant une tentative de suicide.

Voilà une situation type qui illustre les incertitudes qui naissent de la
confrontation d'une réalité qu'il faut analyser et de la législation. Une élève enceinte
est-elle toujours en danger ?

Evocation d'une troisième situation : Julie a 15 ans et est élève en troisième.
Depuis quelque temps, Julie a l'air triste au collège. Quelquefois, elle pleure sur la
cour mais explique à ses amies que ça va bien, que ce n'est rien. Un jeudi, elle
semble aller vraiment très mal et se confie à une surveillante. Suite à une altercation,
son père l'a frappé. Ça se produit épisodiquement. La surveillante la rassure mais
devant le danger que ça recommence elle insiste pour que Julie en parle au CPE. Julie
accepte et une fois avec le CPE, elle est d'accord pour rencontrer l'infirmière et le
médecin scolaire, mais elle a des réticences à rencontrer l'assistante sociale. Elle
craint la réaction de ses parents et elle a très peur que ça se sache et que des élèves
l'apprennent. Le CPE lui explique qu'elle a bien fait d'en parler mais qu'elle a besoin
d'aide et que ce qu'elle vient de confier ne peut pas rester secret entre elle et lui. Pour
sa sécurité, il doit avertir aussi l'assistante sociale. Seuls l'infirmière, le médecin,
l'assistante sociale, le chef d'établissement et le CPE sont au courant.
Malheureusement, à peine une demi-heure plus tard, en allant dans la salle des
professeurs, le CPE se rend compte que tout le monde est au courant y compris les
élèves et que l'information circule dans le collège. L'un d'entre eux n'a pas protégé
l'information.

Voilà une situation qui explique la raison d'être du secret professionnel. C'est
pour éviter ce genre de problèmes que le Code Pénal prévoit une législation sur le
secret professionnel et des sanctions en cas de violation.

 
 
1/ Le concept de « secret ».

Le secret apparaît chez les grecs vers 300 avant J.C., autour des prêtres
d'Asclepios (Esculape, le Dieu de la médecine) et d'Hippocrate. Hippocrate énonce le
secret professionnel des médecins : « Ce que tu as appris de ton malade tu le tairas
dans toutes circonstances... Tout ce que je verrai ou entendrai autour de moi, dans
l'exercice de mon art ou hors de mon ministère, et qui ne devra pas être divulgué, je
le tairai et le considérerai comme un secret».

On trouve également le secret chez le prêtre (confession) et chez l'avocat.
Jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, ces trois types de secrets sont dans les usages, mais
ne figurent dans aucun texte. Aboli par la Révolution, le secret professionnel
réapparaît dans le Code Pénal de 1810. C'est donc le serment d'Hypocrate et la
confession au prêtre qui est à l'origine du secret professionnel. Le secret a été
instauré pour permettre à quelqu'un de se confier en étant assuré que le contenu de
ses confidences restera secret et ne sera communiqué à personne.

2/ Présentation de la littérature juridique.

Je vais aborder maintenant le contenu du droit positif :

Obligation de réserve : Elle a pour fondement le principe de neutralité.
C'est une obligation de circonspection dans l'expression publique des fonctionnaires.
L'Etat reconnaissant et respectant la liberté de conscience politique, religieuse et
philosophique de l'individu ; il ne peut prendre ni parti, ni exercer de propagande
quelconque et les fonctionnaires sont tenus de se conformer à ce principe.

Dans les collèges et les lycées, les élèves disposent, dans le respect du
pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d'information et de la
liberté d'expression. L'exercice de ces libertés ne peut porter atteinte aux
activités d'enseignement[1]. Loi d'orientation du 10 juillet 1989, article 10. [En
ligne] le 21 février 2006.

Obligation de discrétion : C'est une obligation de la vie courante. Elle constitue une
obligation de retenue dans la parole mais elle n'est pas sanctionnée pénalement. Elle
concerne les faits et les informations internes aux services de l'administration. Elle
est encadrée par la Loi Le Pors du 13 juillet 1983 (article 26) : «Les fonctionnaires
doivent faire preuve de discrétion professionnelle pour tous les faits,
informations ou documents dont il ont connaissance dans l'exercice ou à
l'occasion de l'exercice de leurs fonctions. En dehors de ces cas expressément
prévus par la réglementation en vigueur, notamment en matière de liberté
d'accès aux documents administratifs, les fonctionnaires ne peuvent être déliés
de cette obligation de discrétion professionnelle que par décision expresse de
l'autorité dont ils dépendent».

En préambule, il faut noter que le terme de "secret" n'a pas le même sens que
celui que l'on connaît dans le langage courant. Couramment le secret est une
information qui n'est connue que d'un nombre limité de personnes, qui doit être
caché des autres, qui est celé et qu'il faut taire. C'est quelque chose que le détenteur
ne doit pas révéler puisque la révélation du secret marque la suppression de ce secret.
En revanche, en droit, le secret est un mécanisme. Il peut s'entendre de faits déjà
connus ou susceptibles de l'être, mais sur lesquels l'auteur de la révélation vient
apporter des précisions ou confirmations (Crim. 25 janv. 1968, D.1968. 153, rapport
Costa).

Secret professionnel : Nous sommes soumis à l'obligation de secret professionnel
par Le Code Pénal en tant que fonctionnaires de l'état. Le secret professionnel n'est
pas une protection du fonctionnaire. C'est un régime de sanctions pénales contre ceux
qui parleraient trop. Il s'appuie sur le principe du respect du droit à la vie privée. Le
secret professionnel relevant du droit pénal, sa violation est assortie de sanctions. Il
s'applique à toute personne qui en est dépositaire soit par état, soit par
profession.

Par différence, le secret qui s'applique aux médecins et infirmières tient à ce
que cette dimension de confidentialité fait partie du métier. Elle est inscrite dans le
code de déontologie médicale (Art.4) et le code de la santé publique (Art. L.
481).

