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voile et réussite scolaire

Références de l’ouvrage : Trois leçons sur l'école républicaine d'Eric Maurin, Seuil, 2021

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Dans son dernier livre "Trois leçons sur l'école républicaine" Eric Maurin tente, en utilisant les outils des économistes, de montrer que l'interdiction du voile dans les établissements scolaires en 1994 a entraîné une amélioration des résultats scolaires des jeunes filles issues de familles musulmanes. Cette fiche de lecture proposée par Renaud Chartoire met en évidence à la fois "en pratique" comment les économistes établissent des corrélations à partir de contrefactuels, et d'autre part que les économistes ont élargi leurs objets d'études à des objets auparavant (disons jusqu'aux années 60) réservés à d'autres sciences sociales, dont l'école.



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 Eric Maurin est un économiste qui analyse à partir des outils des économistes des questions relatives à l’éducation (« économie de l’éducation »). Dans la première de ces trois leçons, il cherche à répondre à la question suivante : l’interdiction du port du voile dans les écoles a-t-elle eu des conséquences sur la scolarisation des jeunes filles musulmanes ? Pour ce faire, il utilise une méthode chère aux économistes : comparer « toutes choses égales par ailleurs » l’évolution de deux groupes, dont l’un est touché par une mesure, et l’autre non, afin de tenter de mesurer les effets de cette mesure.

En somme, établir une corrélation (via un contrefactuel), avant de tenter d’en déduire une causalité.

● Le contexte

En 1989, un principal d’un collège de Creil expulse trois jeunes filles qui refusent de retirer leur voile en cours. En 1994, François Bayrou, ministre de l’Education, fait passer une circulaire qui interdit le port de « signes religieux ostentatoires » en école primaire, au collège et au lycée. En 2003, Jacques Chirac, président de la république, met en place une commission, la commission Stasi, chargée d’étudier cette question. Les conclusions de cette commission mèneront au vote d’une Loi qui va confirmer la circulaire de 1994.

Cette question a donné lieu à d’importants débats, entre ceux qui d’une part souhaitaient « émanciper » les jeunes filles musulmanes d’une pression familiale leur imposant une volonté traditionnaliste et potentiellement excluante de la société française, et d’autre part ceux qui voyaient dans cette circulaire une nouvelle mesure « islamophobe » visant à stigmatiser encore plus les musulmans (plus tard soutenus par des mouvements féministes y décelant une nouvelle mesure patriarcale visant à « contrôler » le corps des femmes en les empêchant de se vêtir librement).

● Quelle corrélation ?

→ Cette mesure a-t-elle eu un impact sur la réussite scolaire des jeunes filles musulmanes ? A priori, on peut penser que potentiellement, elle a pu avoir un effet négatif sur les jeunes filles musulmanes désirant porter le voile (via un sentiment de stigmatisation, qui a pu aller jusqu’à une déscolarisation pour certaines d’entre elles), et un effet positif sur d’autres jeunes filles musulmanes « libérées » d’avoir eu à porter le voile contre leur gré ou d’avoir dû s’épuiser à justifier auprès de leur entourage leur choix de ne pas le porter.

→ Pour savoir quel effet l’a emporté, il faut être en mesure de d’abord séparer la population scolarisée en deux sous catégories : les musulmans et les non musulmans. En effet, c’est indispensable car si suite à l’interdiction du voile on assistait à une amélioration des résultats scolaires des jeunes filles musulmanes, cette amélioration aurait pu n’être que la conséquence d’une amélioration générale des résultats, tous élèves confondus. De même, parmi la population musulmane, il est préférable de séparer le groupe des garçons de celui des filles, pour mesurer s’il y a un effet propre aux filles (seules concernées par le voile), sinon l’amélioration serait à porter sur une autre variable qui aurait également touché les garçons et filles musulmans.

Une fois ceci fait, il faudra comparer les résultats scolaires de la génération scolarisée d’avant 1994 avec celle juste après, pour voir s’il y a au non eu une progression spécifique aux jeunes filles musulmanes.

→ Problème : on ne connait pas directement la religion des élèves. Eric Maurin décide donc de la deviner indirectement, avec une marge d’erreur. En s’appuyant sur l’enquête emploi de l’INSEE réalisée auprès d’un large échantillon de la population française, il obtient la nationalité et le lieu de naissance des parents d’élèves (mais pas leur religion). Plus précisément, il sait si les parents sont français ou issus

a) d’un pays du Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie)

b) d’un autre pays d’Afrique

c) d’un pays du Moyen-Orient (essentiellement la Turquie)

d) d’un autre pays non européen

e) d’un pays européen autre que la France.

Grâce à ces données, il découpe la population scolarisée en deux sous-groupes de personnes nées en France (qui ont donc a priori effectué leur scolarité en France) :

- avec un père de nationalité française (le groupe « non musulman »)

- avec un père de nationalité d’un pays du Maghreb, du Moyen-Orient ou du reste de l’Afrique (groupe « musulman »).

