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la Pologne face à son passé juif

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A partir du massacre de Jedwabne, relaté par Jan GROSS dans son ouvrage Les voisins, Alban PERRIN étudie la relation difficile de la Pologne à son passé juif. C'est une mémoire tourmentée, difficile à exprimer. Alban PERRIN rappelle aussi les œuvres qui abordent ce passé.

Compte-rendu d'une conférence intitulée "La Pologne face à son passé juif", par Alban Perrin, formateur au mémorial de la Shoah, chargé de cours à Sciences Po Bordeaux.
Cette intervention fait partie du cycle de conférences de la Formation Shoah qui s'est déroulée les 9, 10 et 11 janvier 2017 au lycée Bergson à Angers.

C’est une mémoire tourmentée, encore plus difficile à exprimer depuis l’arrivée au pouvoir du parti Droit et Justice, qui a mis fin à une politique d'ouverture. Le pays est hanté par son passé juif.

Jan Gross, historien polonais d’origine juive, publie Les Voisins, en 2000, livre qui porte sur le massacre de Jedwabne (en français, Fayard, 2002). Il est un des leaders du mouvement étudiant de 1968, est allé en prison pour ses idées politiques, est parti en 1968 suite à la politique antisémite menée par le gouvernement communiste et s'est réfugié aux Etats-Unis. Il enseigne à l'Université de Princeton. Jan Gross a retrouvé un témoignage de ce massacre de 1941. Jedwabne est un village du Nord-Est de la Pologne, elle est en zone d’occupation soviétique jusqu’à l’opération Barbarossa. Le 10 juillet 1941, la moitié catholique du village a massacré la moitié juive, dans la rue essentiellement. Les dernières victimes de ce massacre ont été brûlées vives dans une grange. Les nazis ne sont pas présents au moment du massacre.

Cela a donné lieu à un procès contre certains auteurs du massacre après la guerre mais Jan Gross a retrouvé des documents et la publication du livre provoque un électrochoc et une réaction forte de la droite conservatrice en Pologne car cela remet en cause le récit national d'un peuple martyr livré à Staline, trahi de toutes parts, etc. C'est aussi un choc pour la population polonaise : Adam Michnik, directeur du principal quotidien polonais Gazeta Wyborcza, qui a aussi été un étudiant juif emprisonné en 1968, refuse d'accepter cette réalité. L’enjeu est aussi le récit collectif, récit national dans un pays qui vient de sortir du communisme et qui se démocratise. En effet, la Pologne a été démantelée fin XVIIIème siècle et a connu un romantisme révolutionnaire, des insurrections tout au long du XIXème siècle. Les Polonais se battent « pour votre liberté et pour la nôtre ». Ils participent à beaucoup de révolutions (Commune, Guerre d'Espagne, etc.). La Pologne est redevenue un Etat indépendant en 1918. Les frontières sont définitivement fixées en 1923,  après une guerre contre la Russie bolchévique. Le récit national est catholique. Il met en avant « un miracle sur la Vistule », le 15 août 1920 (SainteMarie), victoire qui empêche la prise de Varsovie par l'Armée Rouge.

Le 1er septembre 1939, son invasion marque le début de la Seconde Guerre Mondiale. Les Polonais espèrent en vain que leurs alliés français et britanniques vont rapidement. Ils sont envahis à l'Est par l'URSS et leur territoire est partagé. Après la défaite, le gouvernement polonais se réfugie en France (à Angers, plaque commémorative à côté de la gare). Les Polonais sont prêts à combattre mais décontenancés par la défaite française en 1940. Le gouvernement polonais se réfugie alors à Londres. Le NKVD tue des officiers polonais à Katyn. Certains sont juifs. En Avril 2010, le président Lech Kaczynski y est mort dans un accident d’ avion : pour le parti au pouvoir c’est un coup monté des Russes. C'est donc un double lieu de mémoire. Ils se sont battus sur tous les fronts, y compris sur le territoire français (ex : libération de St Omer). 