Il existe deux critères qui doivent être réunis pour que soit avérée la violation
du secret professionnel. Premièrement, l'information divulguée doit avoir un
caractère secret. C'est-à-dire qu'elle doit avoir été confiée. Si le destinataire de
l'information connaissait l'information, il n'y a pas d'infraction.

En revanche, si une information simplement soupçonnée est confirmée ou si
une précision est divulguée, alors il y a infraction.

Deuxièmement, la révélation doit être intentionnelle parce que la simple
imprudence ne peut pas être condamnée pénalement.

Ensuite, la Loi distingue 3 trois situations dans lesquelles le secret doit être
révélé. Premièrement, c'est le cas pour « celui qui informe les autorités judiciaires,
médicales ou administratives de sévices ou de privations dont il a connaissance
et qui ont étés infligées à un mineur de 15 ans et moins ou à une personne qui
n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique
ou psychique ».

Deuxièmement, le secret doit être levé lorsqu'on transmet au procureur de la
République avec l'accord de la victime, des éléments qui permettant de présumer
l'existence de sévices sexuels.

Enfin, la Loi autorise la levée du secret si l'on témoigne en faveur d'une
personne injustement détenue et si nous détenons la preuve de son innocence sans
toutefois que la Loi ne nous impose de révéler ces éléments. Il n'y pas de Loi qui
impose la transgression du secret dans ces trois situations.

Le secret professionnel est défini par les articles 226-13 et 226-14 du Code
Pénal depuis 1994.

Article 40 du Code Pénal : « Le procureur de la République reçoit les
plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner conformément aux
dispositions de l'article 40-1»(Article 40 du Code Pénal, modifié par la Loi n
°2004-204 du 9 mars 2004 - art. 74 JORF 10 mars 2004).

« Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans
l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est
tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de
transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui
y sont relatifs ».

Il existe une 2nde option : Si le procureur signe la convention concernant les
signalements, il faut suivre la procédure : Service social de l'inspection académique,
Conseil Général, procureur. La convention est légale. Elle est en vigueur dans le 44.

Non-assistance à personne en danger : Art. 223-6 du code pénal. Ordonnance n°
2000-916 du 19 septembre 2000 art. 3 J. O. du 22 septembre 2000 en vigueur le 1er
janvier 2002 :

« Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui
ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l'intégrité corporelle de la
personne s'abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans
d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende.
Sera puni des mêmes peines quiconque s'abstient volontairement de porter à un
personne en péril l'assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il
pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un
secours ».

Le secret professionnel garanti par l'article 8 de la Convention
européenne des Droits de l'Homme.

«C'est un principe consacré par la Convention Européenne de sauvegarde des Droits
de l'Homme et des libertés fondamentales à travers l'article 8 de ce texte qui garantit

« le droit de toute personne à sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa
correspondance.
Il ne peut y avoir ingérence de l'autorité publique dans l'exercice de ce droit que
pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une
mesure qui dans une société démocratique est nécessaire à la sécurité nationale,
à la sûreté publique, au bien être économique du pays, à la défense de l'ordre et
à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la
morale ou à la protection des droits et liberté d'autrui».

Pour radicaliser l'approche juridique, on considère que la législation sur le
secret professionnel est là à la fois pour protéger la vie privée des élèves et de leurs
familles et pour protéger l'ordre public en faisant obstacle à la circulation libre
d'informations privées de nature à perturber l'ordre public. Par ailleurs, aujourd'hui,
on attaque au tribunal pour tout et pour rien et c'est le professionnel qui doit prouver
sa bonne foi. Il faut noter à ce propos que dans le droit français, on ne tient pas
compte du mobile. La raison de la transmission d'une information n'est pas prise en
compte, ce sont les faits qui priment. Le mineur et ses parents peuvent attaquer
l'administration s'ils se sentent lésés et l'administration peut ensuite se retourner
contre l'agent.

C'est pour cette raison qu'en cas de mise en cause, le professionnel a tout
intérêt à pouvoir produire un document écrit qui prouve que l'élève ou sa famille
l'avaient autorisé à transmettre une ou plusieurs informations.
 
3/ Secret partagé et violation du Code Pénal.

Bien évidemment, pour les C .P.E, le problème qui se pose, c'est celui du
secret partagé. En effet, jusqu'à très récemment, le secret partagé n'était pas reconnu
par la Loi. Conséquence : Dès que nous transmettons une information qui nous a été
confiée sans le consentement de l'élève ou de sa famille ou sans les en avoir informés
(sauf si cela relève de l'article 226-14), il y a violation du Code Pénal et un dépôt de
plainte de l'élève ou de sa famille est possible. Nous pouvons donc être condamnés si
un préjudice est reconnu.

Pour ma part, je ne connais pas de collègue à qui ce soit arrivé. En
revanche, je remarque que des familles peuvent utiliser maintenant cette possibilité
pour menacer des personnels : CPE, surveillants, chef d'établissement, enseignants,
etc...Quant à la jurisprudence, tous secteurs confondus, elle suit une croissance
exponentielle.

Le secret partagé : Le secret partagé n'est pas reconnu par La loi du fait de
l'imprécision qui le constitue. Il existe pourtant 3 textes qui s'y réfèrent. Devant la
pratique du travail en équipes, souvent pluridisciplinaires, la pratique du secret
partagé n'est pas contestée et il existe des références à son usage : « Il convient [...]
de ne transmettre que les éléments nécessaires, de s'assurer que l'usager concerné est
d'accord pour cette transmission ou tout du moins qu'il en a été informé ainsi que des
éventuelles conséquences que pourra avoir cette transmission d'informations et de
s'assurer que les personnes à qui cette transmission est faite sont soumises au secret
professionnel et ont vraiment besoin, dans l'intérêt de l'usager, de ces informations.
Le professionnel décidant de l'opportunité de partager un secret devra également
s'assurer que les conditions de cette transmission (lieu, modalités), présentent toutes
les garanties de discrétion ». Circulaire Santé Justice du 21 juin 1996.

