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le centre de mise à mort de Belzec : quelle place dans le complexe génocidaire ?

Par Florent BRAYARD, directeur de recherches au CNRS

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Florent BRAYARD explique les raisons qui ont abouti à la construction du centre de mise à mort de Belzec fin 1941, puis présente son fonctionnement durant l'année 1942 jusqu'à sa destruction et la difficile mise en place d'une mémoire spécifique autour de ce lieu génocidaire.

Le sort des juifs et le choix du site de Belzec (1 e r septembre 1939 – novembre 1941)

Septembre 1939 : la Pologne est doublement envahie et occupée suite au pacte germano-soviétique. Le village de Belzec était situé à la frontière entre les zones d'occupation soviétique et allemande. Belzec se trouve à l'intérieur du Gouvernement général de Pologne. Ce territoire est problématique. Hans Frank en est l’administrateur civil. Sa mission : accroître l’influence allemande et germaniser cette nouvelle province, même si elle n’est pas directement rattachée au Reich. Pour autant, ce territoire est aux confins de l’empire. Il est également vu comme pouvant servir de dépotoir pour les populations indésirables aux yeux des nazis.
Non loin de Belzec s’est déroulée l’opération Nisko. Des dizaines de milliers de Juifs allemands doivent être installés. Rien n’est prévu pour les accueillir. L’opération est rapidement annulée.
Janvier/février 1940 : Eichmann et Heydrich, le chef de l'office central de sécurité du Reich (RSHA) rencontrent les Soviétiques. Leur idée, transférer les Juifs allemands en URSS. On n’a pas de trace dans les archives
de la réponse qui est rendue. En revanche, on sait que cela ne s’est pas fait. En 1940, on est encore dans l’idée d’une expulsion des Juifs. Tout semble bloqué.
1940 : suite à la défaite française, il est envisagé de déporter les juifs d'Europe sur l'île de Madagascar. Cette idée n’est pas nouvelle, les premiers projets d’expulsion des Juifs sur une île remontent au début du siècle avec Paul de Lagarde. Au XIVe siècle, on trouve également mention de tels projets). Pour le RSHA, les juifs du Gouvernement général pourraient servir d’otages pour influer sur la position des pays neutres. Hans Frank est contre cette proposition. Quand Hitler renonce à l’invasion du Royaume-Uni, l’absence de maîtrise des mers rend impossible
l’idée de transférer quatre millions de Juifs (un million par an).

Selon Florent Brayard, Hitler imaginait vraisemblablement dès l’été 1940, que l’URSS pourrait être la destination des Juifs d’Europe. Décembre 1940 : projet de transfert des Juifs en URSS. On ne dispose plus que de quelques documents, notamment la réaction du délégué d’Eichmann à Paris. Tout est bloqué dans l’attente de l’invasion (18/06/1940).
19/06/1940 : Hitler conforte Hans Frank et lui promet que les juifs du Gouvernement général seront transférés ailleurs (on sait que son idée porte sur l’URSS même si celle-ci n’est pas mentionnée). La planification de ce programme n’interviendra qu’une fois la victoire contre les Soviétiques établie. De fait, il faut d’abord se consacrer à l’effort militaire. Jusqu’en août 1941, l’échec de la Blitzkrieg prolonge la guerre. Il faut gérer cette période intermédiaire. Hans Frank réclame que l’on attribue les marais du Nord de l’occupation soviétique au Gouvernement général. Il reprend ici l’idée d’un dépotoir pour les Juifs polonais dans l’attente d’un programme de déportation vers l’Est.
Globocnik (délégué de Himmler dans le district de Lublin) rencontre Himmler le 20 juillet 1941. Il est chargé de plusieurs tâches :
- il doit immédiatement concevoir des bases de sécurité et les déployer dans les territoires soviétiques conquis. Pour cela, il lui faut préempter des territoires au bénéfice du RSHA ;
- il doit germaniser le micro-territoire autour de Zamość. L’idée est de vider cette zone des Juifs et des Polonais pour rapatrier les Volksdeutsche, c’est-à-dire des Allemands « ethniques » vivant à l’extérieur des frontières du Reich avant 1937, par opposition aux Reichsdeutsche, les citoyens allemands. Demeure un problème, que faire des juifs ? Selon Florent Brayard, c’est en parallèle de ce projet que serait née l’idée de créer un centre de mise à mort à Belzec. Pourquoi cette hypothèse ? Le centre de mise à mort de Belzec a été conçu à l’origine pour assassiner une partie de la population juive du Gouvernement général. Ce n’est que dans un deuxième temps qu’est intervenue la décision d’assassiner tous les juifs se trouvant dans les territoires sous contrôle allemand.