Autre problème : comment savoir si les enfants de parents « français » sont nécessairement non musulmans, et ceux de parents issus d’un pays du Maghreb, du Moyen-Orient ou du reste de l’Afrique « musulmans » ? Eric Maurin s’appuie sur l’enquête Trajectoires et Origines (TeO) conduite depuis 2008 sous l’égide de l’INSEE et de l’INED qui contient une information sur la religion des parents, et qui montre que 83% des personnes nées dans un pays du Maghreb, du Moyen-Orient ou du reste de l’Afrique sont effectivement musulmans, alors que parmi ceux des pères nés en France, seuls 1% se déclarent musulmans. À supposer que les enfants de musulmans sont très majoritairement musulmans et que les enfants de non musulmans ne le sont pas, il estime donc que sa classification permet indirectement de constituer un groupe d’élèves « musulmans » (ou plutôt issus de familles de confession musulmane) et un autre d’élèves « non musulmans » (c’est-à-dire issus de familles non musulmanes).

→ Il montre alors que parmi les élèves nés dans la première moitié des années 70, donc ceux qui ont terminé leurs études avant la circulaire de 1994 portant sur l’interdiction du voile, les filles du groupe « musulman » ne sont que 50% à avoir obtenu au moins le niveau bac, contre 62% des filles du groupe « non musulmans ». Le déficit est donc de 12 points. Concernant les garçons du groupe « musulmans », l’écart est le même, 12 points, avec les garçons du groupe « non musulmans » (42% contre 54%).

Il compare ces données avec celles de la génération née au début des années 90. Dans cette génération post-interdiction du voile, le déficit de bachelières du groupe « musulmans » n’est plus que de six points (68% contre 74%), soit moitié moindre. Pour les garçons, en revanche, il est resté identique : douze points. Il y a donc bien un effet propre aux jeunes filles « musulmanes », et non aux « musulmans » dans leur ensemble (qui aurait pu, par exemple, s’expliquer par une moindre islamophobie dans la société française). Manifestement, les difficultés scolaires des jeunes filles « musulmanes » (du moins issues de familles musulmanes) par rapport à leurs homologues « non musulmanes » se sont donc réduites après l’interdiction du voile, contrairement aux garçons « musulmans » (du moins issus d’une famille musulmane) par rapport aux garçons « non musulmans ».

 

 → Si l’on précise encore, grâce à l’enquête TeO on apprend que parmi les pères de nationalité de pays du Maghreb et du Moyen-Orient, 90% se déclarent musulmans, contre seulement 50% des pères issus de pays d’Afrique. Si l’on subdivise à présent le groupe des élèves « musulmans » en deux sous-groupes (un premier d’élèves avec un père issu du Maghreb ou du Moyen-Orient et un second d’élèves avec un père issu d’un pays d’Afrique), le résultat est confirmé : suite à la circulaire de 1994, l’augmentation de la proportion de bachelières est deux fois plus importante dans le premier sous-groupe que dans le second (8 points d’augmentation contre 4). Plus un sous-groupe compte de familles musulmanes, plus l’impact de la circulaire est important.

→ Enfin, Eric Maurin montre que suite à 1994, les jeunes filles « musulmanes » non seulement sont plus diplômées, mais qu’elles se marient plus avec des personnes issues du groupe « non musulman » (le mariage mixte est quasiment multiplié par deux, passant de 12% à 22%, alors que chez les garçons « musulmans », l’évolution est moindre : on passe de 25 à 30%), et qu’elles font des enfants plus tôt.

● Corrélation, ou causalité ?

Si on laisse des côté les incertitudes méthodologiques (quelle est la part des élèves avec un père « musulman » qui ont reçu une pression liée au voile ? Quelle est la part des élèves issus de familles musulmanes qui ont souhaité devenir elles-mêmes musulmanes, et ont souhaité porter le voile ?), la corrélation est réelle, grâce à la comparaison entre plusieurs sous-groupes a priori distingués sur un seul critère (c’est particulièrement marquant pour la différence d’évolution entre le sous-groupe des filles « musulmanes » par rapport aux sous-groupes des garçons « musulmans »).

Comme toujours, cette corrélation peut être expliquée par une variable cachée. Peut-on donc en déduire une causalité ? Eric Maurin postule que oui, en montrant que si l’on compare les résultats en découpant cette fois-ci le groupe « musulman » en deux sous-groupes : l’un où la femme est au foyer (donc a priori un environnement familial plus « traditionnaliste ») et l’un où la femme a un emploi, on s’aperçoit que c’est dans le premier sous-groupe où l’amélioration des résultats a été la plus sensible. Or, c’est justement dans ce sous-groupe que l’on doit trouver le plus de familles exerçant une pression pour le port du voile.

Accès à la fiche de lecture de Renaud Chartoire lien de téléchargement d'un fichier 
 
 

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