3/ Secret partagé et violation du Code Pénal.
Bien évidemment, pour les C .P.E, le problème qui se pose, c'est celui du
secret partagé. En effet, jusqu'à très récemment, le secret partagé n'était pas reconnu
par la Loi. Conséquence : Dès que nous transmettons une information qui nous a été
confiée sans le consentement de l'élève ou de sa famille ou sans les en avoir informés
(sauf si cela relève de l'article 226-14), il y a violation du Code Pénal et un dépôt de
plainte de l'élève ou de sa famille est possible. Nous pouvons donc être condamnés si
un préjudice est reconnu.
Pour ma part, je ne connais pas de collègue à qui ce soit arrivé. En
revanche, je remarque que des familles peuvent utiliser maintenant cette possibilité
pour menacer des personnels : CPE, surveillants, chef d'établissement, enseignants,
etc...Quant à la jurisprudence, tous secteurs confondus, elle suit une croissance
exponentielle.
Le secret partagé : Le secret partagé n'est pas reconnu par La loi du fait de
l'imprécision qui le constitue. Il existe pourtant 3 textes qui s'y réfèrent. Devant la
pratique du travail en équipes, souvent pluridisciplinaires, la pratique du secret
partagé n'est pas contestée et il existe des références à son usage : « Il convient [...]
de ne transmettre que les éléments nécessaires, de s'assurer que l'usager concerné est
d'accord pour cette transmission ou tout du moins qu'il en a été informé ainsi que des
éventuelles conséquences que pourra avoir cette transmission d'informations et de
s'assurer que les personnes à qui cette transmission est faite sont soumises au secret
professionnel et ont vraiment besoin, dans l'intérêt de l'usager, de ces informations.
Le professionnel décidant de l'opportunité de partager un secret devra également
s'assurer que les conditions de cette transmission (lieu, modalités), présentent toutes
les garanties de discrétion ». Circulaire Santé Justice du 21 juin 1996.
Il y a également la Loi Kouchner de 2002 qui concerne les professionnels de
santé (Article L.1110-4 du Code de la Santé Publique) et Loi du 2 mars 2007 :
Prévention de la délinquance. Mais ce texte concerne également certains personnels
précisément visés (1/Travailleur sociaux, assistants, techniciens sociaux, 2/
Médiateurs sociaux, en contact direct avec les personnes concernées, 3/ Assistantes
maternelles) :
Article 15 de la Loi 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance.
L'article 15 porte sur les liens entre protection sociale et protection judiciaire de
l'enfance.
Après l'article L. 226-2 du code de l'action sociale et des familles, il y a
maintenant un article L.226-2-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 226-2-2. -Par exception à l'article 226-13 du code pénal, les personnes
soumises au secret professionnel qui mettent en oeuvre la politique de protection
de l'enfance définie à l'article L. 112-3 ou qui lui apportent leur concours sont
autorisées à partager entre elles des informations à caractère secret afin
d'évaluer une situation individuelle, de déterminer et de mettre en oeuvre les
actions de protection et d'aide dont les mineurs et leur famille peuvent
bénéficier. Le partage des informations relatives à une situation individuelle est
strictement limité à ce qui est nécessaire à l'accomplissement de la mission de
protection de l'enfance. Le père, la mère, toute autre personne exerçant
l'autorité parentale, le tuteur, l'enfant en fonction de son âge et de sa maturité
sont préalablement informés, selon des modalités adaptées, sauf si cette
information est contraire à l'intérêt de l'enfant. »
Bien sûr, ces textes ne concernent pas les CPE qui doivent donc se soumettre à
l'article 226-13. Toute cette législation repose sur le droit au respect de la vie privée.
Droit au respect de la vie privée : Il est garanti par l'article 9 du Code Civil : Le droit
au respect de la vie privée est le droit pour une personne d'être libre de mener sa
propre existence avec le minimum d'ingérences extérieures, ce droit comportant la
protection contre toute atteinte portée au droit au nom, à l'image, à la voix, à
l'intimité, à l'honneur et à la réputation, à l'oubli, à sa propre biographie. [...] Les
domaines inclus dans la protection de la vie privée comprennent [...] tout ce qui
relève du comportement intime. Id.