La mémoire de la guerre pour les Polonais, c’est :

au printemps 1940, le massacre d’officiers à Katyn par le NKVD

les unités polonaises qui participent à la libération de l’Europe, notamment à Saint-Omer.

un pays qui a de nombreuses victimes, notamment juives : 15% de sa population tuée (dont trois millions de Juifs) et sa capitale rasée avec deux cent mille morts.

un pays en ruines.

la fin de la guerre a conduit à l’imposition d’une démocratie populaire par l’URSS, c'est donc un régimeinféodé à Moscou.

Pour les Polonais, la Pologne est un pays martyr, victime. A Auschwitz en 1947, cet aspect est souligné, en négligeant l'identité juive des victimes. Et ce pays a de plus été trahi : - par les Alliés (qui ne sont pas venus défendre la Pologne)

lors des conférences (Yalta, Potsdam, Téhéran) qui permettent les modifications de frontières et latutelle de l'URSS.

Comment ce peuple héroïque aurait-il pu se rendre coupable de massacres de Juifs ?

Dans La fin de l’innocence, La Pologne face à son passé juif, février 2009, Editions Autrement, Jean-Yves Potel essaie d'apporter des éléments d'explication.

L'Institut de la Mémoire Nationale est alors chargé de mener l’enquête sur le massacre de Jedwabne. Il arrive aux mêmes conclusions que Jan Gross mais montre aussi que d’autres massacres de même nature ont eu lieu dans l'ancienne zone occupation soviétique car les Juifs étaient accusés de collaborer avec l'URSS (ce qui est faux historiquement) alors qu’ils furent victimes de répression et déportation. Les Juifs rescapés de la Shoah sont principalement des personnes qui ont été déportées en Sibérie et en Asie centrale et qui ont survécu. Ceux qui sont restés en Pologne ont quasiment tous été massacrés.

Dans le même contexte, en 2002, intervient la traduction en polonais de Maus d'Art Spiegelman où les Polonais sont représentés avec des têtes de cochons : c'est assez mal vécu. Cela relate l'histoire des parents d'Art Spiegelman, cachés, hébergés par des Polonais mais qui sont aussi trahis par des passeurs polonais et emprisonnés à Auschwitz.  Ils ont ensuite émigré après-guerre en Suède puis aux Etats-Unis. Ils ont perdu leur premier enfant qu’ils avaient confié à une tante avant leur déportation mais qui s’est empoisonnée avec lui pour échapper à la mort en déportation. Ce sera d’ailleurs la raison de la mort de la mère de l’auteur, par suicide dans les années 1970. La BD est un témoignage (elle raconte la vie des parents de l’auteur) qui donne donc le mauvais rôle aux Polonais : menaces, trahison des passeurs et évocation des meurtres de Juifs en Pologne après la guerre, en 1945-1948. Elle montre aussi l’ambiguïté des rapports entre les Polonais et les Juifs. Ces massacres en 1945-1948 ont lieu dans un contexte de délitement de l'Etat : la poursuite de la guerre civile fait au moins huit cents victimes juives (peut-être mille cinq cents), soit jetées des trains ou victimes de pogroms, notamment à Kielce en juillet 1946. C'est un débat ancien, notamment pendant la résistance au communisme dans les années 1980. Ainsi, une revue catholique en 1987 avait remis en cause la vision héroïque de l'histoire polonaise.

Partout où l’on va, on constate l’absence de Juifs qui étaient présents partout en Pologne. On trouve des marques de cette présence passée. Les synagogues ont disparu (on trouve parfois une stèle à leur emplacement) ou ont été transformées en bibliothèque municipale, magasin de meubles, pub, piscine. Un photographe polonais en a d'ailleurs pris une série de photographies. Cf Christopher Browning, Des hommes ordinaires, Les Belles Lettres, 1994, sur le massacre de Josefow. Cf aussi Christian Ingrao, La promesse de l'Est, Seuil, 2016.

Varsovie était la principale ville juive d’Europe : plus de trois cent mille Juifs y vivaient avant la Seconde Guerre Mondiale. La rue Nalewki à Varsovie est une ancienne rue juive importante dans l'insurrection du ghetto, c'est une rue vide, car les maisons ont été incendiées lors de la révolte en 1943. Des synagogues sont toujours présentes dans certaines villes, parfois en ruines, mais il n'y a plus aucun Juif. Par exemple à Dzialoszyce, la synagogue était sur la place principale, la population juive y était majoritaire. A Lublin, en contrebas du pont du château, le quartier juif a disparu, car sa population a été assassinée en 1942 à Belzec. Il ne reste qu’un parc où un lampadaire est allumé en permanence comme dans une synagogue, à la mémoire des morts. On trouve aussi une plaque historique avec des fresques dans le musée régional. A Bydgoszcz, on trouve un parking à la place de la synagogue détruite en 1940 par les Allemands.

