philosophie

  

 
1) L'objet même des Passions de l'âme : la définition de l'homme comme union de l'âme et du corps.
Le traité des Passions de l'âme est considéré comme le traité de morale de Descartes, et donc comme l'équivalent de sa « morale définitive ». L'ouvrage Les passions de l'âme est ainsi tenu pour le traité qui complète et corrige la fameuse « morale provisoire ». Mais que signifie « provisoire » ? Cette expression ne peut-elle être reliée au « provideo » stoïcien, c'est-à-dire à une provision nécessaire sur le chemin de la vie ? Dans cette perspective, « provisoire » ne renvoie pas nécessairement uniquement à de l'éphémère ou à du transitoire.
L'objet du traité des Passions de l'âme n'est de surcroît pas réductible à la question « Que dois-je faire ? » Le verbe « devoir » n'est pas très usité dans cette œuvre alors que « pouvoir » et « vouloir » sont bien davantage utilisés. On y traite du pouvoir de la volonté, et donc de la question de la liberté de la volonté. En définitive, l'orientation morale est la fin du traité des Passions de l'âme bien plus que son objet. On peut d'ailleurs insister sur le fait que la question morale est davantage la fin que l'objet du traité des Passions de l'âme en lisant le dernier article de l'ouvrage, à savoir l'art. 212, intitulé « Que c'est d'elles seules [les passions] que dépend tout le bien et le mal de cette vie. » Dans le traité des Passions de l'âme, la morale se dit plus en termes de bonheur que de devoir, même s'il n'y a pas de stricte opposition entre ces deux domaines.
Lisons le début de l'art. 1 : « Il n'y a rien en quoi paraisse mieux combien les sciences que nous avons des anciens sont défectueuses qu'en ce qu'ils ont écrit des passions. Car, bien que ce soit une matière dont la connaissance a toujours été fort recherchée, et qu'elle ne semble pas être des plus difficiles, à cause que chacun les sentant en soi-même on n'a point besoin d'emprunter d'ailleurs aucune observation pour en découvrir la nature, toutefois ce que les anciens en ont enseigné est si peu de chose, et pour la plupart si peu croyable, que je ne puis avoir aucune espérance d'approcher la vérité qu'en m'éloignant des chemins qu'ils ont suivis. » [fin de citation]
L'objet est ici la nature même des passions. On peut en effet se référer au sous-titre de l'ouvrage : « Des passions en général et par occasion de toute la nature de l'homme ». Examiner les passions en général, c'est éclairer toute la nature de l'homme car les passions mettent en jeu l'âme et le corps qui ne sont compréhensibles que par leur union. Par là même, traiter des passions, c'est traiter de l'homme comme union de l'âme et du corps.
 
2) Quelques remarques sur la structure de l'ouvrage. Retour sur les trois parties du traité des Passions de l'âme.
 
L'ouvrage est composé de trois parties :
 
Dans la première partie est proposée une définition de la passion à partir de l'examen des fonctions respectives du corps et de l'âme.
 
La deuxième partie développe la classification des passions principales à partir de l'examen des six passions primitives.
Dans la première partie, l'accent porte d'abord sur le corps comme cause suscitant les passions en l'âme ; ensuite, Descartes rend compte des passions comme passions de l'âme.
Ceci permet de s'opposer à une lecture hâtive qui écarte trop vite la première partie en disant qu'elle est centrée sur le corps tandis que la seconde aborderait l'âme ; en fait, chacune de ces deux parties aborde aussi bien le corps que l'âme, ces deux parties constituant en elles-mêmes une sorte de petit ouvrage [ce qui est utile pour la conduite de nos leçons].
La première partie va du corps à l'âme ; la deuxième fait d'abord porter l'accent sur ce qui permet de considérer les passions comme des passions de l'âme - à savoir que les passions sont des pensées - avant d'en revenir au corps.
Dans la deuxième partie, l'accent placé sur l'âme correspond à la classification des six passions primitives (de l'art. 51 à l'art. 111) ; le retour au corps s'effectue de l'art. 112 à l'art. 136 ; les art. 137-148 constituent une transition vers la troisième partie : l'objet de ce passage est l'usage des cinq passions primitives (l'amour, la haine, le désir, la joie, la tristesse), la sixième passion qu'est l'admiration ayant déjà été abordée dans les art. 70-72, et les art. 75-78.
Dans ces deux premières parties, l'objet est l'union. Effectivement, jamais l'on ne peut distinguer au nom d'une distinction réelle (et non d'une distinction de raison) l'âme et le corps.
 
La troisième partie considère les passions particulières. Pourquoi adopter ce titre, « Des passions particulières » ? Une hypothèse peut être envisagée : il ne s'agirait pas tant, autour de l'estime de soi, de dégager des passions non encore analysées par la première partie que de dégager le remède général à toutes les passions, ce qui ne laisse pas de poser problème, dans la mesure où toutes les passions sont bonnes. Précisément, le « remède » réside dans la reconnaissance du fait que toutes les passions sont bonnes. Ou plutôt : le « remède » est dans la connaissance de ce qui fait leur réelle valeur.
On peut alors confronter la pensée de Descartes à celle des stoïciens, pour qui les passions sont à combattre. En effet, pour les stoïciens, c'est le désir qui est positif : les passions sont bien à combattre. Pour les stoïciens, le désir est le prolongement de l'hormè ou tendance à se projeter vers ce qui convient. À l'inverse, ce qui fait le mal est l'amplification de l'imagination.
Dans ce débat, Descartes opère un glissement du désir à la passion. Ce ne sont pas les passions qui sont mauvaises ; elles relèvent de l'institution de la nature. C'est l'affaire de notre pensée que d'être capable de connaître et de reconnaître cette bonté des passions pour lutter contre certains ébranlements psycho-physiologiques produits par elles. L'art. 212 aborde ainsi la connaissance de ce qui peut faire le bonheur ou le malheur de l'existence humaine.