Le secret concerne tout ce qui est confié par une personne à un confident
nécessaire (le juge par exemple) ou à un confident qui a été librement choisi. Est
concerné également ce que le confident découvre ou déduit par lui-même, ou encore
ce qui parvient à sa connaissance en raison de sa profession, de sa fonction ou de sa
mission temporaire. Concrètement, en tant que C.P.E, si un élève me confie une
information, qu'il en confie une autre à l'infirmière, que l'infirmière et le C.P.E se
communiquent ces informations et par recoupement identifient une difficulté ou un
nouveau problème, tout cela sans l'autorisation de l'élève, il y a violation du secret
professionnel et si l'élève, même mineur estime en subir un préjudice, il peut porter
plainte contre le C.P.E et l'infirmière. D'ailleurs, la Cour de cassation met en garde
contre toute définition réductrice et estime que le fait confidentiel doit être assez
extensivement conçu quant à son origine (Crim. 17 mai 1973, D. 1973. 583, note
Doll).
A l'issue de cette présentation, il y a une chose à retenir : Le secret
professionnel n'est pas une protection du CPE. C'est une contrainte attachée au
respect de la vie privée des élèves et de leurs familles.
La pratique quotidienne nous conduit à expérimenter la question d'une
parole partagée lors d'entretiens avec des élèves qui souhaitent évoquer leurs
difficultés avec le souhait ou la certitude de voir leur discours demeurer confidentiel.
Beaucoup de situations sont laissées à notre appréciation pour confronter la légalité et
la légitimité morale. Le secret professionnel peut être un outil pour accompagner un
élève qui rencontre des difficultés et qui sait pouvoir bénéficier d'une écoute privée.
Toutefois son respect est fragilisé par un ensemble de comportements qui peuvent le
réduire à un obstacle. Exemple : J'ai discuté avec un CPE qui estime que le CPE étant
un cadre A et l'infirmière un cadre B, alors il est inadmissible que l'infirmière fasse
de la rétention d'information au nom du secret médical. Pour un autre, il est évident
que les élèves qui ne veulent pas qu'on répète ce qu'ils confient (cas d'une élève
enceinte) sont souvent les premiers à en parler à de nombreux élèves dans
l'établissement, ce qui rend absurde la notion de secret.
D'un côté nous sommes soumis au secret. De l'autre, notre silence, les
précautions que nous prenons, notre prudence ou simplement notre discrétion sont
souvent interprétés comme des actes de complicité quand les choses ne se passent pas
bien dans nos établissements. De plus, la relation de confiance avec les élèves et
même avec les parents est de plus en plus régulièrement mise en cause. « Les
confidents » que nous sommes peuvent se sentir piégés par le secret. Encore une fois,
le secret c'est tout ce qui est confié par une personne à un confident nécessaire (le
juge par exemple) ou à un confident librement choisi (un médecin, une infirmière,
une assistante sociale, un CPE, un surveillant) ou de ce que le confident découvre ou
déduit, ou encore qui parvient à sa connaissance en raison de l'état de sa profession,
de sa fonction ou mission temporaire. L'inconvénient, c'est que le travail en équipe
est devenu une réalité quotidienne et nécessaire. C'est le cas par exemple avec les
cellules de veille.
Le choix de mettre en place des instances qui servent à centraliser des
informations, à partager des informations entre professionnels, à effectuer des
recoupements pour analyser et repérer des élèves en difficulté est nécessaire pour
avancer. Un élève peut émettre certains signaux de détresse à l'infirmière, confier
d'autres éléments à l'assistante sociale et
évoquer des difficultés encore différentes avec le C.P.E. De plus, l'infirmière et
l'assistante sociale n'étant pas présentes toute la semaine, la communication entre ces
différents partenaires est essentielle. Il faut pouvoir confronter ces points de vue pour
gérer les difficultés des élèves. Mais la reconnaissance de ce besoin de travailler en
équipe vient parfois se heurter au cadre strict du Code pénal. Quand les situations
rencontrées relèvent du danger clairement identifiées, l'article 226-14 nous délie du
secret professionnel sans qu'il y ait de doutes sur la levée de ce secret. En revanche,
nous rencontrons aussi des cas ou nos informations sont simplement préoccupantes.
Elles demanderaient à être étayées par d'autres signaux. C'est sur ce point que nous
hésitons sur la conduite à tenir, que nous voulons pouvoir partager ces doutes et que
la législation sur le secret professionnel nous laisse dans le brouillard.