La construction du camp (1er novembre 1941)

Belzec en 2011(Par Lysy — Travail personnel, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=16653284)Le projet d’un camp à Belzec est avalisé le 13 octobre 1941. Himmler est d’accord. Dans les semaines qui suivent, les choses avancent. 15 jours/3 semaines après, un contingent de personnel doit créer l’armature de ce camp. Tous ont déjà travaillé à l’opération T4. Lors de cette précédente opération, les nazis avaient planifié le gazage des handicapés mentaux. Ce programme secret avait été ébruité et des rumeurs circulaient à l’été 1941. L’évêque Clemens August Von Galen a dénoncé ces pratiques. Hitler suspend les opérations qui ont déjà fait environ soixante dix mille morts. Alors que la guerre fait rage, Hitler ne veut pas briser l’unité nationale. Il est décidé d'affecter le personnel alloué à l’opération T4 pour le transférer à un autre programme criminel. Elément de continuité qui se poursuit jusqu’à la fin de l’opération Reinhardt, à la fin de l’année 1943. Pour ce programme, le personnel passe directement par la chancellerie du Führer, alors qu’Auschwitz demeure à l’intérieur de l’appareil sécuritaire, puisqu'il est le seul site de mise en oeuvre de la « Solution finale » qui ait un lien administratif avec l’Inspection générale des camps de concentration (IKL). .
Une dizaine de personnes est envoyée à Belzec. Jusqu’aux préparatifs de l’invasion de l’URSS, cette frontière était considérée comme définitive. Des fossés anti-char gigantesques avaient été creusés. Des prisonniers juifs y travaillaient. Un camp de travail forcé avait été créé à Belzec, à un autre emplacement que le centre de mise à mort, dont la construction débute en novembre 1941. Le 1 er novembre 1941, la construction commence. Peu de responsables de l’opération T4. La main d’oeuvre est constituée d’artisans polonais du village voisin. On constitue une force annexe qui rassemble des prisonniers soviétiques (Ukrainiens ou Allemands de souche) à qui on demande de choisir entre une libération avec intégration à une force paramilitaire d’appoint (surnommée « les Ukrainiens ») ou le maintien en tant que prisonniers.
Mi-décembre 1941, fin de la construction. Le camp est restreint :
- une baraque d’accueil jouxtant les rails.
- une baraque de déshabillage.
- une baraque de gazage.
… tout cela à cent cinquante mètres de la première maison civile, d’où l’idée que l’on ne pensait pas en tuer autant au départ.

8 décembre 1941, premiers gazages à Chelmno. Ils visent les juifs du Warthegau, notamment Lodz. L’idée des responsables locaux est validée par le centre. Des quotas de morts sont fixés par Himmler. Tout cela reste secret vis-à-vis de Hans Frank.
Décembre 1941 : Pearl Harbor. Hitler convoque les plus hauts responsables du parti et de l’État. Il rappelle la prophétie selon laquelle si un conflit mondial éclate, les juifs en seront responsables et ils devront être exterminés. Hans Frank est présent. Il rencontre d’autres responsables. Il réclame que les Juifs soient déportés dans l’Ostland (terre conquise, notamment l’Ukraine). Il essuie un refus et se montre surpris.
16 décembre 1941, Frank informe ses subordonnés dans un discours « nous ne voulons avoir de la compassion que pour le peuple allemand », « liquidez-les [les juifs] vous-même ». « Nous devons exterminer les juifs
partout où nous en trouverons ». La décision est prise, il faut tuer les Juifs du Gouvernement général.