Il y a également la Loi Kouchner de 2002 qui concerne les professionnels de
santé (Article L.1110-4 du Code de la Santé Publique) et Loi du 2 mars 2007 :
Prévention de la délinquance. Mais ce texte concerne également certains personnels
précisément visés (1/Travailleur sociaux, assistants, techniciens sociaux, 2/
Médiateurs sociaux, en contact direct avec les personnes concernées, 3/ Assistantes
maternelles) :

Article 15 de la Loi 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance.
L'article 15 porte sur les liens entre protection sociale et protection judiciaire de
l'enfance.

Après l'article L. 226-2 du code de l'action sociale et des familles, il y a
maintenant un article L.226-2-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 226-2-2. -Par exception à l'article 226-13 du code pénal, les personnes
soumises au secret professionnel qui mettent en oeuvre la politique de protection
de l'enfance définie à l'article L. 112-3 ou qui lui apportent leur concours sont
autorisées à partager entre elles des informations à caractère secret afin
d'évaluer une situation individuelle, de déterminer et de mettre en oeuvre les
actions de protection et d'aide dont les mineurs et leur famille peuvent
bénéficier. Le partage des informations relatives à une situation individuelle est
strictement limité à ce qui est nécessaire à l'accomplissement de la mission de
protection de l'enfance. Le père, la mère, toute autre personne exerçant
l'autorité parentale, le tuteur, l'enfant en fonction de son âge et de sa maturité
sont préalablement informés, selon des modalités adaptées, sauf si cette
information est contraire à l'intérêt de l'enfant. »

Bien sûr, ces textes ne concernent pas les CPE qui doivent donc se soumettre à
l'article 226-13. Toute cette législation repose sur le droit au respect de la vie privée.

Droit au respect de la vie privée : Il est garanti par l'article 9 du Code Civil : Le droit
au respect de la vie privée est le droit pour une personne d'être libre de mener sa
propre existence avec le minimum d'ingérences extérieures, ce droit comportant la
protection contre toute atteinte portée au droit au nom, à l'image, à la voix, à
l'intimité, à l'honneur et à la réputation, à l'oubli, à sa propre biographie. [...] Les
domaines inclus dans la protection de la vie privée comprennent [...] tout ce qui
relève du comportement intime. Id.

Le secret concerne tout ce qui est confié par une personne à un confident
nécessaire (le juge par exemple) ou à un confident qui a été librement choisi. Est
concerné également ce que le confident découvre ou déduit par lui-même, ou encore
ce qui parvient à sa connaissance en raison de sa profession, de sa fonction ou de sa
mission temporaire. Concrètement, en tant que C.P.E, si un élève me confie une
information, qu'il en confie une autre à l'infirmière, que l'infirmière et le C.P.E se
communiquent ces informations et par recoupement identifient une difficulté ou un
nouveau problème, tout cela sans l'autorisation de l'élève, il y a violation du secret
professionnel et si l'élève, même mineur estime en subir un préjudice, il peut porter
plainte contre le C.P.E et l'infirmière. D'ailleurs, la Cour de cassation met en garde
contre toute définition réductrice et estime que le fait confidentiel doit être assez
extensivement conçu quant à son origine (Crim. 17 mai 1973, D. 1973. 583, note
Doll).

A l'issue de cette présentation, il y a une chose à retenir : Le secret
professionnel n'est pas une protection du CPE. C'est une contrainte attachée au
respect de la vie privée des élèves et de leurs familles.

La pratique quotidienne nous conduit à expérimenter la question d'une
parole partagée lors d'entretiens avec des élèves qui souhaitent évoquer leurs
difficultés avec le souhait ou la certitude de voir leur discours demeurer confidentiel.
Beaucoup de situations sont laissées à notre appréciation pour confronter la légalité et
la légitimité morale. Le secret professionnel peut être un outil pour accompagner un
élève qui rencontre des difficultés et qui sait pouvoir bénéficier d'une écoute privée.
Toutefois son respect est fragilisé par un ensemble de comportements qui peuvent le
réduire à un obstacle. Exemple : J'ai discuté avec un CPE qui estime que le CPE étant
un cadre A et l'infirmière un cadre B, alors il est inadmissible que l'infirmière fasse
de la rétention d'information au nom du secret médical. Pour un autre, il est évident
que les élèves qui ne veulent pas qu'on répète ce qu'ils confient (cas d'une élève
enceinte) sont souvent les premiers à en parler à de nombreux élèves dans
l'établissement, ce qui rend absurde la notion de secret.

D'un côté nous sommes soumis au secret. De l'autre, notre silence, les
précautions que nous prenons, notre prudence ou simplement notre discrétion sont
souvent interprétés comme des actes de complicité quand les choses ne se passent pas
bien dans nos établissements. De plus, la relation de confiance avec les élèves et
même avec les parents est de plus en plus régulièrement mise en cause. « Les
confidents » que nous sommes peuvent se sentir piégés par le secret. Encore une fois,
le secret c'est tout ce qui est confié par une personne à un confident nécessaire (le
juge par exemple) ou à un confident librement choisi (un médecin, une infirmière,
une assistante sociale, un CPE, un surveillant) ou de ce que le confident découvre ou
déduit, ou encore qui parvient à sa connaissance en raison de l'état de sa profession,
de sa fonction ou mission temporaire. L'inconvénient, c'est que le travail en équipe
est devenu une réalité quotidienne et nécessaire. C'est le cas par exemple avec les
cellules de veille.

