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La raison sans l'histoire ? par Bertrand BINOCHE

mis à jour le 28/12/2008


Bertrand Binoche

Compte rendu de la conférence prononcée à la Société Nantaise de Philosophie le26 avril 2002

mots clés : philosophie, passé, histoire, présent, avenir, conscience, existence, temps, interprétation, raison, binoche


La raison sans l'histoire ? par Bertrand BINOCHE


 Merci, Bertrand Binoche, pour cet exposé à la fois érudit et suggestif, polémique et humoristique, et donc stimulant.

      Vous posez d'emblée une affirmation forte : « Nous avons cessé de croire en l'histoire », dites-vous en précisant que croire en l'histoire c'est, ou c'était plutôt, identifier le réel et l'historique comme relevant d'un processus homogène, irréversible et infini.

      Puis, vous posez la question de la cause ou de la raison de la perte de cette croyance en l'histoire qui remplissait les trois fonctions de paradigme épistémologique, de principe métaphysique et de maître-mot (ou de légitimation) éthique, en proposant comme explication que la notion d'événement s'est substituée à la croyance en l'histoire pour interpréter ou se représenter celle-ci comme une succession discontinue de ruptures après lesquelles rien n'est plus comme avant, ce qui bouleverse le rapport de l'homme au temps.

      Vous en venez, ensuite, aux effets de cette perte de la croyance en l'histoire, effets que vous voyez d'abord à l'œuvre dans une nouvelle pratique de l'histoire de la philosophie, qui s'attache désormais à mettre en évidence l'hétérogénéité entre les grandes pensées philosophiques (qui relèveraient de pratiques conceptuelles irréductiblement singulières) et au sein même de chacune de ces pensées. Vous évoquez à ce propos, de façon polémiquement assumée, l'obstacle que représente à vos yeux une certaine pratique généraliste d'une philosophie supposée universelle et éternelle dont l'école et la faculté seraient les pourvoyeuses par l'intermédiaire des exercices de la dissertation et de l'explication de texte, sorte d'exception française particulièrement dommageable à l'hétérogénéité des objets étudiés.

      En venant à l'effet le plus global de cette perte de la croyance en l'histoire, vous voyez celui-ci dans le remplacement de la croyance en l'histoire par la croyance en l'événement, que vous redéfinissez (ainsi que Foucault et Deleuze) comme ce qui survient là où une institution est mise en défaut. Il s'agit alors de se demander si la référence à l'événement peut assumer à son tour (après la référence à l'histoire) les trois fonctions de paradigme épistémologique, de principe ontologique et de maître-mot gros de légitimation éthique. Vous insistez sur ce dernier point, en référence à l'ouvrage de Negri et Hardt (L'Empire) qui propose une interprétation de la mondialisation ultralibérale comme événementialisation radicale du monde et de l'homme lui-même, qui ne serait plus qu'un être jetable. Enfin, vous vous interrogez sur la pertinence de la référence devenue obsédante à la mémoire et à  la repentance qui prétend annuler symboliquement la dimension événementielle de l'événement.

      Pour terminer, vous vous demandez, si l'événement peut faire l'objet d'une croyance puisque si sans croyance il n'y a plus de programme c'est alors la possibilité même d'une pensée et d'une action responsables qui disparaît, de façon tragique, de l'horizon historique.

ÉLÉMENTS DU DÉBAT


      Le propos du conférencier ayant fortement insisté sur la substitution de la croyance en l'événement à la croyance en l'histoire comme constituant l'effet le plus remarquable de la perte de celle-ci, la question a d'emblée été posée de savoir si la distinction entre l'événement comme moment singulier et l'histoire comme processus ou mouvement global était bien pertinente. Ne pourrait-on pas interpréter l'événement lui-même comme processus (en référence à Whitehead notamment), ce qui amoindrirait l'effet de rupture entre le paradigme continuiste (historique) et le paradigme discontinuiste (événementialiste) ? Sans en disconvenir, le conférencier tient tout de même à préciser que si l'on peut bien considérer l'événement comme processus (selon une analyse régressive infinie), celui-ci n'en demeure pas moins d'une tout autre nature que le processus historique qui prétend intégrer toutes les différences alors que le paradigme événementialiste présente l'avantage de nous appeler à la nécessaire attention à accorder à la singularité de l'événement.