C'est donc une histoire héroïque de résistance aux nazis dont sont exclus les Juifs : en 1939, lors de l’occupation de Bydgoszcz il y eut un massacre de civils sous prétexte de la présence de francs-tireurs parmi eux. Un prêtre a été tué, une église détruite. Dans la mémoire locale, ce massacre est appelé le « dimanche sanglant ». Or, juste à deux cents mètres, il y avait une synagogue mais on ne parle pas de sa destruction. Il y avait là-bas deux mille Juifs avant-guerre : dans la mémoire collective, les Juifs avaient de l'argent, les propriétés étaient juives. Beaucoup d'éléments de langage restent aujourd'hui, soixante-dix ans après la disparition des Juifs. La génération née après la guerre n’a pas connu la Pologne avec les Juifs, mais elle connait et utilise des expressions qu’elle a entendues « juif = radin », «Comment ça va ? Comme un pou sur un Juif ». Un « vieil avare » est un Juif. Et ils sont « malins, intelligents ». Il n'existe aucun enseignement sur la présence des Juifs en Pologne pourtant présents depuis le XIIème siècle.

Des recherches sur le sort des Juifs échappés des ghettos ont été menées par le Centre d'Etudes sur l'Assassinat des Juifs de Varsovie, sous la tutelle de Jan Grabowski et Barbara Engelking. Cf Jan Grabowski, La Chasse des Juifs. 10% environ des Juifs se sont enfuis des ghettos, soit plus de 200 000 personnes mais la plupart n’ont pas survécu car tout le monde a participé à la traque des Juifs. Elle est supervisée par les nazis et est menée par la police bleu marine polonaise avec des battues dans les forêts, avec les pompiers volontaires, etc.

Cf Barbara Engelking, Il fait si beau aujourd’hui, Calmann-Lévy, 2015. Cet ouvrage déroule le parcours de ces Juifs fuyant les ghettos et qui finissent par se faire tuer par des paysans polonais. Jan Grabowski, dans Je le connais, c'est un Juif !, Calmann-Lévy, 2008, s'intéresse aux dénonciateurs en ville qui étaient payés pour les reconnaitre. C'est une hantise des rescapés des centres de mise à mort d'être tués par des Polonais. Aujourd’hui, les historiens polonais travaillent sur ce sujet.

Il existe des témoignages de rescapés de Sobibor comme Thomas Blatt qui en 1943 s’est enfui avec un groupe. Ils ont montré qu’ils avaient de l’or à un fermier pour le payer et ont failli se faire tuer pour ça. Certains sont tués en 1946 par les NSZ, anti-communistes et anti-juifs.

Shlomo Wiener, échappé de Chelmno, arrive dans le ghetto de Varsovie et meurt assassiné à Belzec en 1942. Il n'y a pas d'issue pour les Juifs.

En 2006 Jan Gross publie La Peur, édité en français par Calmann-Lévy en 2010, dont le sujet est le pogrom de Kielce en 1946. Un enfant fugue et revient en racontant qu’il a été enlevé par des Juifs et enfermé dans une cave. C'est l'idée du meurtre rituel. La police polonaise monte dans les étages d'un immeuble (sans cave) où sont réfugiés des Juifs rescapés de la Shoah. C'est un pogrom qui fait quarante deux morts. Puis les meurtres se diffusent dans les villes en remontant la voie ferrée (une rumeur court sur l'enlèvement d'enfants).

Cf Ida, Oscar du meilleur film étranger 2014, qui raconte le face-à-face entre deux Polonaises juives et des paysans polonais qui ont caché des Juifs dans leur famille, puis les ont tués.

