Un appel, un appel surtout
(d’autres camarades m’ont dit qu’ils en avaient connu de plus
durs encore dans leur camp) moi, je n’en ai connu qu’un à
Buchenwald. Un soir, malgré les comptées et les recomptées, deux
détenus manquaient à l’appel, au block des Tchécoslovaques. On
ne s’évade pas d’un camp de concentration, donc les détenus
sont dans le camp. Ils sont là, cachés, ils sont quelque part. Il
faut les trouver. Et pendant que nous allons rester debout,
immobiles, au garde à vous, dans des conditions que je viens de
vous dire, les SS envahissent le camp avec leurs chiens et ils vont
chercher ces deux détenus. Et ils les ont cherchés toute la nuit,
et toute la journée du lendemain. Enfin, ils les ont trouvés. Deux
malheureux qui s’étaient terrés sous un block. Dans quelle espérance
? Certainement pas de s’évader, parce qu’on ne s’évadait pas
d’un camp de concentration. Mais, comme les animaux qui se terrent
pour mourir, peut-être s’étaient-ils réfugiés là pour y
attendre la fin de leurs souffrances. Et quand, après 36 heures
qu’avait duré cet appel, nous avons pu rejoindre nos blocks, nous
laissions 800 camarades morts sur la place d’appel. |