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si la différenciation m'était contée...

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Une réflexion sur la différenciation : quand les contes nous parlent de pédagogie...





Taille unique  ?
J'ai rêvé d'une entrée en formation sur la différenciation qui aurait eu des allures de conte. Je serais arrivée avec un lot de tee-shirts ou de casquettes en taille unique et chaque participant aurait dû l'enfiler. Mais un collègue m'a dit que cela avait déjà été fait : et oui  ! on n'est jamais aussi original qu'on le croit.
Il m'a raconté qu'il y a déjà quelques années, une formatrice était vraiment arrivée avec son lot de ballerines taille 40 et avait demandé aux gens qui étaient dans la salle de se déchausser pour les mettre. Beaucoup de collègues les enfilaient sans problème, quelques-uns, et surtout quelques-unes, avaient de la marge, d'autres pliaient les orteils pour y parvenir, certains enfin, malgré tous leurs efforts et leur bonne volonté ne parvenaient pas à faire entrer leur pied taille 45 dans la ballerine taille 40.  Finalement, la preuve était faite que la taille unique ne convenait pas à tout le monde. Dans la vraie vie, d'ailleurs, ça ne viendrait à l'idée de personne de s'habiller - et encore moins de se chausser - en taille unique, n'est-ce pas  ?

Une posture pour un "refus de l'indifférence aux différences"
En observant une classe, force est de constater que l'hétérogénéité est aussi de mise. Les différences sont nombreuses et ne se limitent pas - loin s'en faut - à une question de taille  : mixité sociale, culturelle, profils d'apprentissage, acquis, ressources ... Dès lors est-il bien raisonnable de proposer à tous un enseignement taille unique ? La réécriture de Cendrillon, que j'aurais rêvé avoir inventée et qui avait été mise en scène par cette formatrice, prouve évidemment que non. En réalité, face aux différentes formes d'hétérogénéité, chaque enseignant se positionne nécessairement de manière consciente ou inconsciente. Il semble donc essentiel de prendre le temps de s'interroger sur notre manière de répondre à l'hétérogénéité, car la différenciation pédagogique c'est avant tout  une posture qu'il faut conscientiser. Le premier pas vers une différenciation assumée, c'est en effet le "refus de l'indifférence aux différences". Une fois cela admis, il est évident cependant que tout est loin d'avoir été dit et que la question du comment se pose inévitablement.

Une première tentation : groupes de niveaux et dispositifs spécifiques... et leurs limites
Une première tentation consiste à vouloir réduire l'hétérogénéité soit en formant des groupes ou classes de niveaux, soit en prenant en charge certains élèves sur un temps spécifique hors la classe, dans le cadre de dispositifs spécifiques ( AI, AP, soutien, etc.) Ces  prises en charge de l'hétérogénéité ont cependant des limites : d'abord, elles ne permettent en général de ne traiter qu'une forme d'hétérogénéité à la fois, ensuite elles concernent des temps d'enseignement restreints, d'une efficacité relative alors qu'elles mobilisent des moyens conséquents. Sans remettre en cause leur existence, il semble tout de même plus opérant de considérer que l'essentiel se passe dans la classe ordinaire et que les dispositifs particuliers ne peuvent que relayer des démarches plus généralisées (cf Perrenoud - Du soutien à une vraie différenciation en classe entière).

La seconde tentation  : les écueils du sur-mesure ou ce que Boucle d'or nous apprend
C'est à nouveau dans un conte que nous allons chercher des clés pour appréhender la question de la différenciation de façon pertinente.  Dans cette histoire, une petite fille entre dans la maison des ours pendant qu'ils sont partis en promenade. Ces trois ours sont de taille différente et leurs vêtements, le mobilier (chaise, lit), la vaisselle existent en trois tailles, adaptées à chacun d'eux. Vous aurez reconnu bien sûr l'histoire de Boucle d'or et les trois ours. Que nous dit ce conte sur le sujet qui nous intéresse ?
Il évoque d'abord la seconde tentation - et le second écueil me semble-il - quand on parle de différenciation. En effet, une fois qu'on décide de tenir compte des différences et d'intégrer cette donnée dans sa pédagogie, on peut penser qu'il devient nécessaire de proposer à chaque élève un cours à sa taille. C'est effectivement le cas pour certains élèves aux profils très atypiques qui peuvent être concernés par des dispositifs tels que PAI, PPS ou PPRE. L'individualisation est aussi une forme de suivi dans certaines classes (ULIS, SEGPA) ou lors d'activités ciblées et ponctuelles. Mais ce ne peut en aucun cas être la règle en matière de différenciation pédagogique en classe entière sous peine d'implosion du professeur.

