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la « vision du monde » nazie, une introduction

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Compte rendu d'une conférence donnée par Johann Chapoutot, professeur d'Histoire contemporaine à Paris III

Conférence du 5 mars 2015, à l'occasion d'un séminaire sur l'enseignement de la Shoah organisé par le Mémorial de la Shoah.


Introduction

Faire l'histoire du nazisme, c'est donner du sens à ce qui n'en a pas. «L’histoire donne un sens à l’absurde» selon Theodor Lessing, c'est-à-dire tenter de comprendre. Pour Marc Bloch (dans Apologie pour l'histoire ou métier d'historien), faire de l’histoire, c’est « comprendre et ne pas juger ». il faut donc se départir de nos références. Idem pour Michel Pastoureau sur les jugements d'animaux au Moyen-Age. Cela n'a pas de sens pour nous mais en avait à l'époque car on considérait que les animaux avaient une âme. C'est donc une projection anthropologique. Dans le cas du nazisme, l'absence de jugement est difficile car le sujet est encore contemporain et très dur. Ce déchaînement de violence est inouï et inconnu dans l'Histoire. Des Oradours, il y en a 5 000 sur le front de l'Est, sans parler des centres de mise à mort. C'est un débat moral, un débat historiographique. Positionnement de Johann Chapoutot : les actes qui à nos yeux n’ont pas de sens en ont du point de vue des acteurs. Tous sont persuadés du bien fondé de leurs actions (on le retrouve dans les correspondances). Himmler dit à ses troupes que c'est difficile mais que c'est nécessaire. L'Autrichien Walter Mattner (Einsatzgruppen) écrit à sa femme et raconte les massacres (cité dans Croire et détruire, Christian Ingrao), Karl Jäger (qui commande les Einsatzgruppen en Lituanie) et Rudolf Höss aussi. Quelle est leur vision du monde (Weltanschauung) ? Il s'agit alors de cartographier l’univers mental nazi (Cf Lucien Febvre). 

Reich (l’empire/le royaume) 

C'est un terme polysémique. Il a une dimension spatiale, démographique, temporelle.

1. Ce que ne doit pas être le Reich :
Dès les années 1920, le terme est réemployé comme l’antithèse de l’empire d’Autriche-Hongrie. Le Reich ne doit pas être un Etat multinational (Viel Völker Staat) avec plusieurs ethnies, langues. L'Autriche-Hongrie est discréditée pour avoir donnée une égalité juridique en son sein (en 1867 avec les Hongrois). Idem pour l'Empire romain avec l'Edit de Caracalla. Cela fait consensus chez les cadres nazis. Cela correspond à la formation idéologique qui est dispensée dans les associations nazies.

2. Ce que doit être le Reich :
Pour les Nazis, l’Empire romain a une racine germanique. Ils se rattachent donc à lui (en excluant l’après 212 avec l’Edit de Caracalla).
Il a une dimension spatiale et démographique. Le Reich doit alors être une entité biologique (Rasse) cohérente. Cela va donc avec Volk et Gemeinschaft. Reich renvoie à l’idée de règne, d’ère. Reich de 1 000 ans (Tausend Jahre Reich). Conquête et colonisation d'un Empire qui assure la survie du Reich. On joue ici sur la culture religieuse, sur le millénarisme chrétien. C'est la promesse d'un avenir heureux, les Slaves réduits en esclavage, les Juifs disparus.

Rasse (la race)
Pour les Nazis, l’idée de race est scientifique. La race existe et ordonne le réel, elle en fait un inventaire. Les hommes sont classés depuis l'Antiquité avec Aristote, c'est une typologie. Il existe donc des chaires d’anthropologie raciale (Rassen Kunder) dans les universités. C'est basé sur des différences ontologiques (d'essence même), des caractéristiques physiques et intellectuelles. On a donc une validation par la science du comportement endogène des Germains (contre le catholicisme, la Renaissance, les Lumières, le libéralisme, qui prônent le mélange et l'égalité). Se saisir de la race pour fonder un discours politique n'est donc pas absurde.

Gemeinschaft (la communauté)
Le terme est utilisé en opposition à Gesellschaft (la société). Le nazisme est donc de la biologie appliquée, de la science anthropologique appliquée. Alfred Rosenberg dit qu'on revient sur 150 ans d'erreurs (depuis la Révolution française). Le mélange des individus, le débat, sont des erreurs. Les nazis ferment le débat puisque leur politique est induite par la science. Le Reich doit donc être une communauté homogène, cohérente, une Gemeinschaft par opposition à une société (abomination historique créée par la Révolution française), créée par des individus. Les idées des Lumières sont rejetées, Rousseau notamment (Du contrat social) pour qui l'individu décide d'entrer en société.
Dans la vision nazie, la Gemeinschaft s’oppose à la société puisqu’elle sous-tend l’idée de l’existence de communautés naturelles (comme dans le règne animal), fondées par la science, où les races ne sont pas mélangées. Il en est de même pour les non-races, comme les Juifs. L'assemblage est donc disgracieux. Alors, si la Gemeinschaft s’affirme, Un Volk (un peuple) peut être et advenir, basé sur l'unité, l'unicité, la cohérence et le refoulement.

Führer (le guide)
L’organisation politique nazie est basée sur le militaire. Il s’agit du seul groupe humain qui a tenu durant la Première Guerre Mondiale. Les monarchies traditionnelles ont disparu et la démocratie n'est pas envisageable. Donc il reste l'organisation militaire. Le parti nazi est donc organisé militairement, ainsi que l'Allemagne après 1933. Elle doit devenir une armée, dirigée par un chef, le Führer.

