a. Définir le sujet.Il s'agit ici de décrypter et de présenter rapidement le sujet, en donnant peu d'exemples factuels, et ce d'autant plus qu'on les trouvera dans l'abondante bibliographie et sitographie à disposition des candidats, ainsi que dans La Lettre de la Fondation de la Résistance (n° 70 de septembre 2012), qui présente de façon très éclairante le thème annuel.
Pour comprendre le sujet, il faut bien entendu en expliciter tous les termes et les mettre en relation. Commençons par celui de « communiquer ». Le mot est ancien. En effet, on le trouve pour la première fois en 1361 chez Nicole Oresme (philosophe, économiste et savant français). Il a alors le sens de « mettre en commun », d' « être en rapport avec », de « participer à quelque chose ». Pourtant si ce mot est ancien, on a vu qu'il était peu employé durant la Seconde Guerre mondiale, au sens en tout cas où on l'entendait dans le cadre de la Résistance. Quels sont maintenant les différentes acceptions du terme « communiquer » ? Communiquer, c'est « concevoir et faire passer, transmettre un message purement informatif ou défendant des valeurs, une idéologie »
[6]. L'usage de la préposition « pour » est très clair : il s'agit de montrer que l'on communique dans le but de résister contre l'occupant nazi mais aussi contre le régime de Vichy. Mais il faut aussi lutter ensemble contre l'ennemi puisque dans « communiquer » on trouve bien la racine et l'idée de mettre en « commun ».
Comment désormais définir le terme « résister » ? Résister, c'est se défendre, lutter, repousser. On pense donc ici à la communication dans le cadre du combat contre l'ennemi. Résister, c'est aussi défendre des valeurs intellectuelles et morales : les résistants ont combattu pour des engagements politiques, des valeurs démocratiques et civiques, des convictions religieuses. Ces valeurs ne peuvent exister qu'à travers une communication efficace. La diffusion de ces valeurs constitue de fait un des fondements du sujet de cette année.
Le sujet est donc clair : la communication constitua une condition sine qua non de la résistance. Pour autant, comment communiquer dans le cadre de la résistance ? Une typologie sommaire nous permet de distinguer deux grands types de communication.
Il s'agit d'abord de communiquer pour faire savoir, c'est-à-dire pour faire connaître la résistance, son message et ses valeurs, les raisons de son combat, la nature des ennemis et de leur idéologie et actions destructrices, mais aussi pour susciter des vocations et fédérer. Cette volonté de communiquer suppose alors des modes et des moyens de diffusion :
- Ces derniers relèvent évidemment de l'écrit qu'il s'agisse de l'imprimé et du papier ou de tout autre support (les murs pour les graffitis par exemple). On doit donc s'intéresser aux ouvrages de nature diverse, à la presse clandestine, aux tracts, aux papillons manuscrits ou ronéotés, aux lettres etc. On pense par exemple aux lettres d'adieu, comme celle, déchirante, de Missak Manouchian dans laquelle il annonce sa mort à Mélinée et où il proclame qu'il n'a aucune haine pour le peuple allemand.
- Le rôle de l'image a été primordial. Citons par exemple les photographies, les œuvres d'art (peinture, sculpture) les affiches de propagande (relevant ou non de l'œuvre d'art) etc.
- Il faut enfin évoquer les moyens techniques plus novateurs massivement utilisés durant la période c'est-à-dire la radio, dont le rôle a été absolument fondamental, qu'il s'agisse de la diffusion d'émissions de propagande émanant de la BBC, de chansons, de musique etc. Le cinéma, à travers les actualités et les films de propagande, a constitué un vecteur essentiel de la communication.
Mais, au delà du caractère propagandiste de la communication et d'une volonté de faire savoir, il s'agit aussi de communiquer pour résister et combattre, de communiquer dans le cadre de l'action, c'est-à-dire de résister en communiquant. On doit donc songer à tout ce qui, de prêt ou de loin, concerne le renseignement : les agents de liaison et la diffusion de messages, codés par exemple (cryptographie). A cet égard, le BCRA (Bureau central de renseignements et d'action) a eu un rôle éminent. On doit prendre aussi en compte les avancées de la science et des techniques durant la période, un des exemples emblématiques étant la mise au point du radar
[7]. De fait, la communication au sein des mouvements de résistance, entre eux mais aussi avec les États en lutte contre l'Allemagne (pensons surtout à l'Angleterre) est absolument déterminante. On ne doit pas oublier non plus les opérations de désinformation et d'intoxication même si celles-ci ont d'abord et avant tout été menées par les Alliés dans le souci du plus grand secret, comme l'opération Fortitude.
La communication dans le cadre de l'action armée a donc été déterminante.
De fait, ces deux formes de communication, à savoir « communiquer pour faire savoir » et « communiquer pour combattre », supposent des acteurs dont on peut dresser une typologie sommaire :
- On doit citer les intellectuels et les hommes de pensée au sens large, qui se sont engagés dans le combat : des écrivains comme Vercors, alias Jean Bruller, qui fit paraître clandestinement le Silence de la mer en 1942, des poètes comme Paul Éluard, des philosophes comme Simone Weil, morte en Angleterre en 1943, des scientifiques, des journalistes etc.
- Le rôle des hommes politiques, des syndicalistes, des militaires devra être abordé mais il existe aussi des gens plus atypiques, voire inclassables, comme Pierre Dac, dont on connaît l'action à la BBC avec Radio Paris ment, Radio Paris est allemand, même si cette ritournelle a été créée par Jean Oberlé, peintre et journaliste.
