Témoignage.Après l'arrestation en Normandie et la déportation de ses parents en 1942, David Fuchs est d'abord recueilli par une tante, à Paris. Devant l'aggravation du danger, il est conduit à Chavagnes avec sa sœur par Suzanne Mathieu au début de 1944. D'abord placé dans une autre famille chavagnaise sous le nom de Daniel, il est rapidement transféré chez Marie-Lise Roger. Il est alors âgé de 10 ans.Dans quelles circonstances et quand avez-vous appris que vous n'étiez pas le seul enfant qui était caché à Chavagnes ? Je crois comme tout un chacun qu'il y a environ deux ans, quand nous avons commencé à prendre contact les uns avec les autres, qu'on m'a dit que d'autres enfants avaient été cachés. Jusque-là je me croyais seul, avec ma sœur évidemment.
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David Fuchs relate l'arrestation de ses parents. Les Allemands viennent arrêter mes parents avec des policiers français. Ils veulent nous arrêter tous, mais à ce moment-là les officiels français, en particulier l'huissier des Andelys, lisant l'acte de déportation qui portait sur des concitoyens polonais dit " ah, mais les enfants ne sont pas polonais ". C'est ce qui a fait que nous n'avons pas été embarqués de la même façon, mais libérés immédiatement, mis à la disposition des français... Les français nous ont dit : vous avez une adresse ?-oui. Et à ce moment là, on a été mis quelques jours dans un hospice qui était dans la même ville que la prison. Et un mois après, ma tante, qui vivait à Paris, nous a récupérés....mais la situation est devenu très difficile pour elle aussi. Elle faisait partie des juifs protégés, puisqu'elle était veuve de guerre....les anciens combattants lui donnaient du travail, ils s'occupaient des pensions, etc. puis en 1943, ils commencèrent à dire que la situation devenait trop dangereuse, qu'ils avaient des doutes sur leur manière de pouvoir protéger les gens chez eux, et ils conseillaient d'envoyer les enfants dans une de leurs maisons....c'est à ce moment là que nous avons cherché des organisations qui pourraient nous placer à la campagne.
(....)Puis son départ de la région parisienne. J'ai le souvenir qu'on est venu me chercher, ma sœur et moi, que nous avons pris le train tout naturellement, accompagnés par cette dame qu'on vient d'identifier et qui ressemble à celle que d'autres ont eue pour se rendre à Chavagnes. C'était une jeune fille assez grande, moi je ne connaissais évidement pas son nom.
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Le danger, je l'ai perçu de deux façons. D'abord, je n'ai pas de souvenir de consignes. On n'en avait pas besoin, parce que dès qu'on nous disait qu'il fallait cacher notre étoile, on savait, depuis Paris, depuis tout le temps, qu'on passait la frontière de la légalité, que les choses devenaient pour le moins anormales et qu'il fallait donc paraître tout à fait banal, enfin faire l'enfant sage...Et puis un deuxième danger c'est qu'on a été bombardé plusieurs fois, et ça, un enfant le vit avec la conscience qu'il y a vraiment du danger. Ensuite tout le reste se passe à Chavagnes....
Je me retrouve dans une première famille, dans un hameau de Chavagnes qui s'appelle le Cormier et qui est situé à peu près à trois kilomètres du bourg, à une bonne marche à pieds du bourg, dans une famille d'ouvriers agricoles dont la maison était très simple, mais où j'ai été accueilli comme un enfant supplémentaire. Je vais à l'école, l'année commence normalement et puis, j'ai cru comprendre que les familles avaient trouvé que je devais être mieux protégé parce que je venais d'un endroit difficile. J'ai alors été récupéré au milieu de l'année par Marie-Elise, et là, j'ai vécu tout naturellement comme un enfant de la famille....
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Officiellement on nous présente ma sœur et moi comme des petits réfugiés. Personne ne nous pose de questions.
Et le quotidien à Chavagnes ? Il n'y a rien à raconter, tout le monde vous dira la même chose. Je vis comme n'importe quel enfant dans sa famille. On se lève, on prend la petit déjeuner, on va à l'école, le dimanche on va à la messe, on participe aux fêtes de familles...
Je récitais le catéchisme par cœur, je pouvais servir la messe, j'étais tout à fait intégré à toutes les formes de la vie locale....
Et que savait Mme Roger ?Je pense qu'elle savait que j'étais juif. Elle le savait. Mais ce n'est pas parce qu'elle pouvait le savoir de son coté, que nous pouvions communiquer sur ce terrain. Elle savait, je pense qu'elle avait reçu en héritage une de mes étoiles. Mais c'était un non-dit, c'était une frontière. Aussi bien pour elle qui connaissant quand même le danger de cacher des enfants juifs, que pour moi qui savais quel était le danger de révéler quelque chose de cet état.
Avez-vous une explication sur le fait qu'il n'y ait eu aucune dénonciation à Chavagnes, Il n'y avait pas de véritable raison pour qu'il y ait des dénonciations, parce que les gens vivaient les choses dans leur simplicité, et les familles avaient toutes reçu le même message un peu sur le même thème : il y avait des enfants dont les parents étaient prisonniers, dont les maisons avaient été bombardées, qui avaient subi les affres physiques de la guerre, qui souffraient de la faim. Le village devait donc les accueillir. Un hôte est un hôte.
Il paraît étrange qu'on ait conservé vos noms, alors qu'on a changé vos prénoms.
Si je prends mon propre nom, il aurait pu être celui d'un alsacien. Vous allez en Alsace, vous le retrouvez sur les listes communales et, je vous préviens tout de suite, ne cherchez pas de juifs dans ces listes, vous en trouverez relativement peu. Pour d'autres noms étrangers et étranges, on y était habitué dans un village où on recevait beaucoup de réfugiés du Nord et de l'Est. Et pour un brave Chavagnais, quelles différences entre un nom polonais non juif et un nom juif polonais, entre un nom juif allemand et un nom alsacien non juif, les prénoms étaient plus marqués, c'est pourquoi certains ont été changés.
Des enfants juifs en Vendée : Chavagnes, 1942-1944. Jean Rousseau Centre vendéen de recherches historiques. La Mothe-Achard (Vendée) Juin 2004