Les premiers gazages à Belzec (17 mars 1942 – 7 juillet 1942)

Les préparatifs sont lancés à Belzec. En février 1942, les premiers tests sont réalisés avec des camions à gaz. Cette méthode a déjà été utilisée en août 1941, notamment par les Einsatzgruppen, pour limiter les conséquences psychologiques des massacres sur les tueurs eux-mêmes. Ces camions sont un dérivé de l’opération T4. En revanche, en Allemagne, on utilisait du gaz en bouteille. A Belzec, on a vraisemblablement testé ce procédé.
Dans les ghettos, on prépare des déportations. Séparation des travailleurs et des condamnés. En février 1942, le camp est prêt. L’encadrement est renforcé. Christian Wirth, issu de l'opération T4 est nommé responsable.
Un contingent de gardes ukrainiens est installé. Des Juifs effectuent les derniers travaux du camp. Rien ne se passe. À quel moment interviennent les premiers assassinats par gazage ?
Le projet autour de Zamość avait été abandonné. Le Gouvernement général et le district de Lublin ont acquis une fonction spécifique car la solution de transplantation programmée après la guerre est modifiée en août 1941. Hitler autorise la déportation de Juifs allemands, non pas à l’Est mais en Pologne, dans l’attente d’un autre déplacement. C’est ainsi qu’en octobre 1941, des milliers de Juifs sont envoyés à : Lodz, Riga, Minsk, Kaunas
Cette déportation suscite l’opposition des autorités locales. Attendre la fin de la guerre devient indispensable. La charge est insoutenable.
En janvier/février 1942, le Gouvernement général devient également la destination des juifs. Hans Frank n’en veut pas d’autres. Il a déjà à gérer 1,8 million de Juifs. Alors, le 5 mars 1942, Himmler le reçoit. Il le fait plier en le menaçant de faire ressurgir des dossiers personnels de corruption et ses rapports troubles avec les Juifs. Frank abandonne l’idée qu’il peut refuser la déportation sur son territoire.
17 mars 1942, début des gazages à Belzec. Dans le même temps, les juifs allemands arrivent dans le Gouvernement général. L’un est donc lié à l’autre. Dans les ghettos, on déporte les locaux vers Belzec, les juifs allemands les remplacent (déjà vu à Lodz).
Entre le 15 mars et fin avril 1942, soixante dix mille juifs locaux sont assassinés. Soixante mille juifs allemands sont programmés pour arriver.
À Lublin, Himmler développe les plans imaginés pour les juifs du Gouvernement général. Nous ne disposons que des documents annexes à cette réunion. Selon lui, la moitié des juifs du Gouvernement général doit être exterminée en un an. En mars 1942, Goebbels note dans son journal qu’un informateur lui a rapporté que les juifs du Gouvernement général seront liquidés à hauteur de 60 %. Le reste sera mis au travail.

Les responsables de l'Aktion Reinhard prévoient une liquidation massive à échéance courte. Mais il n’y a pas d’autorisation expresse de Hitler.

Août 1942 : les nazis commencent à tuer à Sobibor. Mai-juin 1942 : Treblinka. Dans son témoignage, Eichmann laisse à penser que dans cette phase, l’extermination se faisait par quotas. Dans le Warthegau, l’autorisation de tuer se portait à cent mille Juifs. Le quota est atteint en juin 1942.
15 mars 1942 : Himmler ordonne de commencer l’extermination des juifs. Des rafles sont organisées et les premiers convois arrivent le 17 mars à Belzec.
L’extermination se déroule dans des chambres à gaz de 8 m. par 12 m. Le bâtiment est en bois et contient trois chambres à gaz. Un couloir les dessert. Le sol et les murs sont en métal pour en faciliter le nettoyage. Les victimes sont assassinées au moyen des gaz d’échappement émis par un moteur diésel de char fixé à l’extérieur du bâtiment. L’opération dure vingt minutes.