Poklosie, film documentaire polonais diffusé dans des multiplexes en Pologne (il n'a été diffusé qu'en Pologne), raconte l’histoire de deux frères, inspirée du massacre de Jedwabne. L’un a émigré à Chicago et l’autre est resté en Pologne : la belle-sœur polonaise écrit au frère de Chicago pour lui dire qu’elle veut s’en aller car son mari a des problèmes avec les paysans du coin. Le frère débarque de Chicago et découvre que son frère est en train de constituer un lapidarium dans un des champs après avoir ramassé des pierres tombales de Juifs et qu'il est victime de poursuite judiciaires car certaines étaient utilisées pour des routes. En enquêtant, ils découvrent que les terres appartenaient à des Juifs et ont été récupérées par leur père et des voisins qui ont tué les propriétaires juifs dans une grange.

Ce film, comme Ida, témoigne d'une ouverture de la population polonaise à son passé juif. Il y a une volonté maintenant pour les gens de savoir ce qui s’est passé. On a un début de reconnaissance officielle, les historiens sont libres de travailler.

Il restait encore deux tabous avant l’arrivée du parti Droit et Justice au pouvoir en 2015 :

-                     l'importance du rôle de l'Eglise catholique dans la diffusion de l'antisémitisme avant, pendant et après la guerre, y compris lors de massacres (Kielce). Elle a dénoncé des Juifs avant la guerre comme vecteurs du communisme. Selon un évêque polonais : «la question de l’usage du sang n'a jamais été tranchée » (alors qu’on sait que l’enfant avait menti) ;

-                     le rôle de la résistance car y règne un fort antisémitisme y compris dans le gouvernement à Londres etles Juifs ne peuvent pas rejoindre les groupes de partisans polonais car ils ont peur d'être tués. Cela n'est pas encore audible.

Cf sur Youtube le film documentaire Lieu de naissance (1992) de Pawel Lozinski réalisateur qui a accompagné Henri Grynberg pour retrouver les os de son père. Ce dernier confié sa vache à des voisins et la trayait parfois pour se nourrir dans la forêt où ils se cachaient en famille. Un jour, il n’est pas rentré.

Aujourd’hui, cette ouverture est finie avec le nouveau parti au pouvoir : le gouvernement actuel fait marche arrière. Quand le film Ida passe à la télévision aujourd’hui, on le précède d’explications disant que ce n’est qu’une « vision » de l’Histoire et on rappelle le nombre de Justes en Pologne (en tête du classement). Une proposition de loi vise à faire interdire l’expression « Camp polonais », il y a eu une polémique car l’expression a été utilisée par Barack Obama. Il veut aussi faire interdire la remise en cause du récit national, qui dirait que des Polonais ont aidé les nazis.

Le gouvernement voulait d’ailleurs retirer les décorations de Jan Gross, car ceux qui ne défendent pas l’honneur de la Pologne sont des traîtres.

Les médias polonais sont sous la coupe du gouvernement de manière ouverte. Le Ministre de l'éducation nationale ne répond pas à la question : qui a tué les Juifs dans la grange de Jedwabne ?

Questions :

Les programmes scolaires ont beaucoup évolué en Pologne depuis les années 1990 : beaucoup de projets sont menés à l’Est et à Varsovie par des professeurs. Ils sont aujourd’hui remis en cause par la nouvelle politique gouvernementale.

Il existe des lois condamnant l’antisémitisme en Pologne mais peu de condamnations. Ex : l'effigie d’un Juif brûlée dans un stade lors d’une manifestation anti-européenne à Wroclaw a donné lieu à condamnation car c'était très médiatisé.

Pour disqualifier un homme politique, on va faire apparaître des étoiles de David. Des graffitis antisémites existent et l'antisémitisme est surtout présent entre clubs de foot : on est toujours le « Juif » de l’autre. L'antisémitisme a sa mécanique propre qui fonctionne sans Juifs.

Conclusion :

Il ne faut pas oublier le contexte de terreur des nazis qui tuaient tous ceux qui savaient. Le Génocide a été réussi en Pologne et son passé juif n’intéresse que peu de monde.

A consulter : Article en ligne d’Alban Perrin Y a-t-il encore des synagogues en Pologne ? Revue en ligne Regards sur l’Est

Notes de Julie Autrusseau, Collège S. Bouteloup, Mayet et Magaly Delfly, Lycée Joubert, Ancenis.

 

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