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en français, évaluer autrement, c'est possible !

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Un témoignage et une réflexion sur les pratiques d'évaluation en français : comment passer d'une évaluation chiffrée à une évaluation par compétences ? Une présentation des dispositifs mis en place, l'analyse de ces pratiques, et un bilan avec les perspectives pour les améliorer.



Je suis professeur de français dans un collège. Je n'utilise plus la notation chiffrée. Je ne ramasse plus de paquets de copies. Je travaille toujours par compétences. Tous mes élèves ne sont pas évalués de la même façon, ni au même moment - et pas toujours sur la même chose. Et pourtant, même si  mes collègues ne travaillent pas ainsi, il n'y a pas eu d'émeutes dans mes classes, ni de levées de boucliers des parents ou de ma hiérarchie. Alors évaluer autrement serait-il finalement plus simple qu'il n'y paraît  ? Si les obstacles extérieurs (institutionnels et relationnels) peuvent être levés dès lors que la démarche est explicitée et s'inscrit dans un contexte de confiance mutuelle,  il s'agit bien cependant d'une évolution professionnelle complexe qui s'inscrit dans un long cheminement  personnel. En effet, changer ses modalités d'évaluation implique un bouleversement qui conduit à une véritable révolution - au sens astronomique du terme. Modifier les pratiques d'évaluation passe donc nécessairement, par un engagement personnel conscient et mesuré, plus que par des injonctions. Je me contenterai donc ici de rendre compte de mon expérience en espérant que certains y trouveront matière à bouger les lignes.

PETIT HISTORIQUE

Il m'a fallu dix ans d'expérience professionnelle dont cinq ans en poste fixe dans un même établissement pour basculer d'un système d'évaluation à un autre.

Un double système d'évaluation
Dès mon entrée dans le métier, même si je pratiquais des évaluations très traditionnelles, je me suis intéressée au travail par compétences - même si la notion était alors un peu floue pour moi - et j'ai commencé à élaborer des grilles pour suivre les apprentissages de mes élèves. Pendant plusieurs années, j'ai fonctionné avec ce  double système d'évaluation  : copies avec barème chiffré et grilles de compétences associées. Selon le public avec lequel je travaillais (collégiens, lycéens, étudiants de BTS ou adultes en formation continue), il fallait réadapter les grilles ou en bricoler en l'absence de référentiel.  Souvent, il était compliqué de faire coïncider vraiment les barèmes et les compétences et c'est donc à une double correction que je devais procéder, ou bien j'évaluais certains travaux intermédiaires uniquement en fonction de compétences et je réservais la notation chiffrée à des évaluations sommatives. Évidemment, ce fonctionnement était chronophage et loin d'être satisfaisant  sur le plan  personnel  parce qu'il manquait de cohérence. D'autant que ma mobilité - j'étais alors TZR - me permettait difficilement de vraiment retravailler  les bases d'un système souvent mis en place dans l'urgence.

Une évaluation chiffrée des compétences
L'expérience et la stabilité aidant, j'ai simplifié peu à peu mon fonctionnement en définissant  les compétences évaluées avant de les décliner sous forme de barème. J'attribuais un certain nombre de points à chaque compétence et niveau de réussite, l'addition des points constituant la note globale - qui d'ailleurs a cessé très vite d'être sur 20 mais pouvait aussi bien être sur 6 que 32.  A ce stade, il ne fallait pas grand chose pour basculer tout à fait sur une évaluation par compétences. Confortée par la mise en place du socle commun, mes lectures et surtout le climat de confiance dans lequel je travaillais avec ma hiérarchie, les élèves et les familles, j'ai profité d'une nouvelle rentrée pour  abandonner finalement la notation chiffrée pour ne retenir que l'évaluation par compétences. J'avais parallèlement commencé à m'intéresser à la différenciation pédagogique et il me semblait que ce type d'évaluation ouvrait des perspectives nouvelles.


DESCRIPTION SOMMAIRE D'UNE PRATIQUE D'ÉVALUATION

Je pratique donc désormais une évaluation continue,  par compétences et différenciée.

Évaluation continue
J'ai fait le choix de ne plus institutionnaliser les temps d'évaluation. En début d'année, j'indique à mes élèves que toutes les activités sont potentiellement objet d'évaluation sans que cela doive générer une pression supplémentaire : les différentes activités proposées sont pour eux autant d'occasions d'essayer. Le droit à l'erreur est affirmé, les essais servent à s'entraîner, à recevoir des conseils pour réussir, seules les réussites sont finalement comptabilisées. Pour rendre ce format d'évaluation possible, je m'appuie sur un croisement d'informations  : observations faites directement en classe, annotations et corrections des cahiers de travail, fiches récapitulatives de séquences. J'ai emprunté l'idée du cahier de travail  à des collègues de mathématiques : il s'agit finalement d'un document qui garde la trace des recherches, des tentatives réussies ou non, individuelles ou collectives. Dans ma pratique, il remplace avantageusement les paquets de copies.

