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ce que j'ai vu à Auschwitz

compte rendu de conférence d'Alban Perrin. janvier 2017, lycée Bergson, Angers.

mémorial shoah

Ce que j'ai vu à Auschwitz, les manuscrits d'Alter Fajnzylberg, rescapé du Sonderkommando de Birkenau. Compte rendu de la conférence d'Alban Perrin, formateur au Mémorial de la Shoah et chargé de cours à Science Po Bordeaux.

Alter Fajnzylberg est un rescapé du Sonderkommando de Birkenau ce qui est exceptionnel puisque les prisonniers affectés dans les Sonderkommandos à l'incinération des corps des victimes de la « Solution finale » étaient eux-mêmes régulièrement assassinés. Quelques dizaines en janvier 1945 ont réussi à quitter le camp de Birkenau et rejoindre les colonnes des prisonniers des marches de la mort (le nombre est inconnu). Il rédige ses cahiers à la Libération. Roger Fajnzylberg (son fils) voulait la traduction de quatre cahiers rédigés en polonais et non en Yiddish. Son père, après avoir participé à la guerre d'Espagne est déporté à Auschwitz dans le premier convoi juif parti de France. Il a fait partie des Sonderkommandos, a participé aux photos prises par le Sonderkommando et a survécu ! 

Les traces laissées par Alter Fajnzylberg

A. Fajnzylberg était un militant communiste, autodidacte (d’où certaines maladresses dans le style). Des recherches archivistiques au musée d’Auschwitz témoignent de son passage à l’hôpital du camp principal en 1942. Lors de sa visite en 1985 à Auschwitz ses témoignages ont été pris en note par les archivistes d’Auschwitz. Il a par ailleurs réalisé des schémas des différents crématoires. L’ensemble est relu et signé par Alter Fajnzylberg (des photos ont été prises à l'occasion de sa visite au musée en 1985). Bloc 27, un bloc "juif", très longtemps fermé à cause des relations entre la Pologne et Israël. Dans l’ancienne exposition, on trouve une photo d'Alter F expliquant le fonctionnement du four crématoire. On retrouve la trace d’Alter Fajnzylberg :
- dans les archives du mémorial de la Shoah (cf docs de transfert entre Drancy et Compiègne 1er convoi)
- dans les archives du Komintern sur les Brigades internationales en Espagne : dossier personnel d'Alter F. avec brève autobiographie personnelle (deux pages) rédigée à son arrivée en Espagne en 1937.
- dans les archives départementales des Pyrénées orientales
- dans les archives nationales
- dans les archives du Ministère des anciens combattants et victimes de guerre.

Les recherches sont un jeu de piste, car son nom n’est jamais orthographié de la même manière. Luimême quand il est arrêté par la police française donne une fausse identité (Stanislaw Jankowski, nom du chef de la prison de Varsovie, nom très commun en Pologne). Dans les archives d’Auschwitz il est déporté sous ce nom-là. C’est son nom de déportation + à Auschwitz + nom sous lequel il est connu à la Libération (cf. livre préfacé par Cl. Lanzmann).

Son parcours

Il est né en 1911 à Stoczek dans un village du centre de la Pologne, dans une famille très pieuse de onze enfants. Grand père juif religieux. Sa famille se rapproche de Varsovie à Otwock : l’univers des shtetls, ces bourgades dont la majeure partie de la population était juive, a été décrit par Rachel Ertl dans un livre intitulé Le shtetl (Payot, 2011) c'est un mode de vie traditionnel. Population très pauvre, surtout artisanat. Monde rural. Il débute sa formation d'apprenti menuisier.

Dès 1926 il est arrêté pour avoir participé à une grève : au moment du coup d'Etat de mai. Régime autoritaire de Piłsudski. A. F. fait plusieurs séjours en prison pour activité communiste, entre autres dans la prison de Pawiak à Varsovie. A cette occasion, il a participé à plusieurs grèves de la faim et participe à la lutte dans un réseau communiste à l’intérieur de la prison.

L’activité du PC en Pologne est alors très surveillée par les autorités polonaises, du fait de la lutte contre l'URSS. Etre communiste en Pologne dans les années 1920-30, c’est être un traître, un ennemi du pays. C’est encourager le retour des soviétiques et donc considéré comme une trahison. Il y a donc peu de communistes, environ trente mille militants (sur trente millions d’habitants). Ce PC est « liquidé » par Staline lui-même, très méfiant vis-à-vis des Polonais.