Le choix de mettre en place des instances qui servent à centraliser des
informations, à partager des informations entre professionnels, à effectuer des
recoupements pour analyser et repérer des élèves en difficulté est nécessaire pour
avancer. Un élève peut émettre certains signaux de détresse à l'infirmière, confier
d'autres éléments à l'assistante sociale et
évoquer des difficultés encore différentes avec le C.P.E. De plus, l'infirmière et
l'assistante sociale n'étant pas présentes toute la semaine, la communication entre ces
différents partenaires est essentielle. Il faut pouvoir confronter ces points de vue pour
gérer les difficultés des élèves. Mais la reconnaissance de ce besoin de travailler en
équipe vient parfois se heurter au cadre strict du Code pénal. Quand les situations
rencontrées relèvent du danger clairement identifiées, l'article 226-14 nous délie du
secret professionnel sans qu'il y ait de doutes sur la levée de ce secret. En revanche,
nous rencontrons aussi des cas ou nos informations sont simplement préoccupantes.
Elles demanderaient à être étayées par d'autres signaux. C'est sur ce point que nous
hésitons sur la conduite à tenir, que nous voulons pouvoir partager ces doutes et que
la législation sur le secret professionnel nous laisse dans le brouillard.

Aujourd'hui, il n'y a que le partage d'informations entre personnes relevant du
service de l'Aide Sociale à l'Enfance qui est prévu par la loi. L'analyse en commun
des situations entre professionnels de services différents (service social polyvalent,
service de protection maternelle et infantile) ou d'institutions différentes (service
social scolaire, établissement scolaire, professionnels de santé libéraux ou
hospitaliers, corps d'inspection de l'Etat) est actuellement, du point de vue juridique,
impossible.

Les cellules de veille, les contacts entre les CPE et les éducateurs, les
partenariats encouragés par l'institution sont des expériences fructueuses, qui
permettent des réunions de synthèse permettant de faire le point en commun sur la
situation d'un élève ou d'une famille. Mais elles restent contestables du point de vue
légal car les familles seraient fondées à poursuivre leurs participants pour violation
du secret professionnel.

Il faut alors rechercher comment prendre en charge cette obligation de
confidentialité entre le cadre juridique et le cadre pratique ? Quel statut pour les
élèves ? Quelles responsabilités pour le C.P.E ?

Pour cela, je m'appuie sur 4 concepts : Légalité, légitimité, priorité éducative et
la responsabilité.

La Loi instaure des limites à la circulation des informations sur les élèves. Ces
limites sont attachées au respect de la vie privée. Elle implique que le CPE tienne
compte de l'étendue et des limites de ses fonctions. Il faut y ajouter l'intérêt éducatif
que représente une information pour décider de sa transmission à tel ou tel
interlocuteur.

Sur le terrain, j'ai identifié 3 représentations différentes du secret professionnel.
Cette diversité tient au caractère trouble de la législation qui est débordée par la
pratique.

1/ Il s'agit d'une idée technique de cette obligation. Elle considère que toutes les
personnes soumises au secret professionnel peuvent s'échanger la totalité des
informations dont ils disposent comme s'ils formaient une sorte de communauté
autorisée du secret. Je pense qu'elle relève d'un détournement d'usage du secret. Elle
consiste à s'affranchir des précautions avec la parole des élèves. Elle permet de faire
l'économie de délibérer à chaque instant sur ce qu'il est bon de faire pour agir au
nom du bien de l'élève dans un contexte ou nous courrons après le temps. C'est une
facilité compréhensible mais qui n'est pas satisfaisante.

2/ La seconde conception est celle du secret envisagé comme un droit fonctionnel. Il
autoriserait à violer le respect de la vie privée en ligotant d'autres acteurs soumis à
cette obligation pour faire taire la transmission de propos qui portent atteinte au droit
des familles. Ex : conseil de discipline. La décision du conseil ne doit être fondée que
sur la mention des faits exprimés dans le rapport. On peut constater parfois que,
lorsque les membres de ce conseil ont des avis divergents, certains s'autorisent à
ajouter des faits ou des considérations qui relèvent de la rumeur pour motiver le
conseil à prendre la décision voulue en se protégeant derrière le secret pour empêcher
les gens présents de révéler ces vices de procédure. La justice rendue dans les
établissements semble parfois moyen- âgeuse.

3/ Celle sur laquelle je m'appuie. Il y a un caractère d'obligation de la règle dont il
faut prendre acte. Il faut voir dans le secret une limite aux actions que le CPE met en
oeuvre pour satisfaire les objectifs éducatifs de son travail et s'attacher à privilégier
l'intérêt des élèves. C'est là que je distingue la Loi et l'esprit de la Loi.

La raison d'être de la fonction de CPE, c'est l'existence de lieux d'instruction
et d'éducation des élèves par des savoirs variés et il y a une limite au droit
d'ingérence que nous pouvons exercer vis-à-vis de parents qui sont responsables de
leurs enfants. Il nous arrive fréquemment d'avoir connaissance d'éléments touchants
à la vie privée des élèves et de leurs familles. Ainsi, parmi les multiples informations
que nous recevons, certaines ne nous sont pas utiles, d'autres ne devraient pas nous
être connues ou au moins, nous devons nous en interdire l'utilisation dans nos
actions. Parfois, en savoir trop peut nous paralyser ou perturber nos actions. Le CPE
doit savoir se taire. Pour tout cela, les règles juridiques ne pouvant pas enfermer toute
la complexité des situations humaines, il faut entrer dans une démarche de recherche
de l'intérêt général et d'une priorité éducative pour réaliser l'intention morale qui
anime l'esprit des Lois. Les textes sur le secret partagé, bien qu'ils ne nous
concernent pas, ont tous en commun d'insister sur l'intérêt de l'usager.

C'est pourquoi il faut développer une déontologie qui tende à ne pas porter
préjudice aux élèves.
 
