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mis à jour le 28/04/2015
une conférence Histoire des sciences, présentée le 8 avril 2015 par M. Pierre Tessier, a permis de retracer l'émergence d'un nouveau mode de connaissance durant l'époque moderne, la philosophie naturelle, qui correspondait à ce que nous entendons aujourd'hui par sciences expérimentales.
mots clés : conférence, histoire des sciences, sciences expérimentales
Pierre Teissier, « La philosophie naturelle ou l'invention des sciences de la nature à l'époque moderne », Conférence ESPE Angers, avril 2015.
Les sciences de la nature n'ont pas toujours existé. Elles ont une histoire. Les savants du XVIIe siècle leur ont donné une première cohérence en Europe sous l'appellation « philosophie naturelle » (diapositive n°1). Ils n'ont pas inventé un nouveau mode de connaissance à partir de rien mais en s'appuyant sur les savoirs des siècles précédents (d°2). Ils ont ainsi rassemblé et modifié des pratiques préexistantes pour formaliser un nouvel assemblage de méthodes.
Or, depuis le XIIIe siècle, le savoir officiel, reconnu, se développe et s'enseigne à l'université (d°3). L'élève passe d'abord par la faculté des arts libéraux où il s'exerce aux mots et aux nombres. Par le trivium, il apprend à écrire (grammaire), parler (rhétorique) et philosopher (dialectique). En philosophie, la référence par excellence est Aristote. On parle de « méthode scolastique ». Par le quadrivium, il apprend les nombres (arithmétique), les formes (géométrie), la position des planètes et des étoiles dans le ciel (astronomie) et la musique. Une fois diplômé de la faculté inférieure, il pourra accéder à l'une des trois facultés supérieures (droit, médecine, théologie). Là, point d'expérience, le travail de la matière étant considéré comme un « art servile », celui des artisans qui ne sont pas considérés comme savants. La connaissance commence par un apprentissage par cœur d'un large corpus de textes antiques faisant « autorité ». Par exemple, le corpus romain pour le droit, Hippocrate et Galien pour la médecine, l'Ancien et le Nouveau testament, Saint Augustin pour la théologie, etc. Une fois les textes maîtrisés, on en extrait des fragments pour argumenter, se disputer, raisonner sur les questions les plus diverses (« Pourquoi les astres se meuvent-ils dans le ciel ? »)
En marge de l'université, deux évolutions marquantes se déploient durant la Renaissance. Au XIVe, XVe siècle, les peintres, les architectes transforment progressivement leur façon de représenter/voir le monde influencés par l'idéal platonicien d'harmonie contre la pensée d'Aristote. Ils sont à la recherche de proportions, de rapports harmonieux (d°4) et d'une imitation géométrique de la nature par l'invention d'un outil nouveau mathématique, la perspective (d°5). Au siècle suivant (XVIe), certains savants ont recours de manière plus prononcée aux expériences que ce soit par les observations précises de Tycho Brahé en astronomie (d°6), la dissection publiquement vantée par Vésale (d°7) ou encore la transformation de la matière par les alchimistes (d°8). Alors, entre expériences et textes faisant autorité, des divergences difficiles à expliquer peuvent apparaître. La quasi-totalité des savants conçoit alors le monde comme un immense organisme vivant, dans lequel chaque partie (un métal, une planète, etc.) est potentiellement en relation avec toutes les autres (d°9). La recherche de « correspondances » entre ces parties du monde se fait par la similitude (de couleurs, de formes), le symbolisme des nombres influençant les rapprochements (sept planètes, sept métaux, sept arts libéraux, etc.)
Alors que la représentation organiciste du monde se fait moins forte, une représentation nouvelle émerge, mécaniste: le monde conçu par Dieu ressemble désormais à une horloge, une immense machine qui régule les mouvements du monde par des rouages et des courroies de transmission (d°10). Pour les philosophes mécanistes, il existe un milieu subtil appelé « éther » qui forme justement les courroies de transmission et explique la propagation des phénomènes naturels comme le mouvement des planètes dans le système solaire (d°11). À la philosophie mécaniste correspond un nouveau corps de connaissance, communément appelé « philosophie naturelle », que Francis Bacon construit en opposition aux philosophes scolastiques de l'université et aux alchimistes et les artisans (d°12). Aux premiers il reproche une trop grande confiance dans les textes anciens, de l'autorité au détriment de l'expérience contemporaine, aux seconds l'absence de théorie générale (d°13). Un équilibre est au contraire nécessaire, explique Bacon, entre le raisonnement et l'expérimentation. Pour soutenir l'expérimentation, les philosophes mécanistes fabriquent de nouveaux instruments qui donnent des résultats inédits tels la lunette astronomique, le thermoscope, le baromètre (d°14). Pour Galilée, qui suit Bacon de peu, c'est la mathématisation qui assure l'articulation entre la réflexion avant l'expérience (a priori) et les résultats empiriques après l'expérience (a posteriori) car, selon lui, l'univers est un livre écrit en langage mathématique (d°15).