Évaluation par compétences
Le travail dans le cahier est par ailleurs organisé en fonction des compétences travaillées - et potentiellement évaluées. Une compétence dominante est affichée pour chaque séance, ce qui n'empêche pas d'en travailler ou évaluer d'autres quand cela s'y prête. Un tableau récapitulatif (voir exemple ci-dessous) est distribué pour chaque séquence : les élèves sont invités à s'auto-évaluer pour comparer avec l'évaluation du professeur mais aussi prendre conscience des difficultés éventuelles pour porter une évaluation pertinente (absence de trace écrite, conditions de travail non pertinentes par rapport à la compétence visée initialement, mélange des recherches personnelles et des corrections, etc.). Je complète ces fiches au moment des corrections des cahiers, environ deux fois par trimestre. A la fin de chaque trimestre, toutes les informations sont ensuite collectées pour faire un bilan des compétences (voir exemple ci-dessous) à destination des familles et du conseil de classe. En classe de troisième, brevet des collèges oblige, le pourcentage de réussite tient lieu de notation chiffrée sur le bulletin.

Exemples de tableaux récapitulatifs des séquences :                                 Exemple de bilan des compétences :

                                                                 

Évaluation  différenciée.
Afin de changer le rapport des élèves à l'évaluation, j'ai pris pour habitude d'enregistrer in fine les réussites plus que les échecs, tout en continuant de montrer ce qui restait à travailler. Ainsi, le travail et l'évaluation par  compétences favorisent un meilleur diagnostic en ciblant les difficultés et permettent d'orienter le travail en définissant des priorités.
Le fait de ne plus évaluer lors de temps et d'exercices institutionnalisés m'a également permis, sans que je l'ai au départ vraiment anticipé, de ne plus évaluer tous les élèves au même moment sur le même exercice. Alors que pour certains, certaines compétences sont immédiatement montrées, pour d'autres, un temps d'entraînement voire de remédiation est d'abord nécessaire. Qu'à cela ne tienne, un prochain exercice donnerait à ceux-là l'occasion de retravailler la compétence. Aucune activité n'est donc préalablement définie comme objet d'évaluation sommative, toutes peuvent potentiellement encore être des situations d'entraînement. C'est la performance de chaque élève qui confère son statut à l'évaluation lors de la correction. Par exemple, j'observe davantage en début d'année les activités de lecture et d'écriture sous l'angle de la "Maîtrise de la langue française". Certains élèves montrent rapidement leur maîtrise, d'autres au contraire peinent. Plus tard, le même type d'activité est proposé et évalué avec une dominante "Argumentation" ou "Culture humaniste", mais il est encore possible d'observer la compétence "Maîtrise de la langue française" et de valoriser les progrès de ceux qui avaient besoin de la travailler. Par ailleurs, dans la mesure où elle fait partie de ma pratique, il arrive que la différenciation soit plus marquée : supports, modalités de restitutions, aides à disposition etc.  Dès lors que la compétence évaluée est clairement définie, elle reste évaluable.


RETOURS D'EXPÉRIENCE

Aujourd'hui, j'ai enfin trouvé un équilibre entre mon mandat professionnel et personnel. Ce système d'évaluation est plus cohérent que ce que je pratiquais jusqu'alors. Il n'en demeure pas moins perfectible et plusieurs points demandent à être améliorés.

1-La traçabilité des activités des élèves

Le relevé des cahiers révèle bien souvent des manques (absences de traces de recherches personnelles, pertes de documents, voire de cahier). Les élèves qui rencontrent des difficultés d'organisation matérielle sont désavantagés par ma démarche. Pour certains, j'expérimente le cahier dématérialisé (avec copie professeur), mais cela pose vite des problèmes d'équipement pour peu qu'on ait plusieurs élèves concernés dans la même classe.

2-Le recoupement des informations au moment des bilans
Cette phase reste un travail fastidieux même si je gagne en efficacité avec le temps. Il me paraît difficile aujourd'hui - pour des raisons techniques - de faire tout à fait l'impasse sur le support papier mais sans doute est-il possible de mieux exploiter les outils numériques en réduisant le nombre d'étapes intermédiaires (quatre actuellement  : annotation des activités, fiche bilan de séquence, fiche bilan de trimestre, logiciel de validation du socle). Ainsi le bilan de trimestre perd de son utilité dès lors que le logiciel est accessible aux familles et élèves - ce qui n'est pas le cas dans mon établissement.

3-La lisibilité des documents et intitulés des compétences (repris du socle)
Ces documents restent parfois encore difficiles pour les familles et certains élèves en raison de leur formulation et de leur densité. Je cherche à la simplifier même si elle est meilleure depuis que je fais correspondre un exercice ou une question précise à chaque item ou compétence évalués, y compris dans les exercices de type brevet.

4-Le rythme de l'évaluation continue et différenciée
Nécessairement dilué et personnalisé, il s'accorde difficilement avec celui de l'institution, concentré et global : bulletins, conseils de classe. En tout état de cause, il convient de rappeler que les bilans de trimestre ne sont que des "arrêts   sur image" dans un processus dynamique qui s'étend sur une année scolaire - et bien au delà en réalité.


POUR CONCLURE

Laisser la place aux erreurs... et au plaisir de recommencer
Même si les élèves les plus compétiteurs regrettent parfois une évaluation notée plus scolaire, les limites ou inconvénients de ce mode d'évaluation ne doivent pas cependant effacer son intérêt pour tout les élèves  : redonner du sens à l'évaluation libérée de la pression du "devoir sur table" et replacée dans un processus global  d'apprentissage, qui laisse la place aux essais, expériences, erreurs ... et au plaisir de recommencer  !


 

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