Ce qui sera le plus pertinent, c'est que je fasse appel à un cas concret :

Une élève se scarifie, elle accepte d'en parler mais souhaite en échange que sa
famille n'en soit pas informée. C'est un cas courant de l'élève qui essaie de nous
ligoter dans son secret par crainte des conséquences.

Dans l'après-midi, l'une des surveillantes accompagne une élève au bureau du
CPE. Les camarades de cette élève racontent qu'elle se blesse avec sa paire de
ciseaux. Elle refuse tout d'abord de prononcer le moindre mot. Elle pense qu'elle a
été dénoncée par ses camarades, ce qui l'a mise en colère et qu'elle se sent mal à
l'aise que quelqu'un sache ce qui se passe. Après quelques minutes de silence de sa
part, le CPE lui explique les informations dont il dispose, lui explique qu'il peut lui
apporter de l'aide à condition qu'elle le veuille et qu'elle est là parce que ses
blessures sont un peu inquiétantes. Elle n'en a encore parlé à personne.

Bien que ce soit un très gros collège, le CPE connaît son nom et son prénom et
cette reconnaissance la met en confiance et l'engage à entrer dans le dialogue. Elle
tient fermement sa paire de ciseaux entre ses mains, le CPE lui demande de la poser
pendant la conversation.

Elle raconte que cette envie de se faire mal est récente. Spontanément elle
montre ses bras. Il n'y a pas de blessure mais juste des égratignures peu profondes
sur les mains. Le CPE lui demande si elle trouve un soulagement à se faire mal ainsi.
Elle confirme. Elle dit qu'elle a peur de ce qu'elle se fait subir. C'est plus fort
qu'elle. Le CPE lui demande comment se passe sa vie à la maison. Elle explique que
ça va bien, s'inquiète de savoir si le CPE est au courant de sa situation et redoute
fortement que sa mère puisse apprendre qu'elle se fasse mal. Le CPE ignore quelle
est sa situation, lui précise qu'elle n'est pas obligée de confier des choses qu'elle
souhaite garder pour elle. C'est là que toute l'attention portée à la mise en confiance
de l'élève est importante. Le CPE lui dit que ce qu'elle confiera restera confidentiel,
que si il estime qu'elle est en danger et qu'il doit informer quelqu'un d'autre, il la
préviendra avant mais que si elle accepte de lui parler, c'est qu'elle recherche de
l'aide et qu'ici plusieurs personnes telles que l'assistante sociale ou l'infirmière sont
susceptibles d'intervenir. Parler de sa situation familiale ne lui pose pas de problème.

C'est sa mère qui l'élève. Son père a quitté sa mère quand elle était petite et elle
a pu avoir un échange téléphonique avec lui très récemment. Ça s'est mal passé et
cet évènement est douloureux pour elle. Elle est d'accord pour rechercher une
solution à son problème. Le CPE lui demande si elle connaît l'infirmière ou
l'assistante sociale et si elle accepte de les rencontrer. Elle veut bien discuter avec
l'assistante sociale. Elle souhaite que le CPE l'accompagne. Le CPE lui demande si
elle est souhaite qu'il garde des choses pour lui ou si il peut transmettre tout le
contenu de l'entretien. Elle ne s'oppose pas à ce qu'il le fasse et préfère qu'il
l'accompagne et qu'il explique la situation lui-même à l'assistante sociale. Ils vont
immédiatement voir l'assistante sociale.

Il s'agit bien là d'un cas pratique où dans le secret d'un entretien, une élève
confie des informations sur une situation de mal-être. Elle pose une exigence : que sa
mère ne soit pas mise au courant. Mais elle reconnaît avoir besoin d'aide et confirme
être favorable à ce que le CPE fasse appel à d'autres professionnels de
l'établissement pour l'aider. Pour le CPE, la priorité c'est la sécurité de l'élève. Il
n'y a pas encore de blessures réelles mais un mal être commence à en faire émerger
la volonté de passer à l'acte bien que celui-ci ne soit pas évident pour elle. On peut
donc prendre une demi-heure pour discuter.

La prise en charge a lieu de manière précoce et dès les premiers signes, elle a
plus ou moins fait en sorte de se faire remarquer par d'autres élèves pour trouver un
interlocuteur. Elle a choisit volontairement d'entrer dans le dialogue et à cet instant,
le CPE juge que son souhait de ne pas faire connaître cette situation à sa mère peut
être respecté momentanément. La seconde priorité est alors la fonction de conseiller.
Conseiller, c'est accompagner cette élève dans sa recherche de solution en lui
proposant de verbaliser son mal-être, de chercher des pistes et un cadre. Ce cadre
doit lui être rappelé clairement en incluant son droit de ne pas révéler des éléments
de sa vie privée ou de celle de sa famille qu'elle souhaite garder pour elle ou ne
révéler qu'à certains interlocuteurs.

Le rôle de conseiller n'est pas celui d'un directeur de pensée mais plutôt d'un
guide. Dans ce type d'entretien, l'élève doit pouvoir choisir les informations qu'il
transmet sans s'y sentir contraint par la dissymétrie entre lui et l'adulte. Inscrite dans
son adolescence et dans une histoire particulière, l'enjeu psychologique de cette
période, c'est de construire sa personnalité d'adulte. La raison de la présence de cette
élève, c'est la scolarité comprise comme l'acquisition de savoirs et de méthodes de
travail et il faut garder cet objectif à l'esprit. Les précautions que prises à l'égard de
la protection de la parole de cette élève ne sont donc pas justifiées uniquement par
une soumission aux règles juridiques. Elles mettent en jeu la manière dont le CPE
participe à l'éducation des élèves.