Lebensraum (le biotope)
La communauté biologique doit disposer de son biotope : le Lebensraum. Avec les Nazis, le biotope n’est plus simplement descriptif mais devient prescriptif (il faudrait…). Tout cela s’inscrit dans le contexte de la naissance des sciences humaines. C'est un terme issu des sciences naturelles.
1871-1914 : explosion démographique (+ 67%, soit + 27 millions d'habitants). Nombreux sont ceux qui prônent alors l’accroissement de l’espace vital. Comme au Moyen-Age, il doit s’effectuer vers l’Est (Drang Nach Osten), c'est un espace d'extension naturel pour les Allemands. Des communautés allemandes y vivent déjà. Cet espace s'offre à la colonisation dans les années 1920. Pour les Nazis, l’Est est composé de terrae nullius, ces terres n’appartiennent à personne. Ils adoptent ici un point de vue de colonisateurs. Les Slaves (comme les Noirs en Afrique ou les Asiatiques en Asie) ne sont pas propriétaires de leurs terres, elles sont "libres de droit". Cette idée existe depuis la fin du XIXème siècle. Suite au traité de Versailles, les nazis réclament les colonies africaines perdues… mais ils préfèrent les territoires de même latitude, donc de même climat car cela évite la dégénérescence de la race.
La paix de Brest-Litovsk va dans ce sens et conduit au triomphe des partisans du Lebensraum. La colonisation à l’Est conduit à rendre le sang au sol (Blut und Boden). Un lien « terre et peuple » se construit. Pour eux, l’industrialisation a déraciné la race germanique. Il faut la réenraciner par la conquête et la colonisation agricole. Tout est pensé (par exemple, on devient propriétaire des terres à partir du 4ème enfant). Pour cela, sont nécessaires :
- Kampf : lutte de l’individu. La nature doit régner. Darwinisme social très fort qui imprègne les sociétés européennes, cela légitime le capitalisme.
- Krieg : conflit au niveau du ou des groupes, des espèces.

Ces notions sont directement tirées de la Première Guerre mondiale.

Pour les nazis, l’Etat est un auxiliaire de la nature. C'est sa seule fonction. L’Etat est statique (status) et s’oppose à la dynamique de la vie. Ce qu'il faut pour organiser une société vivante, ce n'est pas un Etat bureaucrate (structure issue de l'Empire romain tardif, donc enjuivé), il faut l’éclater et créer des unités d’organisation qui sont des agences (Anstalt). Ces dernières ont des moyens qui leurs sont alloués (avec projets, financements sur projets, etc.) et disparaissent leur mission remplie. Les nazis sont donc anti-étatiques. Ces théories sont celles de Reinhard Höhn, qui sera après la Seconde Guerre Mondiale un théoricien du management, ami de Carl Schmidt (étatiste) mis sur la touche. L'affrontement entre agences permet une concurrence et une émulation. On le voit avec le nombre d'agences à l'Est (SS, Wehrmacht, Police, etc.). En cela, c'est une opposition au fascisme, basé sur l'Etat. Le droit est un obstacle à lever pour libérer la vie.

L’idéologie nazie a un caractère «déploratoire». Les nazis déplorent que la guerre dure depuis si longtemps. Depuis 6 000 ans, les Germains sont assaillis par les Juifs, les Sémites, pour les détruire (guerres médiques, Perses contre Grecs, Carthaginois contre Romains, complots, entrisme parasitaire, etc.). C'est une conception martyrologique de la race nordique, c'est une souffrance de l’homme germanique. Il ne soupçonne pas cette haine. Avant le XIXème siècle, il n'avait pas compris que la lutte était biologique. On a détruit Carthage mais pas les Carthaginois, Jérusalem mais pas les Juifs. Donc cela continue. Dans l’histoire, les Germains ont parfois gagné mais jamais détruit cette source du mal. Cela a un écho car les Allemands ont souffert (industrialisation brutale, 2,5 millions de morts pendant la Première Guerre Mondiale, guerre civile jusqu'en 1923, crises économiques, etc.). Hitler est « un homme en souffrance qui parle à des gens qui souffrent ». On retrouve cela dans la gestuelle et l'intonation pendant les discours. On retrouve la même énergie rauque qui montre la volonté et la promesse de s'en sortir.

Conclusion
Faire l’histoire du nazisme est difficile car affect et mémoire sont présents. C'est une période réduite. L'émotion rend la science difficile. Cela nécessite donc :
· de réinsérer les faits dans une chronologie
· de pénétrer l’univers mental des acteurs
· de mettre en contexte. Prises individuellement, les composantes du nazisme (racisme, darwinisme social, millénarisme, "biologisation" de l'humain, antisémitisme, etc.) sont banales, très présentes dans les sociétés. Le nazisme constitue une forme de synthèse du pire, dans le contexte traumatique des années 1920. Il donne une vision cohérente du monde. Ces idées ont fait l'objet d'un choix car elles donnaient sens à une expérience, à une existence. Cette idéologie raccroche beaucoup de monde car on peut adhérer à une des composantes (Voir les rapports des SD - services de sécurité de la SS- qui témoignent de l'humeur des soldats). 

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Catherine Bousseau, Lycée Guist'hau, Nantes
Emmanuel Oger, Collège Anjou-Bretagne, Saint-Florent-le-Vieil 
Michaël Guihard, Lycée Marguerite Yourcenar, Le Mans 

 

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