Le cas important d'étude des gaz ou pneumatiques (du grec pneuma, souffle) permet d'expliciter, de manière trop simplifiée et trop linéaire, la méthodologie des philosophes naturels. Il commence par une question sur la nature des choses: « Qu'y a-t-il dans l'espace en haut d'un baromètre renversé ? » (d°16) Vide, air raréfie, éther... La controverse n'est pas résolue au cours du XVIIe siècle (d°17) mais elle enclenche une approche expérimentale, de mesure de la nature, de mesure de la hauteur de mercure, au cours du temps, en fonction du temps (d°18) ou en fonction de l'altitude (d°19), comme dans l'expérience du Puy-de-Dôme orchestré par Blaise Pascal. Un lien est ainsi fait entre la hauteur de mercure et le poids de la colonne d'air au-dessus, ce lien étant défini comme la pression. L'étape suivante consiste à créer des conditions expérimentales inédites à l'aide d'une machine, une pompe à air ou « engin pneumatique » (d°20). Imaginée par Robert Boyle, elle est réalisée par son assistant Robert Hooke. Le milieu expérimental, contenu dans la sphère, peut être mesuré par un thermomètre et un baromètre fixé en haut de la sphère, ou plus généralement caractérisé (d°21). L'objectif est de parvenir à établir des « faits expérimentaux » consensuel définissant le « vide expérimental » correspondant. À partir de ces expériences, Boyle en déduit une loi mathématique liant le volume d'un pneumatique à sa pression (d°22). Celle-ci rend compte d'une propriété spécifique de l'air, son élasticité. Une approche analogique rapproche ainsi l'air de la laine ou des ressorts. Pour en rendre compte au niveau microscopique de l'élasticité macroscopique, Boyle propose un modèle corpusculaire de l'air (d°23). Il s'agit aussi de développer une rhétorique qui fournit des gravures des outils utilisés, des récits racontant les expériences effectuées (d°24). Il s'agit de convaincre que c'est la nature qui s'exprime, non le savant, de faire disparaître l'ingéniosité des savants, les outils (artifices) expérimentaux et mathématiques sous la « parole neutre » de la nature. Enfin, pas de science, sans organisation de la science, sans institution de la connaissance. Comme l'université est opposée à l'expérimentation, et comme toute institution elle est conservatrice, les philosophes naturels (Boyle, Hooke, Wren) mettent en place de nouvelles institutions en marge de l'université: les académies, privées d'abord, royales ensuite, avec les journaux spécialisés qu'elles éditent et distribuent (d°25).
Au terme de ce voyage, trop rapide, du XVe au XVIIe siècle, il est possible de tirer des conclusions à quatre niveaux :
1. historique (d°26): il y construction simultanée et réciproque d'une méthode d'étude (philosophie naturelle) et d'une représentation de la nature (philosophie mécaniste);
2. épistémologique (d°27): la méthode considère à égalité des pratiques de raisonnement et d'expérimentation et les articule grâce à une mathématisation (mais aussi des analogies, des extrapolations, des intuitions, des métaphores, etc.);
3. culturelle (d°28): la pratique expérimentale se pense comme cumulative (accumulation de faits), ce qui induit une nouvelle représentation du temps, comme un processus cumulatif, le « progrès », là où les contemporains de la Renaissance imaginait le passé comme un « âge d'or », la perspective s'inverse vers le futur;
4. pédagogique (d°29): quelques utilisations possibles de l'histoire des sciences en classe de sciences expérimentales
Se glissent en fin de conférence une bibliographie indicative et subjective (d°30) et une honteuse publicité éditoriale (d°31)...
Pierre Teissier, Maître de conférences en histoire des sciences et des techniques à l'UFR des Sciences et des Techniques de Nantes
information(s) technique(s) : diaporama (format pdf) support de la conférence
taille : 5,48 Mio ;
physique chimie - Rectorat de l'Académie de Nantes