Du prêt-à-porter : un cours en plusieurs tailles
Il est  indispensable de se doter d'un fonctionnement viable, adapté au format du groupe : entre la taille unique et le sur-mesure, la différenciation constitue un entre deux qui s'apparenterait à du prêt-à-porter. Le travail de l'enseignant va donc consister à identifier dans son groupe classe des sous-groupes en fonction de compétences, ressources personnelles ou besoins spécifiques pour proposer un cours en plusieurs tailles. Le travail préalable d'observation et de diagnostic est donc essentiel  : c'est lui qui va ensuite permettre de déterminer une cartographie du groupe classe pour organiser la différenciation.

Un même objectif pour tous
Autre point important, alors que l'individualisation peut conduire à proposer des objectifs différents selon les élèves, la différenciation vise normalement - sans nécessairement l'atteindre - un même objectif pour tous. D'ailleurs, le conte ne dit pas autre chose : quand Boucle d'or arrive dans la maison déserte, que fait-elle ? Elle essaie les fauteuils puis les lits et choisit celui qui lui convient le mieux pour se reposer. Il n'est pas besoin de lui en fabriquer un autre ! En feuilletant, des albums jeunesse illustrant le conte, une troisième tentation apparaît : les dessinateurs, pris au jeu des différences, déclinent de nombreux objets en trois tailles. Ici, ce sont trois horloges qui indiquent la même heure sur le mur de l'entrée, là trois tapis devant le canapé, là encore trois portes pratiquées dans le même mur mais à la taille de chacun des ours etc. Ces clins d'œil constituent pour nous une alerte : est-il nécessaire de tout différencier, tout le temps ? A quoi sert de lire l'heure de la même façon sur des horloges de format différent  ? La tentation de la différenciation pédagogique systématique, là encore, peut conduire à l'implosion. Mais surtout, elle n'est pas pertinente : il s'agit donc de définir clairement l'objectif d'apprentissage visé. Si je veux créer une porte, autant la faire adaptée au plus grand : les plus petits pourront toujours passer !

La dernière tentation
Enfin, la dernière tentation en matière de différenciation pédagogique serait d'en faire une méthode et même LA méthode d'enseignement. Une fois encore, c'est le conte qui nous met sur la bonne voie. En effet, comme de nombreux contes et récits issus de la tradition orale, Boucle d'or et les trois ours existe dans de multiples versions. Si le début de l'histoire est sensiblement le même, le dénouement en revanche connaît des variantes nombreuses et radicalement opposées : tantôt les ours trouvent Boucle d'or et l'effraient, voire le dévorent, tantôt ils lui font bon accueil, l'aident à retrouver son chemin...

L'essentiel, c'est la variété
Ces variations nous disent finalement qu'en matière de pédagogie, la variété est essentielle et qu'on peut introduire une prise en compte des différences quel que soit le format de cours habituellement pratiqué. Il n'est pas utile de tout changer dans sa pratique pour commencer à différencier : même un cours magistral peut s'y prêter, par exemple en simplifiant la prise de notes pour certains (distribution d'un plan, d'un résumé lacunaire, etc.), en complexifiant  la tâche pour d'autres (rédaction d'une synthèse, recherches complémentaires à faire ou à présenter, etc.). Pour que la différenciation s'inscrive dans une pratique de manière pérenne, l'important est bien de partir des pratiques existantes et de les faire évoluer sans tout bouleverser.

Un chemin à suivre...
N'oublions pas finalement que l'histoire de Boucle d'or est  celle d'une petite fille perdue, interprétée parfois comme un questionnement sur l'identité : le tâtonnement, l'erreur, l'hésitation, le doute, sont donc naturels quand on entre en différenciation. Pour vous éviter cependant de trop errer, il peut être utile de semer sur votre chemin quelques propositions de séances - comme autant petits cailloux blancs - mais c'est déjà une autre histoire...

 

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