      Pour ce qui est des effets de la perte de la croyance en l'histoire sur la pratique de l'histoire de la philosophie, une seconde question a demandé si la légitime attention portée à la différence événementielle de chaque grande pensée philosophique est bien incompatible avec la nécessaire référence de cette pensée à un universel structurel. Une telle pratique historienne, de type critique comme chez Goldschmidt et Guéroult par exemple, qui tient compte à la fois de l'originalité de la pensée étudiée et de son universalité comme œuvre d'une pensée soucieuse de cohérence théorique et de responsabilité pratique, ne permet-elle pas d'échapper aussi bien à l'universalisme dogmatique de la philosophia perennis qu'au relativisme sceptique du pensero debole ? Tout en en convenant, là encore, le conférencier tient à attirer l'attention sur la difficulté et même le dogmatisme qu'il y a souvent à distinguer de grands et de petits auteurs, des pensées majeures et des pensées mineures, ce qui pose la question de la légitimité d'une telle distinction.

      Le débat s'infléchit alors vers la question de la compatibilité des appréciations par le conférencier des deux séries d'effets de la croyance en l'événement qui a remplacé la croyance en l'histoire : peut-on tenir ensemble que cette croyance est bénéfique pour ce qui est de la recherche et de l'enseignement philosophiques en ce qu'elle peut permettre d'échapper aux illusions et pathologies d'un continuisme dommageable aux singularités étudiées en faisant porter l'attention sur les différences, tensions et contradictions qu'elles présentent, et maléfique au processus historique puisque, par définition, on ne peut articuler une pensée cohérente et une action conséquente sur la croyance en l'irréductible éruptivité de l'événement, ce qui ne peut qu'entraîner une perte de la responsabilité de la pratique éthique et politique ? Un tel différentialisme n'est-il pas aussi dommageable philosophiquement et pédagogiquement en contribuant à une mise en miettes de la culture que pratique l'école elle-même sous la pression de l'ultralibéralisme événementialiste de notre époque ? L'urgence ne se fait-elle pas de plus en plus sentir d'une refondation de quelque continuité aussi bien dans la parole professorale que dans la lecture des textes et l'écriture des exercices proposés aux élèves ? Tout en se démarquant personnellement des termes de « déconstruction » de la pensée et de « refondation » institutionnelle, qu'il juge trop catastrophistes et emphatiques, le conférencier convient de la nécessité de ne pas succomber aux effets déstabilisants d'un différentialisme radical.

      La question est alors posée de savoir si l'on peut penser mais aussi construire un avenir sans une référence à quelque continuité historique qui tâcherait de déjouer les illusions et les pièges d'un anachronisme abstrait issu d'un continuisme oublieux des différences des circonstances et qui projette les  catégories du passé sur le présent et le futur (comme dans une certaine pratique du devoir de mémoire effectivement). Pourquoi, notamment, ne pas mettre l'accent sur la réinstitutionalisation rendue possible par l'événement de la prise de conscience de la faillite de l'institution, par le biais essentiellement de l'action politique collective ? Le conférencier reconnaît alors le revers de la méthode sceptique en matière de théorie et qui est l'impuissance pratique à l'égard du temps, reconnaissance qui vaut cependant sans doute mieux désormais que la prétention de disposer d'une représentation globale et cohérente du processus historique.

      Enfin, se trouve évoqué un enseignement de la philosophie qui est parfois tellement soucieux de la lettre des grandes pensées qu'il transmet qu'il ne laisse pas toujours le temps de la lecture directe des auteurs à laquelle il appelle pourtant ceux qui le reçoivent. La nécessité est alors énoncée de replacer l'événement du cours de philosophie dans le processus historique de la transmission culturelle par la médiation de la réappropriation personnelle des œuvres.


Rédacteur : J. GAUBERT
 

En savoir plus sur l'auteur :

Bertrand BINOCHE est professeur de philosophie politique à la Sorbonne. Il est l'auteur de "Introduction à De l'Esprit des Lois de Montesquieu", "Critiques des Droits de l'Homme", "Sade ou l'institutionnalisation de l'écart", "Les Équivoques de la civilisation".
 
 

information(s) pédagogique(s)

niveau : tous niveaux

type pédagogique :

public visé : non précisé

contexte d'usage : non précisé

référence aux programmes : philosophie, passé, histoire, présent, avenir, conscience, existence, temps, interprétation

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