Son départ pour l'Espagne lui permet d'échapper à cette liquidation. Il n’a pas réussi tout de suite mais y parvient en juillet 1937. Son périple dure trois mois et il passe par la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Suisse, la France. Il rejoint les brigades internationales et fait partie de la brigade polonaise, la brigade Dabrowski. Il est blessé et se trouve à l'hôpital quand les brigades sont dissoutes et quittent l'Espagne. Photo en Catalogne printemps 1938. Il poursuit le combat jusqu'à chute de Barcelone en février 1939.

Il franchit la frontière française et se retrouve successivement dans les camps d’internement de St Cyprien, de Gurs et d’Argelès-sur-Mer. Il y reste deux ans, même après la défaite française. Les rapports du parti communiste espagnol sur sa personne sont défavorables : "déviance trotskisante", mauvais esprit, remise en cause. Il s'évade du camp d'Argelès le 23 mars 1941 (cf. fiche des Archives départementales) mais est arrêté et réintégré en avril 1941 à Argelès. Il se porte volontaire pour aller travailler en Allemagne mais en fait est transféré dans le Morbihan, sur un des chantiers de l’opération Todt près de Lorient (sous sa fausse identité et donc non comme Juif). Il s'enfuit car un Polonais le menace de le dénoncer comme Juif aux Allemands.

Il se retrouve alors à Paris en 1941, sans papiers, ne parlant pas français, dans différentes planques. Un de ses anciens camarades d’Espagne vient le chercher pour aller à un rendez-vous à 9 h : or, mauvaise idée des deux jeunes hommes : se font arrêter par agents de police français et sans papiers d’identité. Au commissariat, ils sont identifiés comme juifs et envoyés à Drancy en septembre 1941 (camp ouvert le 21/08/1941). Dans ses cahiers, il relate les conditions abominables : Drancy est un camp où l'on meurt de faim.
(Témoignage précis et romancé de Nissim Calef : auteur du roman Ascenseur pour l'échafaud. Camp de représailles aux éd° de l'Olivier : détention totalement arbitraire. Préfecture de la Seine ne s'occupe pas bien du ravitaillement : au moins une trentaine de décès durant ces premières semaines de l'existence du camp de Drancy).

Drancy est aussi un vivier de prisonniers où les Allemands viennent prélever des otages à fusiller en représailles d'attentats contre l’exécution de soldats allemands par des résistants communistes. Le 15 décembre 1941, en représailles aux attentats commis en novembre et en décembre, les Juifs de France sont punis d'une amende d'un milliard de Francs et cent « Judéo- bolcheviks » seront fusillés et mille déportés à l’Est. Il fait partie de ces mille hommes, transférés à Compiègne, choisis en fonction de leur parcours (anciens camarades de combat d'Alter F). Plusieurs sont connus, dont certains que l'on retrouve à Auschwitz parmi les résistants des kommandos.

Témoignage important : organisation du départ du convoi, qui quitte Drancy, puis Compiègne, jusqu'à Auschwitz. Uniquement des hommes : mille cent dix-huit hommes sont dans ce premier convoi d’Europe occidentale vers Auschwitz.

Premier convoi de ce type à Auschwitz, c’est un convoi tout à fait inédit : évolution de l'histoire de l'élargissement des fonctions du camp d'Auschwitz, plus simplement camp de concentration pour la Pologne. A l’arrivée, pas de sélection mais déferlement de violence à la descente du train, exécutions dès l'arrivée. L’enregistrement des déportés se fait durant la nuit puis ils marchent jusqu'à Birkenau. Les déportés vivent plusieurs semaines d’enfer à Birkenau.

Première tranche de Birkenau vient d'être ouverte (au départ destiné aux prisonniers soviétiques). Les prisonniers sont entassés dans une baraque. Les conditions de détention sont abominables. Les sélections sont régulières pour le travail : menuisiers, charpentiers.