A Lublin, Lvov, des rafles violentes sont organisées. L’arrivée à Belzec est terrifiante. Le convoi s’arrête à l’extérieur du camp. Le conducteur polonais sort et est remplacé par un chauffeur allemand. Les faibles ou réticents sont mis de côté. Dans la première baraque, s’effectue le déshabillage. Les cheveux des femmes sont coupés. Un corridor mène ensuite jusqu’à la chambre à gaz. Les cadavres sont sortis, fouillés et entassés dans des fosses. Parfois, un autre convoi attend, quelques heures, dix heures parfois.
27 mars 1942 : Goebbels note dans son journal que la « méthode est passablement barbare ». « Ils [les juifs] ont amplement mérité », « ils nous annihileraient ». Le terme « barbare » est employé pour désigner quand ce sont les autres. Seules deux mentions sur quatre-vingt désignent les Allemands. Quand Goebbels cite les deux millions de prisonniers soviétiques laissés à mourir, il n’utilise pas de termes de ce genre.
1ère phase : mi-mars 1942 – avril 1942 : soixante dix à soixante quinze mille juifs sont assassinés. Le camp ferme. Des responsables rentrent à Berlin, d’autres vont à Sobibor pour poursuivre les gazages.

La suspension des opérations de gazage (19 juin 1942 – 7 juillet 1942)

Mi-avril 1942 : Himmler rencontre Globocnik. Il veut créer un complexe de trois centres de mise à mort. Globocnik obtient du personnel supplémentaire.
Fin mai 1942 : Reinhard Heydrich est exécuté par des résistants tchèques. S’ouvre alors l’étape ultime dans la formation de la « solution finale » car désormais, les nazis vont tuer les juifs soviétiques et polonais. Cela devient évident. L’Opération Reinhard porte le prénom du dignitaire nazi. L'objectif est de tuer aussi tous les juifs d’Europe (Allemands, Français, Slovaques…). Le délai de réalisation : juin 1942. Volonté de les tuer en un an. Le meurtre change de dimension.
Du 6 au 7 juin 1942, Kurt Gerstein reçoit en juin un ordre de Rolf Günther, l’adjoint d’Eichmann. Il doit se rendre dans les centres de mise à mort de l’Opération Reinhard. Günther est spécialiste des gaz toxiques. Il trouve les gaz d’échappement peu efficaces et suggère l’emploi de Zyklon B qu’il souhaite vendre aux centres de mise à mort. Ce projet ne sera pas mis à exécution. En revanche, Gerstein sera témoin oculaire du massacre. Il assiste à un gazage au Zyklon B à Auschwitz. Dans le même temps, fin août 1942, Gerstein se confie à Göran von Otter, diplomate
suédois. Il dénonce le plan d’assassinat prévu.
Quinze jours plus tard, les SS profitent d’une interruption du trafic ferroviaire pour agrandir Belzec. Tout est détruit. Le camp passe de trois à six chambres à gaz. Les rampes peuvent désormais accueillir quarante wagons (dix wagons précédemment). De nouvelles fosses sont creusées. Tout est fait pour rendre les victimes passives. Un orchestre joue à l’arrivée du convoi.

La reprise des gazages (7 juillet 1942)