Lorsque nous avons affaire à une personne, nous ne pouvons avoir d'elle qu'une
connaissance sélective parce qu'elle a une histoire trop complexe pour que nous
puissions l'interpréter et nous en approprier toutes les dimensions. Celui qui
accomplit un travail d'éducation ne peut pas maîtriser ce qui se passe dans les têtes
de ceux qui sont éduqués. Si c'était le cas, le sujet qui est éduqué se trouverait alors
réduit à un objet d'éducation. Si l'élève résiste à nous parler, c'est qu'il nous oppose
sa part de liberté parce qu'il a déjà une histoire, des représentations et des
expériences qui lui sont propres. En même temps, il serait irresponsable de mettre
excessivement en garde les élèves contre le fait de nous confier des informations.
Les élèves ne sont pas des adultes, ils n'ont ni les mêmes droits, ni les mêmes
obligations tout simplement parce qu'ils n'ont pas les mêmes responsabilités.
Pourtant, là encore le Code Pénal ne fait pas de différence.

A cette finalité nécessairement émancipatrice de l'éducation, vient s'y ajouter
une seconde : l'adaptation du sujet à la société par un travail de conformisation[1].
Olivier Reboul[2] explique que pour le bien de l'enfant, il faut l'adapter et l'intégrer
à la société. Par conséquent, dans le dialogue proposé à cette élève, le CPE doit
satisfaire trois exigences professionnelles d'ordre juridique. Premièrement, il doit
garder le secret sur ce qui lui ait confié par cette élève et assurer les conditions qui le
permettent : fermeture de la porte, non interruption de l'entretien par un tiers,
information de l'élève sur ce que le CPE peut faire ou ne pas faire des informations
qu'elle livre. Deuxièmement, le participe à une mission d'adaptation et d'intégration
de l'institution à laquelle il appartient à l'égard d'une élève qui est d'abord là pour
bénéficier d'un enseignement obligatoire qui doit lui permettre de gagner son
autonomie et de s'insérer dans le tissu social. Enfin, sa responsabilité, en tant que
conseiller, est d'être un interlocuteur privilégié des élèves pour favoriser le bénéfice
des meilleures conditions de vie individuelle et collective possibles[3].

J'y ajoute des exigences relevant de la responsabilité morale. Au nom du
respect de la vie privée, il faut considérer la parole de cette élève comme une parole
protégée. En mettant des mots sur sa difficulté, elle livre une part d'elle-même qui
lui pèse et qui est précieuse. Pour que cet entretien soit respectueux de l'élève, il faut
veiller à lui préciser qu'elle n'est pas tenue de révéler des informations qu'elle se
sentirait contrainte de révéler parce que le CPE est un adulte et que cette dissymétrie
peut la conduire à se sentir injustement obligée de répondre. Les collèges et les
lycées sont des lieux d'apprentissage de l'autonomie et de l'émancipation qui
conduit vers une personnalité adulte apte à réfléchir par elle-même, à prendre des
décisions, à en assumer la responsabilité, à estimer ce dont elle a besoin, ce qu'elle
doit ou ce qu'elle est prête à accomplir pour assurer son bien-être. Par conséquent, au
moment où le CPE écoute et conseille l'élève, il a bien affaire à un sujet dont
l'individualité émergente est irréductible aux représentations qu'il en a. Il doit être
précautionneux avec ce qu'elle choisit de lui communiquer. Le CPE ne cherche pas à
circonscrire l'esprit de l'élève, à entrer dans sa tête pour maîtriser les tenants et les
aboutissants de son histoire afin de déterminer son action. Le rôle de CPE, c'est de
susciter sa reconnaissance d'avoir besoin d'une aide, de respecter sa liberté de parole
qu'il sollicite en lui donnant les moyens de choisir les informations qui lui semblent
devoir être communiquées. Si certains éléments seraient utiles pour la conseiller
mais qu'elle éprouve la volonté de les taire, il n'y a pas à forcer cette volonté en
faisant preuve d'ingérence dans sa pensée. Ceci participe de la discrétion attendue
par les élèves.

Pour comprendre ce point de vue, il suffit de regarder chacun d'entre nous.
Lorsque nous nous trouvons en situation de confier une difficulté personnelle à un
interlocuteur comme le vécu d'une situation difficile, nous devons toujours pouvoir
faire confiance à la personne que nous choisissons pour pouvoir nous confier. La
personne que nous choisissons n'est pas systématiquement celle à laquelle nous
souhaiterions parler si les circonstances lui permettaient d'être présente. Le degré de
confiance que nous accordons à cette personne détermine l'étendue et la profondeur
des informations que nous allons lui communiquer. Le vécu d'une situation difficile
peut nous fragiliser et la sécurité individuelle que nous recherchons alors, c'est de
savoir que celui ou celle à qui nous nous confions ignore tout un ensemble de notre
histoire et qu'une connaissance exhaustive de nous-même n'est pas nécessaire pour
nous conseiller, nous aider ou tout simplement coopérer avec nous. Il devient donc
compréhensible qu'un élève n'ait pas envie de partager certaines de ses difficultés.
Dans un établissement scolaire, bien que cet élève ait affaire à une pluralité
d'individus pour dialoguer (enseignants, surveillants, CPE, assistante sociale,
infirmière), les conditions pratiques de la scolarité limitent ce choix à quelques
personnes. Il faut que l'adulte avec lequel l'élève se sente à l'aise puisse repérer la
manifestation d'une difficulté, la recherche de son expression et que l'élève effectue
son choix à partir du temps supposée disponible dans l'emploi du temps quotidien de
chacun. Si un élève se confie à un surveillant qui n'est présent qu'en début de
semaine et qu'en fin de semaine, il ressent le besoin d'avoir un entretien, il va se
décider en fonction de la confiance qu'il accorde à un autre individu, de la capacité
supposée de cette personne à l'écouter et à lui apporter de l'aide en lui garantissant la
confidentialité de ses propos sous peine de préférer se taire. Comme vous le voyez,
c'est sur ce point qu'on trouve le noeud du problème. Il faut instaurer sur le long
terme des rapports de confiance avec les élèves, ne pas forcer leur parole tout en la
suscitant et se soumettre à la Loi. Quand un élève refuse de ne nous dire ce qui ne va
pas, à nous comme à d'autres personnels du collège et du lycée, l'option qui se
présente, c'est l'échange et le partage des signaux repérés avec l'infirmière,
l'assistante sociale, le chef d'établissement, le prof principal, les parents, etc... sauf
que le Code Pénal nous l'interdit. Pour les cas relevant de l'article 226-14 et pour
tous les élèves qui acceptent facilement ou qui font d'eux-mêmes la démarche de
trouver un interlocuteur dans l'établissement et de voir leur problème être partagé, il
n'y a pas d'inquiétudes. Mais pour les autres situations, nous sommes en panne.