En juin 1942, A. F. intègre un Kommando de charpentiers et est transféré à Auschwitz I mais il est immédiatement envoyé à l'hôpital, car son état est critique. Il fabrique des meubles pour le camp durant plusieurs mois. En novembre 1942, un secrétaire lui propose de travailler dans une usine de chaussures Bata loin du camp d'Auschwitz, mais c’est un piège car en réalité, les chaussures sont entassées à l'entrée du Krematorium. Sous la surveillance de trois kapos polonais, il se retrouve intégré à un groupe de neuf prisonniers juifs chargés de brûler les corps des prisonniers morts dans le camp (de mauvaises conditions). Il n’assiste pas aux opérations de gazage mais fait référence à des opérations d’exécutions par fusillades dans la morgue des crématoires, utilisée ensuite comme chambre à gaz. Paroi en liège dans le fond de la salle.

Il devait sortir les corps pour les conduire dans le four crématoire et assiste à une opération de gazage en décembre 1942 : il est un des membres des Sonderkommandos chargés de vider les fosses dans lesquelles les corps des Juifs ont été entassés et brûlés (fosses ré-ouvertes et début construction de grands crématoires). Il s'agit de l'exécution de plus de 300 membres du Sonderkommando de Birkenau dans la chambre à gaz du Krematorium I en décembre 1942.

Il reste au crématoire du camp principal jusqu’en juillet 1943. Lors de la fermeture définitive du crématoire du camp principal, les prisonniers ne sont pas exécutés, car ils sont utiles et envoyés aux crématoires de Birkenau. Le camp de Birkenau est très différent de celui qu’Alter Fajnzylberg avait connu en 1942, de nouveaux bâtiments ont été construits. A. F. est enfermé dans le camp des hommes de Birkenau, en particulier le bloc 13 avec d’autres membres du Sonderkommando. Il est affecté au fonctionnement des crématoires 4 et 5 (qu’il décrit en 1985 + confection de schémas). Il donne des chiffres surévalués du nombre de victimes et raconte de manière confuse et parcellaire qu'une organisation de résistance avait été mise en place au sein du Sonderkommando. Il évoque des suicides (certains se jetaient dans fosses pour ne pas faire ce travail). Il fait partie d’un réseau de résistance qui prépare la révolte du Sonderkommando en octobre 1944. Mais il n'explique pas comment il a pu survivre à cette révolte. Il a fait partie du petit groupe d'hommes du Sonderkommando qui a pris les photos fin août 1944.

En octobre 1944, il fait partie du Kommando qui doit détruire les quatre crématoires. En janvier 1945, il réussit à se faufiler dans les colonnes des marches de la mort, quitte Auschwitz et échappe à la recherche faite par les nazis des Sonderkommandos dans les colonnes.

Avec un autre évadé, Alter F. s'enfuit alors qu'il n'est qu'en Silésie, entre Auschwitz et la frontière tchèque actuelle. Il se cache dans la cour d'une ferme dans une meule de foin pendant un mois, avec les paysans qui les nourrissent mais ils sont très malades à cause du froid. Il profite de l’assistance des Polonais ici. Mais il n'avait pas le physique juif, ce qui explique peut-être leur aide. Ils finissent par partir. Dans les dernières semaines avant l’arrivée des Soviétiques, il est prisonnier des Allemands pour creuser des fossés anti-chars (ils ignorent qu'il est juif). Il est libéré fin mars 1945, retourne à Auschwitz et est pris en charge par les médecins de l’armée soviétique. Il témoigne alors, dès avril 1945, à Cracovie, avec deux autres rescapés des Sonderkommandos échappés lors des marches de la mort devant une commission d'enquête polonaise sur les crimes hitlériens commis à Auschwitz. Les témoignages seront utilisés lors du procès de Rudolf Höss en 1946, puis lors du procès d'Auschwitz en Pologne en 1947.

Il a ensuite participé au raccompagnement chez eux de rescapés juifs roumains et part en France, alors qu’un régime communiste est instauré en Pologne. Il explique dans son cahier "rouge" que les Français étaient très hostiles à la politique antisémite. Il choisit donc la France. A son arrivée, il passe devant une commission à Reims qui lui demande d'où il arrive. Il s'installe à Paris et continue à militer quelque temps, puis se retire de la vie politique, tout en restant communiste strict jusqu'à sa mort en 1987. Il mène une existence très modeste (tailleur à domicile). Il se marie rapidement et a un fils en 1947, Roger, lui-même un des dirigeants de l'Union des étudiants communistes dans les années 1970, et maire de Sèvres de 1977 à 1983.