Cette typologie doit aussi distinguer les genres : quel fut le rôle des femmes durant cette période ? On pourra s'intéresser, entre autres, à leur rôle fondamental en tant qu'agents de liaison. On peut aussi citer les jeunes, l'action des étrangers (et notamment le rôle de la MOI, main-d'œuvre immigrée).
b. Communiquer, mais pour dire quoi ? Une communication unanime ?Communiquer, c'est donc résister contre l'ennemi. C'est à la fois diffuser de l'information pour faire savoir et entrer en contact les uns avec les autres dans le contexte de la lutte armée.
Pour autant, il ne faudrait pas avoir une vision univoque et faire comme si cette communication avait été facile entre les résistants eux-mêmes. On sait combien les conflits et les rivalités entre les acteurs de la Résistance ont été nombreux, qu'il s'agisse des relations entre le PCF et le général de Gaulle ou entre Henri Frenay et Jean Moulin. Bref, communiquer pour résister était une réalité mais le sujet ne doit pas masquer les divergences, quand bien même il s'agissait de lutter contre l'ennemi commun.
c. Communiquer certes, mais en direction de qui ?Les résistants ont communiqué en direction :
- des populations. Il s'agit de gagner la bataille de l'opinion publique, notamment pour faire basculer ceux qui s'accommodent de la présence allemande, selon l'expression de Philippe Burrin
[8]. Le terme d' « opinion publique » doit être pris au sens large, et dans sa diversité à la fois : les Français, les étrangers, les peuples colonisés... La communication relève donc largement de la propagande mais elle doit répondre évidemment aussi à celle de l'ennemi. Ainsi, on ne doit pas oublier la contre-propagande, qui occupe par exemple une place essentielle dans l'action du « réseau du musée de l'Homme », avec notamment Boris Vildé et le lancement d'un véritable journal clandestin, justement nommé Résistance, et dont le premier numéro parut le 15 décembre 1940.
- des résistants eux-mêmes et des Alliés, la communication n'étant pas toujours facile d'ailleurs, comme en témoignent les relations houleuses entre de Gaulle et Roosevelt.
- de l'ennemi, qu'il s'agisse de l'Allemagne nazie et de ses Alliés, du régime de Vichy, des collaborateurs et collaborationnistes.
d. Le cadre spatial.L'espace étudié correspond d'abord au territoire métropolitain, avec la zone occupée et la zone dite libre (non occupée, en tout cas jusqu'en novembre 42). C'est aussi Londres, avec la France libre, les colonies... et le reste du monde.
e. Les principales phases.Il s'agit de dégager une périodisation de la montée en puissance de la « communication » au cours du conflit. On est passé progressivement d'un amateurisme bien compréhensible et de quelques initiatives isolées à un véritable système de guerre au service de la communication, dont les répercussions ont d'ailleurs été très importantes bien après le conflit, puisque l'on sait que les guerres sont aussi grandes pourvoyeuses de progrès scientifiques et technologiques.
De fait, si la Première Guerre mondiale a connu un saut qualitatif et quantitatif essentiel dans le domaine de la communication, c'est encore plus net pour le second conflit mondial. Aussi peut-on grossièrement dégager 3 phases :
- 1940-1942 : les premières initiatives et l'organisation progressive
- 1942-1943 : le tournant du conflit
- 1944-1945 : la victoire
- Une quatrième phase peut cependant se faire jour, même si elle n'appartient pas stricto sensu au sujet. En effet, se pose la question des conséquences au-delà de la période, puisque le sujet permet aussi d'établir des liens avec des événements postérieurs qui ont montré l'importance de la communication dans la lutte pour la liberté.
Conclusion La communication apparaît comme un enjeu essentiel de la Seconde Guerre mondiale. Pour vaincre, il fallait aussi gagner la guerre de la communication. Au début du conflit, la domination des Allemands dans ce domaine était insolente, notamment concernant la propagande : Goebbels utilisa systématiquement tous les moyens de communication pour servir la politique et l'idéologie nazie. Puis, progressivement, se fit jour, notamment dans le cadre de l'entrée en guerre des Etats-Unis, la montée en puissance des Alliés et le fait qu'ils purent finalement écraser l'Allemagne nazie sur deux plans : la propagande (avec des films et des documentaires comme « Pourquoi nous combattons », de Frank Capra) et la guerre de la communication au combat (la cryptanalyse d'Enigma fut un succès total). Quid de la Résistance, dans ce contexte ? On le sait, si la communication fut balbutiante au départ, elle s'organisa progressivement et devint un outil incontestable de la victoire.
Cette communication a triomphé aussi parce qu'elle défendait des valeurs, celles de la démocratie. Il s'agit d'un aspect fondamental du sujet et que l'on doit absolument aborder avec les élèves. En effet, en ces temps de relativisme absolu, de confusion des valeurs, de défiance souvent justifiée face au traitement de l'information, mais aussi de remise en cause de la liberté des médias face aux fondamentalismes de tout poil, il faut que l'éducation à la communication et aux medias constitue un axe prioritaire de la politique éducative. Former les jeunes générations dans ce sens constitue un enjeu essentiel, et de fait, le sujet du CNRD de cette année y contribue pleinement. Il doit donner à réfléchir, il doit participer à l'éveil, chez les élèves, du sens critique, de la mise en perspective, à travers l'analyse des images, des sources, de l'indispensable recul devant s'exercer face à l'usage de l'Internet, tout en contribuant à l'éducation à la citoyenneté.