Voici un exemple que j'ai rencontré dans un collège :

Un élève de 6ème présente un comportement étrange : isolement, énervements
soudains, endormissements en cours, nombreux passages à l'infirmerie pour de faux
motifs: A la Vie Scolaire, il arrive pour un mal au bras, dans le couloir vers
l'infirmerie il rencontre un surveillant et dit qu'il a très mal à la tête et une fois à
l'infirmerie, c'est devenu une entorse de la cheville. L'infirmière ne constate pas de
blessure. Sur une courte période, la cellule de veille penche pour la possibilité de
violence familiale sans disposer d'éléments probants. L'élève rencontre l'infirmière
et l'assistante sociale. Il se sent en confiance et accepte d'évoquer de manière très
floue une atmosphère bruyante à la maison et des conflits entre ses parents. La
violence n'est pas nommée comme telle mais elle semble se deviner, elle se laisse
suggérer mais l'incertitude demeure. Il n'y a pas de faits, pas de traces de coups.
Rien n'est sûr. La famille est contactée et minimise les choses en parlant d'un weekend
chargé et un retour tardif à la maison.

Deux jours après, l'assistante sociale demande à revoir cet élève. Il arrive
au bureau du CPE et dit : « Je ne veux plus parler ni à l'infirmière, ni à l'assistante
sociale parce que la dernière fois, j'ai eu des problèmes à la maison ». « Et puis de
toute façon, maintenant, tout va bien à la maison... ».
 
 Le CPE est souvent (en partenariat avec l'assistante sociale, l'infirmière ou le
professeur principal) l'interlocuteur premier que rencontre l'élève. Au-delà de
l'imposition du secret professionnel, il faut développer des qualités d'écoute, des
valeurs de respect et d'attention à l'égard de cette parole qui vont constituer une
déontologie professionnelle. La bonne qualité de cette écoute conditionne la
possibilité pour l'élève d'exprimer sa difficulté. Ne travaillant pas seul, dès que le
CPE juge que l'élève doit être également mis en relation avec un autre
professionnel, sans que cela ne lui retire le devoir de continuer à le conseiller et à
l'accompagner, il doit partager ce suivi avec d'autres professionnels de
l'établissement, avec la famille et avec des intervenants extérieurs. Il faut veiller à ce
que l'élève sache toujours quels éléments le transmet et quels en sont les
destinataires. Cela doit se produire avec l'accord de l'élève quand c'est possible,
sans l'accord de l'élève quand il y a un danger et que le secret doit être levé pour le
bien de l'élève (226-14). Il peut y avoir l'intuition qu'il y a un danger sans que ce
soit étayé par des faits et que l'élève ne nous autorise pas à évoquer sa situation avec
quelqu'un d'autre. De quelles solutions dispose t'on ?

1/Spontanément, passer au-dessus de la Loi au nom de l'intérêt de l'élève. Mais
comme avec l'exemple précédent, ça peut avoir des conséquences. Le risque qu'il y
aurait à ne pas tenir compte des textes légaux sans regarder l'environnement concret
ou nous exerçons, c'est de se voir confier des informations qui mettent en jeu la
personnalité de l'élève et de le transmettre à des gens qui vont la diffuser sans
aucune précaution. Nous savons tous que dans nos établissements, il y a toujours des
gens auxquels on ne peut pas faire confiance et qui systématiquement, font circuler
les informations confidentielles sans précaution (ex : le midi à la cantine en public).
Plus il y a de gens qui sont au courant d'une information confidentielle, plus le
risque que ça se diffuse augmente. C'est aussi la raison d'être du secret
professionnel. La plupart du temps, non seulement cela s'écarte d'une démarche
éducative mais cela porte préjudice à l'élève, nous fait perdre notre crédibilité vis-àvis
des élèves et ne coûte rien à celui qui est l'auteur de sa diffusion. En effet, le
dépôt de plainte n'est pas encore la règle générale. Dans ce cas là, le préjudice est
moral et la faute morale n'est jamais punie par la Loi. Tout au plus, elle suscite de
l'hostilité, de la déception ou de la douleur pour l'élève concerné.

2/ Négocier et convaincre l'élève en le rassurant et en additionnant plusieurs
entretiens sur une courte période. Il faut parfois du temps pour que des obstacles
psychologiques se débloquent.

3/ Attendre d'avoir des faits pour établir qu'il y a danger et renforcer pour cela
l'attention sur l'élève concerné, ce qui réclame une patience insatisfaisante.

La thèse que je propose passe par une analyse du concept de droit. Il faut
confronter la Loi, l'esprit de la Loi et la légitimité morale. Je m'appuie pour cela sur
Le concept de droit de H.L.A Hart[4].

Précédemment, j'ai souligné que l'indétermination de la législation sur le secret
professionnel laisse un grand nombre de situations à l'appréciation du CPE, donc à sa
conscience morale. J'entends par moral ce qui relève rationnellement de la distinction
entre le bien et le mal pour une société donnée.