Alter Fajnyzlberg rentré en France rédige ses cahiers en polonais (projet d’un livre). Il rédige plusieurs versions, parfois simplement des bribes qu'il faut reconstituer. Il a aussi entretenu dans les années 1970 un échange épistolaire avec le musée d'Auschwitz, dont une lettre en polonais du 12 mai 1978 (archives du musée). Dans une lettre du 1er mai 1978, il évoque son matricule n°27675 tatoué d’abord sur sa poitrine, puis son avant-bras gauche. 

A propos des photos prises par les Sonderkommandos à Auschwitz

Les photos ont été prises à la fin de l’été 1944 à l’initiative du réseau de résistance. Alter Fajnzylberg est assez lacunaire sur les auteurs de ces photos, sur ce qu'est devenu l'appareil (enterré, récupéré dans des bagages ); pellicule emmenée à Cracovie et restée jusqu’à la libération de la région par les Soviétiques. Il parle d'un Juif grec ("Aleko Errera") : Albert (Alex) Errera. Son nom figure sur les plaques à Auschwitz à l'emplacement de la prise des photos au Krematorium V. L’évasion manquée de cet homme est racontée par Alter Fajnzylberg. Témoignage à Cracovie en 1945, publié en Pologne en 1971, en France en 2001 dans la revue d’histoire de la Shoah (Des voix sous la cendre). Photographies publiées dans cahier d'Auschwitz dès 1971, et publiées dans Livre de poche

Contenu des cahiers intéressants

Il existe des sources en Grèce sur "Alex" Errera. Ici, ce n'est pas le témoignage d'un Juif, mais d'un militant communiste polonais, qui écrit en polonais et non en yiddish. Il ne parle pas spécifiquement des Juifs, mais de l'entreprise de destruction des peuples par les nazis. Il reprend donc la thématique communiste, sans évoquer la spécificité du génocide juif. Son témoignage est précis sur le fonctionnement du crématoire (dès 1941, dans le camp principal). Il témoignage également des conditions effroyables dans le camp des Tziganes où ces derniers sont laissés en famille mais meurent de faim. Certaines femmes tziganes ont été obligées de "se vendre" pour ne pas mourir de faim (dégoût d'Alter pour les hommes du camp qui se sont livrés à ces actes). Le travail de collecte d'archives est désormais terminé ; il existe un projet d'édition de ces différents textes.

Questions

- Déterrement des fosses : "Action 1005"
"L'action 1005" commence dans les anciens territoires soviétiques et dans les territoires polonais conquis par les nazis. Déterrement des corps des fusillés (résistants et populations juives). Même action à Birkenau, motif principal : dizaines de milliers de corps dans la zone marécageuse et près de la Vistule. Les corps remontent en plein été et l’odeur est pestilentielle. Les risques de contamination du fleuve et des rivières sont importants. Les SS décident de se débarrasser des corps mais il ne s'agit pas encore d'éliminer les preuves (nous ne sommes pas dans le même contexte qu'en janvier 1945 quand sont détruits les crématoires).

-Photos remises en cause par Claude Lanzmann : pourquoi ?
Idée qu'il ne peut pas y avoir de photo de la chambre à gaz et que sinon il faudrait les détruire. Or en fait ce ne sont pas des photos de la chambre à gaz. Les photos témoignent de ce qui se passe à l'extérieur depuis la chambre à gaz. Il ne peut pas y avoir de photos prises montrant la mise à mort des Juifs à l’intérieur des chambres à gaz. = position de Lanzmann : crime incompréhensible qui doit rester incompréhensible. D'où le terme "Shoah", qu'il ne comprend pas. Démarche radicale et polémique.

- Livre "le rapport Pilecki" : "déporté à Auschwitz" de septembre 1940 à avril 1943
Officier polonais qui se fait arrêter pour être interné à Auschwitz pour témoigner (c'était un résistant) : rédige un rapport sur ce qu'il y a vu. A réussi à s'évader (quelques centaines ont réussi, principalement des résistants polonais). Remarque : lutte et résistance poursuivies à l'intérieur du camp d'Auschwitz et non pas "masse de moutons menés à l'abattoir". Continuation du combat idéologique contre les fascistes depuis les années 1930. Le rapport Pilecki - Déporté volontaire à Auschwitz 1940-1943 n'a été publié qu'en avril 2014 en français, aux éditions Champ-Vallon.

Compte rendu écrit par Catherine Rousseau, lycée Guist'hau, Nantes et Anne Morin, Lycée Grand Air, La Baule.
 

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