Aujourd'hui, il n'y a que le partage d'informations entre personnes relevant du
service de l'Aide Sociale à l'Enfance qui est prévu par la loi. L'analyse en commun
des situations entre professionnels de services différents (service social polyvalent,
service de protection maternelle et infantile) ou d'institutions différentes (service
social scolaire, établissement scolaire, professionnels de santé libéraux ou
hospitaliers, corps d'inspection de l'Etat) est actuellement, du point de vue juridique,
impossible.
Les cellules de veille, les contacts entre les CPE et les éducateurs, les
partenariats encouragés par l'institution sont des expériences fructueuses, qui
permettent des réunions de synthèse permettant de faire le point en commun sur la
situation d'un élève ou d'une famille. Mais elles restent contestables du point de vue
légal car les familles seraient fondées à poursuivre leurs participants pour violation
du secret professionnel.
Il faut alors rechercher comment prendre en charge cette obligation de
confidentialité entre le cadre juridique et le cadre pratique ? Quel statut pour les
élèves ? Quelles responsabilités pour le C.P.E ?
Pour cela, je m'appuie sur 4 concepts : Légalité, légitimité, priorité éducative et
la responsabilité.
La Loi instaure des limites à la circulation des informations sur les élèves. Ces
limites sont attachées au respect de la vie privée. Elle implique que le CPE tienne
compte de l'étendue et des limites de ses fonctions. Il faut y ajouter l'intérêt éducatif
que représente une information pour décider de sa transmission à tel ou tel
interlocuteur.
Sur le terrain, j'ai identifié 3 représentations différentes du secret professionnel.
Cette diversité tient au caractère trouble de la législation qui est débordée par la
pratique.
1/ Il s'agit d'une idée technique de cette obligation. Elle considère que toutes les
personnes soumises au secret professionnel peuvent s'échanger la totalité des
informations dont ils disposent comme s'ils formaient une sorte de communauté
autorisée du secret. Je pense qu'elle relève d'un détournement d'usage du secret. Elle
consiste à s'affranchir des précautions avec la parole des élèves. Elle permet de faire
l'économie de délibérer à chaque instant sur ce qu'il est bon de faire pour agir au
nom du bien de l'élève dans un contexte ou nous courrons après le temps. C'est une
facilité compréhensible mais qui n'est pas satisfaisante.
2/ La seconde conception est celle du secret envisagé comme un droit fonctionnel. Il
autoriserait à violer le respect de la vie privée en ligotant d'autres acteurs soumis à
cette obligation pour faire taire la transmission de propos qui portent atteinte au droit
des familles. Ex : conseil de discipline. La décision du conseil ne doit être fondée que
sur la mention des faits exprimés dans le rapport. On peut constater parfois que,
lorsque les membres de ce conseil ont des avis divergents, certains s'autorisent à
ajouter des faits ou des considérations qui relèvent de la rumeur pour motiver le
conseil à prendre la décision voulue en se protégeant derrière le secret pour empêcher
les gens présents de révéler ces vices de procédure. La justice rendue dans les
établissements semble parfois moyen- âgeuse.
3/ Celle sur laquelle je m'appuie. Il y a un caractère d'obligation de la règle dont il
faut prendre acte. Il faut voir dans le secret une limite aux actions que le CPE met en
oeuvre pour satisfaire les objectifs éducatifs de son travail et s'attacher à privilégier
l'intérêt des élèves. C'est là que je distingue la Loi et l'esprit de la Loi.
La raison d'être de la fonction de CPE, c'est l'existence de lieux d'instruction
et d'éducation des élèves par des savoirs variés et il y a une limite au droit
d'ingérence que nous pouvons exercer vis-à-vis de parents qui sont responsables de
leurs enfants. Il nous arrive fréquemment d'avoir connaissance d'éléments touchants
à la vie privée des élèves et de leurs familles. Ainsi, parmi les multiples informations
que nous recevons, certaines ne nous sont pas utiles, d'autres ne devraient pas nous
être connues ou au moins, nous devons nous en interdire l'utilisation dans nos
actions. Parfois, en savoir trop peut nous paralyser ou perturber nos actions. Le CPE
doit savoir se taire. Pour tout cela, les règles juridiques ne pouvant pas enfermer toute
la complexité des situations humaines, il faut entrer dans une démarche de recherche
de l'intérêt général et d'une priorité éducative pour réaliser l'intention morale qui
anime l'esprit des Lois. Les textes sur le secret partagé, bien qu'ils ne nous
concernent pas, ont tous en commun d'insister sur l'intérêt de l'usager.
C'est pourquoi il faut développer une déontologie qui tende à ne pas porter
préjudice aux élèves.