Mi-juillet 1942, les convois reprennent. Le 18 juillet, Himmler rencontre une nouvelle fois Globocnik. Il lui déclare qu’il faut faire des camps un lieu d’extermination de la totalité des Juifs européens. 18 juillet 1942 : début de l’évacuation du ghetto de Varsovie.
En dix semaines, trois camps ont assassiné huit cent cinquante mille Juifs. Pendant ce temps, Eichmann pose les jalons pour la suite du plan. On décide aussi de la déportation des Juifs roumains. Un accord est trouvé avec Antonescu. Les juifs inaptes au travail auront un « traitement spécial ». En septembre 1942, deux mille personnes tous les deux jours. En dix mois, deux cent mille déportés.
Autre problème : la France. Lors de la rafle du Vel’ d’Hiv’, la police française avait arrêté moins de juifs que prévu (13 000 environ pour 22 000 escomptés). Qui plus est, on arrête des juifs inaptes au travail. Que faire des enfants ? Les responsables locaux plaident pour leur déportation. Eichmann accepte et ils sont envoyés vers Auschwitz.
Himmler veut s’assurer du fonctionnement des sites. Kammler est envoyé en inspection. Le 8 août 1942, il visite le camp de Lublin. À cette date, Himmler n’a pas encore visité de camp de l’opération Reinhardt (Eichmann, si).
Kammler trouve que les capacités sont insuffisantes et le déclare à Himmler le 11 août 1942. Auschwitz doit jouer un rôle plus important. Alors, ce n’est pas un mais quatre complexes de gazages et d'incinération, appelés Krematorien
par les SS, qui entrent en service à Birkenau entre mars et juin 1943. On dispose de moyens techniques pour mettre en oeuvre ce projet.

La visite de Kurt Gerstein (19 août 1942)

Le 19 août 1942, Gerstein visite Belzec. Il s’y rend avec du Zyklon B sous forme liquide. Il souhaite alléger les souffrances des victimes. Cette forme de zyklon B ne comporte pas d’avertisseur. Cela évite le signal atroce et l’envie de sortir de la chambre. Selon lui, c’est la solution pour que ces souffrances soient soulagées. De son côté, Globocnik rappelle la nécessité d’accélérer. Gerstein rencontre Christian Wirth. Ce dernier n’est pas favorable à l'utilisation de ce gaz. Une telle utilisation nécessiterait la présence d’un médecin (gaz hautement toxique) et de souffleries pour
dégager les gaz avant d’ouvrir la chambre. En tant que chrétien, Gerstein saisit probablement ici la possibilité de ne pas faire partie intégrante d’un processus criminel (Saul Friedländer, Kurt Gerstein ou l'ambiguïté du bien, 1967). Le projet est donc enterré.

« Dans les chambres, des SS pressent les hommes : « bien remplir », a ordonné Wirth, 700-800 sur 93 m2. Les portes se ferment. Cependant, le reste [des déportés] du train, nus, attendent. On me dit : « Nus aussi en hiver ! – Mais ils peuvent attraper la mort ! – C’est pour cela qu’ils sont ici ! » était la réponse. A ce moment, je comprends la raison de l’inscription « Heckenholt » [sic] : Heckenholt c’est le malheureux chauffeur de la Diesel dont les gaz d’échappement sont destinés à tuer les malheureux. Le SS Unterscharführer Heckenholt s’efforce de mettre en marche le moteur. Mais il ne marche pas ! Le capitaine Wirth arrive. On le voit, il a peur, car j’assiste au désastre. Oui, je vois tout et j’attends. Mon chronomètre “ stop ” a fixé le tout, 50 minutes, 70 minutes, le Diesel ne marche pas ! Les hommes attendent dans les chambres à gaz. En vain. On les entend pleurer « comme à la synagogue » dit le professeur Pfannenstiel, l’oeil à une fenêtre agencée dans la porte de bois. Le capitaine Wirth, furieux, envoie quelques coups de cravache à l’Ukrainien qui est l’aide de Heckenholt. Après 2 heures 49 minutes – la montre a tout enregistré – le Diesel se met en marche. Jusqu’à ce moment, les hommes dans les 4 chambres déjà remplies vivent, 4 fois 750 personnes à 4 fois 45 mètres cubes ! De nouveau 25 minutes passent. Beaucoup sont déjà morts, c'est ce qu'on voit par la petite fenêtre, car une lampe électrique éclaire par moment l'intérieur de la chambre. Après 28 minutes, quelques-uns survivent encore. Après 32 minutes enfin, tous sont morts ! »