Les règles juridiques et les règles morales sont deux sortes de conduites
obligatoires. Elles imposent certains types de conduites humaines et bien que
différentes, elles ont en commun l'idée de justice. Reconnaître qu'une règle existe
signifie qu'un groupe de personnes adopte comme règle un type de comportement
dans certaines situations semblables. Si ces règles sont juridiques, leur violation est
suivie d'une conséquence prévue et organisée officiellement. Si dans notre pratique
de CPE, nous violons le secret professionnel intentionnellement en révélant quelque
chose qu'un élève nous a confié et qui ne justifie pas une levée du secret, nous savons
que nous encourons une peine de prison dont la durée est prévue par la législation et
une amende dont le montant maximum est lui aussi déterminé. Mais, si ces règles
n'étaient que morales, cette transgression nous exposerait tout au plus à une réaction
d'hostilité qui n'est que probable.

Par conséquent, l'intérêt grandissant qui est porté à ce thème du secret
professionnel tient à ce que des informations confiées par des élèves sont parfois
divulguées sans précaution et portent préjudice aux élèves sans que ces préjudices
soient reconnus. L'élève qui confie quelque chose et qui voit le contenu de ses
confidences circuler dans le collège et au-delà subit l'exposition publique de ses
difficultés sans protection et sans suite pour celui qui a transgressé la règle puisque le
dépôt de plainte est loin d'être systématique. Il y a une transgression de la règle
morale. Et aujourd'hui, ce genre d'incident tombe de plus en plus souvent sous
l'application de la Loi juridique. Les élèves et leurs familles peuvent porter plainte et
obtenir réparation.

La priorité, c'est l'exigence de ne pas porter préjudice aux élèves. La Loi est là
pour protéger la vie privée, l'esprit de la Loi c'est de privilégier l'intérêt de l'usager.
La priorité éducative, c'est de ne pas porter préjudice aux élèves. Ces trois éléments
sont compatibles. Il faut alors s'efforcer de faire émerger une déontologie éducative
à travers les précautions que nous prenons avec la parole que les élèves nous confient
au cours de nos échanges parce que la parole des élèves, c'est la matière de notre
travail. Quand, par exemple, nous en apprenons plus à la pause café qu'à la cellule
de veille, c'est qu'il y a des pratiques à faire évoluer. Il doit y avoir un attachement à
rendre l'élève acteur de sa trajectoire et de son éducation qui passe par une volonté
de l'impliquer dans les décisions que nous prenons le concernant et à les lui rendre
visibles, ce qui est loin d'être une tâche aisée.

4/Conclusion :Quel(s) statut (s) pour les élèves ?


Qui accueille t'on dans les collèges et les lycées ? Des élèves ? Des Adolescents, des
Apprentis-citoyens ? Des consommateurs d'école ou carrément des clients ? Il y a de
quoi hésiter.

En fait, comme on le voit avec l'affirmation de ces rapports de droit entre les élèves
et nous, les élèves deviennent des usagers du système scolaire. La pratique légale
adéquate recommandée pour le CPE et les autres personnels, c'est que l'élève accepte
de remplir un formulaire ou il notifie quelles informations il autorise le CPE à
transmettre et à qui il autorise le CPE à les transmettre. Il faut une trace écrite qui
valide nos décisions et nos actions. L'élève ne peut pas être étranger à sa trajectoire et
doit toujours être impliqué.

Bien évidemment, la simple idée pour un CPE de présenter un tel formulaire à
l'élève, notamment au collège, non seulement c'est difficile à entendre mais ça l'est
encore plus à mettre en place. Du point de vue éducatif, ça consiste en quelque sorte à
rendre l'élève mineur auteur de sa propre éducation. On peut objecter à cette critique
qu'il y a les parents. Mais dans bon nombre des cas qui nous laissent en panne, ils ne
sont pas nécessairement de bons partenaires ou des partenaires suffisants. En
revanche, pour la Loi, qu'un usager soit responsable de sa vie c'est la règle.

Qu'est ce qu'un usager ? C'est une personne qui utilise un service public à la
différence du client (service privé) ou de l'adhérent. L'usager, c'est celui qui exerce
son droit. L'analyse du thème du secret professionnel fait émerger un glissement de
l'élève comme acteur à l'élève comme auteur de son parcours. La contradiction tient
à ce que chaque élève étant un adolescent en construction, on ne peut pas d'un point
de vue éducatif le considérer comme un adulte majeur (sauf pour les élèves majeurs)
et autonome. On ne peut pas le considérer en cours d'éducation comme étant déjà le
produit achevé de ce travail d'éducation. On ne peut pas considérer un élève de 13
ans comme un adulte.

Finalement, il demeure une règle morale dans les actions du CPE, ne pas porter
préjudice aux élèves. A condition de respecter cette intention, l'approche morale de
notre responsabilité nous incline, en fonction de la confiance accordée à nos
partenaires divers, à partager plus ou moins d'informations dans l'intérêt des élèves.
Mais il faut garder à l'esprit que cette intention n'est pas reconnue par la Loi et
qu'elle comporte des risques professionnels.

[1]Meirieu Philippe, Le choix d'éduquer, Éthique et pédagogie, ESF éditeur, collection
pédagogies, Paris, 1991. [Ch.12], P.65.
[2] Olivier Reboul, La philosophie de l'éducation, PUF, collection Que sais-je ?
[Ch.2], P.23, Paris, 1989. 9ème édition, Paris, 2001.
[3] Circulaire 82-482 sur la fonction de conseiller principal d'éducation du 28
octobre 1982. [En ligne] le 21 février 2006. Disponible sur : http://cpe.paris.iufm.fr
[4] H.L.A Hart, le concept de droit, Publications des facultés universitaires de Saint-
Louis, Bruxelles, 1976 pour l'édition française. Oxford University Press 1961 pour
l'édition anglaise.
 

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type pédagogique : non précisé

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