Dépositions de Kurt Gerstein de l’Institut d’hygiène SS de Marbourg datées du 26 avril et du 5 mai 1945 in Kuwalek R., Belzec, le premier centre de mise à mort, p. 109


Gerstein s’est confié à un diplomate suédois dans le train qui le ramenait à Berlin depuis Varsovie. En 1943, son rapport arrive à Londres. Il n’est pas utilisé. A la fin de la guerre, début mai 1945, il se présente aux Américains comme le témoin visuel de Belzec et Treblinka. Ayant fourni le camp d’Auschwitz en Zyklon B, il est transféré à Paris. Il se pend la veille du second interrogatoire où il devait justifier les commandes de Zyklon. Son témoignage est intégré au procès de Nuremberg.

Belzec : 434 508 victimes. Deux survivants (Rudolf Reder et Chaïm Hirszman). Gerstein est un témoin rare et allemand. La question de la crédibilité de son témoignage se pose.

L’arrêt des opérations à Belzec et la difficile mémoire du génocide à Belzec

Eté 1942 : l’extermination laisse des traces. L’opération 1005 est alors programmée. Objectif : incinérer les cadavres ensevelis dans d'immenses fosses communes. Des bûchers sont dressés sur des rails de chemin de fer. Les cadavres sont entassés. A Auschwitz, un nouveau système est mis en place : les corps des victimes sont brûlés dans des fours crématoires immédiatement après leur assassinat. La destruction des traces est immédiate.
31 décembre 1942, il reste moins de trois cent mille Juifs. Lorsque la mission est terminée à la mi-décembre 1942, le camp cesse de fonctionner. Les prisonniers juifs déterrent les trente-trois fosses communes. Ils sont ensuite envoyés à Sobibor où ils sont assassinés. Les installations sont démantelées, le site est arasé, des arbres sont plantés, une ferme est construite. On y installe des Allemands de souche. Les archives sont détruites en totalité (un seul document a survécu). Belzec est un camp dont aucun moment de l’histoire n’a été perturbé. Aucune révolte, aucune
menace. Belzec est un trou noir de l’historiographie. Il a disparu du radar de la mémoire, notamment du fait de l’influence soviétique après la débâcle nazie et également parce que personne ne peut témoigner.

« Dans le bâtiment, il y avait six chambres à gaz, toutes dépourvues de fenêtres, éclairées à l’électricité et équipées de deux portes. L’une d’elles menait à l’extérieur ; elle permettait d’extraire les cadavres. L’autre, une porte normale d’aération (avec système de verrouillage) permettait aux gens d’entrer dans les chambres à gaz. Il me semble que la cloison près de cette porte était munie d’un hublot par lequel on pouvait observer les effets du gazage, dans la mesure où la vue n’était pas gênée par la multitude des corps. On a rapidement voilé le hublot. Le moteur a été actionné dès la fermeture de la porte. Les lumières se sont éteintes à l’intérieur. Le silence régnait. L’inquiétude a progressivement augmenté. Selon moi, les gens étaient restés dans l’expectative. Je me souviens qu’ils se sont mis ensuite à frapper contre la porte et à appeler à l’aide. Douze minutes après le début de l’opération, le silence s’installait de nouveau. Des détenus juifs ont ouvert la porte qui menait à l’extérieur et ont tiré les cadavres au moyen de longs crochets qui servaient aussi à ouvrir les bouches. Devant le bâtiment, ils fouillaient minutieusement tous les orifices des corps pour trouver des objets précieux dissimulés. Ils arrachaient les dents en or et les recueillaient dans des boîtes. Puis les cadavres étaient jetés dans des fosses situées non loin des chambres à gaz. Lorsque la fosse était remplie, les corps étaient arrosés d’essence – ou d’un autre liquide inflammable – et incinérés. »

Déposition du professeur Wilhelm Pfannenstiel datée du 25 avril 1960 in Kuwalek R., op. cit., pp. 108-109


Emmanuel Oger, collège Louis Pasteur, Saint-Mars-la-Jaille
 

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